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La complexité et les défis de l’intervention en contexte d’autorité 33

Compte tenu de son caractère socio-judiciaire (une intervention sociale encadrée légalement), la pratique de protection de l’enfance se réalise en contexte d’autorité et dans bien des cas, avec des gens non-volontaires qui n’ont pas demandé l’aide qui leur est proposée et parfois imposée9. Un contexte d’adversité accompagne souvent le professionnel et celui-ci doit tenter d’en arriver à concilier, ou à défaut à prendre en considération, les besoins et points de vue des différents acteurs en jeu (les différents membres de la famille en difficulté, les professionnels (intervenants et avocats), les juges, l’organisation, l’État). De nature majoritairement psychosociale, les                                                                                                                

9 Encore faut-il réfléchir à ce que l’on entend par aide et quelles en sont alors les perceptions de la famille et du professionnel…

Des mesures imposées peuvent-elles être considérées comme de l’aide? Pour qui?

L’enfant  et   sa  famille  

La  sphère  de   l’intervention  sociale  

  Intervenant-­‐terrain,   conseiller-­‐clinique,  réviseur,  

chef  de  service  

La  sphère  de   l’intervention  judiciaire  

 

L’avocat  de  l’enfant,  l’avocat  des   parents,  l’avocat  du  DPJ,  le  juge  

interventions mises en place en contexte de protection de l’enfance amènent les professionnels, particulièrement les intervenants-terrain, à côtoyer de près les enfants considérés comme étant en besoin de protection. Le contexte foncièrement humain de ce type de profession et les réalités de vie difficiles auxquelles sont confrontés les professionnels plongent ces derniers dans des prises de décision lourdes de conséquences. Dans la pratique, les notions d’aide, de contrôle et de surveillance se côtoient et se chevauchent régulièrement.

Un tel contexte d’intervention a longtemps été perçu comme incompatible à l’exercice de la relation d’aide, vu à prime abord comme contradictoire aux valeurs de base du travail social: autodétermination, respect de la personne, croyance au changement, justice sociale. Pourtant, pour Bédard, il n’y a pas d’intervention sociale sans exercice de l’autorité (Bédard:2002). Il prétend que, « l’autorité reste indissociable de la relation de confiance. Elle ne s’oppose à l’alliance thérapeutique que si elle est abusive ou tordue » (Bédard:2002:155). Ceci étant dit, la présence d’autorité, même envisagée comme inhérente à toute relation d’aide, n’en provoque pas moins des résistances chez les enfants et les familles qui se voient souvent imposer des services d’aide. Et ces résistances doivent d’abord être apprivoisées avant d’en arriver à une relation significative et propice à l’intervention. Ces dernières se présenteront différemment selon le type d’autorité déployé.

Selon Veillette, la relation d’aide en contexte d’autorité a pour objet le fonctionnement social des individus, des familles en interaction avec leur environnement dans l’application de mesures visant la normalisation des comportements et des attitudes prédéfinies socialement (Veillette:1991). Il existe donc au sein de cette pratique, des aspects reliés à la « normalisation » sinon à la « moralisation » pour emprunter à Bourgeault (Bourgeault:2003). Conséquemment, les impératifs sociaux et la pression sociale sont très présents face à la protection de l’enfance. La société n’accorde que peu de marge de manœuvre dans cette gestion du risque social, ce qui est observé également pour d’autres problématiques sociales, tout en ayant paradoxalement un regard plutôt négatif sur le concept d’autorité, intimement relié à la protection judiciaire.

Tel que l’entend Bédard, différents types d’autorité existent et l’auteur en distingue trois: l’autorité sociale, relative aux qualités et à la crédibilité d’une personne ; l’autorité sociale mandatée, rattachée à la profession d’une personne ; et l’autorité avec pouvoir de contrainte, où s’additionnent aux deux niveaux précédents des pouvoirs associés à une loi ou un règlement (Bédard:2002:161-162). L’intervention en protection de l’enfance est évidemment rattachée à l’autorité avec pouvoir de contrainte. Légitimées par un mandat légal d’autorité, les interventions réalisées dans le cadre de mesures de protection de l’enfance visent des degrés de protection différents selon les problématiques rencontrées, mais provoquent inévitablement des conséquences qui peuvent être contraignantes et brimer la liberté de certains acteurs de la situation évaluée. Ce contexte peut provoquer de fortes réactions de la part des familles. En effet, la crise familiale de départ est immédiatement suivie d’une autre, provoquée elle, par le caractère intrusif et coercitif des interventions (Guay et al.:2007). La famille peut également être influencée par la pression extérieure et le sentiment d’être jugée. La ligne semble parfois mince entre l’exercice de l’autorité et l’abus de pouvoir : l’attitude du professionnel joue alors pour beaucoup dans le sentiment vécu par les enfants et leur famille.

Les défis d’intervention sont majeurs, dans un contexte où les professionnels s’affairent à conjuguer aide, surveillance et contrôle. À cet égard, la représentation de l’Autre, de l’enfance, des parents, de la famille, influence le cours des choses et les choix faits par les professionnels. Tel que l’entend Guay, « si les familles sont définies à partir de leurs comportements répréhensibles, le contrôle et la surveillance prédomineront. Si le parent est catégorisé comme atteint d’un trouble de personnalité limite, une intervention psychologique ou psychiatrique s’imposera. […] Ces définitions, toutes valides, rendent compte de la complexité des problématiques rencontrées et de la multidimensionnalité des interventions » (Guay:2010:52). Et comme le soutient Lessard, « il arrive que les intervenants aient des croyances envers les familles à risque qui nuisent à l’établissement de la relation d’aide » (Lessard:1998:39). De là l’importance de valider cette appropriation d’une situation puisque s’établira dans ce rapport à l’Autre, une posture professionnelle qui a un impact majeur dans le choix des mesures de protection à mettre en place, ainsi que sur les trajectoires d’intervention et les logiques d’action. Bédard parle d’un triple enjeu : utiliser son autorité et ses compétences pour influencer une famille « non-volontaire », faire de même pour influencer une communauté tout aussi « non-

volontaire » afin qu’elle améliore ses capacités d’intégration sociale et économique et travailler, dans un climat de tension, à réactiver les liens d’autorité sociale normaux entre la communauté et la famille (Bédard:2002:162).

De fait, le professionnel se voit souvent tiraillé entre son désir d’aider et sa réalité de contrainte, et encore une fois, entre son rôle d’agent de changement et celui d’agent de contrôle. Des zones de tensions peuvent alors se dessiner. Le désir d’aide est souvent court-circuité par le besoin et « l’obligation » de protection, le « retour vers la norme », le « rappel au fonctionnement » : se chevauchent pour le professionnel des postures d’aide, d’intervention et de protection. Or, pour Autès, ce « malaise » fait partie du travail social (Autès:2004) et il devient un « territoire de l’entre-deux » (Boutanquoi:2008). Il est fort à parier que cet espace d’inconfort n’est pas appelé à diminuer, dans un contexte professionnel où les travailleurs sociaux du Québec doivent de plus en plus faire face à des actes prescrits rattachés à de nouvelles législations et au déploiement de référentiels de compétences10.

La présence d’autorité et d’un pouvoir de contrainte pose des questionnements éthiques importants au moment d’identifier les risques et de déterminer d’une mesure de protection appropriée : jusqu’où aller ? Jusqu’où obliger ? De quel droit ? Sous quel pouvoir ? Pour quelles raisons ? Des questions qui sont abordées dans un chapitre subséquent. Les interventions en contexte d’autorité se réalisent dans des situations de vulnérabilité et de détresse sociale importantes. L’expression de cette souffrance peut être difficile à recevoir par les professionnels qui en sont ébranlés. Combinée à l’exercice de leur rôle d’autorité, cette réalité peut lourdement complexifier leur tâche. Dans un tel contexte, les questions éthiques sur le risque et les mesures de protection à imposer « s’humanisent », se « concrétisent » face à des familles en grande difficulté. Cela peut être confrontant pour les professionnels qui se voient coincés entre d’un côté leur mandat institutionnel, leur rôle professionnel et leurs croyances profondes et de l’autre, une réalité familiale difficile, des trajectoires de vie douloureuses et l’observation d’inégalités sociales importantes.

 

                                                                                                               

CHAPITRE 3 : LES DIMENSIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES

Il a été établi que les interventions en contexte de protection de l’enfance sont complexes, encadrées légalement et empreintes de défis. Pour observer et comprendre cette pratique, une posture constructiviste est mise de l’avant. Or, quelles lunettes sont utilisées pour appréhender ce sujet ? Le chapitre 3 a comme objectif d’expliciter et de discuter les dimensions épistémologiques sous-jacentes à la recherche. Le choix de l’éthique comme ligne directrice est situé, tout comme l’utilisation de la réflexivité et de la délibération éthique comme perspectives épistémologiques. Ce choix permet de réfléchir les logiques d’action qui se dégagent et se construisent à l’intérieur de la prise de décision des professionnels.