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Chapitre 4 : Discussion

IV. Limites de l’étude

Cette étude comporte certaines limites et il est important d’interpréter les résultats à la lumière de celles-ci. D’abord, étant donné la nature normative de l’échantillon et sa petite taille (N = 91), la généralisation des résultats et la possibilité de détecter des effets de petite taille (Cohen, 1992) sont limitées. L’échantillon n’est pas représentatif de la population générale. Par exemple, 59% des pères ont effectué des études universitaires, alors qu’au Québec, 28% des hommes détiennent ce même type de diplôme (Institut de la Statistique du Québec, 2017). De plus, le revenu annuel moyen des pères de l’échantillon est de 58 940$, tandis que le revenu moyen des hommes québécois est de 42 282$ (Gouvernement du Québec, 2016).

Ensuite, l’outil utilisé pour mesurer la dépression chez les pères pourrait manquer de sensibilité et ne pas avoir permis de bien dépister les symptômes dépressifs des pères. Certains travaux suggèrent que les instruments de mesure tels que le BDI se basant sur les critères diagnostiques de la dépression proposés par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders-5 (DSM-5; American Psychiatric Association, 2013) ne mesureraient pas avec précision le vécu dépressif des hommes. Les hommes expérimenteraient certains symptômes atypiques de la dépression non dépistés à l’aide des outils traditionnels (p.ex., colère, abus de substance, agressivité, impulsivité; Chuick et al., 2009 ; Oliffe & Phillips, 2008). Ainsi, il est possible que l’outil de mesure choisi dans cette étude ne permette pas de dépister le vécu dépressif de certains pères, ce qui pourrait expliquer la faible proportion d’entre eux qui présentent des symptômes dépressifs cliniquement significatifs. Une mesure plus raffinée et sensible à la détresse des hommes telle qu’elle peut se manifester chez eux aurait peut-être permis de détecter des associations plus fortes.

Par ailleurs, certains items inclus dans le BDI peuvent avoir entraîné un gonflement des estimés de la dépression maternelle. En effet, certains symptômes somatiques de la dépression qui sont évalués à l’aide du BDI, tels que la fatigue et les changements au niveau du sommeil et de l’appétit, sont également observés chez les mères dans les mois suivants un accouchement, sans que cela ne traduise nécessairement un vécu dépressif. Il serait alors

pertinent dans les études futures d’utiliser un autre outil comme l’Edinburg Postnatal Depression Scale (Cox et al., 1987) qui prend moins en compte les manifestations somatiques typiques de la période post-partum.

Ensuite, il est important de mentionner que l’outil de mesure utilisé pour évaluer la sensibilité des pères dans cette étude a été conçu pour évaluer la sensibilité maternelle. En effet, le Tri-de-Cartes a été développé suite à l’observation d’interactions mère-enfant en contexte naturel (Ainsworth et al., 1978; Pederson & Moran, 1995). Cet exercice n’a toutefois pas été effectué au sein de dyades père-enfant. Ainsi, certains comportements paternels peuvent ne pas se refléter adéquatement dans cette mesure de sensibilité parentale et ainsi limiter la représentativité des interactions père-enfant. Il serait alors important de mener des observations des interactions père-enfant en contexte naturel, afin de s’assurer de prendre en considération les spécificités liées aux comportements paternels de sensibilité. Cet exercice permettrait d’identifier les comportements qui caractérisent la sensibilité paternelle et de les prendre en compte lors d’études futures pour mieux comprendre leurs relations avec le développement social et affectif de l’enfant.

D’autre part, le devis corrélationnel utilisé dans la présente étude ne permet pas de faire des inférences causales et de statuer sur la direction des associations observées. Toutes les variables ont été mesurées au même moment dans le temps. Il est alors possible que les relations observées soient dans la direction opposée : le fait d’avoir un enfant qui présente des problèmes intériorisés et extériorisés pourrait amener le parent à éprouver des symptômes dépressifs et à présenter moins de comportements sensibles. Il est d’ailleurs démontré dans la littérature que les facteurs propres à l’enfant ont une influence sur les comportements et le bien-être des parents (Choe et al., 2013; Lewis et al., 2014; Zvara et al., 2018). Une étude récente de Zvara et ses collègues (2018) a notamment démontré un lien bidirectionnel entre la sensibilité des deux parents et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant. Seul un devis longitudinal et expérimental avec mesures répétées permettrait de clarifier la direction des relations observées. Un devis longitudinal à mesures répétées permettrait également de tester ces associations à des âges différents pour tenir compte des changements développementaux typiques de la petite enfance, mais également des changements au niveau

des comportements parentaux à travers le temps. La sensibilité des parents peut fluctuer lors des premières années de vie de l’enfant (Ainsworth et al., 1978), notamment entre 12 et 18 mois, mais également entre 6 et 12 mois. Ces périodes développementales sont notamment caractérisées par des changements dans la sphère du développement locomoteur, où l’enfant acquiert davantage d’autonomie (Bukatko & Daehler, 2012). Ces changements développementaux et comportementaux n’ont pas été pris en compte dans la présente étude et mériteraient une attention particulière.

Ensuite, la présente étude n’a pas pris en compte les facteurs génétiques. Pourtant, ceux-ci joueraient un rôle au même titre que les facteurs environnementaux dans la transmission intergénérationnelle de la maladie mentale (Belsky et al., 2007; Caspi & Moffitt, 2006). En effet, comme démontré dans de nombreuses études de jumeaux, la transmission de la maladie mentale peut être le résultat d’influences environnementales, mais aussi génétiques. Certaines de ces études soulignent même leur contribution simultanée dans l’occurrence de la maladie mentale (Kendler et al., 2000, 2001; Lohoff, 2010; Sullivan et al., 2000). Ainsi, il apparaît pertinent de poursuivre les recherches ayant pour objectif d’examiner les mécanismes permettant d’expliquer la relation entre la dépression paternelle et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant, et ce, en prenant en compte à fois les facteurs environnementaux, tels que les comportements parentaux, mais aussi les facteurs génétiques.

De plus, l’outil utilisé pour mesurer les problèmes socioaffectifs ne permet pas de distinguer les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant. Le fait de combiner les deux types de problèmes pourrait limiter la détection de relations qui n’existeraient qu’avec un ou l’autre de ces catégories de problèmes. Il serait alors important, dans le cadre d’études futures, d’examiner de manière distincte les problèmes intériorisés et extériorisés et leur relation spécifique avec la sensibilité de chacun des parents. En ce sens, il est important de souligner que, bien que cette étude se soit intéressée à des symptômes intériorisés chez les parents, soit les symptômes dépressifs, les problèmes socioaffectifs de l’enfant ont quant à eux été mesurés globalement, sans que la dépression infantile n’ait été mesurée distinctement. Des associations plus fortes auraient pu être observées si le même type de symptomatologie avait

été prise en compte chez le parent et chez l’enfant. Il pourrait alors être pertinent, dans des études futures, d’explorer les associations entre la dépression parentale et infantile afin de mieux comprendre comment se transmet cette maladie du parent à l’enfant. Il serait, par ailleurs, intéressant de répliquer cette étude en considérant d’autres problèmes de santé mentale que la dépression. Effectivement, différents troubles ou difficultés sont documentés comme étant comorbides à la dépression. Chez les hommes plus spécifiquement, des difficultés externalisées sont plus souvent observées (p.ex. troubles liés à de l’abus de substances et troubles addictifs, comportements sexualisés, problèmes de colère; Brooks, 2001; Chuick et al., 2009), mais les problèmes de type externalisés n’ont pas été pris en compte dans cette étude.

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