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3.5 Discussion

3.5.4 Limites

Partis pris d’ingénierie des connaissances

Des choix arbitraire ou subjectifs ont eu lieu à au moins deux étapes du proces-sus d’ingénierie des connaissances. Premièrement, le seuil d’occurrence au-desproces-sus duquel les concepts étaient considérés comme candidats à l’inclusion dans la par-tie structurée du questionnaire a été choisi comme compromis entre exhaustivité et faisabilité. Un seuil plus bas aurait généré plus de candidats à l’inclusion, dont certains peut-être importants, mais aurait aussi augmenté le travail d’ingénierie des connaissances.

Deuxièmement, l’analyse terminologique est sujette à des décisions subjectives, par exemple dans l’identification des synonymes ou la définition des classes concep-tuelles, même si elle est guidée par les outils de traitement automatique du langage

naturel. Un autre opérateur aurait fait des choix différents, mais la connaissance du domaine est un fil conducteur solide.

Le caractère arbitraire ou subjectif des choix réalisés durant l’analyse impose une validation clinique des résultats. Les décisions prises par les experts ont toujours été consensuelles. Des avis discordants auraient nécessité de recourir à un proces-sus d’arbitrage : arbitrage souverain, vote à la majorité, obtention d’un consenproces-sus (méthode de Delphi par exemple).

Incomplétude de la démarche

La démarche systématique présentée a permis la révision raisonnée du contenu d’un formulaire d’observation pour prendre en compte les besoins des utilisateurs et les progrès des connaissances médicales. À cette fin, nous avons avons étudié les statistiques d’utilisation du formulaire d’observation et réalisé une analyse termino-logique des guides pour la pratique clinique et des commentaires rédigés en texte libre à l’occasion des soins. D’autres sources des termes auraient pu être utiles pour améliorer le contenu du formulaire pour d’autres usages que les soins. Il aurait ainsi été possible de chercher des données utiles à la recherche clinique dans des articles scientifiques – ou leurs résumés dans Medline – rapportant des études sur des sujets qui intéressent le service (par exemple les hypertensions secondaires).

Concernant les référentiels, une exigence du manuel d’accréditation n’a pas été complètement prise en compte. Il s’agit de la référence 29, demandant que l’éva-luation initiale de l’état de santé du patient donne lieu à un projet thérapeutique personnalisé, ajusté tout au long de sa prise en charge. Il était spécifié notamment que l’évaluation initiale devait comprendre la description de l’état fonctionnel et des éventuelles dépendances du patient dans les gestes de la vie quotidienne. Cette éva-luation demeure absente de l’observation médicale du service d’hypertension alors qu’elle est importante dans la perspective de décisions individualisées.

D’autres dimensions que les soins et les exigences réglementaires auraient pu être intégrées. Par exemple, il aurait pu être intéressant d’avoir un champ sur la réalisation de certains examens spécialisés, comme le cathétérisme veineux des sur-rénales, de manière à en quantifier la réalisation ou pouvoir simplement retrouver les patients en ayant bénéficié en vue de recherches cliniques. Il aurait également été envisageable d’intégrer plus explicitement des indicateur de qualité de la prise en charge pour l’évaluation (et l’amélioration) des pratiques. Des items utiles à la formation des étudiants ou jeunes médecins auraient aussi pu être trouvés dans la

littérature pédagogique médicale.

Par ailleurs, seuls des médecins avec une grande expérience du formulaire ont été mis à contribution. Il n’est pas évident que la façon dont ils se représentent la prise en charge des malades dans leur domaine d’expertise soit la plus adaptée pour des utilisateurs moins expérimentés (Sharda et al., 2006). Des utilisateurs naïfs, étu-diants en médecine ou internes, auraient pu aider à identifier des items vagues ou ambigus et à clarifier leur énoncé. Une révision en profondeur de la présentation et de l’ergonomie du formulaire nécessiterait une analyse qualitative de l’expérience de tout le spectre des utilisateurs. Cette limite illustre l’intérêt de prendre en compte encore plus de dimensions que celles que nous avons considérées ici lors de l’ac-tualisation d’un formulaire d’observation clinique.

Reproductibilité de la démarche

Les recommandations ne couvrent qu’une petite partie des problèmes cliniques rencontrés dans certains domaines, comme la médecine générale ou la médecine in-terne. De ce fait, elles ne rendent compte que d’une fraction des connaissances utiles dans ces domaines. De plus, les commentaires en texte libre dans ces domaines ont peu de chance de montrer des régularités identifiables par analyse terminologique, en raison de la variété des problèmes pris en charge. Pour les mêmes raisons, un for-mulaire d’observation clinique sera structuré de façon grossière et les actualisation concerneront plus probablement la forme que le fond. Cependant, notre démarche devrait pouvoir être reproduite dans les domaines suffisamment spécialisés pour que les problèmes rencontrés soient stéréotypés et couverts par des recommandations.

3.6 Conclusion

L’approche décrite a conduit à réviser le contenu et l’organisation d’une obser-vation médicale informatisée, en s’appuyant sur l’analyse de son utilisation passée (reflétant les besoins concrets des cliniciens) et sur celle des guides pour la pra-tique clinique récents (reflétant l’évolution des connaissances médicales). Les ré-sultats des analyses statistiques et terminologiques ont fourni du matériel empirique pris comme point de départ et comme fil conducteur du processus d’ingénierie des connaissances. La collaboration avec les utilisateurs garantit la pertinence et certai-nement l’acceptabilité des modifications proposées.

à conditions qu’ils soient suffisamment spécialisés pour être couvert par des recom-mandations et pour que les commentaires en texte libre des observations montrent des régularités. Au titre de preuve de concept, nous avons conduit un démarche si-milaire pour structurer de novo une observation médicale dans le cadre d’une centre de référence en maladies rares (décrite dans les perspectives, Chapitre 6).

Chapitre 4

Réutilisation des données cliniques

pour l’évaluation des pratiques

L’évaluation des pratiques est devenue en France une obligation pour les pra-ticiens et un volet de l’accréditation des établissements de santé depuis la loi du 13/08/2005. À l’échelon des praticiens individuels, l’argument est de stimuler un re-tour sur les pratiques et les résultats, afin d’identifier des problèmes ou des domaines susceptibles d’être améliorés. D’une certaine manière, il s’agit d’imposer une pra-tique réflexive dont on sait qu’elle est à la source de l’amélioration des compétences. Il s’agit donc de réglementer une discipline que chaque praticien consciencieux de-vrait s’imposer à lui-même pour répondre à l’obligation de moyens qui est la sienne. À l’échelon des établissements de santé, il s’agit de favoriser une culture et un effort collectif de rationalisation des pratiques, pour produire des soins de meilleur qualité ou des soins aussi bons à moindre coût. Autrement dit, il s’agit d’identifier les prises en charge insuffisantes, excessives ou inappropriées en vue de les réduire1. Il s’agit également de répondre à l’augmentation incontrôlée des dépenses de santé, difficile à supporter par un système de financement solidaire.

Les États-Unis ont poussé la logique à l’étape suivante, en définissant des indi-cateurs de soins appropriés et de soins inappropriés évalués de façon généralisée et répétée, dont les résultats sont publiés et peuvent servir de support à des pénalités ou incitations financières (Baker et al., 2013). La surveillance continue d’indica-teurs de bonnes pratiques y fait partie des fonctionnalités obligatoires du dossier

1. Une prise en charge est insuffisante lorsqu’une intervention dont le bénéfice est établi n’est pas réalisée (underuse), excessive lorsqu’une intervention sans bénéfice établi est réalisée (overuse) et inappropriée lorsqu’une intervention dont le bénéfice est établi est réalisée dans une situation où les risques contrebalancent le bénéfice (misuse).

patient informatisé pour qu’il en soit considéré être fait bon usage (Blumenthal et Tavenner, 2010).

Pour l’heure, l’évaluation classique des pratiques consiste donc à vérifier que les pratiques sont conformes à des règles de prise en charge dont la validité est bien éta-blie. Mais il est possible d’imaginer un autre versant à l’évaluation des pratiques, qui consisterait à vérifier la qualité de l’individualisation des prises en charge. Dans ce chapitre, nous commencerons d’abord par clarifier ce qui définit la qualité des soins visée par l’évaluation des pratiques. Nous situerons ensuite les grandes modalités d’évaluation des pratiques avant d’illustrer un certain nombre de problèmes relatifs à l’évaluation des pratiques par confrontation à un référentiel. Nous tenterons enfin de montrer que l’observation informatisée est susceptible de contribuer à un autre mode d’évaluation des pratiques, celle de la qualité de leur individualisation plutôt que de leur conformité à des normes rigides.

4.1 Qualité des soins

Des soins de qualité se définissent par les résultats qu’ils visent et les moyens qu’ils mettent en œuvre pour les atteindre.