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L E LOGEMENT , LA VIE QUOTIDIENNE , LES RESSOURCES FINANCIERES 1 La situation économique de la famille

2. Les logements

Lors de l’arrivée, une des questions qui se posent est celle du logement. En général les immigrés l’on trouvé seuls ou bien grâce à une aide de la part de la famille ou d’amis déjà sur place. Ainsi, Pio Gaveglia a d’abord été logé chez sa tante avant que son père ne trouve une location tandis que la famille d’Angela Marciano s’est vu léguer une maison, rue des Bienvenus, par ses grands-parents. Aucun enquêté ne parle d’une aide au logement quelconque et ils mettent au contraire un point d’honneur à expliquer que contrairement à aujourd’hui, il n’y avait pas de logements sociaux, comme par exemple Bernard A. qui à la

question de savoir si ils ont touchés des aides au logement répond : « Non pas du tout, cela

n'existait pas à l'époque. C'était très différent par rapport à maintenant. Maintenant les Arabes qui arrivent ont des aides mais pas nous Italiens. Il n'y avait rien ». D’ailleurs, en

général, les enquêtés insistent sur le manque de logements lors de leur arrivée, c’est le cas d’Angela Marciano lorsqu’elle dit : « : Il y avait une pénurie de logement mais c’était

incroyable. On ne trouvait pas de logement. »

En général les premiers logements sont décrit comme extrêmement rudimentaires : pas d’eau, pas d’électricité, les conditions d’habitat sont extrêmement difficiles. Angela Marciano décrit ainsi très précisément le logement de ses parents lors de son arrivée : « On vivait

vraiment dans la précarité. Y’avait des toilettes à l’extérieur, l’eau on allait la pomper, y’avait une pompe derrière la maison, y’avait une cuisinière à charbon quand on pouvait se payer le charbon. C’était vraiment tout ce qu’il y a de plus rudimentaire ». Angèle Santoro a

même vécu « dans une cabane, aux Buers. La pluie entrait par le plafond. J’étais très jeune,

4-5 ans, mais c’est une des premières images de ma mère dont je me souvienne, avec son parapluie dans la maison. On avait une seule pièce. » Aux Buers, se trouvait en effet, un

bidonville important jusque dans les années 60.

Dans le quartier des Buers, 1960 (photo Marcelle Vallet)

Certains enquêtés ont cependant reçu de l’aide la part d’associations, de groupements religieux ou de la part de leur entreprise. Ainsi, Angèle Santoro explique : « Le curé leur a

demandé où ils habitaient [à ses frères] et, quand il a vu la maison, il a dit que ce n’était pas possible de vivre comme ça. Il nous a trouvé un logement dans la cure, à Croix Luizet [dans la paroisse de la Sainte-Famille ?] ». C’est donc la cure qui a servi de refuge jusqu’au

moment où l’entreprise du père aide à trouver un autre logement : « Mon père était ouvrier à

Pitance, du coup, avec son travail et l’appui du curé on a pu avoir un appartement rue Armand ».

L’église de la Sainte-Famille, quartier de la Croix-Luizet à Villeurbanne

Ihor Ivantsif explique également qu’il n’a pas eu de problème pour trouver un logement lors de son arrivée puisque son arrivée était prévue d’avance et préparée. Habiba M. a également été aidée par une association pour trouver un logement : « On est allé voir

l’association là, on a vu le… l’assistante sociale. Alors je lui ai parlé de mon cas et je lui ai dit « Voilà, j’ai des jumeaux, j’ai qu’une seule chambre où je vais les mettre ». Et elle m’a dit : « bon. On va faire notre possible pour vous trouver un logement ». En même pas un mois, ils m’ont trouvé un logement parce que le moment où ils m’ont trouvé un logement moi je rentrais à l’hôpital parce que j’ai des jumeaux ».

A propos du premier logement, tous les enquêtés insistent enfin sur un point : l’étroitesse des logements. Tous sans exception ont vécu dans un nombre de pièce extrêmement réduit. Le confinement est un point qui revient dans chaque témoignage sans exception. La famille vit souvent un espace extrêmement réduit alors qu’elle est souvent nombreuse. A cela s’ajoute le fait que, dans de nombreux cas, les enquêtés ont accueilli de la famille chez eux. Ainsi, Rosa Carbone a hébergé son beau-frère alors qu’il n’y avait pas assez de lits pour tout le monde :

« Le soir, mon mari vient me voir et me dit que son frère est avec lui et qu’il couchera dans le même lit que nous. Le lit, c’est un 90, très petit. Moi et mon mari, on s’est couchés à la tête et mon beau-frère a couché dans l’autre sens. Ca a duré pas mal. ».

Arthur Derderian insiste également sur ce confinement : « Après moi, ils avaient

également un deux pièces qui faisait 45m2. Je me rappelle toujours de la surface parce qu’on a vécu 20 ans là-bas. On était 5, parce qu’il y avait mon frère. Mon père avait une demi- fenêtre pour lui quand il était cordonnier, l’autre demi-fenêtre, c’était pour la cuisine de ma mère. Dans la chambre, on avait un lit gigogne pour mon frère et moi, ma mère et ma sœur dormaient ensemble et mon père avait son lit à part. Et dès qu’ils avaient fini de manger, hop ils allaient dans la chambre pour que nous, on puisse travailler et faire nos devoirs. »

Le confinement revient donc dans tous les discours. Pour Angela Marciano, c’est même la raison pour laquelle certains hommes boivent beaucoup lorsqu’elle est enfant : « Alors

au café avec les copains. Y’avait beaucoup d’hommes dans les cafés qui buvaient. Y’avait les gamins qui pleuraient même si ce n’était pas notre cas, y’avait un confinement. Vous me direz, la femme c’est encore pire, mais bon... » Elle illustre ainsi une idée commune voulant

que le bistrot soit à cette époque un lieu exclusivement masculin permettant aux hommes d’échapper au confinement dans leur logement. On peut là encore retrouver une reconstruction comme le décrit Bourdieu car ainsi qu’Angela Marciano le dit elle-même cette situation était également subie par les femmes qui n’allaient pas au bistrot pour autant.

Hommes au bistrot, collection BM Lyon

Le logement s’agrandit ensuite dans tous les récits au fur et à mesure de la vie des enquêtés. Souvent cela se passe avec la naissance d’un enfant qui rend le logement trop petit, comme l’explique par exemple Habiba M. Dans tous les témoignages, l’agrandissement du logement est un enjeu important et est le fruit d’un véritable sacrifice. Ainsi, Rosa Carbone explique : « Pour avoir une maison, on devait acheter. On a fait quelques dettes mais on l’a

achetée. Il y avait deux chambres et une cuisine ». Dans son témoignage on peut d’ailleurs

bien suivre les différents logements qui s’améliorent tous de plus en plus. C’est le cas dans la plupart des témoignages, y compris celui d’Ihor Ivantsif qui accorde de l’importance non seulement à la surface du logement mais également à sa situation dans Lyon.

Il est très intéressant de noter le témoignage d’Angèle Santoro : « Mais je ne crois pas

que c’était seulement le cas pour les émigrés. Beaucoup de monde vivait comme ça à l’époque. Il n’y avait pas grand-chose à Villeurbanne. Pour ta grand-mère c’était pareil et elle était Française. Où elle habite maintenant ce n’était que des champs. Mais elle, elle en garde des supers souvenirs, parce qu’elle connaissait tout le monde, qu’elle s’y sentait bien et qu’elle a oublié, mais en fait il n’y avait aucun confort. » Elle explique par ce témoignage

qu’elle a gagné en confort au fur et à mesure de sa vie mais que cette situation n’est pas propre aux immigrés. Au contraire beaucoup de gens y compris français étaient dans cette situation, due à l’époque. Elle décrypte également ce que Bourdieu décrit dans son article « L’illusion biographique » : on ne se souvient pas des choses de manière objective mais plutôt en fonction de la manière dont on les a ressenties. Les souvenirs sont donc reconstruits de manière inconsciente.