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3.4.1 L’interaction directe ou indirecte entre protéines R et Avr

Depuis l'introduction du modèle gène-pour-gène par Flor dans les années 1940, des dizaines de couples R/Avr ont été caractérisés (Dangl and Jones, 2001). Le mode de reconnaissance le plus simple est une association physique entre la protéine R et l’effecteur. La première mise en évidence d’une telle interaction a été démontrée pour la protéine NB-LRR Pita du riz et l’effecteur Avr-Pita du champignon

Magnaporthe grisea (Jia et al., 2000). Les allèles du locus L du lin codent pour des

protéines TIR-NB-LRR qui interagissent avec les protéines AvrL correspondantes de l’agent de la rouille du lin Melampsora lini ; cette interaction détermine l’activation de la résistance (Dodds et al., 2006). Un cas de reconnaissance directe d’un effecteur bactérien est celui de la protéine d’avirulence PopP2 de R. solanacearum qui interagit physiquement avec la protéine RRS1-R d’Arabidopsis (Deslandes et al., 2003). Cependant malgré les nombreuses recherches dans ce domaine, les cas d'interaction directe décrits à ce jour restent rares et il semble que le mode de reconnaissance le plus répandu soit la reconnaissance indirecte. Un exemple emblématique et largement étudié du modèle de garde est la protéine RIN4 d’Arabidopsis, une protéine sous haute surveillance.

RIN4 (pour RPM1 interacting 4) est une protéine de 211 acides aminés associée à la membrane plasmique (Figure 14A). Elle interagit constitutivement avec deux protéines NB-LRR : RPM1 et RPS2 (Axtell and Staskawicz, 2003; Mackey et

al., 2002; Mackey et al., 2003). RPM1 et RPS2 "gardent" RIN4, "surveillent" ses

éventuelles modifications par des effecteurs. Deux effecteurs de P. syringae, AvrRpm1 et AvrB, sont modifiés dans la cellule hôte par acylation et sont adressés à la membrane plasmique (Nimchuk et al., 2000). Par un mécanisme encore inconnu, ils induisent la phosphorylation de RIN4 ce qui active RPM1 (Mackey et al., 2002). Un troisième effecteur, AvrRpt2, a aussi pour cible RIN4. AvrRpt2 est une cystéine protéase (Axtell et al., 2003). Son activation dans les cellules végétales par autoclivage fait apparaître en N-terminal un site de myristoylation suggérant que AvrRpt2 est localisé au niveau de la membrane plasmique (Coaker et al., 2005). AvrRpt2 clive alors RIN4 en deux sites, ce qui dissocie RIN4 de RPS2 (Chisholm et

al., 2005). Or RIN4 maintenait RPS2 dans un état inactif ; en effet, des mutants rin4

présentent une induction constitutive de la voie RPS2 (Mackey et al., 2003). La dégradation de RIN4 conduit donc à l’activation de RPS2. RIN4 est donc un point de convergence de deux voies déclenchant l’ETI et impliquant au moins deux protéines R et trois effecteurs. Une autre protéine végétale, Pto est ciblée par deux effecteurs : AvrPto et AvrPtoB (Kim et al., 2002) (Figure 14B). Il semble donc courant que plusieurs effecteurs agissent sur la même cible ce qui permettrait de limiter le nombre de protéines R nécessaires aux plantes pour se défendre contre différents agents pathogènes.

Selon ces différents exemples, la protéine gardée est constitutivement associée à la protéine R. Mais dans certains cas, la protéine gardée semble d’abord interagir avec l’effecteur puis être reconnue par la protéine R. C'est le cas de la protéine N de N. glutinosa qui ne se lie à NRIP1 que lorsque l’effecteur p50 du virus de la mosaïque du tabac est présent (Caplan et al., 2008). Outre l’interaction directe et indirecte entre protéines R et Avr, un troisième mode d’activation de l’ETI consiste à percevoir les ET3 qui miment des facteurs de transcription eucaryotes.

Figure 14. Activation de l’ETI par des ET3 modifiant une cible végétale gardée par une protéine R.

A. RIN4, une protéine sous haute surveillance. En absence des protéines Avr, les protéines

R RPS2 et RPM1 interagissent avec la protéine RIN4 associée à la membrane plasmique. AvrRpt2 est activé dans les cellules végétales par la cyclophiline puis il exerce son activité cystéine protéase sur RIN4. Le clivage de RIN4 active RPS2 et déclenche l’ETI. Les ET3 AvrB et AvrRpm1 sont acylés et adressés à la membrane plasmique. Ils ont aussi pour cible RIN4 dont ils induisent la phosphorylation ce qui active RPM1.

B. La protéine kinase Pto est la cible de 2 ET3 non apparentés : AvrPto et AvrPtoB.

Leur interaction avec Pto abolit l’activité inhibitrice de Pto sur Prf. Prf activée induit alors l’ETI.

C. HopAR1/PBS1/RPS5. La cystéine protéase HopAR1 est acylée et adressée à la

membrane plasmique. Elle clive la kinase PBS1 ce qui active la protéine RPS5 localisée au niveau de la membrane plasmique. L’activité catalytique des fragments clivés de PBS1 est nécessaire au déclenchement de l’ETI ce qui suggère que leur autophosphorylation est reconnue par RPS5 (Shao et al., 2003).

A SST3 RIN4 RIN4 P P P P AvrB AvrRpm1 AvrB AvrRpm1 ETI AvrRpt2 RIN4 AvrRpt2 ETI RPS2 RPS2 RPM1 RPM1 SST3 AvrPtoB Pto Prf AvrPto Pto Prf Pto Prf ETI SST3 PBS1 RPS5 HopAR1 P P HopAR1 ETI C B

3.4.2 La détection des effecteurs facteurs de transcription

Certains ET3 n’ont pas d’activité enzymatique proprement dite mais se comportent comme des activateurs transcriptionnels ; on parle d’effecteurs TAL pour

transcription activator-like. Une première stratégie utilisée pour lutter contre les effets

des effecteurs TAL est la mutation d’un promoteur cible afin qu’il ne soit plus activé par l’effecteur correspondant. Cette mutation récessive sera suffisante pour rendre la plante résistante si l’induction de l’expression du gène cible par l’effecteur est indispensable au développement de la maladie. Un tel exemple a été décrit dans l’interaction entre X. oryzae pv. oryzae et le riz (Chu et al., 2006; Yang et al., 2006a).

Pour détecter la présence des effecteurs TAL, l’évolution a aussi sélectionné une stratégie de reconnaissance consistant à placer des gènes de résistance sous le contrôle de promoteurs inductibles par ces effecteurs. Ainsi chez des poivrons résistants, le gène de résistance Bs3 possède dans son promoteur une boîte UPA. Ce dernier est activé spécifiquement par AvrBs3 ce qui conduit à l’accumulation de la protéine Bs3 et déclenche l’ETI (Figure 8). Bs3 n’est pas une protéine de résistance classique mais une protéine homologue aux monooxygenases dépendantes de la flavine ; son activité enzymatique est nécessaire à l’élicitation de la HR (Romer et al., 2007). Une autre flavine monooxygenase, la protéine FMO1 d’Arabidopsis, est impliquée dans la défense contre les pathogènes (Bartsch et al., 2006; Koch et al., 2006; Mishina and Zeier, 2006).

L’induction spécifique d’un gène de résistance par un homologue de AvrBs3 a été également décrite chez le riz ; les allèles résistants et sensibles du gène Xa27 codent pour des protéines identiques mais seule l’expression de l’allèle résistant est induite en présence de souches de X. oryzae pv. oryzae exprimant AvrXa27 (Gu et

al., 2005). Dans ces deux exemples, ce n’est pas la présence du gène R qui confère

la résistance mais sa capacité à être induit par un effecteur TAL du pathogène. Le promoteur du gène R semble agir comme un piège moléculaire ; l’effecteur induit le gène R comme s’il s’agissait d’une cible de virulence alors qu’il s’agit d’un gène permettant la mise en place de la résistance. En effet, Bs3 semble avoir pour unique fonction le déclenchement de l’ETI, son expression n’ayant jamais été détectée en absence de AvrBs3. Le promoteur de Bs3 serait donc un leurre élaboré par la plante afin de lui permettre de résister à l’infection.

Introduction générale. Chapitre 1

3.4.3 Les cibles gardées des effecteurs Avr ne seraient-elles pas des leurres ?

Dans de nombreux cas, l'intérêt qu'a le pathogène à modifier les protéines gardées dans une interaction compatible reste incompris. En effet, la protéine gardée n'est souvent pas indispensable à l'activité de virulence de l'effecteur chez une plante ne possédant pas la protéine R correspondante (Belkhadir et al., 2004; Chang et al., 2000). D'autre part, des travaux récents sur certaines protéines Avr montrent qu'elles ont d'autres cibles que les protéines gardées. Ces données ont donc suscité l'émergence d'un modèle complémentaire selon lequel les protéines gardées ne sont pas forcément des cibles de virulence de l'effecteur mais des leurres mis en place par la plante pour piéger le pathogène dans un évènement de reconnaissance (pour revue : (van der Hoorn and Kamoun, 2008)) (Figure 15). Le leurre mime une des "véritables" protéines cibles mais il est spécialisé dans le déclenchement de l'ETI ; il ne contribue pas à l'aptitude parasitaire du pathogène en absence de la protéine R correspondante. Il est possible que ce leurre agisse également en entrant en compétition avec les vraies cibles de l'effecteur ce qui diminuerait le nombre d'interactions effecteur/cible et limiterait la virulence du pathogène même en l'absence de la protéine R. Cela est différent du modèle de garde selon lequel la manipulation de la protéine gardée bénéficie directement au pathogène dans le cadre d'interactions compatibles. Les leurres sont probablement apparus soit par duplication de gènes codant pour une cible de virulence soit par l'évolution de protéines en des protéines mimant les cibles.

Le modèle du leurre est étayé par plusieurs mécanismes de perception des effecteurs décrits à ce jour ; par exemple, le promoteur de Bs3 (voir ci-dessus) et RIN4 semblent être des leurres plutôt que des cibles de virulence (Figure 16). La protéine RIN4, gardée par RPS2, est la cible de AvrRpt2 qui la clive ce qui déclenche l'ETI. Plusieurs arguments laissent à penser que RIN4 est un leurre. Tout d'abord, RIN4 est un régulateur négatif des défenses basales que le pathogène n'aurait donc pas intérêt à éliminer (Kim et al., 2005b). D'autre part, l'activité de virulence de AvrRpt2 est indépendante de son action sur RIN4 : des versions mutantes de AvrRpt2 qui ne sont plus capables de cliver RIN4 contribuent toujours à la virulence (Lim and Kunkel, 2004). Les vraies cibles de virulence de AvrRpt2 figurent probablement parmi d'autres protéines que cet effecteur est capable de cliver

ETS

Cible1 Cible2 Cible3

ETS

Cible1 Cible2 Leurre

R

Cible 1 Cible 2 Cible 3

E T I

R

Cible 1 Cible 2

E T I

Leurre

Figure 15. Comparaison du modèle de garde et du modèle du leurre

Selon le modèle de garde, l’altération par l’ET3 de chacune de ses cibles contribue à la virulence du pathogène ; dans une plante qui possède une protéine R gardant une des cibles, la modification par l’ET3 de cette cible déclenche l’ETI. Selon le modèle du leurre, l’altération du leurre par l’ET3 ne participe pas à la virulence ; dans une plante qui possède une protéine R gardant le leurre, la modification du leurre déclenche l’ETI. Le leurre est donc une cible de l’ET3 qui est nécessaire au fonctionnement de la protéine R mais qui n’a pas de fonction dans les défenses ou dans la sensibilité végétale en absence de la protéine R correspondante. (D’après van der Hoorn and Kamoun, 2008)

Pto Prf AvrPto FLS2 EFR AvrPto AvrPto E T S E T I Avr Rpt2 Avr Rpt2 RPS2 RIN4 Avr Rpt2 E T S E T I upa upa20 Bs3 E T S E T I AvrBs3 Cible1 Cible2

Figure 16. Modèle du leurre appliqué à 3 couples R/Avr

Le promoteur de Bs3 et les protéines RIN4 et Pto semblent avoir évolué pour mimer les cibles de virulence de AvrBs3, AvrRpt2 et AvrPto respectivement. Leur interaction avec ces ET3 conduit à la mise en place de la résistance. Ainsi le promoteur de Bs3 possède une boîte

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(Chisholm et al., 2005; Takemoto and Jones, 2005) ; il est probable que RIN4 mime ces cibles en possédant des sites de clivage par AvrRpt2.

Les plantes ont donc acquis la capacité à détecter les ET3 de différentes manières, soit en générant des protéines qui reconnaissent directement les ET3, soit en mettant en place des systèmes protéiques gardant les cibles des ET3 ou des mimes de ces cibles. La réponse immunitaire ainsi déclenchée atteint une amplitude suffisante pour contrer l'attaque du pathogène et rendre la plante résistante (Figure 2).

3.5 Les réponses des bactéries face à l'ETI : l'évolution du dialogue plante-