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B) Créateur d'une identité littéraire.

2. Le mélange des genres.

"Dumas réussit à emboîter dans le même roman trois situations archétypes qui prendraient aux tripes même un bourreau" 359.

Le mélange des genres laisse perplexe. Un texte à la fois philosophique et littéraire par exemple, de part l'incertitude de son statut, provoquera un étonnement et une recherche autre que celle d'un texte au statut univoque. Le mélange peut-être perçu à la fois comme une tension productive, ou une contradiction, le tout est de savoir démêler conflit et rencontre. La subversion des codes, la rencontre des différences (texte/oralité ; auteur/lecteur ; histoire/fiction ; utilisation de la métaphore...), tout dans le récit littéraire indique un penchant au dépassement des frontières, des limites : "le plaisir de la lecture

vient évidemment de certaines ruptures [...] des codes antipathiques entrent en contact"360. Or Monte-Cristo possède ce statut d’œuvre hybride, il crée sa

propre valeur dans sa duplicité, à l'image de son héros. En effet on remarque que Dumas utilise "des éléments ayant déjà fait leur preuve" mais de nouveau il utilise le passé pour créer du neuf "dans la manière d'utiliser ces éléments et de

les combiner"361 et c'est cette subversion des codes propre à ce roman que

nous allons ici étudier afin de montrer comment se créé son identité littéraire dans la rencontre des différences.

Comment caractériser le genre de Monte-Cristo ? L'idée première venant à l'esprit est celui de roman d'apprentissage, cependant même ici Dumas se démarque : loin des règles classiques de l'unité de temps, lieu et action, il fait évoluer son intrigue à coup de rebondissements, de revirements de situations, donnant au récit une apparence complexe et obscure dans son assemblage, qui se révèle pourtant être une construction parfaitement agencée dans son chaos. L'impossibilité de définir le genre de ce roman vient de ses multiples influences, qu'il mélange, créant un ensemble unique en son genre. Du conte merveilleux il reprend le thème du trésor qui, en général, s'avère être le but et l'intrigue de l'histoire s'achevant sur la trouvaille, or ici il "n'est pas un

but, mais un moyen : il va servir à la vengeance"362. Sous ses apparences de

conte merveilleux, le roman de Dumas met en scène le pouvoir de l'argent, de la corruption, mettant de nouveau les opposés en tension. Il passe du roman

359Umberto, Eco. De superman au surhomme. Grasset, 1993. Format Kindle pour Amazon. Emplacement 1327.

360 Roland, Barthes. Le plaisir du texte. Seuil, Paris, 1973.

361 Daniel, Compère. Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. Encrage, Paris, 1998. Page 10.

merveilleux au roman gothique, avec ses inspirations de vampire grandiloquent et sur-réaliste, puis il passe au mélodrame qu'il utilise pour mieux s'en éloigner, tout comme le romantisme et le genre policier :

"Ici encore, Dumas ne convoque le mélodrame que pour souligner qu'il s'écarte des caractéristiques de ce genre, même si il les utilise"363

"Le suspens n'est pas dans la découverte des coupables, mais dans le fait de voir quand et surtout comment ils seront punis"364

"il est évident que Dumas nous propose des points de repères qui indiquent son intention de se reconnaître des prédécesseurs, mais aussi de faire autre chose"365

Monte-Cristo est donc une œuvre à l'identité bizarre, qui, comme son héros, utilise ce dont elle a besoin chez les autres pour en faire ressortir l'utile et le façonne ensuite elle-même à sa manière. On retrouve l'idée du scientifique- abeille, qui pourrait définir l'ensemble de la construction de l’œuvre de Dumas. Le beau est toujours bizarre nous disait Baudelaire, et il semblerait que Dumas s'accorde avec lui sur ce point-là. Récit des paradoxes, aussi bien dans ses thèmes que dans sa narration, le langage de ce roman crée en subvertissant les codes au moment où ils sont convoqués. Nous rejoignons ici les idées développées par Camus à propos du roman366, il distingue la littérature du

consentement (correspondant aux siècles anciens où l'on trouvait peu de romans), et la littérature de la dissidence, qui naît avec les temps modernes et l'esprit de révolte. Cependant révolte n'est pas refus du monde, il s'agit bel et bien du même monde, mais le roman en passe par une correction, une stylisation illustrant la liberté que possède l'homme dans la création. De cette liberté, Dumas use comme il l'entend, faisant de son roman un genre inclassable, car mélange créateur d'un peu de tout. Le Comte crée sa propre identité littéraire à l'image de son personnage principal. On remarque qu'il existe un autre aspect de ce livre constitutif de son statut original, et cela passe de nouveau à travers l'image du héros comme mort/renaissant : le style de Dumas est fortement influencé par cette apologie de l'obscurité, faisant de la création quelque chose devant passer par le néant, illustrant que la création peut-être produite par une mort renaissante, ce qui sera donc notre dernier sujet d'étude à propos de la création d'une identité littéraire dans le phénomène Monte-

Cristo.

363 Ibid. Page 23. 364 Ibid. Page 26. 365 Ibid. Page 29.