• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : Ingénierie des protéines pour le développement de ligands

I.2 Les Anticorps

I.2.3 Limitations des anticorps

L’utilisation croissante des anticorps a permis de mettre plusieurs inconvénients en évidence. Du fait de leur structure compliquée, les anticorps peuvent être soumis à la dégradation, agrégation, modification (comme l’oxydation ou la déamidation) et dénaturation. Leur utilisation est par conséquent limitée à des conditions semblables à leur environnement physiologique. En présence de solvants organiques, ou dans des conditions non physiologiques (température élevée, pH élevé et une concentration élevée en sel), ils perdent généralement leurs fonctions.

Les anticorps n’ont pas encore été produits avec succès dans des hôtes microbiens ; ceci est dû à leur composition compliquée, comprenant quatre chaînes polypeptidiques, des glycosylations au niveau des chaînes lourdes, et au moins un pont disulfure ayant un rôle structural essentiel dans chacun des divers domaines Ig. Ainsi, les anticorps entiers nécessitent une production dans les systèmes d’expression eucaryotes, impliquant des lignées cellulaires de mammifères (cellules d’ovaires de hamster chinois CHO et cellules embryonnaires de rein humain HEK) transfectées de façon stable, dont l’optimisation et la fermentation est laborieuse et coûteuse. De plus, la plupart des études montrent que ces molécules doivent être injectées en grandes quantités afin d’atteindre une efficacité clinique (par exemple : 6 à 12 g/patient pour le Rituximab) (Chames et al., 2009). La production de ces anticorps nécessite donc l’utilisation de très grandes cultures de cellules de mammifères suivies par des étapes de purification

extensives, conduisant à des coûts de production élevés et limitant ainsi l’utilisation de ces médicaments.

De plus, la grande taille caractéristique des anticorps rend difficile la pénétration dans les tumeurs solides. En effet, à l’exception des maladies et cancers hématologiques, les anticorps thérapeutiques doivent pénétrer dans les tissus et la matrice extracellulaire afin d’atteindre leurs cellules cibles. La pénétration tissulaire, en particulier dans le cas des tumeurs solides, est un paramètre essentiel, limitant dans la plupart des cas l’efficacité globale du traitement. Or les larges molécules telles que les anticorps diffusent faiblement, atteignant donc difficilement les tumeurs. En effet, dans des modèles murins de xénogreffe, les mAbs dirigés contre des antigènes tumoraux spécifiques restent en majorité dans le sang et une proportion maximale de 20% de la dose administrée interagit avec la tumeur (Beckman et al., 2007). Ceci représente probablement une des limitations majeures rencontrées par les mAbs. Ainsi, sur neuf anticorps acceptés pour le traitement des tumeurs, seuls trois (Trastuzumab, Cétuximab, Panitumumab) ont pour cible un marqueur exprimé dans les tumeurs solides, ces dernières représentant pourtant 85% des cancers (Chames et al., 2009). Un autre facteur limitant la pénétration des anticorps dans les tumeurs est l’effet de barrière dû aux sites de liaison. En effet, les anticorps très affins se lient fortement à leurs antigènes dès leur première mise en présence à la périphérie de la tumeur, ils ne peuvent pas pénétrer plus en profondeur dans la tumeur jusqu’à ce que toutes les molécules d’antigènes soient saturées à la périphérie. En revanche, des molécules ayant une affinité modérée seront libérées de ces antigènes et pourront alors pénétrer en profondeur dans la tumeur (Fujimori et al., 1990). Adams et ses collaborateurs ont étudié la biodistribution dans une tumeur d’une série de mutants de ScFv (Single chain Fragment variable) radiomarqués ayant des affinités pour leur cible HER-2/neu comprises entre 10-6 et 10-11 M. Les résultats obtenus ont démontré que le mutant ScFv ayant la plus faible affinité entraine une coloration diffuse de la tumeur tandis que le mutant ayant l’affinité la plus élevée a été retenu dans les régions périvasculaires de la tumeur (Adams et al., 2001).

Par ailleurs, lorsqu’ils sont administrés par voie intraveineuse, les anticorps peuvent avoir des demi-vies de plusieurs semaines (Carter, 2006). Une longue demi-vie est requise pour certaines applications car elle augmente l’efficacité et réduit la dose requise. D’un autre côté, pour d’autres applications, des demi-vies courtes sont nécessaires, par exemple lorsqu’une clairance rapide d’immunoconjugués toxiques est requise pour réduire une exposition de tout le corps.

Ceci est également vrai dans le contexte de l’imagerie diagnostique utilisant des radio-isotopes à vie courte comme le technétium 99m où une demi-vie biologique courte contribue à un meilleur rapport signal/bruit. Des radio-conjugués à demi-vie plasmatique courte utilisés en radiothérapie pourront également posséder une moindre radiotoxicité.

Les observations faites au cours de ces dernières années concernant les inconvénients des anticorps ont poussé de nombreuses équipes à explorer des protéines alternatives ayant la capacité de reconnaître les antigènes de façon spécifique et de s’y fixer de manière affine. Ceci a d’abord conduit au développement d’une gamme de différents fragments d’anticorps, principalement le fragment Fab (une chaîne légère et la moitié d’une chaîne lourde, d’une taille d’environ 50 kDa) et le fragment ScFv (deux domaines variables VH et VL, d’une taille d’environ 25 kDa), qui peuvent être simplement préparés en raccourcissant le cadre de lecture des gènes Ig clonés (Figure I.1). Les limitations relatives à la taille sont ainsi dépassées, et ces fragments d’anticorps peuvent être produits dans des hôtes microbiens. Ces fragments étant plus petits, ils peuvent pénétrer plus en profondeur dans les tumeurs ; de plus, les demi-vies peuvent être adaptées (Carter, 2006). Cependant, l’élimination de fragments d’anticorps qui ne sont pas directement impliqués dans la liaison à la cible peut affecter l’affinité de manière négative. De plus, les fragments d’anticorps ont tendance à s’agréger, ce qui les rend difficiles à purifier (Holliger et Hudson, 2005).

Parmi les alternatives aux fragments d’anticorps, on cite également les domaines uniques d’anticorps sdAb, appelés Nanobody et développés par la compagnie Ablynx (Hey et al., 2005). Un sdAb consiste en un domaine variable monomérique d’anticorps. De façon similaire à un anticorps entier, ce domaine est capable de se lier sélectivement à un antigène spécifique. Avec un poids moléculaire de 12 à 15 kDa seulement, les domaines uniques d’anticorps sont plus petits qu’un anticorps entier de 150 à 160 kDa, qu’un fragment Fab et qu’un fragment ScFv. Les premiers sdAb ont été construits à partir du domaine variable de la chaîne lourde d’anticorps isolés à partir de camélidés, et appelés fragments VHH (Hamers-Casterman et al.,

1993), ou isolés à partir de poissons cartilagineux et nommés fragments VNAR (Greenberg et al.,

1995) (Figure I.1). Même si la recherche est fondée en grande partie sur l’utilisation de domaines variables de chaînes lourdes, des nanobodies dérivés de domaines variables de chaînes légères ont montré des spécificités de liaison à des épitopes cibles. Ces domaines sont

plus résistants à la température et sont stables en présence de détergents à fortes concentrations en urée. Leur faible masse moléculaire permet une meilleure perméabilité dans les tissus, et une demi-vie dans le plasma plus courte grâce à une élimination rénale rapide. Les sdAb sont capables de se lier à des antigènes cachés qui ne sont pas accessibles à des anticorps entiers, comme les sites actifs d’enzymes, et ceci grâce à leur boucle CDR3 étendue (Lauwereys et al., 1998). Ces domaines ont révélé des affinités nanomolaires et des spécificités de liaison pour des haptènes et plusieurs protéines telles que les facteurs de transcription, les cytokines et les marqueurs tumoraux. Certaines molécules sdAb sont en cours de développement préclinique pour des maladies cardiovasculaires telle que la molécule ALX-0081 développée par la société Ablynx, ainsi que pour l’arthrite rhumatoïde et le psoriasis telle que la molécule Dom- 0200/Art621 développée par la société Domantis (Wurch et al., 2008). Un domaine VHH

conjugué à la !-lactamase est également en cours d’essais précliniques pour le traitement de cancers (Cortez-Retamozo et al., 2004).

Figure I.1 : Anticorps IgG et fragments d’anticorps. A : Représentation schématique d’un anticorps IgG, d’un fragment Fab, d’un fragment ScFv et d’un domaine sdAb (VH issu d’un anticorps humain, VHH issu d’un anticorps de camélidés ou VNAR

issu d’un anticorps de requins). B : Structure 3D d’un anticorps monoclonal IgG de souris (Code PDB 1IGY) montrant les fragments Fab et ScFv. Le domaine VNAR représenté est issu d’une Ig de requin (Code PDB 1VES).