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II. TROUBLES COGNITIFS AU COURS DE LA DSA

5. Lien entre DSA et syndrome démentiel

Deux méta-analyses ont mis en évidence qu’une histoire de dépression doublait approximativement le risque de développer un syndrome démentiel au sens large et en particulier une MA (136,137). Le risque relatif retrouvé était variable en fonction du type d’études et certains résultats étaient contradictoires et ne retrouvait pas que le fait d’avoir souffert de dépression constituait un facteur de risque de développer un trouble démentiel. Cela peut par exemple s’expliquer par des différences en termes de temporalité et de direction entre l’association dépression et trouble neurocognitif mineur (TNm) et/ou majeur. De plus, on ne sait pas encore précisément si la dépression constitue réellement un facteur de risque de

TNm/TNM ou si ces syndromes ont une étiopathogénie commune. En effet, certains facteurs de risque sont également communs à la dépression et à la MA, comme les FDRCV, le stress chronique avec les dérèglements de l’axe HHS.

La dépression pourrait être considérée comme un facteur de risque de TNm/M car plusieurs études ont mis en évidence que ce risque était proportionnel au nombre d’épisodes dépressifs au cours de la vie, à leur durée et à leur sévérité. Une étude a même chiffré ce risque en montrant que le nombre d’épisode dépressif augmentait le risque de 13% à chaque épisode dépressif dans le cas de la dépression unipolaire et de 6% dans le cas des troubles bipolaires (138). Cependant, la nature du lien entre dépression et TNm et/ou MA est discuté dans la littérature avec des résultats variables : certaines études suggèrent que la dépression soit un facteur de risque et d’autres non, mettant en évidence la complexité et l’hétérogénéité de la DSA, de ses manifestations cognitives et de ses possibles séquelles cognitives. Plusieurs auteurs soulignent en effet l’importance de déterminer si la dépression est un vrai facteur de risque de démence ou si elle constitue un symptôme prodromique de démence et en particulier de MA, sans pour autant que ces deux hypothèses soient exclusives l’une de l’autre. Pour mieux comprendre les liens entre ces entités, nous allons aborder les possibles substrats neurobiologiques qui peuvent sous-tendre cette relation.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la dépression est associée à des modifications au niveau du système HHS, entrainant une augmentation des hormones corticotropes, un défaut de rétrocontrôle négatif au niveau central et une atrophie des surrénales. Les récepteurs aux corticostéroïdes sont présents en nombre important au niveau des hippocampes et jouent un rôle crucial dans la régulation des niveaux de CRH (139). Parallèlement, les dérèglements du système HHS entrainent une hypercortisolémie prolongée, ce qui peut contribuer à l’atrophie hippocampique et au déclin fonctionnel des hippocampes, ce qui aggrave encore la dérégulation de l’axe corticotrope. En effet, l’excès de glucocorticoïdes induit des dommages cellulaires à travers différents mécanismes biochimiques comme la diminution de l’absorption du glucose et de la synthèse d’ATP, l’élévation du calcium intracellulaire avec une augmentation de la production de radicaux libres et l’altération de l’utilisation du glutamate par les synapses hippocampiques, entrainant une excitotoxicité (139,140). Au niveau anatomique, les études en neuroimagerie retrouvent fréquemment une atrophie hippocampique chez les sujets âgés souffrant de dépression, de façon indépendante de l’âge. De plus, plusieurs études ont montré une association entre l’existence d’une atrophie hippocampique et la durée de la dépression, évaluée par le nombre d’épisodes, le nombre total de jours de dépression, le temps où la dépression n’a pas été traitée, la durée d’évolution depuis

le premier épisode. Cette association s’entend dans le sens où plus l’histoire de la dépression est ancienne et s’est produite sur une durée importante, plus l’atrophie est importante. Par ailleurs, les patients souffrant de dépression à début tardif avaient une atrophie hippocampique plus marquée comparativement aux sujets contrôles et à ceux dont la dépression avait débuté avant 60 ans (141). Cet élément rend compte de la nécessité de distinguer les dépressions à début précoce et à début tardif en termes de physiopathologie et d’évolution vers un processus démentiel, et souligne une fois de plus l’hétérogénéité de la DSA. En somme, la perte de volume de l’hippocampe et les troubles mnésiques observés chez certains sujets âgés souffrant de dépression suggèrent donc la possibilité que la dépression puisse constituer un facteur de prédisposition à la MA (142). Cependant, cela ne reste qu’une des hypothèses pour expliquer le lien entre dépression et TNm et/ou MA.

En dehors de la dérégulation de l’axe HPA, un autre lien physiopathologique entre MA et DSA peut se retrouver dans la présence de plaques béta-amyloïdes et de dépôts de neurofibrilles au niveau neuronal. En effet, certaines études réalisées en post-mortem rapportent que les patients qui avaient souffert de la MA et de dépression comorbide avaient des dépôts de plaques et de neurofibrilles en quantité plus importante au niveau des hippocampes que ceux qui avaient eu la MA sans histoire de dépression (143). Ces résultats étaient indépendants de l’âge, du genre, du niveau d’éducation et du statut cognitif des sujets. Des études chez les animaux retrouvent par ailleurs que l’apport exogène ou endogène via le stress de glucocorticoïdes influence fortement la présence de plaques et de neurofibrilles sur des modèles de souris souffrant de la MA (144). Ces données renforcent le postulat que la dépression, via le stress qu’elle induit puisse contribuer à la pathogénèse de la MA. Les symptômes dépressifs chez un individu âgé peuvent donc représenter soit un prodrome de la MA, soit un processus indépendant qui interagit dans la physiopathologie de la MA. En dehors du fait que la dépression puisse contribuer au déclin cognitif et à l’apparition de la MA via la toxicité hippocampique liée au stress et à la dérégulation de l’axe HHS, d’autres facteurs peuvent interagir comme les pathologies cérébrovasculaires.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, Alexopoulos a énoncé l’hypothèse vasculaire de la dépression qui sous-tend que des anomalies cérébrovasculaires puissent prédisposer, induire ou pérenniser un syndrome dépressif, et que dans ce cas, la dépression présente certaines particularités comme le fait d’être plus fréquemment résistante au traitement antidépresseur et souvent associée à des troubles des fonctions exécutives (77). Ce concept de dépression vasculaire a été largement repris et étayé dans la littérature et il en ressort que le lien entre dépression et maladies vasculaires peut être bidirectionnel. D’une part, la dépression est

associée à certaines modifications comme l’hypercortisolémie, l’augmentation de la réponse inflammatoire avec la production excessive de cytokines pro-inflammatoires (145,146). Des niveaux élevés de cortisol peuvent contribuer à des désordres du métabolisme lipidique, entrainant une diminution du HDL-cholestérol et une élévation des triglycérides, favorisant ainsi l’obésité abdominale. L’augmentation de l’inflammation peut quant à elle favoriser les phénomènes d’athérosclérose et de thrombose vasculaire. La présence de lésions ischémiques dans les régions cérébrales frontostriales peuvent donc en partie expliquer les troubles exécutifs, le ralentissement psychomoteur et la résistance au traitement fréquemment retrouvés au cours de la DSA. Une association a d’ailleurs été retrouvée entre la présence des HSB et la présence d’un ralentissement psychomoteur, de troubles de la mémoire, du langage et des fonctions exécutives, avec un lien particulièrement fort chez les sujets souffrant de dépression à début tardif (147,148, 110). Ces données suggèrent donc que les modifications structurales cérébrales dues à des phénomènes ischémiques puissent être un facteur étiologique commun à la dépression et aux altérations de la cognition. Les troubles cognitifs peuvent donc à un moment donné devenir suffisamment sévères pour entraver le fonctionnement des patients et aboutir à un diagnostic de syndrome démentiel. Toujours en accord avec cette idée de lien bidirectionnel, la dépression peut prédire de façon indépendante la survenue d’une démence vasculaire mais les individus souffrant de DSA qui développent une MA sont également plus susceptibles que la population générale d’avoir des maladies cérébrovasculaires (149). Les liens qui existent entre maladies vasculaires, dépression et syndrome démentiel sont nombreux car par exemple, chez des sujets âgés sans troubles cognitifs, l’hypertension artérielle est associée à la diminution du débit sanguin cérébral au niveau des hippocampes et des structures limbiques et paralimbiques qui lui sont reliées. En somme, les dommages créés par les processus ischémiques et inflammatoires liés aux maladies vasculaires peuvent affecter les mêmes populations neuronales qui sont touchées par l’hypercortisolémie et la MA. Ces phénomènes peuvent par ailleurs se retrouver au-delà de la région hippocampique, comme au niveau du cortex, qui peut également être atrophié au cours de la MA.

Enfin, il est important d’évoquer les concepts de réserve cérébrale et cognitive pour compléter l’explication des relations entre dépression et démence. Le concept de réserve cérébrale décrit par Satz sous-tend que les individus ayant une plus grande redondance au niveau neuronal ont une plus grande tolérance à la perte neuronale que ceux dont la redondance est moindre, ces derniers ayant donc un seuil de vulnérabilité plus faible en cas de perte neuronale (150). La redondance se réfère au fait que le nombre de neurones est supérieur à celui qu’il est nécessaire d’avoir pour accomplir une opération. Le concept de réserve cognitive

développé par Stern est proche mais se base plutôt sur les différences qu’il peut exister entre les individus au niveau de la taille du cerveau et du nombre global de neurones (151). Cette définition repose sur les différences d’efficience ou de moyen pour accomplir telle ou telle tâche. Cependant, tant la réserve cérébrale que cognitive explique le rôle que peuvent jouer les facteurs de risque et de protection vis-à-vis des altérations cognitives retrouvées en cas de dommage cérébral. Par exemple, un haut niveau d’accomplissement personnel, un volume crânien plus large, un bon tissu social, le fait de pratiquer régulièrement une activité physique ou de loisir sont des facteurs qui peuvent favoriser une meilleure réserve cognitive et cérébrale, et assurer une forme de protection contre des symptômes débutants de démence, retardant ainsi leur expression clinique. Ce concept de réserve serait alors une des clés expliquant les mécanismes dernière l’association dépression/démence. En effet, la dépression endommage les neurones donc abaisserait la réserve de telle façon que les troubles cognitifs finissent par s’exprimer plus tôt ou de façon plus fréquente qu’en l’absence de dépression. La dépression, comme nous l’avons dit plus haut, est également associée à de nombreux phénomènes (élévation des taux de glucocorticoïdes, inflammation, dépôts de plaques amyloïdes et formation de neurofibrilles) qui, agissant en synergie et associé à d’autres causes de dommage cérébral, peuvent conduire à une atrophie dans différentes régions cérébrales, diminuer la réserve et rendre les patients vulnérables à l’expression de troubles cognitifs.

Afin de résumer les différents éléments sus-cités, nous proposons un schéma explicatif des liens qui peuvent exister entre dépression et TNm et/ou MA (Figure 2).

Figure 2. Mécanismes expliquant les liens entre dépression et Maladie d’Alzheimer (MA)

En résumé, les troubles cognitifs sont fréquemment retrouvés au cours la DSA. Ils touchent

de nombreuses fonctions cognitives, ce qui peut être sous-tendu par des dysfonctionnements au niveau des circuits cérébraux fronto-striataux et des hippocampes, en partie via des anomalies liées aux maladies cérébro-vasculaires. Il paraît important de distinguer les DT des DP dont la présentation cognitive et l’étiopathogénie seraient différentes sur certains points. Il est à ce jour encore difficile de déterminer précisément quel type de marqueur représentent les troubles cognitifs au cours de la DSA : trait, état ou facteur de risque car en effet, ces troubles peuvent précéder l’EDC et persister malgré la rémission symptomatique. Par ailleurs, l’intérêt d’être attentif à l’existence de ces troubles est multiple car ils peuvent avoir des conséquences péjoratives comme entrainer la modification des informations à contenu émotionnel, favoriser un passage à l’acte suicidaire, limiter l’efficacité d’une psychothérapie, être un facteur de risque de mauvaise réponse aux antidépresseurs, ou encore constituer un potentiel facteur de risque d’évolution vers un TNm voire majeur, en particulier une MA.

Dépression

Hypercortisolémie Maladies cérébrovasculaires

Ischémie

Atrophie hippocampique frontostriatalesAnomalies

Diminution de la réserve cognitive/cérébrale