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Limites du principe d’additivité des interactions de van der Waals

V LA THEORIE D.L.P DES INTERACTIONS DE VAN DER WAALS

V.1 Limites du principe d’additivité des interactions de van der Waals

Les trois différents types d’interactions de van der Waals ont été définis au paragraphe (I.3.2). Il s’agit des interactions entre deux molécules polaires (interactions de Keesom [8]), entre une molécule polaire et une molécule apolaire (interactions de Debye [9]), et entre deux molécules apolaires (interactions de London [10,11]). Ces trois types d’interactions sont attractifs et ont le même comportement en 1/r6, où r est la distance intermoléculaire. L’énergie libre d’interaction de van der Waals entre deux molécules (i) et (j) distantes de r peut donc s’écrire :

u ( r )= − cij

r6 Eq. (V.1)

où la constante cij, définie par l’équation (I.18) regroupe les interactions de Keesom (kij), de

Debye (dij) et de London (λij) :

cij=kij+dij+ λij Eq. (V.2)

En 1937, pour comprendre l’origine de l’attraction entre particules colloïdales, responsable de la floculation des systèmes colloïdaux, Hamaker étudie le cas de deux particules macroscopiques sphériques interagissant à travers le vide [4]. Il s’intéresse en fait à deux particules (respectivement 1 et 2) composées de molécules apolaires (respectivement (1) et (2)). L’interaction de van der Waals entre une molécule (1) et une molécule (2) se limite donc à une interaction de London. La constante de l’équation (V.1) se réduit ainsi à λ12.

Pour mener à bien ce calcul, Hamaker utilise explicitement le principe d’additivité des interactions de London. Ce principe affirme que la présence de molécules voisines n’a aucune influence sur l’interaction de London entre deux molécules. Or, la polarisabilité d’une molécule (définie au paragraphe (I.3.2.b)) dépend de son environnement [7]. En outre, le champ électrique créé par une première molécule atteint une seconde molécule non seulement par propagation directe mais aussi par l’intermédiaire de « réflexions » sur les autres molécules, qui sont elles aussi polarisées par le champ émanant de la première molécule [7]. Le principe d’additivité des interactions de van der Waals-London est donc fondamentalement faux, même s’il s’avère être une bonne approximation dans les milieux de faible densité. Conscient de ce problème, Hamaker précise bien que ses résultats ne sont valables qu’en première approximation [4].

Utilisant néanmoins ce principe d’additivité, Hamaker obtient, en intégrant l’ensemble des interactions entre molécules des deux particules macroscopiques, l’expression suivante pour l’énergie libre E d’interaction entre deux particules sphériques dans le vide :

où H est une fonction des paramètres géométriques du système (diamètres des particules et distance entre les deux particules) exclusivement et où W est une constante introduite par Hamaker [4] et qui porte aujourd’hui le nom de constante de Hamaker. Cette constante s’exprime simplement en fonction des densités moléculaires ρ1 de la particule 1 et ρ2 de la

particule 2, et de la constante d’interaction de London λ12 entre une molécule (1) et une

molécule (2) [4] :

W= π2ρ1ρ2λ12 Eq. (V.4)

Dans le même article [4], Hamaker utilise la même méthode pour exprimer l’énergie libre d’interaction par unité de surface V(l) entre deux milieux semi-infinis 1 et 2 séparés par une épaisseur l de vide. Ce potentiel effectif d’interaction entre deux interfaces est donné par l’équation (I.20) :

V(l) = − W

12πl2 Eq. (V.5)

où la constante de Hamaker W est toujours définie par l’équation (V.4) ci-dessus.

En termes de pression de disjonction, définie par l’équation (I.19), cela correspond à :

Π

(l)= − W

6πl3 Eq. (V.6)

Dans le cadre du principe d’additivité des interactions de van der Waals, Hamaker montre que l’équation (V.5) peut être étendue au cas de deux milieux 1 et 2 séparés par un milieu 3 autre que le vide [4]. Il suffit pour cela de remplacer l’équation (V.4) par sa forme plus générale :

W= π2(ρ1ρ2λ12+ ρ3 2λ

33 − ρ1ρ3λ13− ρ2ρ3λ23) Eq. (V.7)

où ρ3 est la densité moléculaire du milieu 3 [4].

Puisque les interactions de Keesom et de Debye (cf. paragraphe (I.3.2)) sont dues à des corrélations d’orientation entre dipôles, elles ne sont jamais additives, même dans un milieu de faible densité. Si l’on tient tout de même à étendre les calculs de Hamaker pour les interactions de London à l’ensemble des interactions de van der Waals, on peut utiliser ce principe d’additivité comme approximation et remplacer, dans les formules précédentes, les

λij par des cij. L’analogue de l’équation (V.7) devient alors l’équation (I.21) présentée au

premier chapitre, qui n’est qu’une approximation. Plus la part des interactions de Keesom et de Debye par rapport à l’ensemble des interactions de van der Waals du système considéré est élevée, moins cette approximation est justifiée [4].

Outre les problèmes déjà évoqués d’utilisation d’un principe non fondé d’additivité des interactions, l’approche de Hamaker néglige une propriété importante des interactions de London :l’effet de retard (cf. paragraphe (I.3.2.c)) [7]. En effet, l’interaction de London est une interaction entre deux dipôles induits transitoires qui fluctuent avec une période du même ordre de grandeur que le temps de propagation du champ électrique dès que la distance entre les deux dipôles induits excède une centaine d’Ångströms. Casimir et Polder ont étudié, dans

le cadre de l’électrodynamique quantique, l’influence de cet effet de retard sur la forme du potentiel d’interaction de London [12]. Ils trouvent que, si la dépendance en r (distance intermoléculaire) du potentiel d’interaction de London est bien en 1/r6 (cf. Eq. (I.16)) dans la limite des faibles distances (typiquement r < 100 Å), elle est par contre en 1/r7 dans la limite des grandes distances (typiquement r > 1000 Å), et passe progressivement d’un comportement à l’autre lorsque la distance intermoléculaire augmente [12]. Dans le cadre de l’utilisation du principe d’additivité, cela se traduit par le passage d’un potentiel interfacial en 1/l2 à un potentiel en 1/l3.

Bien qu’elle permette d’obtenir les bons ordres de grandeur pour l’énergie libre d’interaction entre interfaces, l’approche de Hamaker ne peut en aucun cas être considérée comme une théorie exacte [7]. Ce n’est qu’en 1955 que Lifshitz propose une théorie complète des interactions de van der Waals entre corps macroscopiques, dans le vide [5]. Cette théorie est fondée sur l’étude des fluctuations du champ électromagnétique dans le cadre de la théorie des champs, et ne repose que sur une seule approximation : les interfaces y sont supposées infiniment minces. La théorie de Lifshitz s’affranchit du problème de la non-additivité des interactions de van der Waals car elle ignore la structure moléculaire de la matière et traite les corps macroscopiques comme des milieux continus, décrits par leurs propriétés volumiques, notamment leur constante diélectrique [5]. Puisque cette théorie repose sur les équations exactes du champ électromagnétique, elle tient compte automatiquement des effets de retard des interactions de London [5,6].

En 1961, Dzyaloshinskii, Lifshitz, et Pitaevskii étendent la théorie de Lifshitz au cas général de deux milieux semi-infinis séparés par un troisième milieu matériel, à l’aide de la théorie quantique des champs [6]. C’est cette « théorie générale des forces de van der Waals » (titre de la référence [6]) que nous allons étudier au paragraphe suivant.