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1. Parallèle entre EBV et HHV-8 pour leurs rôles sur la prolifération des lymphocytes B

Le virus HHV- 8 est capable comme l’EBV d’induire la prolifération des lymphocytes B en utilisant différentes stratégies virales. Les gènes viraux de l’EBV qui sont impliqués dans la lymphoprolifération sont exclusivement exprimés durant la phase de latence, et généralement ces gènes ne contrôlent pas les fonctions cellulaires directement, mais induisent des protéines cellulaires, qui à leur tour contrôlent les fonctions de la cellule. Au contraire, comme déjà présenté plus haut, le génome viral d’HHV- 8 contient les gènes viraux qui sont des homologues de gènes cellulaires impliqués dans le contrôle de la prolifération et de l’apoptose. Ces gènes viraux impliqués dans la mise en place des lymphoproliférations B pathologiques associées à HHV-8 sont exprimés à fois durant la phase de latence et lytique du virus. C’est ce rôle particulier de HHV-8 dans l’induction de la prolifération des lymphocytes B et des conséquences métaboliques qui s’ensuivent qui vont être ciblés dans cette dernière partie.

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2. La prolifération des lymphocytes B infectés est associée à l’expression de la protéine d’HHV-8 LANA

La protéine virale de latence LANA est constitutivement exprimée dans les cellules infectées par HHV-8, et son expression régule la transcription de plusieurs facteurs de transcription avec des conséquences sur plusieurs voies de signalisation impliquées dans le cycle cellulaire.

Notch est une voie de signalisation très conservée. Elle contrôle différents évènements

impliqués dans le développement, la prolifération et l’homéostasie tissulaire. Il a été montré que la dérégulation de cette voie de signalisation est fortement corrélée avec l’oncogenèse (Girard et al., 1996). Lan et al. montrent la présence d’une accumulation aberrante de la forme activée du domaine intracellulaire de Notch1 (intracellular domain, ICN) dans les cellules de PEL infectées de manière latente par HHV-8 et mettent en évidence que la protéine LANA est responsable de cette augmentation. Cette accumulation a pour conséquence une augmentation de la prolifération de ces cellules de PEL (Lan et al., 2006).

L’expression de la protéine de latence LANA est aussi associée à la dérégulation de l’expression des kinases Pim. Les kinases Pim (Pim-1,-2 et -3 ; Proviral Integration site for

Moloney murine leukemia virus) sont une famille de sérine/thréonine kinases qui jouent un rôle fondamental dans les processus de survie, de prolifération ou de différenciation cellulaire. Ce sont des proto-oncogènes surexprimés dans de nombreuses lymphoproliférations tumorales B et en particulier dans le lymphome de Burkitt’s associé à l’infection par EBV. Il a aussi été montré que ces kinases sont augmentées dans des lymphocytes B primaires infectés par HHV-8 (Gaidano and Dalla-Favera, 1993). In vitro, Bharat et al. montrent que LANA augmente l’expression de Pim-1 par son interaction avec son promoteur (pPim-1) dans des lignées de PEL. De plus, les cellules qui expriment la protéine virale LANA prolifèrent plus rapidement et sont plus résistantes à l’apoptose (Bajaj et al., 2006). Il est bien établi que la transition à travers les immune checkpoints du cycle cellulaire (Mochizuki et al., 1999) et les fonctions anti-apoptotiques sont associées à l’expression de Pim-1 (Aho et al., 2004; Yan et al., 2003), et de fait les résultats de Bharat et al. suggèrent que l’expression augmentée de Pim-1 dans les cellules infectées par HHV-8 exprimant LANA est responsable, du moins en partie, de cet effet.

La Survivine appartient à la famille des IAP (inhibitors of apoptosis proteins), et est exprimée par les cellules embryonnaires et par les cellules en prolifération. Plusieurs études montrent que c’est une protéine importante dans la régulation de la prolifération et viabilité cellulaire. La majorité des tumeurs, solides ou hématopoïétiques, l’exprime de façon aberrante

50 et la Survivine est identifiée comme étant le quatrième gène le plus fréquent et abondant dans les tumeurs (Altieri, 2001). Le promoteur du gène codant pour la Survivine contient le site de fixation des facteurs de transcription Sp1 et p53. Lu et al. montrent in vitro que l’activité du promoteur de la Survivine est augmentée par l’expression induite de la protéine virale de latence LANA dans la lignée HEK293 et ce de façon dose dépendante par rapport à l’expression de LANA (Lu et al., 2009). Ils montrent également que la protéine virale LANA forme un complexe avec la protéine Sp1 ou la protéine p53, et que ce complexe se fixe au promoteur de la Survivine. Ainsi la protéine virale LANA est donc capable d’augmenter l’expression de la Survivine et par conséquent d’induire la prolifération des lymphocytes B infectés par HHV-8 comparativement aux cellules non infectées (Lu et al., 2009).

Par ailleurs, dans une étude récente Jha et al. rapportent une expression augmentée de la protéine de polarité PAR-3 (partitioning-defective protein) dans les lymphocytes B primaires infectés par HHV-8 et les lignées de PEL. L’équipe montre que Par-3 interagit avec la protéine virale LANA dans les lymphocytes B infectés par HHV-8 mais aussi dans les lignées cellulaires de PEL et que cette interaction conduit à la translocation de Par-3 de la périphérie cellulaire au noyau et à son interaction dans la signalisation cellulaire. De fait, l’invalidation du gène codant pour Par-3 a pour conséquence une réduction de prolifération des cellules et une augmentation de l’induction de l’apoptose. Enfin, la protéine LANA augmente l’expression des protéines Par-3 qui à son tour régule positivement l’expression de SNAIL dans les lymphocytes B infectés par HHV-8. De plus, SNAIL se fixe aussi à la région promotrice de p21 et peut réguler son activité, en augmentant la voie de signalisation NFκB (Jha et al., 2016), voie de signalisation majeure dans le développement de tumeurs associées à l’infection par HHV-8 (Keller et al., 2006)

Au total, ces études suggèrent que HHV-8 par son altération de différentes voies de signalisation est capable d’induire la prolifération des lymphocytes B qu’il infecte et l’expression de la protéine virale LANA est impliquée dans ce processus.

3. HHV-8 induit une altération du métabolisme cellulaire

L’altération du métabolisme cellulaire est fortement corrélée à des conditions pathologiques telles que les cancers ou les infections virales. Ces modifications concernent les trois voies métaboliques majeures : glycolyse, synthèse d’acide gras et glutaminolyse (Figure 7). Les oncogènes sont responsables des changements métaboliques dans les cellulescancéreuses qui contribuent à la prolifération soutenue de ces cellules, ainsi qu’au maintien de l’activité́ des

51 oncogènes. De même, quelques études récentes rapportent des interactions entre les protéines de latence du virus HHV-8 et la consommation de glucose et la production d’acides gras dans les lymphocytes B infectés. Par contre aucune donnée n’est encore disponible en ce qui concerne directement le métabolisme de la glutamine dans des lymphocytes B infectés par HHV-8. De telles données n’existent que dans des cellules endothéliales infectées par HHV-8 (Delgado et al., 2012), montrant l’importance de la glutamine pour la survie cellulaire et l’alimentation des voies de synthèse des aides gras.

a) HHV-8 active la glycolyse durant la latence

Le métabolisme du glucose des cellules cancéreuses décrit par Otto Warburg dans les années 1930 est devenu une marque spécifique associée au cancer, appelée « effet Warburg ». Les cellules cancéreuses puisent leur énergie essentiellement à partir du glucose à travers la glycolyse, afin de répondre à leurs besoins en énergie, mais également à leur besoin en biomasse nécessaire à leur division accrue.

Une inhibition induite chimiquement de la glycose induit l’apoptose des cellules endothéliales infectées par HHV-8 montrant l’importance de ce processus pour ces cellules infectées (Delgado et al., 2010). L’augmentation de l’expression d’une région contenant 10 des locus du virus codant pour des micro-ARNs d’HHV-8 est suffisante pour induire la glycolyse dans des cellules endothéliales (Yogev et al., 2014). Plus récemment, une glycolyse augmentée est également mise en évidence les lignées cellulaires B issues de PEL (Bhatt et al., 2012). Ainsi, l’effet Warburg permet probablement aux cellules infectées de manière latente de survivre et de proliférer. Toutefois, des expériences supplémentaires sont nécessaires pour démontrer que les gènes viraux d’HHV-8 sont responsables de l’induction de la glycolyse durant la latence dans les lymphocytes B.

b) HHV-8 active la synthèse d’acide gras pendant la latence

Le virus HHV-8 induit plusieurs autres changements métaboliques, incluant l’augmentation de la synthèse d’acide gras. Comme pour glycolyse, Delgado et al. montre que l’inhibition de la synthèse d’acide gras dans des cellules endothéliales infectées induit une augmentation de leur mort (Delgado et al., 2012). Le traitement par des inhibiteurs de la synthèse d’acides gras rend de lymphocytes B infectés par HHV-8 rend également ces cellules sensibles à la mort cellulaire, suggérant que la synthèse des acides gras est également nécessaire à la survie des lymphocytes B infectés (Bhatt et al., 2012). Les cellules de la lignée cellulaire du PEL

52 présentent comme pour la glycolyse un niveau très élevé de l’activité de synthèse des acides gras comparativement à des lymphocytes B primaires non infectés.

Au total, l’induction de la synthèse d’acide gras permet une rapide adaptation à l’environnement cellulaire prompt pour la croissance rapide des cellules infectées.

Figure 7. Illustration des trois voies métaboliques majeures : Glycolyse, synthèse et Glutaminolyse d’acide gras, et des altérations connues dans les lymphocytes B infectés par HHV-8. Une fois le glucose entré dans la cellule à travers des transporteurs tel que GLUT1, il est

rapidement phosphorylé en Glc-6-phosphate, ce qui lui permet d’intégrer le cycle de la glycolyse. Le Pyruvate, le produit final de la glycolyse, est converti en lactate et il est secrété par la cellule à travers des transporteurs, tel que MCT1. Le pyruvate peut être aussi oxydé par le cycle de Krebs et générer de l’ATP. Le citrate, un intermédiaire métabolique, peut quitter le cycle de Krebs et être transporté dans le cytoplasme, ou il est transformé en acetyl-CoA qui est converti en malonyl-CoA. Acetyl- et malonyl-CoA sont combinés à l’aide d’une série de réactions par FASN, une multienzyme polypeptidique, pour former le palmitrate, qui sera élongé ou dénaturé en acide gras. Ces acides gras pourront être utilisés pour la synthèse d’autre macromolécules et de lipides nécessaires à la division cellulaire. La glutamine entre dans les cellules et rejoint le cycle de Krebs. Au cours de la latence, les protéines du virus HHV-8 peuvent activer ces trois voies métaboliques (indiqué par une flèche rouge).

Cytoplasme Glucose Glucose Glucose-6-PO4 Pyruvate Glycolyse ATP Lactate Lactate Citrate Acetyl CoA Malonyl CoA

Complexes

d’acides Gras

Palmitrate Acetyl CoA Mitochondrie Cycle de Krebs Synthèse d’acide gras FASN GLUT 1 MCT 1 SLC1A5 Glutamine Glutamine Glutamate + NH 3 a-KG + NH3

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III. HHV-8 et le système immunitaire