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Chapitre 1 Revue des travaux antérieurs

1.6 Changements climatiques et espèces de graminées fourragères

1.6.1 Luzerne

Lorsque modélisée sous le climat des États-Unis (HadCM2), la réponse de la luzerne à une augmentation de température se résumerait par une augmentation de rendement plutôt importante dans l’Est, alors que dans le centre des États-Unis, le rendement a plutôt tendance à diminuer, puisque les températures sont plus importantes, et les précipitations moins abondantes (Izaurralde et al., 2011). Dans les régions à l’Ouest américain, on remarque aussi une augmentation des rendements, mais moins importante que dans l’Est. En utilisant un autre modèle (BMRC model), la diminution des rendements se voit partout au pays, notamment à cause des températures plus élevées, et encore une fois à des précipitations moins importantes (Izaurralde et al., 2011). Si l’augmentation des températures est plus modérée et que les précipitations augmentent (UIUC model), on remarque une augmentation modeste des rendements dans le centre et l’ouest du pays. En somme, dans cette étude, le rendement de la luzerne était surtout affecté par les précipitations, suivi par la concentration en CO2 atmosphérique puis par la température (Izaurralde et al., 2011). Bertrand et al. (2007)

ajoutent que les réponses de la luzerne à une augmentation du CO2 atmosphérique

dépendraient de la souche de rhizobium.

Par contre, une diminution de la survie hivernale de la luzerne est attendue au Québec, ce qui représentera un défi puisque cette espèce est largement utilisée. On s’attend en effet à ce que la couverture de neige soit moins importante dans le futur alors que la survie hivernale de la plupart des plantes fourragères dépend de cette protection des racines et du collet. D’ailleurs, le nombre de jours d’exposition à des températures létales devrait augmenter partout au Québec, ce qui augmente les risques de dommage (Bélanger et Bootsma, 2002). De plus, une récolte additionnelle telle qu’il serait possible de le faire dans le futur accroît le risque de mortalité hivernale, sauf si l’augmentation de la saison de croissance serait suffisamment importante pour permettre à la plante d’accumuler assez de réserves. La sévérité de l’hiver, qui se manifeste surtout par une diminution dans la densité des plantes et une diminution du potentiel de repousse au printemps, contrebalancerait négativement les bénéfices qui pourraient être associés à une coupe supplémentaire. Par contre, l’impact de ce problème pourrait être diminué par l’allongement de l’intervalle entre la dernière récolte à l’automne et la précédente afin d’obtenir au moins 500 degrés-jours entre les coupes. De plus, cette adaptation permettrait un meilleur regain au printemps l’année suivante (Bélanger et al., 1999). Ainsi, dans une étude de Thivierge et al. (2016) où le rendement de la luzerne en culture pure était simulé dans un horizon 2020-2079, il a été noté que le rendement en MS moyen annuel dans l’ouest de la province de Québec pourrait augmenter de 9 % (en excluant le scénario le plus extrême, dans lequel une diminution de rendement de 9 % était observée) lorsque la température augmentait d’environ 3°C et la concentration en CO2 atmosphérique

passait de 346 μmol·mol–1

à 517 μmol·mol–1 en moyenne (de 447 à 639 μmol·mol–1 selon les scénarios). Dans l’est du Québec, l’augmentation de rendement était plutôt de l’ordre de 21 %.

Sous climat plus chaud, Aranjuelo et al. (2005) notent qu’une augmentation du CO2

atmosphérique de 350 ppm à 700 ppm sous à une température ambiante n’aurait pas d’effet sur le rendement en matière sèche de la luzerne, alors que lorsque combinée à une augmentation de la température et à une irrigation suffisante, l’augmentation de rendement

serait de 28 %. Si l’irrigation est partielle, l’augmentation serait plutôt de l’ordre de 20 % (tableau 1.8). Cette augmentation de la production de matière sèche sous des conditions de CO2 et température élevées serait le résultat de la stimulation des taux photosynthétiques, de

la surface en feuille et de l’efficacité d’utilisation de l’eau, dû à la diminution de la conductance stomatique (figure 1.11).

Tableau 1.8. Effet du CO2, de la température, et de la disponibilité de l'eau sur la matière

sèche totale 30, 45 et 60 jours après l’émergence d’une luzerne nodulée (P < 0,05) (tiré de Aranjuelo et al. 2005).

Traitement (H2O-CO2-T)1 MS (mg·plant-1)

30 jours après l’émergence 45 jours après l’émergence 60 jours après l’émergence

Témoin-Amb-Amb 30,3 ± 4,2 a 150,3 ± 12,7 b 2,91 ± 0,04 b Témoin-700-Amb 30,3 ± 4,2 a 170,5 ± 3,3 b 2,88 ± 0,01 b Témoin-Amb-Amb + 4 °C 30,3 ± 4,2 a 200,2 ± 10,4 a 2,91 ± 0,18 b Témoin-700-Amb + 4 °C 30,3 ± 4,2 a 170,5 ± 20,1 ab 4,02 ± 0,21 a Sec-Amb-Amb 30,3 ± 4,2 a 200,3 ± 10,9 a 1,27 ± 0,04 d Sec-700-Amb 30,3 ± 4,2 a 190,8 ± 9,0 ab 1,64 ± 0,03 d Sec-Amb-Amb + 4 °C 30,3 ± 4,2 a 160,8 ± 2,5 b 1,56 ± 0,03 d Sec-700-Amb + 4 °C 30,3 ± 4,2 a 210,3 ± 14,1 a 2,04 ± 0,06 c

1Les traitements sont une combinaison entre l’irrigation (Témoin ou sec), la concentration en CO

2 (Amb =

Figure 1.11. Effet du CO2 atmosphérique (Amb CO2, CO2 ambiant ≈ 400 µmol mol-1 CO2 ;

ou élevé, 700 µmol mol-1 CO2), de la température (Tamb, température ambiante ≈ 19°C ; Tamb + 4°C, température ambiante + 4°C) et de disponibilité de l’eau (control, témoin ≈ 0,4 cm3 cm- 3; Drought, sécheresse ≈ 0,2 cm3 cm-3) sur l’efficacité de l’utilisation de l’eau pour la

photosynthèse (WUEph), l’efficacité d’utilisation de l’eau pour la production (WUEp), la

production de matière sèche (DM production) et la consommation hydrique d’une luzerne nodulée (water consumption). Chaque valeur représente la moyenne ± É.-T. (n=12, WUEph;

n=8, WUEp). La WUEph a été déterminée lorsque les plants avaient 56 jours de croissance,

alors que la WUEp a été déterminée pour la période incluant la deuxième (45 jours de

croissance) et la dernière (60 jours de croissance) récolte. Chaque valeur représente la moyenne ± É.-T. (n=8). Les lettres différentes indiquent des différences significatives (P < 0,05) entre les traitements (tirée de Aranjuelo et al., 2006).

Sanz-Sáez et al. (2012) ont analysé l’évolution de luzerne sous les changements de CO2 (380

et 700 ppm) et température (13,9 °C comme température ambiante moyenne et 13,9 + 4°C) en association avec trois différentes souches de bactéries nodulaires. En général, une augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique combinée avec une élévation de la

température diminuerait la digestibilité in vitro de la matière sèche (IVDMD ; figure 1.12) et la teneur en protéine brute et augmenterait la teneur en fibres (NDF et ADF) ainsi que le rendement en matière sèche des parties aériennes. Les différences dans la production de matière sèche des parties aériennes étaient différentes entre les trois souches de bactéries, ce qui pourrait être lié à la différence du coût en C pour la fixation du N2 et/ou à la différence

du taux de fixation du N2. En effet, une plus grande consommation en C sous une teneur

élevée de CO2 atmosphérique permet de fixer plus d’azote et ainsi diminuer la quantité de

photosynthétats disponible pour la croissance de la plante. La baisse de la digestibilité pourrait s’expliquer par l’augmentation des fibres. D’ailleurs, il faut mentionner que la proportion tige : feuille reste inchangée, mais que les proportions de fibres NDF, ADF et lignine changent entre les souches de bactéries nodulaires, mais aussi entre les différentes études.

Figure 1.12. Effet du CO2 (ambiant soit autour de 400, ou élevée soit à 700 µmol·mol-1),

température (ambiante ou ambiante + 4ºC) et de la souche de bactéries nodulaires sur les teneurs en NDF (A) (% MS), en ADF (B) (% MS), et sur la IVDMD (C) (% MS). Les barres représentent la moyenne ± É.-T.; n=4. Dans chaque groupe, les barres avec la même lettre ne sont pas significativement différentes (P ≤ 0,05) selon le test LSD (tirée de Sanz-Sáez et al., 2012).