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L ES PARCOURS SCOLAIRES

2. Les difficultés rencontrées

Pour les parcours scolaires, les enfants ont rencontré un certain nombre de difficultés, ils ont du apprendre à se débrouiller seuls et ont pu être victimes de discriminations.

* Le manque d’aide à l’école et à la maison

La première difficulté qui a pu être rencontrée par les témoins dans leur parcours scolaire est celle due à l’inadaptation des classes pour les enfants dans leur situation. Comme on l’a vu en introduction, on parle ici essentiellement d’émigrés d’après-guerre, recrutés comme main-d’œuvre dans les industries lyonnaises et villeurbannaises. Aucun dispositif n’a été mis en place pour accueillir les élèves dans des classes particulières et les préparer en leur donnant des cours de français. Ils ont directement intégré les classes des élèves français sans préparation préalable, la politique ayant toujours été à l’ouverture et au non cloisonnement des élèves. Pio Gaveglia mentionne ce qui pour lui a été un problème : « Alors il n’y avait pas

de classe comme maintenant où l’on a des classes spécifiques pour les étrangers qui viennent et qui ne parlent pas le français. » Il explique qu’il a été « plongé dans le bain » et confronté

directement, après seulement une semaine d’arrivée, aux classes françaises et qu’il a dû se débrouiller seul. 24

Ce problème d’adaptation à l’école a moins existé pour les témoins nés de parents émigrés ou arrivés en bas âge en France et qui sont donc entrés en classe en même temps que les autres élèves. Cependant, leur famille ou leur entourage ne parle que peu le français. Par exemple, Pio Gaveglia explique que ses parents tentent de parler français mais qu’ils sont

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C’est le cas de Freddy Raphaël dans son article « Le travail de la mémoire et les limites de l'histoire

orale », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 1/1980, pages 127 à 145)

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Depuis peu, des structures d’accueil, ont été mises en place, appelée « classe d’initiation » pour le primaire ou « classe d’accueil » pour le secondaire, par le CASNAV (Centre Académique pour le Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des Enfants du Voyage). Elles ont pour but de favoriser l’intégration des élèves en leur apprenant le français au préalable pour qu’ils puissent être mieux préparé à intégrer par la suite des classes « normales ». Elles font cependant polémique et sont considérées par certains davantage comme des facteurs d’isolation des émigrés que d’intégration.

entourés d’Italiens : « on avait trop à côté de nous des personnes d’origine italienne et on

disait ils parlaient comme des vaches espagnoles (rires) ou ça baragouinait le français parce que je pense qu’à la maison ils continuaient à parler italien, et puis ce n’était même pas de l’italien, c’était un patois. » Or, l’accompagnement des parents, pour les jeunes élèves, est

très important. La volonté d'aider l'enfant est bien là, mais les parents n'ont pas toujours les compétences pour le faire. Les enfants rencontrent donc une difficulté supplémentaire. Ils doivent se débrouiller par leurs propres moyens pour étudier, faire leurs devoirs. Parfois, les choses sont même inversées puisque se sont les enfants qui aident les parents à apprendre le français. Angela Marciano explique « c’est pas ma mère qui m’aidait parce qu’elle n’en avait

pas les capacités. ». Certains ont eu la chance de pouvoir être tout de même accompagnés par

un proche. Arthur Derderian mentionne plusieurs fois l’aide de sa sœur au cours de ses études. Comme ses parents parlent français mais assez mal, c’est donc sa grande sœur qui l’a soutenu: « Au niveau de mes études, c’est plutôt ma sœur aînée, qui est née en 1934 à Lyon,

qui les a suivies puisque c’est elle qui connaissait mieux le Français pour parler avec les profs. »

* Les problèmes d’orientation

Il découle également de ce manque d’accompagnement des problèmes d’orientation. Les enfants non accompagnés ont du mal à déterminer ce qu’ils peuvent faire dans la vie. Après l’école primaire, ils doivent choisir soit de poursuivre leurs études, mais n’ont aucune information sur ce qui s’offre à eux, soit d’aller travailler. De plus, il peut arriver que les parents, sans ressources, les encouragent à abandonner l’école pour les aider, en travaillant, à subvenir aux besoins de la famille. C’est le cas pour Angela Marciano : « Maman ne savait

pas où il fallait m’orienter alors elle voulait me mettre dans une usine ». Sa mère n’avait pas

de mauvaises intentions mais c’était pour elle normal que sa fille intègre l’environnement professionnel et quitte les études pour trouver du travail. Ainsi elle a insisté auprès de la directrice de l’école : « Mais si si, il faut qu’elle apprenne un métier ! ». Angela Marciano justifie la réponse de sa mère dans la suite de son témoignage : « Parce que mon père était

mort entre temps et on était très très pauvres. J’ai souffert énormément de la pauvreté, très très pauvres ». Cependant, pour la majorité des témoins, les parents les ont encouragés dans

leurs études.

Ce sont d’autres personnes que les parents qui ont joué le rôle de conseillers pour ces enfants. Dans le cas d’Angela Marciano, c’est la directrice de son établissement scolaire qui l’a soutenue, qui a convaincu sa mère et qui a finalement rempli toutes les formalités administratives pour qu’elle puisse continuer ses études : « Et donc, cette directrice, elle s’est

occupée de ce dossier pour mon entrée au lycée technique pour que j’apprenne un métier, et comme je travaillais bien, j’ai bénéficié d’une bourse. ». Dans d’autre cas, ce peut être les

frères et sœurs, plus âgés, qui jouent ce rôle. On retrouve la présence de la sœur d’Arthur Derderian plus loin dans son témoignage : « j’ai dit à ma sœur ‘ je veux comprendre tout ce

qu’il y a autour de moi’ et elle m’a dit qu’il fallait que je fasse des études d’ingénieur. On s’est renseignés sur comment faire, et c’est comme ça qu’elle a su qu’après, je pouvais faire un BTS puis rentrer à l’INSAR. »

Une classe de CP dans une école de filles, 1937

* Des petites discriminations au racisme

Aussi, les difficultés d’intégration à l’école ont pu être importantes pour les enfants nés de parents émigrés car ils ont pu être victimes de discriminations. Quelle que soit l’époque ou la nationalité des témoins, on voit bien ces discriminations mentionnées dans les interviews. On a ainsi une sorte de mémoire collective des discriminations qui est partagée par les migrants. On ne peut remettre en cause l’existence de telles discriminations mais le fait que cela reviennent constamment dans les entretiens indique bien que cette mémoire est constituante du groupe des immigrés25. Ainsi, Arthur Derderian explique : « Même moi,

quand j’étais à l’école, combien de fois on m’a traité de « sale arménien ». Bon, comme ils savaient que je risquais de les taper, après ils se calmaient, mais on l’a vécu ça. Là, dès qu’on touche quelqu’un, tout de suite ça se mobilise, mais nous, ça n’a pas été facile. » C’est

le cas aussi d’Angèle Santoro. Elle mentionne des réflexions à l’encontre des Italiens en sa présence, dans la cour de l’école. Réflexion auxquelles elle a répondu avec ferveur en défendant son pays d’origine. Alors que les enfants sont parfaitement bien intégrés

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Freddy Raphaël, dans son article « Le travail de la mémoire et les limites de l'histoire orale », (in.

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1/1980, pages 127 à 145) parle de cette mémoire

scolairement, se plaçant même parmi les meilleurs des classes, c’est dans ces moments là que ressort leur volonté de défendre à tout prix leurs racines.

De même, les migrants italiens évoquent assez souvent des moqueries concernant la religion d’après Louise Canette dans son mémoire de recherche sur la scolarité des migrants italiens26. C’est le cas d’Angèle Santoro. Ses frères ont eu des difficultés à s’intégrer car ils vivaient dans une cure : « Pour mes frères, ça été dur. Ils ont détesté y vivre. Quand on en

reparle on n’a pas du tout les mêmes souvenirs. Tu sais, on se moquait d’eux à l’école parce qu’on vivait avec les religieux. »

Ces disputes entre enfants, ces « conflits de récréation », comme les qualifie Louise Canette, sont souvent le miroir de discriminations plus importantes, qui se jouent dans le monde des adultes et qui ont des répercussions très fortes pour les enfants. Ainsi, des enfants ont pu être victimes de discriminations particulières en classe. Comme on l’a vu, pour certains la maîtresse a pu jouer un rôle important d’aide à l’élève, dans son orientation scolaire par exemple. Mais au contraire, d’autres professeurs ont pu mettre totalement en péril la scolarité, par des insultes voir même des violences physiques. Louise Canette présente plusieurs témoignages qui évoquent cette brutalité à l’encontre des enfants. Elle l’explique en partie par la dissonance entre enseignement républicain et reconnaissance des spécificités des étrangers. La sœur d’Angèle Santoro a été victime de telles discriminations. Elle précise à plusieurs reprises que la maîtresse de sa sœur ne l’aimait pas, qu’elle lui faisait effectuer des corvées au lieu de la faire travailler, pour la punir, parce qu’elle la considérait comme incapable d’apprendre. Angèle Santoro donne l’exemple d’une fois où la maîtresse a fait nettoyer sa voiture à sa sœur. Aussi, sa sœur a tout simplement fini par abandonner l’école, à 14 ans, pour aller travailler. La principale cause de cette différence de traitement est l’âge et la langue parlée. Angèle Santoro est arrivée très jeune en France et a appris le français en même temps que tout enfant. Sa sœur, elle, était déjà âgée et parlait italien. Elle a eu beaucoup plus de difficulté à s’intégrer dans le milieu scolaire et a été beaucoup moins bien accueillie.