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CHAPITRE 1 CORROSION DU GARNISSAGE RÉFRACTAIRE DES CUVES

1.4 Mécanismes possibles de corrosion des réfractaires aluminosilicates

aluminosilicates

Bien qu’ils soient situés sous la cathode, les réfractaires formant le garnissage du fond de la cuve d’électrolyse vont pendant l’utilisation de la cuve être en contact avec des phases liquides

normalement présentes au-dessus de la cathode. La corrosion des réfractaires, que l’on pourrait définir comme la dégradation des matériaux réfractaires et de leurs propriétés, est due à des réactions chimiques avec les différentes espèces corrosives qui pénètrent jusqu’au garnissage réfractaire.

La cathode n’est pas constituée d’un bloc monolithique de carbone mais de plusieurs blocs disposés côte à côte. Les joints entre les blocs ainsi que l’espace entre la cathode et les réfractaires latéraux sont comblés avec de la pâte à brasquer (ou brai, cf. Figure 1-7). Ce matériau nécessite une étape de traitement thermique avant la mise en service de la cuve. Lors de ce traitement, destiné à évaporer les espèces volatiles de la pâte à brasquer, un mauvais contrôle des paramètres (vitesse de chauffe, température, etc.) peut entraîner la formation d’une importante porosité (qui peut être ouverte), voire de fissures. De plus les contraintes thermomécaniques qui s’exercent dans les blocs même de la cathode peuvent aussi provoquer la formation de fissures.

Figure 1-7 : Brasquage d'une cuve d'électrolyse (ALMEQ, 2012)

Lors du démarrage de la cuve, du bain liquide est généralement introduit dans la cuve afin de la mettre en service. Ainsi dès le début du service d’une cuve, il y a pénétration de liquide dans les porosités et fissures et la possibilité de diffusion plus profondément dans la cuve au cours de son utilisation. Ce phénomène est favorisé par la faible viscosité des liquides susceptibles de pénétrer dans la cathode. L’aluminium liquide ainsi que le bain cryolithique ont une viscosité de l’ordre du mPa.s-1

à la température d’opération de la cuve. De plus l’effet magnétohydrodynamique, qui met l’aluminium en mouvement à cause de la présence d’un champ magnétique, favorise l’érosion des fissures et peut conduire à la formation de véritables « nids de poule » et permet une diffusion non négligeable de liquide en direction des réfractaires. La présence d’aluminium liquide au niveau du garnissage du fond de la cuve s’explique donc par

la présence de ces fissures et surtout à cause du fait que pour des raisons de différence de densité entre le bain cryolithique et l’aluminium liquide, l’aluminium repose directement sur la cathode.

En revanche le bain cryolithique est en contact avec la cathode seulement lors du démarrage de la cuve; par la suite le bain flotte sur l’aluminium produit. Cependant lors de l’opération de la cuve, la croûte qui se forme au-dessus du bain entre les anodes doit être régulièrement cassée pour introduire de l’alumine dans le bain d’électrolyse. Ce bain solidifié tombe dans la cuve et peut atteindre la cathode avant de fondre. La présence d’alumine non- dissoute sur la cathode peut favoriser la fusion de ce bain solidifié et permettre ainsi sa pénétration dans la cathode.

Le bain cryolithique ainsi que l’aluminium liquide, impliqués dans la corrosion, atteignent donc le garnissage réfractaire à cause de la présence de porosité ouverte dans les joints ou les brasques, ou par les fissures dans la cathode, les joints ou les brasques.

Une autre espèce corrosive présente est le sodium. L’aluminium liquide peut dissoudre un peu de sodium suivant la réaction :

    3   

3NaFbainAlmétalAlF bain 3Namétal (1.3)

Dans l’aluminium liquide produit dans une cuve d’électrolyse, la teneur en sodium est comprise entre 60 et 160 ppm en fonction du type de cuve (Brisson et al., 2005). Cependant la cathode (composée en majorité de graphite) ainsi que les brasques et les joints vont se saturer en sodium dès les premières heures de service de la cuve. Ce sodium diffuse dans la cathode et atteint les réfractaires où il réagit chimiquement avec eux sous forme métallique, gazeuse ou encore sous forme oxydée (Na2O dû à la présence d’air pénétrant dans la cuve le long des barres collectrices

de courant).

Finalement, différentes espèces présentes dans la phase gazeuse peuvent aussi réagir avec les réfractaires aluminosilicates. Parmi les espèces possibles, il y a entre autres Na, NaAlF4 et

SiF4. Chacune de ces espèces ont une pression partielle qui va dépendre des conditions locales

d’équilibres.

Différents mécanismes de corrosion ont été proposés afin de tenter d’expliquer la présence des différentes phases observées dans le garnissage réfractaire lors de l’autopsie des cuves d’électrolyses. Dans le cas du bain cryolithique, les analyses montrent que le bain présent

sous la cathode est basique (Rutlin & Grande, 1997), c'est-à-dire avec un excès de NaF. Ceci s’explique par le fait que le bain qui pénètre dans la cathode s’enrichit en NaF au contact du sodium présent dans le carbone. Si nous considérons un bain ayant un CR de 3 (composition chimique équivalente à la stœchiométrie de la cryolithe), la réaction suivante peut avoir lieu :

    3 6  4 3   

12Nacathode 3Ccathode 4Na AlF bainAl C cathode 24NaFbain (1.4) Les bains industriels ont un CR plus faible, donc un excès d’AlF3 ce qui tend à déplacer la

réaction encore plus vers la droite. Cet enrichissement en NaF déplace la composition du bain vers l’eutectique entre NaF et Na3AlF6 qui est de 888°C (Rutlin & Grande, 1999); si des oxydes

y sont dissous cela diminue la température du liquidus (par exemple l’eutectique NaF + Na3AlF6

+ NaAlSiO4, T = 873°C (Siljan et al., 2002)) permettant la présence du liquide plus bas dans les

réfractaires.

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment dans le cas des réfractaires à base d’aluminosilicates, le ratio alumine/silice va favoriser la formation de certaines phases plutôt que d’autres lors de réactions avec les fluorures qui pénètrent. En présence d’alumine, par exemple disposée sous forme de poudre sous la cathode, ou de matériaux réfractaires à haute teneur en alumine, l’alumine β (NaAl11O17 : β-Al2O3) peut se former suivant la réaction suivante :

  2 3  11 17  3 6 

6NaFbain 17Al O s 3NaAl O sNa AlF bain (1.5) Pour des raisons de cinétique, l’aluminate de sodium, NaAlO2, peut se former à la place de β-

Al2O3. Dans les deux cas, la transformation de Al2O3 s’accompagne d’une variation de volume

non négligeable de la phase solide (Rutlin, 1998; Siljan et al., 2001a). Cette variation de volume induit des contraintes mécaniques internes qui peuvent, par exemple, provoquer des fissures et rendre donc perméables ces réfractaires denses. Cela signifie aussi que le bain s’enrichit en AlF3,

et pourrait de nouveau réagir avec le sodium de la cathode si la réaction a lieu sous la cathode. En présence de mullite (Al6Si2O13), différents mécanismes sont envisageables en fonction

de la proportion des réactifs (Rutlin & Grande, 1999). Dans des conditions de corrosion où le bain qui pénètre dans les réfractaires est basique (riche en NaF), si la quantité de bain qui pénètre est importante alors la formation de néphéline peut être privilégiée :

  6 2 13  3 6  4  11 17 

Si la quantité de bain est moins importante, alors l’albite peut se former de manière préférentielle :

  6 2 13  3 6  3 8  2 3 

12NaFbain 9Al Si O s 2Na AlF bain 6NaAlSi O s 23Al O s (1.7)

Il est possible d’avoir une situation intermédiaire et donc la formation conjointe de néphéline et d’albite :

  6 2 13  3 6  4  3 8  2 3 

24NaFbain 10Al Si O s 4Na AlF bain 8NaAlSiO s 4NaAlSi O s 22Al O s (1.8) Toute l’alumine contenue dans le réfractaire n’est pas impliquée dans la réaction. Cela permet d’expliquer les deux écoles de pensée en manière de protection des réfractaires (Pelletier et al., 2001). L’une consiste à limiter la présence de silice afin de favoriser la présence de solides lors de la réaction avec le bain, néphéline et α-Al2O3 ou β-Al2O3. L’autre est de favoriser la formation

d’un liquide de type albite en augmentant le pourcentage de SiO2 dans les réfractaires.

Le fait de vouloir limiter le taux de silice libre dans les réfractaires est sûrement motivé par le fait que c’est dans le système NaF-Na3AlF6-Al2O3 que le solidus reste le plus haut en

comparaison avec l’eutectique du système NaF-Na3AlF6. Par ailleurs dans le système d’oxydes

Na2O-Al2O3-SiO2, si le ratio alumine/silice (en poids) est supérieur à 0.85, il est alors possible de

ne pas avoir de liquide pour des températures inférieures à 915°C (Siljan et al., 2002).

L’autre approche est de favoriser la formation d’un liquide de type albite, et pour cela il faut plus de 53% pds de SiO2 (Tabereaux & Bonadia, 2004), mais moins de 75% pds (Siljan et

al., 2001a). L’intérêt de la formation de ce liquide est lié à sa viscosité; or cette dernière augmente avec le taux de silice de même que la fraction de liquide formée lors de la réaction avec les réfractaires. Et la diminution de la température du solidus dans le système NaF - Na3AlF6-aluminosilicates n’est que d’environ 30°C avec l’augmentation du taux de silice. Par

ailleurs c’est l’albite qui a la plus grande solubilité dans le mélange NaF-Na3AlF6 entre les

produits de réaction possibles (albite, néphéline, α-Al2O3, β-Al2O3) (Siljan et al., 2002).

De plus si ce liquide pénètre plus loin dans les réfractaires, le NaF réagit pour former de la cryolithe. Le mélange NaF-Na3AlF6 devient donc plus acide, mais surtout la solubilité de

l’albite dans ce liquide diminue. Le fait de pénétrer plus profondément dans les réfractaires signifie aussi que la température est plus faible. Par ailleurs, plusieurs lacunes de miscibilité ont

été rapportées dans ces systèmes (Bragina & Anfilogov, 1980; Delitsina & Melent'ev, 1969; Delitsyn et al., 1986; Kogarko, 1967; Kogarko & Krigman, 1970; Prutskov et al., 1990; Rutlin, 1998), et en fonction de la composition une démixtion peut avoir lieu et un liquide riche en oxyde et un autre riche en fluorure vont se former. La différence de densité force le mélange de fluorure à être repoussé en direction de la cathode et le liquide « vitreux » (de type albite) forme, en dessous du liquide riche en fluorure, une couche très visqueuse empêchant une propagation de la corrosion des réfractaires.

Une autre espèce corrosive est l’aluminium liquide qui pénètre à travers la cathode. La première réaction que l’on pourrait envisager avec l’aluminium est la réduction de la silice qui est rapide et exothermique :

  2    2 3 

4All 3SiO s 3Sis 2Al O s (1.9)

Cette réaction est une explication possible quant à la présence de silicium observé dans le garnissage lors d’autopsie de cuve. Mais la silice n’est pas la seule phase non stable vis-à-vis de l’aluminium; l’albite et la néphéline peuvent aussi réagir :

  3 8    2 3  4 

4All 3 2NaAlSi O s 3Sis 2Al O s 3 2NaAlSiO s (1.10)

  4    2 3  2 

4All 3NaAlSiO s 3Sis 2Al O s 3NaAlO s (1.11) L’alumine formée peut réagir avec le sodium comme nous l’avons précédemment montré. Là encore une variation volumique est possible et peut contribuer à la détérioration des réfractaires.

Par ailleurs, l’aluminium liquide n’est quasiment pas soluble dans le bain cryolithique ou dans le mélange plus riche en NaF; il serait donc possible que celui-ci s’oxyde au contact du liquide de type albite, mentionné précédemment, et réduise ainsi le taux de silice. Cela nuirait à l’efficacité de cette barrière visqueuse, car la viscosité est fonction de la proportion de silice.

Un autre agent de corrosion présent est le sodium qui va réagir soit sous forme oxydée soit sous forme gazeuse. Le sodium, ayant plus d’affinité que l’aluminium pour le fluor, peut réagir avec la cryolithe (ou l’AlF3 du bain qui pénètre) :

       

2 3 6 2 3

Sous la cathode, de la cryolithe peut être présente, car c’est un des produits de réaction entre le fluorure de sodium et les réfractaires, et peut aussi réagir avec le sodium (sous forme oxydée, équation (1.12), ou sous forme métallique, équation (1.4)) et le NaF produit va contribuer à la corrosion des réfractaires. Le Na2O peut aussi réagir directement avec les réfractaires

aluminosilicates, et en fonction de la teneur en silice libre peut conduire à la formation d’un liquide à des températures bien inférieures à 850°C.

Par ailleurs la cathode étant saturée en sodium, il est plus que probable que la pression partielle du sodium ne soit pas nulle (Brisson et al., 2005) et ce sodium gazeux peut aussi agir comme un agent de corrosion s’il diffuse à travers les pores vers la cathode. D’un point de vue thermodynamique peu d’oxydes formant les réfractaires aluminosilicates sont stables par rapport aux vapeurs de sodium; il en est de même pour les produits de réaction entre NaF et les réfractaires (Schoening & Grande, 2006). Le sodium gazeux est capable de réduire l’alumine, la silice, la néphéline, l’albite ou la mullite :

 g 17 3 2 3 s 11 17 1 3 ( )l NaAl ONaAl OAl (1.13)  g 2 3 2 3 s 2 s 1 3  l NaAl ONaAlOAl (1.14)  g 5 4 2 s 1 2 2 2 5 s 1 4  s NaSiONa Si OSi (1.15)  g 27 52 6 2 13 s 41 52 4 s 11 52 11 17 s 13 52  s NaAl Si ONaAlSiONaAl OSi (1.16)  g 3 4 4 s 3 4 2 s 1 2 2 3 s 1 4  s

NaNaAlSiONaAlONa SiOSi (1.17)

 g 3 8 3 8 s 3 8 4 s 1 2 2 3 s 1 4  s

NaNaAlSi ONaAlSiONa SiOSi (1.18) L’aluminium formé lors de la réduction de l’alumine (équations (1.13) et (1.14)) est liquide à la température à laquelle a lieu la corrosion, et il peut donc aussi contribuer à la dégradation des réfractaires. Les réactions (1.16) à (1.18) peuvent aussi expliquer la présence de silicium métallique dans le garnissage réfractaire des cuves arrêtées (Siljan et al., 2001c). Par ailleurs la réaction entre le sodium gazeux et un matériau réfractaire riche en silice libre peut conduire à la formation d’un liquide si la pression partielle de sodium est suffisamment élevée.

Finalement, parmi les espèces gazeuses fluorées qui pourraient intervenir, entre autres SiF4 (Siljan, 1990) et NaAlF4 (Proshkin et al., 2008), le NaAlF4 devrait être l’espèce gazeuse

     

3 6bain 4g 2 s

Na AlFNaAlFNaF (1.19)

Bien que la pression partielle de NaAlF4 soit assez faible, cette espèce gazeuse peut diffuser dans

le garnissage réfractaire à cause de la porosité et réagir avec les réfractaires et le NaF (Siljan, 1990) suivant la réaction :

  2          

4 3 2 4 4

2NaAlF g 2Al O s 9SiO s 4NaFbain 6NaAlSiO s 3SiF g (1.20) Cette réaction est favorisée par la présence de silice libre et entraîne la formation de SiF4. La

pression partielle de cette espèce gazeuse est comprise entre 10-4 et 10-5atm entre 950 et 900°C (Siljan, 1990). Le SiF4 peut ensuite diffuser et réagir avec les matériaux du garnissage

réfractaire, notamment dans la couche de réfractaires isolants, pour donner de l’AlF3 solide (sous

forme de poudre (Siljan et al., 2001c)) et de la silice.

  6 2      

4 13 2 3

9SiF g 2Al Si O s 13SiO s 12AlF s (1.21)

  2      

4 3 2 3

3SiF g 2Al O réfractaire 3SiO réfractaire 4AlF s (1.22)

Une approche unifiée pour prendre en compte les différentes espèces impliquées dans la corrosion des réfractaires a été envisagée, (Pelletier et al., 2001); elle permet de regrouper tous les mécanismes de réactions en une seule « équation de corrosion » :

2 3 =

Na O NaF AlF Aluminosilicates

Composés Na Al F Composés Al Si Na O

  

      (1.23)

Afin de prédire le comportement des réfractaires dans la cuve d’électrolyse en service, les auteurs ont développé des « cartes de la corrosion » qui sont fonction d’un paramètre unique, RNa ou ratio de sodium et qui permettent d’estimer les changements minéralogiques liés à la corrosion dans le garnissage réfractaire de la cuve d’électrolyse.

CHAPITRE 2

APPROCHE THERMODYNAMIQUE DE LA