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Chapitre 4 : Discussion

II. Contribution de la sensibilité paternelle

La présente étude avait aussi pour objectif d’examiner la contribution de la sensibilité paternelle dans la prédiction des problèmes intériorisés et extériorisés chez l’enfant. Les résultats ont permis de démontrer une association négative entre les comportements de sensibilité du père et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant à l’âge d’un an. Cette association a également été documentée dans certaines études antérieures, mais plus tard dans le développement de l’enfant, soit entre l’âge de 5 et 15 ans (NICHD, 2004; Scott et al., 2018; Zvara et al., 2018). Les résultats de la présente étude combinés avec ceux des études antérieures suggèrent donc que les enfants de pères moins sensibles présenteraient plus de problèmes socioaffectifs au cours de leur développement.

En cohérence avec la littérature (Ainsworth et al., 1978; Gilissen et al., 2007; Hazen et al., 2014; NICHD, 2004; Scott et al., 2018; Zvara et al., 2018), les résultats de la présente étude mettent en lumière l’importance des comportements de sensibilité du père dans le développement socioaffectif de l’enfant. Plusieurs auteurs ont mis de l’avant, au fil du temps, que les comportements de sensibilité des parents étaient essentiels au développement optimal de l’enfant (Ainsworth et al., 1978; Kok et al., 2015; Landry et al., 2001; Malmberg et al., 2016; Matestic, 2009; Tarabulsy et al., 2005, 2011; Towe-Goodman et al., 2014). La sensibilité parentale pourrait notamment prévenir l’apparition de problèmes intériorisés et extériorisés en favorisant le développement d’une relation d’attachement sécure entre le parent et l’enfant (Ainsworth et al., 1978; De Wolff & van Ijzendoorn, 1997). Une réponse prévisible, cohérente et chaleureuse aux besoins de l’enfant favoriserait le développement d’un sentiment de sécurité affective chez ce dernier (Ainsworth et al., 1978; Belsky & Nezworski, 1988; Bowlby, 1969; Cox & Harter, 2003; De Wolff & van Ijzendoorn, 1997; Gilissen et al., 2007; Pederson & Moran, 1995; Sroufe, 1996). À son tour, ce sentiment favoriserait le développement social et affectif de l’enfant (Bretherton, 2010; Grossmann et al., 2005; Main et al., 2005; Sroufe, 2005). Ainsi, un père qui interagit de manière sensible avec son enfant favoriserait le développement d’un sentiment de sécurité affective chez lui, ce qui pourrait en retour prévenir le développement de problèmes socioaffectifs, et ce, dès la petite enfance.

Les résultats de la présente étude soutiennent le rôle important de la sensibilité paternelle dans le développement social et affectif de l’enfant. Elle est l’une des rares études s’étant intéressée à ce comportement chez les pères, la sensibilité étant plutôt typiquement étudiée chez les mères. La pertinence d’examiner la sensibilité paternelle est également mise en lumière dans l’absence de relation entre la sensibilité du père et de la mère. Cette différence dans la qualité des interactions parent-enfant met de l’avant l’apport unique du père dans le développement de l’enfant, ainsi que le rôle que ce dernier peut jouer dans le phénomène de la sensibilité. Par ailleurs, cette étude est la première étude à avoir examiné la sensibilité paternelle en relation avec les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant à un âge aussi précoce. Les résultats observés sont donc novateurs en mettant en lumière l’importance de s’intéresser à la sensibilité paternelle tôt dans la vie de l’enfant pour mieux

comprendre les facteurs susceptibles d’intervenir de façon précoce dans le développement des problèmes intériorisés et extériorisés.

Bien que les résultats supportent le rôle de la sensibilité paternelle dans le développement des problèmes socioaffectifs chez l’enfant, ils n’ont pas permis de soutenir le rôle médiateur des comportements de sensibilité dans la relation entre ces problèmes et la dépression paternelle. Certaines données méta-analytiques dans le domaine suggèrent pourtant que l’association observée entre la dépression paternelle et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant passerait par les comportements parentaux (Kane & Garber, 2004; Sweeney & MacBeth, 2016). Les symptômes dépressifs du père auraient ainsi un effet délétère sur les comportements des pères en interaction avec leur enfant, ce qui aurait en retour un impact négatif sur le développement socioaffectif de l’enfant. Les résultats de la présente étude suggèrent toutefois que la sensibilité contribue de façon unique à la prédiction des problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant au même titre que la dépression paternelle. Aucune association n’a été observée entre la dépression et la sensibilité chez les pères. Ces résultats suggèrent que les pères qui vivent plus de symptômes dépressifs ne sont pas moins sensibles envers leur enfant que les pères qui sont moins déprimés. Cela est cohérent avec les résultats de l’étude d’Eiden et ses collaborateurs (2007); la seule autre étude recensée s’étant intéressée à cette relation. L’absence de relation peut être attribuable à la nature des échantillons. L’échantillon de la présente étude, de même que celui de l’étude d’Eiden et ses collègues (2007), comprenait très peu de pères rapportant des symptômes dépressifs cliniquement significatifs. Ce faible taux de symptômes dépressifs dans l’échantillon peut avoir eu comme effet de diminuer la capacité de détecter une relation entre ces symptômes et la sensibilité paternelle. Plusieurs études qui rapportent des liens significatifs entre la dépression et certains comportements parentaux ont été réalisées auprès de participants présentant des niveaux plus sévères de dépression (Ackerson, 2003; Jacob & Johnson, 1997; Jameson et al., 1997; Schudlich & Cummings, 2007). Avant de conclure en l’absence de relation entre la dépression paternelle et la sensibilité, il est donc nécessaire de répliquer la présente étude auprès d’un échantillon clinique représentant une plus grande variance au niveau des symptômes dépressifs chez les pères.

Par ailleurs, certaines études qui rapportent une association entre la dépression paternelle et les comportements des pères ont utilisé des questionnaires autorapportés pour mesurer les comportements parentaux au lieu d’utiliser des mesures observationnelles comme la présente étude. L’utilisation de questionnaires pour mesurer à la fois les comportements parentaux et la dépression peut entraîner un gonflement des relations observées entre ces variables (Cummings et al., 2005; Hjelmstedt & Collins, 2008 ; Kashdan et al., 2004). En effet, les pères qui sont déprimés sont plus susceptibles de percevoir leurs comportements parentaux négativement et de se sentir incompétents dans leur rôle de parent (Sockol & Allred, 2018).

D’autre part, des auteurs suggèrent que les symptômes dépressifs seraient davantage associés à des comportements parentaux négatifs (p.ex., hostilité, discipline punitive) qu’avec « un manque » de comportements positifs tels que la sensibilité (Giallo et al., 2014 ; Kane et Garber, 2004 ; Lovejoy et al., 2000). Ainsi, les comportements parentaux négatifs pourraient être de meilleurs candidats pour médiatiser la relation entre la dépression et les problèmes socioaffectifs de l’enfant que les comportements positifs tels que la sensibilité. Giallo et ses collègues (2014) ont d’ailleurs examiné l’effet médiateur d’un comportement parental positif (la chaleur) et d’un comportement négatif (l’hostilité) dans la relation entre la dépression parentale et les problèmes socioaffectifs de l’enfant. Les résultats de leur étude suggèrent que l’hostilité parentale, et non la chaleur, agit à titre de médiateur dans la relation entre la dépression du parent et les difficultés socioaffectives de l’enfant à l’âge de cinq ans. Le rôle médiateur du rejet a également été étudié par une équipe de chercheurs (Elgar et al., 2007) qui ont démontré qu’il agit à titre de médiateur dans la relation entre la dépression parentale et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant. Ainsi, bien que la présente étude suggère que la sensibilité paternelle ne médiatise pas la relation entre la dépression paternelle et les problèmes intériorisés et extériorisés de l’enfant, il est possible que d’autres comportements paternels soient des médiateurs de cette relation. Il est notamment démontré dans la littérature que les parents dépressifs sont plus à risque d’adopter des comportements de négligence et de maltraitance (Chaffin et al., 1996; Lee et al., 2012; Mustillo et al, 2011). Ces comportements sont associés à plus de problèmes socioaffectifs chez l’enfant (Bonnier, 2008; Kolko, 1992; Mustillo et al., 2011; Paquette, 2011; Pechtel & Pizzagalli, 2011; Schimd

et al., 2011) et pourraient donc agir à titre de médiateurs entre la dépression parentale et les problèmes socioaffectifs.

La présente étude s’est concentrée sur la sensibilité, mais d’autres dimensions des comportements paternelles sont, par ailleurs, documentées comme étant importantes dans le développement de l’enfant (p.ex. soutien à l’autonomie, ouverture au monde, engagement) et n’ont pas été prises en compte. Il est notamment reconnu dans la littérature que les pères jouent un rôle important dans le processus d’ouverture au monde extérieur, un concept qui est grandement relié à l’autonomisation des comportements. Ces comportements auraient à leur tour un impact sur le développement des habiletés sociales et émotionnelles de l’enfant (Paquette, 2004; Paquette et al., 2009). Le rôle médiateur de ces comportements dans la relation entre la dépression paternelle et les problèmes socioaffectifs de l’enfant n’a toutefois jamais été examiné. Ainsi, il serait pertinent de prendre en compte plusieurs dimensions négatives et positives des comportements paternels dans les études futures afin de mieux comprendre leur rôle dans la transmission intergénérationnelle de la maladie mentale.

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