Dr. Beaugendre (médecin salarié à mi-temps pour le suivi d’une équipe
professionnelle de football) : « Je n’ai pas un salaire extraordinaire, je gagne
plus d’argent à mon cabinet qu’en étant ici ! Mais c’est correct, très correct !
Mais ça n’a rien à voir avec les entraîneurs, avec les joueurs, on est à 10 000
lieues de ça… Moi, je suis un administratif, donc les gens voient les salaires
dans le football et se disent : “oh putain, le doc, ça doit être exceptionnel,
mirobolant”…, pas du tout ! ».
24
PLUSQUELLEC, Vincent. 2006. « Rubrique professionnelle : Appel à candidature au poste vacant de
médecin fédéral au sein du comité directeur », Cinésiologie, n°226, 45
èmeannée, p. 58.
Dr. Raulo (médecin des équipes de France de handball salarié à plein temps
par la fédération) : « Mon salaire par rapport à un contexte libéral ? Il n’y a
pas photo ! Cette situation ne comporte aucun avantage. C’est uniquement du
passionnel. Etre médecin du handball, c’est du passionnel. Peut-être que dans
d’autres sports il peut y avoir des avantages financiers, mais pas ici ».
Dans son annonce pour recruter un médecin à plein temps, le LOSC évoque une
rémunération pouvant « avoisiner les 3500/4000 euros par mois sur 13 mois (brut) ». Mais
ce traitement ne nous renseigne pas véritablement sur la hauteur des sommes perçues. Elles
varient selon la structure et sont bien souvent améliorées par un système obscur de bonus.
De façon générale, ils se défendent tous de toucher des primes de matches, autrement dit
de recevoir des rétributions supplémentaires en fonction des résultats sportifs. Pourtant,
sans pouvoir ici le démontrer, il semble que cette pratique soit largement répandue.
Comme nous le confiait l’un de nos enquêtés, proche du milieu : « généralement, les
médecins de l’élite perçoivent un fixe, puis sont ensuite rétribués sous la forme de primes
en fonction du nombre de points gagnés par l’équipe encadrée. On parle actuellement de
600 euros du point ». Ce flou s’accompagne de profondes inégalités de traitement selon les
disciplines sportives et les hommes en place. « C’était la situation de Pierre Sébastien,
longtemps attaché à l’équipe de France masculine de handball. Il n’a pas apprécié de ne
pas avoir droit à une prime après la médaille d’or remportée par les Bleus, contrairement à
d’autres membres de l’encadrement. “Ce n’est pas une simple question d’argent,
explique-t-il. C’est une question d’équité et de justice. Sur les dix premiers mois de l’année 2008,
j’en ai passé quatre avec l’équipe de France. Je le faisais par passion. Mais il y a des
limites. Un préparateur physique touche une prime parce qu’il est salarié, pas un médecin
parce qu’il est vacataire”. Résultat : [il] a rendu son tablier »
25.
Entre les médecins salariés de l’élite professionnelle et les médecins vacataires du
haut niveau amateur, il y a un monde. Pour le docteur Renaud, médecin d’un pôle espoir de
gymnastique artistique masculine, la vacation qu’il réalise chaque semaine au sein du
gymnase où s’entraînent les athlètes lui rapporte 22 euros 87 (pour environ deux à trois
heures bloquées par cette activité). Comme il se plaît à le dire : « avec un seul patient en
cabinet, financièrement, j’ai déjà fait ma vacation… Donc il n’y a pas photo. Tu n’y vas
pas pour l’argent. Au contraire. Ça te coute même plus d’argent qu’autre chose. Mais tu
25
CHARRIER, Pascal. 2009. « Les médecins de l’élite veulent gagner en indépendance », La Croix, 23
janvier 2009.
n’y vas pas pour ça… ». Si certains médecins persistent donc dans cette voie, c’est parce
qu’elle les met au diapason de leurs propres dispositions. Ils y retrouvent ce qui les a faits
et qui continue d’attiser en eux une sensibilité particulière pour le sport dans sa version la
plus compétitive. Quelles que soient les conditions d’exercice et de rétribution, le mode de
légitimation de leurs pratiques est ainsi toujours issu du milieu sportif. La victoire sportive
apporte bien souvent le sentiment du devoir accompli, et le médecin bénéficie au même
titre que l’équipe technique du prestige sportif. « Etre le médecin d’une équipe de France
championne du monde n’est pas rien ! », nous expliquera ainsi le docteur Raulo. Les
participations aux grandes compétitions qui ponctuent les calendriers spécifiques de
chacune des disciplines sportives sont ainsi les évènements marquants de la « carrière
médico-sportive » de ces praticiens. « J’étais aux Jeux de Moscou » est par exemple un
gage indéniable de valeur et de réussite professionnelle. Pour le docteur Renaud, dont la
satisfaction personnelle est de permettre à des jeunes de réaliser des performances dans les
meilleures conditions possibles, « quand tu suis un gamin depuis deux, trois ans, et qu’il
devient Champion de France, c’est pas rien ! ».
Le docteur Paget – « Mes parents n’ont pas voulu que je fasse partie d’un club civil, donc
je n’ai fait que du sport scolaire. Mais à partir du moment où j’ai eu mon bac, je me suis
lancé comme un forcené dans la compétition. J’ai commencé le vélo en première année de
médecine, en bas de l’échelle, en 4
èmecatégorie. Au bout de trois ans, j’étais en première
catégorie, donc le meilleur niveau amateur, et j’avais déjà gagné pas mal de courses ! ».
Pour le docteur Paget, la médecine du sport n’était pas simplement une évidence, c’était
une nécessité et un véritable projet professionnel. « Moi, j’ai toujours adoré la
performance. Il me fallait être au contact des sportifs. Et la médecine du sport est un
élément pour améliorer la performance des sportifs ». Sûr de ses convictions, dès la fin de
ses études médicales, il ouvre ce qui restera sans doute en France l’un des seuls cabinets
libéraux uniquement dédié à la médecine du sport. « Il n’était pas vraiment reconnu dans le
sens où c’était une spécialité qui n’existait pas vraiment. Je devais être le seul, au moins à
300 km à la ronde, à ne faire que ça ». En fait, plutôt que d’une médecine du sport, il
s’agissait quasi-exclusivement d’une médecine du cyclisme. Très connu dans le milieu (sa
passion pour le cyclisme ne s’arrête pas à la course, il est également Commissaire B,
organisateur de courses et président d’un club qu’il a fondé avec son frère), les gens se
déplaçaient de toute la région pour bénéficier de ses consultations. Il s’agissait
principalement d’un suivi, et de conseils au niveau de l’entraînement. Très rapidement, sa
réputation de médecin du sport se diffuse et s’accompagne de nouvelles propositions. Il
s’engage ainsi comme médecin de l’équipe de France d’aviron et aura la fierté de les
accompagner aux Jeux Olympiques de Moscou et à un championnat du monde en Nouvelle
Zélande. De la même façon, il devient médecin de l’équipe de France de patins à roulettes.
Son plus beau souvenir reste un championnat d’Europe où l’entraîneur avait eu un
empêchement de dernière minute, le laissant seul aux commandes de l’équipe. « Et ça, ça
me plaisait ! Ah oui ! Parce que moi, je suis médecin du sport, d’accord, mais j’ai aussi
mon brevet d’entraîneur, un BE 1
erdegré en cyclisme. Et honnêtement, moi, ce qui
m’intéresse, c’est surtout d’être entraîneur ». Persuadé qu’un « champion, ça se fabrique »,
il applique naturellement à ses deux fils ses techniques d’entraînement. « Il faut travailler,
travailler, travailler pour essayer de garder une certaine concentration. […]. Et on peut être
champion en sport sans avoir des qualités extraordinaires. Il faut donner les bons préceptes
dès le départ, pour les choses rentrent et soient imprimées dans le cerveau. Les sœurs
Williams, elles ont été typiquement fabriquées par leur père ! Moi j’aurai d’ailleurs bien
aimé avoir une fille parce qu’au niveau du sport, c’est quand même mieux parce que le
concurrence est moins forte. Mais j’ai eu deux garçons, donc c’est plus dur ». Il est
d’ailleurs particulièrement fier d’avoir lui-même entraîné son ex-femme, coureuse cycliste
de niveau international, pendant toute sa carrière. Courir aux côtés de Longo sur plusieurs
championnats du monde, être championne de France de poursuite, etc., étaient autant de
victoires partagées. Pourtant, le docteur Paget sera contraint de mettre la clef sous la porte
et d’envisager une nouvelle orientation professionnelle. Son cabinet de médecine du sport
atypique n’était pas du goût de la Sécurité Sociale et ne survivra pas aux « petits ennuis »
que ces conflits vont générer. Elle trouvait injustifiée les feuilles de soin réalisées par le
médecin pour une activité essentiellement préventive. Ainsi, après un peu moins d’une
vingtaine d’années consacrées exclusivement à la médecine appliquée au sport, le docteur
Paget, qui avait également passé une compétence de médecine du travail, est aujourd’hui
médecin dans deux entreprises, et n’a plus aucune activité médico-sportive. Il poursuit
cependant l’entraînement de ces deux enfants.
Le docteur Renaud – Gymnaste de bon niveau évoluant à son apogée en Nationale 2, le
Dans le document
Panser les deux mondes
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