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B. Les γ-Herpèsvirus altèrent la voie de différentiation des lymphocytes B

2. Les lymphocytes B sous l’influence de l’infection par HHV-8

Cellules B avec un phénotype plasmocytaire

Des premières études montrent que les caractéristiques morphologiques et immunophénotypiques de la cellule tumorale du PEL que cette cellule provient de lymphocytes B en maturation terminale. En effet, cette cellule n’exprime pas les antigènes

44 associés aux lymphocytes B (CD19, CD20 et Ig) (Matolcsy et al., 1998), elle exprime le CD45 et les antigènes d’activation tels que CD30, CD38, CD71 et HLA-DR (Ansari et al., 1996). De plus, les cellules du PEL expriment syndecan-1/CD138 (Gaidano et al., 1997), qui est sélectivement exprimé par une sous-population de pré-lymphocytes B et par les plasmocytes. Cependant malgré cette absence d’expression de gènes associés à la différenciation en lymphocytes B et d’immunoglobulines de surface, la présence de réarrangements des gènes des immunoglobulines confirme leur origine lymphocytaire B. Deux études transcriptomiques montrent que les cellules du PEL expriment fortement les facteurs de transcription majeurs dans la différenciation terminale des lymphocytes B Blimp-1 et IRF4, et expriment faiblement les gènes associés aux lymphocytes B matures (Jenner et al., 2003; Klein et al., 2003). Cette faible expression de gènes de lymphocytes B matures montre que les cellules du PEL ont complété leur différenciation en plasmocytes, phase critique contrôlée par le facteur de transcription Blimp-1. Ces cellules dites plasmablastiques ou plasmocytaires, présentent une expression très élevée du facteur de transcription XBP-1 et des gènes cibles de l’UPR (unfolded protein response), une réponse adaptative induite lors de l’accumulation de protéines mal conformées dans le réticulum endoplasmique (RE), afin de protéger la cellule contre ce stress.

Au total, les profils phénotypique et transcriptionnel de ces cellules indiquent bien que les cellules tumorales du PEL représentent des cellules matures en différenciation préterminale, plasmablastes ou plasmocytes (Jenner et al., 2003; Klein et al., 2003).

Cellules B clonales issues du centre germinatif

La présence de mutations somatiques au niveau des gènes codant la chaine variable (V) de l’immunoglobuline, caractéristique de la réponse immune à l’antigène T-dépendante, et la présence de mutations de la région non codantes du gène Bcl-6 (Gaidano et al., 1999b), impliquent que les cellules à l’origine du PEL ont transité par le centre germinatif des organes lymphoïdes périphériques. De plus, la cellule du PEL présente le profil moléculaire suivant : Bcl-6-,MUM-1/IRF4+, CD138/syndecan-1, qui correspond à celui d’une cellule ayant passé par le centre germinatif (Klein et al., 2003).

Les clones tumoraux du PEL sont infectés par HHV-8 et dans la majorité des cas co-infectés par l’EBV tout comme les deux lignées cellulaires BC1 et BC2. Au contraire, les lignées immortalisées issues de PEL BC3 et BCL1, ne sont pas co-infectées par l’EBV et ne présentent pas de mutations somatiques (Matolcsy et al., 1998). Il est bien établi que HHV-8 est directement responsable de la transformation tumorale de ces cellules, cependant

45 l’apparition des mutations somatiques retrouvées uniquement en situation de co-infection pourrait de fait être liée à l’EBV.

Ces données ainsi que l’observation de l’expression de nombreux antigènes plasmocytaires permettent d’affirmer que les cellules du PEL sont à un stade de différenciation lymphocytaire B très avancé.

b) Caractéristiques de la lymphoprolifération B de la MCM Cellules B avec un phénotype plasmablastique

La MCM est caractérisée par la présence de lymphocytes B particuliers localisés dans les follicules secondaires et positifs pour la protéine virale LANA. Ces lymphocytes B de grande taille ont un aspect morphologique de plasmablastes. Ils sont toujours localisés dans la zone du manteau des follicules secondaires (Dupin et al., 2000). De toutes les cellules présentes dans la lésion de la MCM, ce sont les seules à être positives pour la protéine virale LANA et donc infectées par HHV-8 (Chadburn et al., 2008). Contrairement aux cellules du PEL, les lymphocytes B LANA+ infectés par HHV-8 de la MCM ne sont jamais co-infectés par l’EBV. Leur phénotype, analysé en immunohistochimie, est celui d’un lymphocyte B en différentiation plasmocytaire. Ils sont CD27 variable, CD20 variable (initialement décrit comme positif par Dupin et al. et négatif dans les études ultérieures), CD30-, CD38+, Ki67++. Ils expriment les facteurs de transcription Blimp-1 et IRF4 mais pas les facteurs de transcription Pax-5 et Bcl-6 (Chadburn et al., 2008). La cytokine virale v-IL6 est fortement exprimée dans 10 to 15% de ces lymphocytes B qui expriment LANA et tous expriment à leur surface le récepteur de l’IL6 humaine (Brousset et al., 2001). v-IL6 a des homologies de structure et de fonction avec l’IL6 cellulaire qui est un facteur indispensable à la survie des lymphocytes B (Cassese et al., 2003). Il a été suggéré que l’IL6 virale joue un rôle majeur dans la différenciation en plasmablastes des lymphocytes B infectés et dans le développement des lésions lymphoprolifératives sans que ces cellules n’aient besoin de passer par le centre germinatif (Hu et al., 2015). En effet, v-IL6 ainsi que son analogue humain sont capables d’induire l’expression du facteur de transcription XBP-1 impliqué dans la sécrétion d’immunoglobulines par les plasmocytes (Todd et al., 2009).

Cellules B polyclonales qui ne sont pas issues du centre germinatif

Les lymphocytes B caractéristiques de la MCM sont paradoxalement monotypiques, exprimant uniquement une IgM restreinte à la chaîne légère λ. Bien que monotypiques, ces lymphocytes B infectés par HHV-8 sont polyclonaux comme le suggèrent les réarrangements

46 des chaînes VH et VL de l’IgM (Dupin et al., 2000). De plus, l’analyse de leur répertoire du BCR confirme leur polyclonalité mais aussi l’absence de mutations somatiques les apparentant à des cellules naïves malgré leur aspect plasmablastique (Du et al., 2001). Ces lymphocytes B IgM+ sans mutations somatiques étant considérés comme des lymphocytes B naïfs, il a été émis l’hypothèse qu’HHV-8 infecterait ces cellules dans un premier temps puis induirait leur différenciation vers la cellule pathologique infectée par HHV-8 observée dans la MCM.

À ce jour, aucune donnée expérimentale ne peut affirmer le contraire, mais néanmoins grâce la description récente des lymphocytes B de la zone marginale (mémoire IgM), une hypothèse alternative est peut être émise. Les lymphocytes B de la zone marginale sont présents dans la rate, le sang et les amygdales où ils fournissent une première ligne de défense contre les pathogènes en proliférant rapidement après stimulation par les antigènes du pathogène. Cette capacité à proliférer rapidement les rend cible potentielle pour l’infection par HHV-8. Les lymphocytes B de la zone marginale expriment le CD27 et très fortement l’IgM, et contrairement aux lymphocytes B mémoires switchés, ces cellules ne présentent pas de mutations somatiques (Weller et al., 2004), comme les plasmablastes infectés par HHV-8 de la MCM. De plus, il a été démontré que HHV-8 infectait in vitro préférentiellement les lymphocytes B mémoire IgM ou il établissait une infection latente (Hassman et al., 2011). Enfin, dans des expériences de différenciation plasmocytaire in vitro, Jourdan et al. montrent que les lymphocytes B mémoires CD27+ (comprenant les lymphocytes B de la zone marginale et mémoires switchés) se différencient en plasmablastes, qui présentent un profil d’expression de gènes similaire à celui des plasmablastes infectés par HHV-8 de la MCM (Blimp-1+, IRF4+,Bcl-6-, et Pax-5-) (Jourdan et al., 2009). Cette étude montre aussi que les lymphocytes B de la zone marginale sont IgM++, Ki67+ et expriment de manière variable la molécule CD27 durant la différenciation en plasmablastes. L’ensemble de ces données permettent de suggérer que les cellules plasmablatiques infectées par HHV-8 présentes dans la MCM pourraient dériver des lymphocytes B de la zone marginale plutôt que de lymphocytes B naïfs.

c) HHV-8 est associé à une différenciation terminale des lymphocytes B

(1) Lors de l’infection latente

Hassman et al. montrent dans des expériences de culture de lymphocytes B d’amygdales en présence du virus HHV-8, que le virus établi une infection latente et persistante

47 exclusivement dans les lymphocytes B monotypiques IgM+ λ+ (Hassman et al., 2011). Cette population représente 20% des lymphocytes B des amygdales et possède une plus grande capacité de prolifération comparativement aux lymphocytes B IgM+ κ+ (Derudder et al., 2009). Cette étude montre également que l’infection par HHV- 8 est capable d’induire la prolifération et la différenciation plasmocytaire des cellules infectées. Ces cellules acquièrent caractéristiques morphologiques de plasmablastes, une expression forte la chaîne lourde IgM et de la chaîne légère λ, ainsi qu’une expression de CD27, Ki67 et IL-6R. De plus l’adjonction d’IL6 in vitro, renforce les modifications blastiques de ces cellules comparativement à des cellules infectées par HHV-8 seul. Ces résultats sont en accord avec les données de la littérature qui montrent que l’IL6 induit aussi la croissance, la différenciation et la survie des plasmablastes dans un contexte non pathologique. À noter que cette cytokine est aussi responsable des symptômes cliniques de la MCM associée à l’infection par HHV8(Hassman et al., 2011). Ainsi, ces travaux montrent que le virus HHV-8 infecte préférentiellement les lymphocytes B mémoires IgM+ λ+, que cette infection conduit à la différenciation plasmablastique de ces cellules et enfin suggèrent que l’IL6 joue un rôle important dans ces phénomènes.

Parmi les gènes viraux exprimés au cours de la phase de latence d’HHV-8, v-FLIP joue un rôle majeur dans la transformation associée à l’infection par HHV- 8 (Chaudhary et al., 1999). Dans un modèle d’étude de souris transgéniques, qui expriment de manière conditionnelle v-FLIP sélectivement dans leurs lymphocytes B, les auteurs ont analysé l’effet de l’expression de cette oncoprotéine sur la différenciation lymphocytaire B. Ces souris transgéniques pour v-FLIP développent des anomalies des lymphocytes B similaires à celles de la MCM. L’analyse histologique de ces lymphocytes B montre qu’ils résident dans la zone du manteau, sont négatifs pour l’expression de la molécule CD138, expriment très fortement Ki67,et présentent des caractéristiques morphologiques similaires aux plasmablastes observés dans les lésions de la MCM (Ballon et al., 2011). De plus, l’expression de v-FLIP par les lymphocytes B altère la formation des centres germinatifs. Enfin, cette étude montre que l’expression de v-FLIP in

vivo conduit à une augmentation de l’incidence tumorale puisque toutes les souris

transgéniques pour v-FLIP développent des tumeurs localisées dans des zones riches en tissus lymphoïde (Ballon et al., 2011).

Au total, ces études expérimentales suggèrent que le virus HHV-8 est capable d’induire la différentiation en plasmablastes et la prolifération des lymphocytes B qu’il infecte et que l’expression de v-FLIP serait impliquée dans ces processus.

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(2) Lors de la réactivation lytique

Des observations récentes montrent que la réactivation du virus HHV-8 et donc sa propagation dans l’hôte dépend de la différenciation plasmocytaire. Wilson et al. montrent que l’induction de la réplication par un stimulus de stress du virus HHV-8 dans les lymphocytes B infectés de manière latente est secondaire à l’expression du facteur de transcription XBP-1 (Wilson et al., 2007). L’expression de XBP-1s est suffisante pour initier la phase lytique d’HHV-8 en activant directement le promoteur d’ORF50/RTA, sans que le mécanisme précis de cette réactivation lytique ne soit à l’heure actuelle déterminé (Wilson et al., 2007). Dans cette étude, Wilson et al. montrent par des modèles in vitro, que l’expression de la forme activée du facteur de transcription XBP-1 (XBP-1s) est induite par le stress du réticulum endoplasmique dans des cellules de PEL. Une récente étude montre que XBP-1 peut également se lier et activer le promoteur de la protéine virale v-IL6, cytokine indispensable à la prolifération, la survie et à la transformation des lymphocytes B infectés par HHV-8 (Hu et al., 2015).

Au total, ces études démontrent que la différentiation plasmocytaire est permissive à la réactivation lytique du virus HHV-8 et permet de fait sa dissémination.