• Aucun résultat trouvé

D) Symboles et possibilités : le début de la pensée.

3. Un existentialisme positif.

Dumas semble, paradoxalement, s'accorder avec deux mouvements dits "humanistes". Tout d'abord le genre du roman feuilleton rejoint l'appel des écrivains romantiques à s'engager politiquement pour le Peuple pour lequel et sur lequel ils veulent écrire : "Par le biais du roman feuilleton c'est l'aspiration

au bonheur mieux partagé dans une société inégalitaire qui va s'exprimer"414.

Aspiration à l'égalité donc, qui se traduit également dans son association au mouvement littéraire romantique qui a pour projet de :

"réenchanter le monde"415

"Le romantisme aspire à des horizons nouveaux [...] ce besoin d'ailleurs est lié aussi à la quête des origines, d'où l'importance du voyage, réel ou imaginaire"416.

La Comte de Monte-Cristo s'apparente donc à un appel à l'existence et

au combat, ainsi qu'à un appel au voyage, à la découverte du monde, des autres et de soi. Si la forme d'existentialisme que l'on perçoit dans Monte-Cristo s'apparentait à priori à ceux de Sartre et Heidegger, on remarque ici une divergence. En effet ces formes d'existentialismes demeurent assez négatives car elles s'axent sur l'angoisse et la mort (ce qui semble, à priori, être également le cas chez Dumas). Mais on peut dire du comte qu'il s'apparente davantage à l'ontologie de la nature humaine chez Ricoeur car :

"nul ne conteste leur caractère dramatique [la mort et l'angoisse], mais une trop grande fixation sur elles conduit à obnubiler la possibilité qu'a l'homme de se réconcilier avec sa condition et de reconquérir une certaine naïveté dans l'exercice de ses pouvoirs"417.

En effet Monte-Cristo devient illustration de cette capacité, en passant d'un extrême à l'autre il chancelle sans cesse entre les deux, et c'est ce qui lui permet de redevenir homme. Ricoeur s'oppose à l'idée d'une volonté uniquement néantisante (c'est-à-dire qui n'existe qu'à travers sa capacité à dire non). Monte-Cristo révèle sa plus grande force lorsqu'à la fin il accepte de dire oui à Haydée et à la vie. En effet, on remarque que les notions que Faria lui a enseignés et que le Comte transmettra à Maximilien, ainsi qu'aux lecteurs, sont des notions bien plus positives que ce à quoi l'on peut s'attendre : "Attendre, et espérer"418. Si l'existentialisme de Monte-Cristo passe par une prise de

414 Adam, Desanti. Université Paris IV-Sorbonne, Ecole Doctorale III. Initiation et revanche sociale dans 3 oeuvres romantiques : Le juif errant, d'Eugène SUE. Le Comte de Monte-Cristo, d'Alexandre DUMAS père. Les Misèrables, de Victor HUGO. Thèse de doctorat présentée et soutenues publiquement en Décembre 2015. Consultée sur micro-fiche à la BIS, page 16. 415 Ibid. Page 18.

416 Hossein Tengour. Le Comte de Monte-Cristo. Bertrand-Lacoste, Paris, 2007. Page 29. 417 Jean, Grondin. Que sais-je ? Paul Ricoeur. PUF, Paris, 2013. Page 34.

418 Pour développer ce thème voir : Alexandre, Dumas. Le Comte de Monte-Cristo. Pocket, Paris, 1995. Tome I, pages : 703, 708, 780. Tome II, pages : 171, 266, 296, 460, 464, 596,

conscience de cette condition néantisante propre à l'homme, mais cette prise de conscience n'est présente que pour être dépassée et réinterprétée dans sa positivité : combattre pour faire de sa vie non pas un déterminisme négatif, mais une vie rêvée au sens de fictionnelle dans ses possibles et sa grandeur :

"Vivez ! un jour viendra où vous serez heureux et où vous bénirez la vie ; de quelque part que vînt la voix, nous l'eussions accueillie avec le sourire du doute, ou avec l'angoisse de l'incrédulité, et cependant combien de fois, en t'embrassant, ton père a-t-il béni la vie, combien de fois moi-même..."419

Monte-Cristo appelle ici à un retour à l'humanité, au rejet du pessimisme, montrant que, même dans le plus sombre, le bonheur peut renaître : lui, le mort-vivant, le vengeur, haïssant l'homme, retrouve, grâce à Maximilien, Valentine et Haydée, une raison de vivre, d'être et de demeurer homme. Véritable appel à la vie et la liberté, Le Comte de Monte-Cristo devient cette voix venue d'ailleurs qui nous permet, à nous lecteurs, de bénir la vie et comprendre comment nous pouvons faire de notre existence, quelque chose de rêvé au sens de libre et créatif. La voix de la littérature permet cet envol vers d'autres possibles, d'autres êtres et d'autres mondes, finalement constitutifs du plus important : une manière d'être, intersubjective. Se perdre revient à passer par cet enseignement de l'obscurité pour ressortir, tel Monte-Cristo, en oiseau des profondeurs s’élevant, paradoxalement, dans l'humanité par une mort renaissante. Le récit de Dumas devient donc phénomène créateur de liberté, en ce qu'il appelle au voyage vers un ailleurs en soi-même, illustrant que même en restant sur une chaise à lire un livre, nous pouvons faire de notre vie, un véritable phénomène.

597, 598, 688, 703, 742, 754. 419 Ibid. Tome II. Page 595.

Conclusion

"Achevez donc votre tasse de café, lui dit le comte ; l'histoire est finie"420

"D'emblée Faria se révèle en homme-bibliothèque, un homme

somme"421: ce dernier s'est formé par les livres, et il formera Dantès en les lui

transmettant par la voix, le dialogue. Ainsi la symbolique de son livre-relique, transmis à Monte-Cristo à la fin du roman prend tout son sens : écrit à partir de rien, cet ouvrage illustre le combat de l'abbé contre le déterminisme et la défaite, paradoxalement symbolisé par l'échec de son évasion. Cette dynamique d'être propre à l'abbé est transmise à Monte-Cristo qui comprendra alors ce que voulait lui faire comprendre le vieil abbé : ce n'est qu'après avoir reçu et retrouvé ce livre qu'il acceptera enfin de redevenir homme, la transmission de l'un à l'autre sera alors achevée. Le récit s'apparente donc à quelque chose que l'on s'échange, que l'on se transmet et qui nous permet de nous construire les uns avec les autres. Véritable apprentissage donc, illustrant et justifiant cette qualification du Comte de Monte-Cristo comme œuvre phénoménologique herméneutique. Si l'on reprend ici les définitions du phénomène citées en introduction on s'apperçoit, grâce à l'étude menée, a quel point le roman de Dumas répond à ces critères, tout en les dépassant car créant à partir de ces branches, de nouvelles pousses, de nouveaux possibles. Le phénomène se définit d'abord comme un fait pouvant être objet d'étude. Or nous venons de le faire ici pour Monte-Cristo qui se révèle, dans les nombreuses recherches qu'il a engendré, être un véritable outil et objet de recherches. Le phénomène est une personne/chose qui sort de l'ordinaire de par son originalité, qui mieux que Monte-Cristo répond à cela ? Enfin le phénomène est ce qui apparaît à la conscience et qui est perçu par les sens : en plus d'apparaître, le phénomène créé par Dumas révèle, dépassant donc ici encore les définitions communément admises, en jouant, pour créer sur et par elles, autre chose, mélange des genres, encore et toujours.

Le Comte de Monte-Cristo s'avère donc être un miroir à l'image de celui

des contes de notre enfance : les protagonistes vont à lui afin de découvrir la vérité, et il nous la découvre sous forme d'énigmes, montrant que la recherche passe par une interprétation des symboles que nous délivre la vérité, ainsi que nos reflets. Le reflet étant à la base représentation de nous-mêmes, il s'apparente désormais davantage à un double, un autre, qui appelle à la

420 Alexandre, Dumas. Le Comte de Monte-Cristo. Tome II Pocket Classique.1995. Page 240. 421 Pierre, Tranouez. L'initiation par les gouffres. "Le Comte de Monte-Cristo ou l'initiation par les

découverte via l'entrée dans cette fenêtre ouverte sur le monde qu'est le livre. Le récit devient un pouvoir être, en tant que façonnement du monde comme possible, se déliant donc de l'idée préconçue que l'on se fait du réel, perturbant notre relation primaire à ce monde, en faisant une différence ontologique constitutive, inquiétante donc car différant d'une analyse scientifique et ouvrant à la subjectivité, la possibilité et le changement. Pourtant ces termes à priori relatifs et vides de sens, s'avèrent être les révélateurs propres de notre existence. L'imagination n'est donc plus cet outil illusoire qui ne nous transporte nulle part de manière évasive, elle devient un véritable voyage initiatique et dynamique :

"Et c'est bien cela l'inter-texte : l'impossibilité de vivre hors du texte infini [...] le livre fait sens, le sens fait la vie"422

On remarque effectivement qu'ici, ce sont les thèmes du roman qui ont permit de comprendre ses effets, et que c'est en lisant que l'on comprend ce que c'est que lire, en vivant l'histoire des personnages que l'on comprend comment vivre la sienne, car l'on prend conscience que notre vie et notre histoire méritent toutes d'être racontées. Inter-texte, intersubjectivité, interprétation, intertextualité, intermédiaire... autant de termes utilisés et expliqués ici pour illustrer la position d'entre deux constitutive dans laquelle chacun d'entre nous se trouve. "L'inter" appel à l'autre, appel au voyage, à l'expérimentation d'autres possibles, ainsi, nous sommes invités, comme Monte- Cristo, à suivre Faria, au fond du souterrain, afin de découvrir l'être et le monde, dans l'obscurité, illuminée et transcendée par la présence de l'autre, qu'il soit livre ou être, toujours phénomène.

"Un rêve étonnant m'environne : je marche en lâchant des oiseaux

tout ce que je touche est en moi et j'ai perdu toutes limites"423

* Et il rentra dans le corridor souterrain, où il disparu ; Dantès le suivit - Page 107. 422 Roland, Barthes. Le plaisir du texte. Seuil, Paris, 1973. Page 51.

423Gaston Bachelard. L'air et les songes, Essai sur l'imagination du mouvement. Livre de poche, Paris, 1992. Cite le poème de Jean Tardieu dans Le témoin invisible.