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L ES RAISONS DE LA MIGRATION ET LES RECITS DE VOYAGES

La plupart des entretiens révèlent des causes économiques à la migration, quand la France est demandeuse de main-d’œuvre, et spécialement dans ses régions industrielles, comme par exemple le département du Rhône. Mais la région a aussi accueilli nombre de réfugiés arméniens au début des années 1920.

1. Pourquoi partir?

Dans six cas (dont les cinq Italiens) sur huit, les personnes interrogées racontent que leur famille a été obligée à partir pour des raisons économiques. Comme le dit Bernardo A. «

on était vraiment pauvres » mes parents « habitaient à la campagne, il n'y avait pas de travail. Ils étaient métayers et donc ils n'avaient pas des propriétés mais ils travaillaient la terre d'un patron ». Mêmes motivations pour les familles de Pio Gaveglia (originaire même

village: Roccasecca) et Angela Marciano qui sont arrivés en 1948, et encore pour Angèle Santoro arrivée en 1951 à l'âge de 2 ans, qui raconte : « c’était la misère en Italie. La terre ne

produisait plus rien. On ne pouvait plus vivre. [...I l y avait rien là-bas. On avait une petite maison avec un jardin mais la terre ne produisait plus rien. Il n’y avait pas de ville, pas de travail, on ne pouvait rien faire. En France, il y avait du travail donc on pouvait espérer s’en sortir ». Pio Gaveglia confirme les mêmes impressions « à l’époque en Italie, c’était en 1947, il y avait un chômage très important et en France c’était la bonne période, il y avait besoin de main d’œuvre ». Une situation décrite aussi par Angela Marciano, qui raconte que ses parents

sont partis « parce qu'il n’y avait pas de boulot en Italie». Une autre italienne, Rosa Carbone, venue avec son mari, parle des problèmes économiques italiens « j’ai quitté l’Italie parce

qu’il y a eu la guerre, en 40... en 44. Et donc, on n’arrivait pas à se remonter ».

Habiba M., la seule migrante algérienne interrogée, parle, elle aussi, de la décision de son mari de partir en France pour chercher un travail, et de sa difficile décision de suivre, après le mariage, l'homme de sa vie: « C'était dur de me séparer de ma mère. Alors tous les

jours j’écris j’écris j’écris ,et elle aussi. Je pleurais tous les jours, je pleurais, je pleurais pendant presqu’un an, jusqu’au j’ai eu les enfants ».

Arthur Derderian nous raconte que dans le génocide arménien sont massacrés ses grand- parents, sauf sa grand-mère qui a donc décidé de migrer pour essayer de donner un avenir à ses fils. « Ils sont venus en Ardèche, ma mère avait 14 ans, mais les papiers étaient faux, ils

disaient 16 ans pour qu’elle puisse venir ». Ils sont partis pour des raisons politiques, pour

grand-mère « est venue sous contrat en Ardèche, elle vivait en Ardèche », son père a été aidé par sa sœur qui était déjà en France : « le choix de la France, c’est simple, mon père avait sa

sœur déjà en France, c’est elle qui l’a fait venir. Mais pour ma mère, je ne sais pas ».

C’est bien ce que Francesca Sirna explique clairement : « les raisons de départ étaient

liées à « ce » que les autres membres de la famille, ou de l'entourage proche, avaient « vécu ». Tout se tenait ensemble: le destin des uns dépendait de celui des autres »2. Le cas d’Ihor Ivantsiv, prêtre ukranien est particulier, puisqu’il qui raconte que ne sont pas été des raisons économiques ni politiques qui l'ont poussé à partir pour la France en 2000: « je n’ai pas voulu

rester au pays, c’est ça. C’est ça la locomotive qui m’a poussé à aller plus loin ».

2. Les modalités de départ

Après avoir étudié la théologie en Ukraine Ihor Ivantsiv a choisi d'être prêtre célibataire et de partir pour la France, « j’ai remis mon CV - on pourrait dire - à l’évêque […]. Il a étudié mon CV. Après il a été d’accord et il m’a ordonné comme diacre parce que

moi j’ai accepté d’être célibataire Alors en France, l’Eglise épiscopale accepte les prêtres non mariés. […] J’ai été ordonné le 12 juillet 2000 en Ukraine. Pas très loin de ma ville natale, comme je l’ai dit, c’est Lviv. J’y ai fait un petit stage. Je me suis adressé à l’ambassade française à Kiev – la capitale ukrainienne - pour demander le visa et entrer ici en France. Ils ont accepté et m’ont donné le titre de visiteur. C’est avec ce titre que je suis arrivé ».

Bien différents sont les itinéraires des migrants italiens arrivés au milieu de siècle, Bernardo A., en parlant de ses parents, raconte « [qu']il y avait un certain nombre de familles

qui sont venues en premier et puis les autres les ont suivies. Comme ils sont venus directement à Villeurbanne ils avaient des contacts sûrement ».

Bernardo A. raconte une modalité de départ très typique dans les familles des migrant-e-s, c'est-à-dire un membre de la famille, presque toujours le père chef de la famille, part seul à l'étranger pour chercher fortune et après la famille le suit: « en 1948, mon père il est revenu

tout seul ici, en France, il y est resté à peu près un an, il a travaillé dans une usine de teintures...puis en '49 nous [la famille] on est revenus aussi ».

Pio Gaveglia décrit la même histoire « Au départ, c’est mon père qui est venu en

France. […] Il s’était fait embaucher chez Valentine, les belles peintures. […] Il est venu, et après il y a eu regroupement familial », à peu près comme Angèle Santoro : «Mon père est arrivé en 1949, avant nous. C’était la misère en Italie. […] Il est allé chez ma tante. Il a trouvé du travail en France et on l’a rejoint un peu plus tard […] Ma tante était ici depuis quelques années donc mon père l’a rejoint ». Pio Gaveglia nous confie aussi « qu’une première fois, il est venu en clandestin. Bon, ça n’a pas marché, il est revenu au pays, et puis après il a eu le contrat de travail chez la fameuse usine de vernis Valentine. C’était vraiment une émigration à cause de la situation économique ».

Par contre Angela Marciano dit que ses parents sont arrivés en France en 1924, pour rejoindre ses grand-parents, pour chercher travail, puis qu’au moment de la Deuxième guerre mondiale, ils sont tous retournés en Italie, où elle est née, «pendant le bombardement [de

Monte Cassino] en 1944. Le 1er février 1944. Ça a duré 3 mois et je suis née pendant ces trois mois ». À la fin de la guerre, c’est le retour en France, après un séjour dans un camp de

réfugiés à Naples, « parce que mon père avait ses parents qui venaient de mourir. C’est pour

ça qu’on m’a donné le prénom d’Angela, c’était le prénom de ma grand-mère parce que

2 Francesca Sirna, L’enquête biographique. Réflexion sur la méthode dans Aggoun Atmane,

quand je suis née elle était morte depuis trois mois. Et puis vous savez, quand vous êtes déraciné d’un pays, vous avez envie de retrouver les gens, de la même origine que vous, c’est normal. [...] Mes parents ont trouvé une petite maison sur Villeurbanne, rue des Bienvenus »

et ils sont arrivés directement sans faire « d’autre déplacement. C’est Villeurbanne notre

clocher ».

Rosa Carbone et Habiba M. ont suivi leur mari et elles ont fondé une famille : « Cinq

enfants. J’ai trois filles deux garçons, ils sont tous nés ici, à Lyon » nous dit Habiba M., « mon mari il a, enfin il a un cousin lointain, à St Romain en Mont d’Or […] on a habité chez lui quelque temps ». En plus Rosa Carbone ajoute que son « mari avait tous ses frères et ses sœurs, ici, en France », et qu'il « est arrivé en 1956 ; un an avant » elle.

Quant à la famille d'Arthur Derderian, « Ils sont venus de Grèce et de Syrie en France,

avec un contrat de travail français ». En fait rester dans l'Empire Ottoman n'était pas une

bonne idée en ce période là parce que dans l'Empire Ottoman « tous les orphelins qu’ils

réunissaient, ils les transféraient dans des orphelinats en Grèce, des orphelinats américains. C’est les Américains qui ont fait ça, c’est eux qui ont donné des métiers aux Arméniens »,

comme son père était orphelin a subi le même traitement.

3. Les récits de voyage

La plupart des migrants interrogés ont voyagé en train, à l'époque le seul moyen économiquement accessible pour la majorité de la population et qui permettait des voyages longs, souvent dans des conditions difficiles ; à la frontière les immigrés devaient passer des visites médicales de trois jours pour entrer en France.

Bernardo A. raconte son voyage en train vers la France avec tous sa famille: « Depuis

Roccasecca jusqu'à Villeurbanne. On habitait à cent mètres de la gare ». Ses souvenirs

deviennent moins clairs quand il croit de se souvenir qu'il y avait une aide du consulat italien pour rejoindre des membres de la famille déjà en France. « Je me demande s'il y avait pas une

aide de l'État...Parce que mon père il avait un billet pour la famille...Il devait y avoir une aide... […] Oui alors ce devait être le Consulat d'Italie qui donnait des aides pour que la famille parte à l'étranger ». Le contrôleur avait contesté la validité du billet : « je me rappelle bien quand dans le train le contrôleur est venu vérifier les billets, il a commencé à faire des histoires. Parce que sur le billet collectif il y avait marqué quatre personnes ou cinq et un garçon en plus...Il avait fait des histoires même le contrôleur parce il disait: "Celui là il est pas compris..." C'était un Italien. Il disait qu'un billet ne marchait pas, je ne sais pas pour quelle raison ».

Il a été particulièrement choqué par le contrôle médical à la frontière : « quand les

Italiens arrivaient à la frontière française, à Bardonecchia, ils étaient immobilisés trois jours... Ils devaient passer des visites médicales et s'il y avait des malades ils les empêchaient de continuer le voyage et les renvoyaient en Italie. Maintenant il n'y a pas des visites comme ça ». Il l’interprète comme une discrimination raciste : « ils aimaient pas les Italiens, tout simplement... […] Je me souviens que il y avait un grand bâtiment où on restait trois jours. On n'était pas dans la rue ». Mais Bernardo nous raconte que le train n'était pas le seul moyen

pour traverser la frontière: « il y a beaucoup d'Italiens qui sont venus en France sans venir

avec le train, ils ont passé les montagnes à pied. Même sur la Côte d'Azur même à Bardonecchia... J'avais un oncle qui a fait ça. Il en avait beaucoup qui passaient à pied... ».

Pio Gaveglia, en racontant son voyage en train et l'itinéraire de sa famille pour rejoindre son père en France, ajoute des détails : « on voyageait avec le peu d’objets qu’on

avait. Il me semble que ma mère avait amené sa machine à coudre. Je me demande même s’il y avait… Enfin, à l’époque j’avais dix ans, il ne faut pas trop m’en demander, mais il me

semble bien qu’il y avait aussi un matelas et des choses comme ça. C’était vraiment le déménagement, mais pas de mobilier. […] A l’époque c’était très long. Ca durait deux jours, au moins un jour et demi parce que les trains ne roulaient pas à la vitesse d’aujourd’hui, c’était encore les trains à vapeur ». Pio Gaveglia est venu directement de Roccasecca à

Villeurbanne en train, comme Bernardo A. et Rosa Carbone qui racontent aussi presque la même histoire : « Ils nous ont fait la visite, prise de sang, comme on fait chez les militaires.

J’ai dormi dans les lits des militaires [à Milan ]. Après trois jours, on est partis pour Lyon. Quand je suis partie de mon pays, ils m’ont donné la responsabilité de vingt-et-une personnes qui venaient toutes en France comme moi, à Lyon. J’avais beaucoup de responsabilités, il y avait beaucoup d’enfants, de mères de famille …». Une autre migrante, Angèle Santoro,

raconte: « On est venus en train. Ma mère était malade tout au long du voyage. Elle ne

supportait pas les voyages. D’ailleurs, même après en France elle ne supportait pas de prendre le bus. Elle n’a jamais voyagé à cause de cela ».

Par contre l'histoire de la famille d'Arthur Derderian est plus compliquée : « quand

l’Arménie est devenue soviétique, ils ont négocié avec le gouvernement français la possibilité du retour au pays. […] Il y a eu un paquebot qui est parti en 1946, l’année de ma naissance, et un autre en 1947. […] Comme ma mère attendait mon frère, elle ne voulait pas accoucher sur le paquebot, elle a refusé de partir. Mais d’autres sont partis ». Mais pour la famille de sa

future épouse, l’attente a été longue : « Et tout de suite quand ils sont arrivés en Arménie, leur

objectif était de revenir en France. Parce que l’état de l’Arménie n’avait rien à voir avec ce qu’on leur avait dit. […] Ils se sont mariés là-bas, ils ont eu les deux gosses, ma femme et mon beau-frère, et pendant 17 ans ils se sont bagarrés pour revenir en France. C’est comme ça qu’ils sont revenus en 1965 ».