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I.7. La protéine bactérienne Fpg 1. Généralités

I.7.3. Le mécanisme d’action de Fpg et les structures correspondantes

Les nombreuses études structurales et fonctionnelles sur les ADN glycosylases, et en particulier sur Fpg, ont apporté des informations sur le mécanisme d’action de Fpg.

Tout d’abord, Fpg doit rencontrer les lésions qu’elle doit prendre en charge parmi un vaste excès de bases normales. Pour ce faire, deux mécanismes sont envisagés :

- soit l’enzyme se fixe sur l’ADN, puis glisse le long de celui-ci jusqu’à une lésion.

- soit l’enzyme fait des « sauts », se fixant et se dissociant sans cesse de l’ADN.

A ce niveau, les informations issues de la biochimie tendraient plutôt à dire que ces deux mécanismes coexistent, avec une préférence pour le « glissement » par rapport aux

« sauts » (Francis et al., 2003). De plus, les structures récemment résolues de la Fpg de Bacillus stearothermophilus (BstFpg) mutante E2Q interrogeant des ADNs sans lésion (codes PDB 2F5P, 2F5N et 2F5O : Banerjee et al., 2006b) tendent à dire que les interactions de l’enzyme avec l’ADN normal correspondent plus majoritairement à des liaisons hydrogène médiées par des molécules d’eau que dans les complexes post-reconnaissance des lésions. Ces molécules d’eau joueraient le rôle de « lubrifiant », ce qui tendrait à confirmer l’hypothèse du

« glissement » (Banerjee et al., 2006b).

Ensuite, l’enzyme doit reconnaitre les lésions par rapport aux bases normales. Les structures précédentes tendent à dire que les lésions seraient reconnues alors qu’elles sont encore intrahélicales, et que seules les lésions reconnues seraient extrudées de la double hélice d’ADN, et surtout pas les bases normales impliquées dans des appariements canoniques (Banerjee et al., 2006b). Cependant, deux mécanismes possibles pour la reconnaissance ont été évoqués (Zharkov et al., 2003) :

- la lecture directe, où les lésions sont reconnues par Fpg via leur profil de donneurs/accepteurs de protons (hypothèse de l’Arg 260 : Zharkov et al., 2003).

- la lecture indirecte, où les lésions sont reconnues via les propriétés qu’elles apportent, en l’occurrence la déstabilisation des paires de bases qu’elles forment dans l’ADN (hypothèse de la détection via la courbure induite par le résidu Phe113 de la triade d’intercalation chez BstFpg, soit la Phe111 chez LlFpg : Banerjee et al., 2006b).

Les informations qui ont déjà été évoquées dans le sous-chapitre précédent concernant la spécificité de substrat de Fpg tendent à indiquer que ces deux mécanismes coexistent, aucun d’entre eux ne permettant d’expliquer à lui seul la spécificité de substrat de Fpg quant à la base opposée à la lésion.

Après avoir reconnu sa cible, Fpg extrude celle-ci et la stabilise dans la poche de son site actif. Comme évoqué dans le sous-chapitre précédent, Fpg stabilise la lésion via des liaisons hydrogène avec des résidus tapissant la poche du site actif, et reconnait la base opposée à la lésion. On possède plusieurs structures de tels complexes, notamment avec BstFpg mutante E2Q liée à une 8-oxo-G ou une DHU (codes PDB 1R2Y et 1R2Z, respectivement : Fromme et al., 2003a), et avec LlFpg de type sauvage ou mutante P1 liée à un FapyG greffé sur un cyclopentane (codes PDB 1XC8 et 1TDZ, respectivement : Coste et al., 2004). Le processus de stabilisation de la base lésée dans la poche du site actif de Fpg permet vraisemblablement une évaluation des substrats à exciser, notamment au niveau du positionnement optimal du C1’ de la lésion permettant l’activité catalytique de Fpg, ainsi qu’au niveau de la discrimination de la base opposée à la lésion. C’est d’ailleurs ce qu’ont révélé les structures précédentes si on considère les différences pour le réseau de liaisons hydrogène formé avec les différentes lésions.

Fpg réalise alors son activité catalytique, qui se déroule en plusieurs étapes. Tout d’abord, l’activité ADN glycosylase se déroule comme suit (Figure 32) : L’enzyme forme un intermédiaire réactionnel covalent entre l’amine secondaire de sa proline N-terminale et le C1’

du désoxyribose portant la lésion : l’intermédiaire N,N’-disubstitué (Tchou et al., 1995). La formation de cet intermédiaire induit l’ouverture du cycle du désoxyribose, la forme ouverte étant stabilisée par une liaison hydrogène avec le résidu aspartate en position 2 de Fpg (Gilboa et al., 2002). Cependant, on peut noter que cette stabilisation via E2 n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi la mutation E2Q de l’enzyme induit une perte totale de l’activité ADN glycosylase de Fpg (Lavrukhin et al., 2000), étant donné qu’un résidu glutamine est toujours capable de réaliser cette liaison hydrogène importante. Une base de la protéine arrache alors l’un des protons en 2’ du désoxyribose, ce qui conduit au clivage de la liaison N-glycosidique entre la lésion et le sucre, puis à la formation d’un second intermédiaire covalent de type base de Schiff protonée entre Fpg et le site AP ouvert (Tchou et al., 1995; Zharkov et al., 1997;

Castaing et al., 1999). A ce niveau, l’activité ADN glycosylase est terminée, et l’intermédiaire de type base de Schiff peut être piégé par réduction au borohydrure (ou cyanoborohydrure) de sodium (Tchou et al., 1995; Castaing et al., 1999). Plusieurs structures de tels complexes ont été résolues avec EcFpg (code PDB 1K82 : Gilboa et al., 2002) et avec BstFpg (code PDB

1L1Z : Fromme et al., 2002), ce qui a permis de confirmer de façon définitive la présence de cet intermédiaire, ainsi que sa structure.

O

Figure 32 : Représentation schématique du mécanisme catalytique de l’activité ADN

glycosylase de Fpg.

L’ADN lésé est représenté en noir, Fpg en bleu, et des bases (issues de la protéine ou de molécules d’eau) en vert. La liaison hydrogène cruciale entre le E2 de Fpg et le C4’-OH du sucre est représentée par un pointillé rouge.

Après l’excision de la base lésée, Fpg réalise son activité AP lyase (Figure 33). On peut noter ici que Fpg peut aussi prendre en charge des sites abasiques créés par d’autres enzymes ou par des dépurinations/dépyrimidinations hydrolytiques, la protéine se liant covalemment sur le site abasique sous forme aldéhyde en formant l’intermédiaire de type base de schiff. Dans ce cas, la protéine considère le site AP comme un nouveau substrat et s’y fixe. De nombreuses structures ont été résolues pour de tels complexes non-covalents avec des analogues non métabolisables de sites AP. En l’occurrence, on possède les structure de LlFpg mutante P1G liée à un 1,3-propanediol (code PDB 1KFV : Serre et al., 2002), de BstFpg liée à un site abasique réduit placé en face d’un C, d’un T ou d’un G (codes PDB 1L1T, 1L2C et 1L2D, respectivement : Fromme et al., 2002), et de LlFpg de type sauvage ou mutante P1G liées à un 1,3-propanediol ou un tétrahydrofurane (codes PDB 1NNJ, 1PJJ, 1PJI et 1PM5 : Pereira de Jésus et al., 2005). On peut noter que la structure avec le site abasique réduit est d’ailleurs probablement la plus proche de la réalité à cause de son cycle désoxyribose ouvert. A ce niveau, une base arrache un proton en C2’ du sucre, et l’intermédiaire de type base de Schiff subit un réarrangement électronique avec délocalisation d’électrons π. Cela conduit au clivage de la liaison phosphodiester en 3’ du site abasique par β-élimination. Une seconde base arrache alors un proton en 4’ du désoxyribose, ce qui produit une seconde délocalisation d’électrons π, induisant le clivage de la liaison phosphodiester en 5’ du site abasique par une seconde δ -élimination. A ce niveau, le complexe restant entre l’enzyme et ce qui reste du désoxyribose est hydrolysé, et l’enzyme est restituée sous forme active avec relargage de 4-oxo-2-pentenal. Les deux activités catalytiques de Fpg sont alors terminées, et le produit de réaction est une lacune d’un nucléoside délimitée par des extrémités 5’ et 3’ phosphate. On possède d’ailleurs une structure du complexe formé entre BstFpg et le produit final de réaction (code PDB 1L2B : Fromme et al., 2002). Enfin, le complexe Fpg/ADN se dissocie, et l’enzyme peut à nouveau recommencer à chercher une lésion. On peut d’ailleurs noter ici que Fpg, en plus de ses activités ADN glycosylase et AP lyase, possède une activité 5’-dRPase (Graves et al., 1992(a)).

Cette activité permet de cliver par β-élimination en 3’ d’un site abasique déjà clivé en 5’ (par exemple par une AP endonucléase, chapitre I.5.3 sur les protéines métabolisant les sites AP et extrémités modifiées de l’ADN). Ce mécanisme est donc identique à une partie de l’AP lyase de Fpg, et ne sera donc pas détaillé ici.

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-Base de Schiff protonée β-élimination

δ-élimination

Finalement, on peut noter que, bien que la cristallographie des rayons X soit une technique qui donne des informations sur un état « immobile » des macromolécules, la détermination de structures correspondant à différentes étapes des activités de Fpg a permis de mieux comprendre et de valider, en une demi douzaine d’années, les mécanismes réactionnels de cette protéine qui se déroulent en une fraction de seconde.

I.8. L’objectif du travail de thèse et les stratégies utilisées I.8.1. Stratégies pour l’étude de complexes Fpg/ADN

Bien que la protéine Fpg de Escherichia coli (EcFpg) soit la forme pour laquelle le plus grand nombre d’études ont été réalisées, ce travail de thèse utilisera uniquement la protéine Fpg de Lactococcus lactis (LlFpg). En fait, il a été observé qu’à haute concentration et à 4°C, la protéine Fpg purifiée est lentement clivée en deux peptides inactifs, ce qui rend sa conservation difficile. Cependant, cette instabilité intrinsèque est plus prononcée pour EcFpg que pour son homologue LlFpg (Pereira de Jésus et al., 2002). Cela nous a conduits à utiliser préférentiellement la protéine LlFpg afin de pouvoir mener en parallèle des études structurales et fonctionnelles.

D’autre part, les différents substrats qui seront utilisés dans nos études seront de deux types en fonction de ce que l’on veut regarder. En l’occurrence, les études d’activité de Fpg seront réalisées sur des substrats vrais, pouvant donc être traités normalement par l’enzyme.

Par contre, les études de fixation de Fpg sur des ADNs lésés et les études cristallographiques de ces mêmes complexes seront faites sur des analogues de substrats afin d’éviter que Fpg ne les métabolise (chapitre I.5.2.5 sur les stratégies permettant des études structurales sur les ADN glycosylases). Les analogues utilisés au laboratoire correspondent à ceux définis par Ober et collaborateurs en 2003, où la partie base nucléique des lésions est inchangée, mais où le désoxyribose est replacé par un cyclopentane (dérivés carbocycliques). En effet, le cyclopentane ne possède pas d’oxygène dans son cycle, ce qui rend impossible l’ouverture de ce cycle, et donc empêche l’activité ADN glycosylase de Fpg (chapitre I.7.3 sur le mécanisme d’action de Fpg et les structures correspondantes).