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Chapitre 4 : Discussion

III. Contribution des variables maternelles

Cette étude a permis de démontrer que la dépression paternelle contribue à la prédiction des problèmes socioaffectifs de l’enfant, et ce, au-delà de la dépression maternelle. Cette dernière s’est avérée être aussi un prédicteur significatif des problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant à l’âge d’un an. Ainsi, à la petite enfance, les symptômes dépressifs du père et de la mère permettent de prédire la présence de problèmes intériorisés et extériorisés chez l’enfant. L’état affectif des deux parents joue donc un rôle important dans le développement socioaffectif du tout-petit. L’association entre la dépression maternelle et les problèmes socioaffectifs de l’enfant est bien documentée (pour une méta-analyse, voir Goodman et al., 2011). Certains auteurs dans le domaine dénoncent toutefois le peu d’études incluant les deux parents et soulignent l’importance de les considérer ensemble afin d’avoir un meilleur portrait de la transmission intergénérationnelle de la maladie mentale. Par ailleurs, la majorité des études ont été effectuées auprès d’enfants plus âgés, soit d’âge scolaire. La présente étude est la première à examiner la contribution de la dépression paternelle et maternelle à un âge aussi précoce. Elle souligne la pertinence de considérer la santé mentale

des deux parents lorsque l’on s’intéresse aux facteurs associés aux problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant, et ce, dès la petite enfance.

Au niveau de la sensibilité, on observe toutefois que les comportements de sensibilité de la mère ne permettraient pas de prédire les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant. La sensibilité du père serait un prédicteur unique des problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant à un an, et ce, au-delà de la sensibilité maternelle. Comme la sensibilité maternelle est démontrée comme étant associée aux problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant dans la littérature (Campbell et al., 2007; Mintz et al., 2011; NICHD, 2003; 2004; Scott et al., 2018; Zvara et al., 2018), ce résultat est inattendu. Certaines différences méthodologiques entre la présente étude et les études antérieures peuvent toutefois expliquer que les résultats divergent. D’abord, la majorité des études qui documentent une relation entre la sensibilité maternelle et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant ont été réalisées sur des échantillons beaucoup plus grands (N > 500) et rapportent des associations petites (r < -.19) et difficilement détectables dans un plus petit échantillon comme celui de la présente étude. Par ailleurs, les mères de l’échantillon de la présente étude sont particulièrement sensibles envers leur enfant (M = .65; ET = .24), et le sont aussi davantage que les pères (père : M = .49;

ET = .35). Puisque l’échantillon est issu de la communauté, les participants présentent

globalement moins de difficultés. Les enfants présentent peu de problèmes intériorisés et extériorisés et peu de parents atteignent le seuil clinique de symptômes dépressifs. Ainsi, le faible niveau de problèmes socioaffectifs des enfants, combiné au niveau élevé de sensibilité des mères, peut avoir limité la détection d’une association significative entre ces deux variables. Ensuite, la présente étude a combiné la perception du père et de la mère afin d’obtenir une mesure des problèmes socioaffectifs de l’enfant qui est moins teintée de biais subjectifs, alors que la plupart des études antérieures n’ont considéré que la perception maternelle. Le fait de mesurer la sensibilité maternelle et les problèmes socioaffectifs de l’enfant auprès de la mère peut entraîner un gonflement artificiel de la relation entre ces deux variables. D’autre part, les études qui détectent une association entre la sensibilité maternelle et les problèmes socioaffectifs de l’enfant ne rapportent qu’une association avec les problèmes extériorisés, mais pas avec les problèmes intériorisés. Le BITSEA n’a toutefois pas été conçu pour distinguer les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant (ces

derniers sont combinés). Ainsi, les relations distinctes et spécifiques entre la sensibilité de la mère et ces deux types de symptômes n’ont pas pu être examinées.

Ensuite, comme observée chez les pères, la relation entre la dépression maternelle et la sensibilité maternelle n’est pas significative. Ainsi, il semblerait que lors de la petite enfance, les symptômes dépressifs des parents ne soient pas associés à la sensibilité parentale. Ces résultats ne concordent pas avec ceux des études effectuées sur la sensibilité maternelle. En effet, ces études rapportent généralement une association significative entre la dépression maternelle et les comportements de sensibilité des mères, et ce, dès la petite enfance (Campbell et al., 2007; Mills-Koonce et al., 2008; NICHD, 1999). Ces études ont toutefois été réalisées sur des échantillons plus grands et plus diversifiés sur le plan socioéconomique. Le NICHD (1999) a notamment mis en lumière l’effet modérateur du revenu dans la relation entre les symptômes dépressifs et les comportements de sensibilité des mères. Dans leur étude, les mères dépressives à faible revenu étaient moins sensibles que les mères dépressives à plus haut revenu. Un faible revenu pourrait ainsi représenter un facteur de risque pour les mères qui les rendrait plus vulnérables aux effets de la dépression : effets qui se refléteraient alors davantage dans les comportements qu’elles adoptent en présence de leurs enfants. Cela étant dit, l’échantillon de la présente étude compte des mères relativement aisées financièrement (M = 46 619$, ES = 20 934$) et qui sont en couple (familles biparentales intactes) avec des hommes aussi relativement aisés (M = 58 940$, ES = 21 822$). La situation économique de celles-ci peut ainsi avoir agi à titre de facteur protecteur, ce qui pourrait expliquer l’absence de relation significative entre la dépression et la sensibilité maternelle. Des études comportant plus de parents défavorisés seraient nécessaires afin de clarifier la relation entre la dépression et la sensibilité parentale à la petite enfance. Il serait également intéressant de répliquer cette étude en prenant en compte différents modérateurs tels que le revenu des parents.

Par ailleurs, les parents de l’échantillon sont en moyenne très sensibles (père : M = .49; mère : M = .65). Ces parents sont donc plus sensibles que ne le seraient des parents provenant d’un échantillon plus défavorisé ou clinique. Les travaux de Campbell et ses collègues (2007) ont justement démontré que les mères plus cliniquement dépressives présentaient moins de

comportements sensibles envers leur enfant que les mères qui rapportaient une symptomatologie dépressive plus légère. Les mères qui rapportaient davantage de stresseurs psychosociaux (faible revenu, monoparentalité, faible soutien de la part du partenaire) présentaient également moins de comportements sensibles envers leur enfant. L’échantillon de la présente étude comptait peu de parents franchissant le seuil clinique de dépression (7 pères et 10 mères). Ils étaient également en couple ou mariés et avec un revenu moyen et un niveau de sensibilité élevés. Le taux de dépression est beaucoup plus faible dans les échantillons normatifs comptant des parents ayant un statut socioéconomique plus élevé (Institut canadien d’information sur la santé, 2009).

Par ailleurs, la littérature fait état de l’influence similaire de la dépression sur les comportements du père et de la mère (Wilson & Durbin, 2010). Dans ce cas-ci, il est possible que certains facteurs adaptatifs soient présents chez les parents de cet échantillon. En effet, en plus des quelques facteurs protecteurs discutés plus haut, il est possible de croire que les parents de cet échantillon ont des capacités d’adaptation suffisamment disponibles pour diminuer l’influence de leurs symptômes dépressifs sur leurs comportements en interaction avec l’enfant. Les facteurs matrimoniaux ont notamment été identifiés dans la littérature comme atténuant l’influence négative des symptômes dépressifs parentaux. Par exemple, le soutien et la satisfaction conjugale permettraient au parent dépressif de s’adapter plus facilement dans son rôle de parent (Favez et al., 2014). Le sentiment de compétence parentale peut également jouer un rôle important dans l’adaptation à la parentalité en contexte de dépression (Knoche et al., 2007; Ponomartchouk & Bouchard, 2015).

De ce fait, les différences au niveau de la nature de l’échantillon, ainsi que différents aspects systémiques et individuels de l’adaptation des parents peuvent possiblement expliquer que la dépression parentale n’était pas associée à la sensibilité des parents. Des études considérant ces différents facteurs d’adaptation seraient toutefois nécessaires pour le confirmer.

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