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7 Discussion

7.4 Jeux de pouvoirs

7.4.2 Le médecin

7.4.2.1 Pouvoir donné par le patient

"Contrairement à ce qu'il croit, le médecin n'a de pouvoir que si le patient y consent ! (…) Malade, atteint dans son intégrité et sa croyance en l'invincibilité, il (le patient) sait qu'il pourra alors se confier au médecin de son choix après l'avoir "vitalement" crédité des pouvoirs nécessaires : une santé inaltérable, le pouvoir de guérir grâce à son savoir, ou au moins grâce à son pouvoir de parole ; l'aider à comprendre et intégrer sa maladie dans son histoire. Le pouvoir inaliénable du médecin aux yeux du malade, c'est donc ce pouvoir de vie ou de mort qui est inhérent à sa fonction." [47]

82 Ce pouvoir du médecin parfois hésitant est par définition pour le patient infaillible. Le patient ne demande pas l'avis du médecin avant de lui créditer ce pouvoir. Le pouvoir du médecin est dans le contrat tacite imposé par le patient qui vient consulter. Ce pouvoir sur la mort, ce pouvoir sur la vie est bien évidemment extrêmement lourd à assumer pour le médecin peu préparé à cette situation, et éventuellement insupportable s'il ne sait garder distance.

7.4.2.2 Objectivité médicale

Tôt dans les études médicales, on demande au médecin de développer un discours objectif. Celui-ci est le seul garant de la valeur scientifique de ses dires.

"Cette transformation de la demande en symptômes, la suppression en tant que telles des subjectivités de l'un et de l'autre, l'aseptisation des rapports sur le plan affectif, confèrent au discours médical son indispensable cachet scientifique et l'élèvent ainsi au rang du mythe".

[30]

Il reste cependant que l'objectivité est un projet, un combat et n'est jamais acquise. Nous avons précédemment traité de ce point dans le paragraphe 7.3.2.3.3.

7.4.2.3 Le pouvoir de l'informateur

Le médecin détenteur du savoir médical exerce le pouvoir de l'informateur. L'exercice de ce pouvoir indispensable à l'éducation réclamée par le patient peut pourtant être analysé par certains, non sans excès, comme un moyen de soumission du patient aux opinions du médecin.

"Rien ne permet de justifier ce pouvoir incontrôlé, cette mainmise de l'information sur l'opinion, information qui, de surcroît, joue d'un pluralisme apparent pour ne diffuser qu'une réalité terrorisante, d'autant plus terrorisante que la complexité du savoir empêche un public ignorant ou, pire, demi-savant, de se défendre. Pourtant, les informateurs ont une bonne conscience à toute épreuve : c'est pour notre bien qu'ils nous alertent, qu'ils évitent de porter à notre connaissance des informations ou des jugements qui pourraient ébranler les certitudes qu'ils ont enseignées." (Santé publique et Libertés : Les illusions de la mobilisation.

Ou comment informer les citoyens par Norbert Bensaïd) [46]

L'exercice de ce pouvoir ne peut à l'évidence pas être neutre puisque l'informateur est également le prescripteur. Indispensable à l'autonomie du patient et donc à la constitution du contre-pouvoir médical, ce pouvoir sera utilisé par le médecin comme outil d'influence sur le patient dont il requiert l'assentiment pour le soigner.

7.4.2.4 La relation médecin-patient

7.4.2.4.1 La démocratie sanitaire

La relation médecin-patient a considérablement évolué depuis quelques années. En 1950, Louis Portes, président du Conseil de l'Ordre a décrit la relation médecin-patient, comme la rencontre d'une confiance et d'une conscience. Selon lui, le patient, dénué de conscience apanage du seul médecin, se doit de faire confiance. Ainsi analysée, la relation

médecin-83 patient traditionnelle n'est pas dénuée de paternaliste. "Le médecin paternaliste sait mieux que

le patient ce qui est bon pour lui et n'a besoin ni de sa participation ni de son acquiescement. (…) L'épidémie de sida (…) au cours des années 1980-1990 (a) donné une ampleur sans précédent aux collectifs de malades, qui ont porté la maladie sur la place publique et ont réclamé le droit de s'intéresser et d'être entendus sur l'organisation des soins, la façon de conduire les traitements, voire la manière dont se déroulait la recherche médicale. Depuis les associations de malades (pas seulement du sida) sont devenues des acteurs importants dans le domaine de la santé. (Mais) Il reste encore du chemin à parcourir pour atteindre ce qui se présente parfois comme une "démocratie sanitaire" mais qui semble parfois professer une contradiction bien résumée par une formule du politologue Pierre Lascoumes : "L'usager au centre, les professionnels au milieu…"[54]

Pour notre part, constatant les évolutions des dernières décennies, nous préférons considérer que la relation médecin-patient doit être la rencontre de deux confiances et de deux consciences.

7.4.2.4.2 Le colloque singulier à l'épreuve

Pourtant, un grand nombre de patients ne se satisfont pas de cette relation, telle qu'elle est pratiquée actuellement. Le colloque singulier devient de plus en plus un colloque pluriel : les écrans se multiplient entre le patient et le médecin en commençant par celui de l'ordinateur. Les autorités étatiques ont senti un besoin croissant de légiférer, d'édicter des règles, normes, obligations aux professionnels de santé et aux patients. Cette réglementation grandissante ne simplifie pas la relation médecin-patient, voire tend à lui faire perdre de son humanité. Il ne conviendrait pas d'aboutir à terme à une médecine respectueuse des règles au détriment d'une médecine plus attentive à l'autre.

En 1935, George Duhamel dans son livre Le colloque singulier du médecin et de son malade, parle de la relation médecin-malade en tant qu'acte singulier, comme dans le sens d'un combat singulier, d'homme à homme. L'expression est d'autant plus intéressante que la description de cette notion de face à face rappelle également le caractère unique de cette relation : le terme singulier ne peut-il pas également être entendu dans une autre acception : celle de

"particulier, qui porte un caractère unique" ? Pourtant, l'évolution de la relation

médecin-patient se révèle être de moins en moins singulière, marquant une véritable crise de ce rapport privilégié entre le médecin et son patient. La relation dit du colloque singulier (médecin-patient), base de la médecine hippocratique, risque de se transformer de fait en colloque extra

singulier parce que vont intervenir obligatoirement les tiers extérieurs demandeurs

d'informations.

Plus encore, Xavier Bertrand lui-même alimentait cette ambiguïté lors d'un discours au MEDEC "Toujours fondé sur le colloque singulier, l'acte de soin devient aujourd'hui une

pratique davantage collégiale et collective." [55]

Le 1er juillet 2005, la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) affirmait que le schéma du Dossier Médical Personnel tel qu'il figure dans le projet de loi porte atteinte à la relation de confiance et à la confidentialité qui régit le colloque singulier médecin-patient, sans qu'il soit prouvé qu'il contribue efficacement à l'amélioration des soins.

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7.4.2.4.3 Espace de transparence

Le DMP veut devenir un dossier exhaustif, un espace de transparence où le patient livre tous ses maux et où le professionnel de santé est en possession de tous les éléments nécessaires pour y répondre par des soins de qualité. Mais la transparence est-elle souhaitable ? De tout temps, le patient a été libre de se confier ou de préserver un jardin secret. Le DMP aboutirait-il à une négation de l'espace intime ? Ne risquerait-aboutirait-il pas à terme de devenir un outaboutirait-il du totalitarisme ? Quels seraient les gains réels en terme de santé de cette perte d'intimité ? L'attribution des mandats ou l'usage du droit au masquage permettront en partie de défendre cette intimité violée.

7.4.3 Les associations de patients