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Mélange de codes ou alternance codique

Causa (2007) souligne qu’il ne faut pas confondre l’alternance codique avec le melange de codes. Elle définit l’alternance codique comme des « passages dynamiques d’une langue à l’autre dans la même interaction verbale ». Le melange de codes, de son cote est vu comme une stratégie de communication dans laquelle le locuteur mêle les éléments et les règles des deux langues. Clyne (1987) comprend l’emploi de deux langues à l’intérieur d’un énoncé ou l’alternance de codes entre deux énoncés. Les auteurs comme Verma (1975) et Gibbons, (1979) définissent le mélange codique par l’utilisation d’un mot d’une langue dans une phrase d’autre langue. Quant à l’alternance codique, elle est la coexistence de deux langues dans le même discours. Asilevi (2001) décrit le mélange codique comme l’incorporation de deux codes dans une phrase pour exprimer une unité de de pensée.

Dans notre analyse, nous voudrons réserver le terme de melange de codes, d’abord pour les cas où il est question d’un véritable changement de langue pour exprimer quelque chose même s’il s’agit d’un seul mot à l’intérieur d’un énoncé. Ce terme parce que les locuteurs et/ou interlocuteurs parlent le baoulé en utilisant un terme français

Le melange codique en baoulé se perçoit plus chez les sujets lettrés ayant acquis le français comme langue seconde après le baoulé qui est leur langue maternelle donc la langue première. Même si a une époque de son histoire, la langue maternelle était bannie a l’école, aujourd’hui force est de constater que les locuteurs baoulé bilingues (baoulé et français) font appel à ce melange de code dans leur discours. Le locuteur en tant que « sujet personne » joue

un rôle qui le reflète sur un plan personnel lié a son identité. Dans son discours, un choix de langue se pose. Il fait donc appel au français pour compenser ses lacunes en baoulé. Le baoulé étant sa langue maternelle elle est en effet sa langue source qui est par ailleurs essentielle pour l’expression de son identité. Mais en allant puiser dans le stock lexical du français pour palier a des éventualités dans son discours, le français devient pour le locuteur baoulé la langue source et sa langue maternelle devient la langue emprunteuse. Cependant, le lexique emprunté ici ne fait pas partir du lexique de base du baoulé. Il ne peut pas être considéré alors comme emprunt intégré à la langue. Des chercheurs qualifient ces emprunts de « emprunt spontané ». Mais doivent-ils être considérés comme emprunt ? N’est-ce pas un simple melange de code ? Quel cas d’emprunt pour ces termes ? A quel moment peuvent-ils être considérés comme des emprunts ?

Prenons les exemples ci-dessous

19. dɔ̰kɔ a sikɛ n su ba ma̰

Donc 2SG. savoir 1SG. PROG. venir NEG.

Donc tu sais que je ne viendrai pas.

20. parɛza̰pl aljɛ siwa ni avje

Par exemple nourriture piler et PROG.

Par exemple, entre le foutou et le riz….

21. wṵzi asa nu sinɔ̰ a di ma̰ vje

Laver main dedans sinon 2SG. manger NEG. aussi Lave ta main sinon tu ne mangeras pas aussi.

22. sɛ a wa̰ a kɔ vje dema̰de pɛmisjɔ̰

Si 2SG. vouloir 2SG. partir aussi demander permission

Si tu veux partir aussi, demande la permission.

23. a si dati nga me ba

2SG. connaitre date DEM. 3PL. venir

On observe à travers ces exemples que le locuteur baoulé fait appel à quelques mots français dans son discours. Ces mots ne font pas partis du lexique de base de cette langue comme nous l’avons mentionné plus haut. Il relève du fait de parole individuelle. Ce melange de langue peut être due à une stratégie employée pour parer par exemple, à un manque de connaissance de quelque sorte dans sa langue ou encore à un manque de maitrise même du français pourquoi pas lorsque le locuteur veut participer à un échange d’informations sur le plan communicatif. Il avance sa contribution en baoulé et sur la difficulté d’exprimer ses pensées, il emploie un mot français pour s’affirmer. Le melange de codes permet aussi de rendre la communication plus aisée chez certains et chez d’autres, il permet tout simplement de faire voir leur identité sociale. Un locuteur baoulé qui commence son discours en français mais le termine en baoulé peut vouloir exprimer quelque chose d’affectif et ou son enthousiasme pour marquer une sorte de solidarité sociale ou encore de complicité.

En ce qui concerne les formes verbales provenant du français, que le modèle soit ou non lui-même un verbe, elles doivent s’intégrer au système de conjugaison de la langue qui reçoit c’est-à-dire du baoulé. Cela donne par exemple :

24. ɔ su atake mi

3SG. PROG. attaquer 1SG.

Il est en train de m’attaquer.

25. a sypɔte-li wa̰ ?

2SG. supporter-ACC. INT. Qui as-tu supporté ?

A travers ces exemples, on voit que le locuteur du baoulé utilise un lexème français avec une marque de conjugaison baoulé. Il ne s’agit pas ici d’un emprunt. Le verbe employé de la sorte est ignoré par la majorité des locuteurs car il n’est peut-être pas d’usage par l’ensemble des locuteurs du baoulé. Cela est l’apanage d’un individu. Il est alors évident qu’il faut faire la distinction entre emprunt et citation ou mélange codique.

Pour résumer, nous pouvons dire que les principales fonctions du melange codique sont les suivants :

- pour maintenir la fluidité dans la conversation, - pour combler un vide linguistique,

- pour clarifier la compréhension.

Le melange codique en baoulé joue un rôle important pour simplifier et faciliter la communication. Ces choix sont marqués. Cela implique l’inattendu ou l’imprévu du terme dans le discours.

Conclusion

La composition d’un stock lexical donné par le contexte historico-social ne peut toujours rendre compte de l’aspect composite de ces stocks où se mêlent des unités appartenant à la langue source et des emprunts de sources diverses sans que puissent être perçues les raisons d’ordre culturel et sémantique qui ont présidé à sa formation et à son évolution. Les emprunts français en baoulé illustrent la nécessité de ne pas réduire l’objet de la linguistique à la langue. Ils montrent aussi les rapports entre code et situation sociale. Toute communauté sociale emploie en effet sa langue afin de produire des discours ou des textes selon des stratégies diverses : emprunt ou melange de codes. L’apport du point de vue sociolinguistique dans notre analyse est de faire apparaitre que la différenciation sociolinguistique est une des causes de l’emprunt.

Reste cependant à savoir jusqu’où peut se mesurer la productivité de l’emprunt dans les langues africaines au XXe siècle et particulièrement dans le baoulé. Car on le voit, les emprunts entre les langues sont de moins en moins fréquents. Malgré l’accroissement de la mondialisation, on assiste non plus à un phénomène d’emprunt mais à la mise en place des terminologies pour combler certains vides.

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