• Aucun résultat trouvé

LE LIEN ENTRE L'ART ET LA CREATION ARTISTIQUE Qu’est-ce l’art ? Le point d’union de la morale est la religion, mais

La création artistique Fiedler

1.1 LE LIEN ENTRE L'ART ET LA CREATION ARTISTIQUE Qu’est-ce l’art ? Le point d’union de la morale est la religion, mais

quel est le pont d’union de l’art ? L’art et la morale naissent de la réalité actuelle, ont comme fondement commun la volonté. L’art est un 5

phénomène donné alors que la morale est un phénomène construit. L’art est la direction de l’unification, et au sein de la réalité concrète, la direction de l’unification est l’intuition artistique. La morale est la direction de la différenciation et du développement, et au sein de la réalité concrète, la direction de la différenciation est le devoir moral. 10

« Au sein de la réalité concrète, la direction vers l’unité devient l’intuition artistique*1, la direction vers la différenciation et le

développement devient le devoir moral. Aussi bien l’intuition artistique que la volonté morale ont comme point de départ l’actualité, mais dans 15

une telle direction, la volonté morale s’oppose à l’intuition artistique dans la mesure où elle est un effort infini en vue d’atteindre son point ultime. Pourtant l’unité dans le point ultime de la morale n’est déjà plus l’art, mais doit être la religion.*2 La religion transcende la connaissance

et la contient néanmoins, elle transcende la morale et la contient 20

néanmoins. Pour cette raison, la religion ressemble intimement à l’art,

1 Dilworth donne "aesthetic subjectivity" (op.cit., p.104) pour 芸術的直観 geijutsu-

teki chokkan (intuition artistique ; intuition qui s’exprime à travers l’art). L’intuition est

certes l’activité d’un sujet, mais traduire ce terme par subjectivité nous semble aller trop loin ; de plus, traduire esthétique pour artistique est une erreur fondamentale. Cette thèse a pour objectif précisément de bien distinguer les deux termes, comme le fait Nishida. Artistique renvoie à l’activité de l’artiste, tandis qu’esthétique concerne – généralement, mais nous reviendrons sur la question - l’aspect du paraître de l’œuvre d’art. - Nishida, en s'inspirant du texte de Fiedler, interprète déjà Fiedler en traduisant « künstlerisch » par 創造的 sôzô-teki (schöpferisch). Nishida place la création au centre de l'art. Lorsque Dilworth traduit 芸術的 geijutsu-teki par

aesthetic, il ne tient pas compte de l'importance de l'activité dans l'art. Artistique, c'est

avant tout créateur (geste actif) et non esthétique.

2 « N’est déjà plus l’art… » Plus haut, Nishida avait expliqué que l’art était la direction de l’unification, et que la morale était le développement de la différenciation. L’unité – ou l’unification - de la morale pourrait lui faire rejoindre l’art. Or Nishida le dénie. L’art et la morale ne se confondent pas. C’est la religion qui fait le lien : elle contient la morale et la connaissance puisqu’elle est rigoureuse et pratique), et elle ressemble à l’art parce qu’elle est intuitive.

et en même temps, elle est extrêmement rigoureuse et pratique. »(NKZ III,391, chap.5)

Si nous suivons le raisonnement de Nishida, l’art se définit par rapport à la morale. Le point d’union de la morale est la religion qui 5

contient et transcende aussi bien la morale que la connaissance. Or, quel est le point d’union de l’art ?

Ainsi que nous l’avons exposé dans l’introduction, l’art comporte deux volets, celui de la création, et celui du beau. Afin de mieux cerner la 10

notion de création artistique, nous proposons de se pencher, à l’instar de Nishida, sur les écrits de Conrad Fiedler qui vise la production et l’origine de l’œuvre d’art dans ses réflexions, et qui s’intéresse de près au geste, car la création artistique est le mouvement ou le geste qui produit l’art.

15

Dans notre thèse, nous privilégions la notion de la création artistique par rapport à la notion de l’art. Nishida dit art (芸術 geijutsu) dans le texte, mais si nous regardons de près, il s’intéresse à l’acte artistique, au surgissement de l’art.

20

Cette nuance est importante pour notre lecture, car Fiedler insiste également sur l’importance de la création, et relègue l’œuvre d’art – le produit de la création – au second plan. L’œuvre n’a de valeur que dans la mesure où elle permet au spectateur de revivre le trajet de la création. 25

C’est l’activité qui ouvre un nouveau champ de conscience, ce n’est pas l’œuvre. *3

« Aber nicht an das Vorhandensein der Kunstwerke ist jenes gesteigerte Wirklichkeitsbewusstsein gebunden, sondern an die 30

Kunstwerk nennen. Die Kunstwerke sind an und für sich ein toter Besitz ;… »*4

Par conséquent la distinction nette entre l’art entendu comme œuvre d’art, et l’art entendu comme création artistique doit être posée 5

dès le départ pour assurer la clarté de nos réflexions. La grande portée de cette distinction se révèlera lorsqu’il sera question du récepteur d’art, de la personne qui regarde l’œuvre d’art en reproduisant l’acte de la création dont l’œuvre est le dépositaire.

10

Fiedler que nous venons de citer fournit une véritable porte d’accès pour la compréhension de Nishida, porte d’accès que ni Friedrich Theodor Vischer, ni Gustav Theodor Fechner, ni Stephan Witasek, ni Karl Groos, ni aucun des autres théoriciens d'art mentionnés 15

par Nishida ne nous procurent.

Conrad Fiedler est né à Saxe en 1841, et a été formé à Leipzig. Il étudie le droit et s’intéresse à l’art pour son propre compte car il n’occupait à aucun moment un poste universitaire ni une fonction dans 20

un musée. Il entreprend des voyages au cours desquels, en Italie avant tout, il rencontre et se lie d’amitié avec les peintres Hans von Marées, Arnold Böcklin, Anselm Feuerbach, Hans Thoma et avec le sculpteur Adolf von Hildebrand. Il disparaît en 1895.

25

La pensée de Fiedler s’est forgée dans un environnement d’artistes que l’auteur a côtoyés, dont il était mécène pour certains, et qu’il a maintes fois eu l’occasion de voir à l’œuvre. Le contact avec les artistes lui était un besoin et le guidait dans son désir de décrypter la langue dans laquelle les œuvres d’art sont écrites, et qui leur est propre. 30

3 Ce point est important car il permet une ouverture vers l’art contemporain comme « événement » et non comme objet.

Sa liberté du point de vue professionnel lui laissait aussi le loisir d’une liberté d’esprit, sans concession ni à des goûts ni à des personnes, et qui se dirigeait vers l’essence de l’art, à savoir l’acte de la création. *5

5

De cette manière, par l’observation et l’immersion dans le monde de la création artistique, et parallèlement par l’étude des écrits de Kant et de Goethe, Fiedler se détache des théories platonicienne, aristotélicienne et hégélienne de l'art comme imitation ou reproduction 10

de la nature conjuguée avec la réalisation d’une idée ou d’un idéal. Pour Fiedler, l’art est basé sur la création artistique qui, alimentée par le regard comme source de réception, prend le relais de ce regard et réalise l’expression artistique, le mouvement artistique, vers le 15

monde. Cette théorie est le fondement d’un nouveau regard sur l’art en ce qu’elle admet l’autonomie de l’activité créatrice artistique.

Parmi les écrits de Fiedler*6, le texte Über den Ursprung der

künstlerischen Thätigkeit (Sur l'origine de l'activité artistique) mérite tout 20

particulièrement notre attention car Nishida le cite à plusieurs reprises dans Art et morale, et il y a laissé des traces de lectures, peu

4 Fiedler, Der Ursprung der künstlerischen Thätigkeit, 1887, dans Marbach 1896, p.306-307.

5 « Wilhelm von Bode, der Fiedler gern als Mitarbeiter in der Leitung der Berliner Museen gesehen hätte, schrieb über ihn : <Im Gegensatz zu den meisten « Kunsthistorikern » war ihm in seinem Streben, « die Kunstwerke in der Sprache zu lesen, in der sie geschrieben sind » und der Absicht des Künstlers in seinen Werken nachzugehen, der Anschluss an lebende Künstler ein Bedürfnis, wo er sah, dass dieselben nicht den Launen des Publikums nachgeben, sondern aus rein künstlerischen Bedürfnissen nach einer Form suchten, in der sich « ein künstlerisches Verhältnis zur Natur unmittelbar aussprechen konnte. » > (Wilhelm von Bode, Dr.

Conrad Fiedler. Repertorium für Kunstwissenschaft 18, 1895, p.333, cité d’après Udo

Kultermann, Kunst und Wirklichkeit, München, scaneg, 1991, p.17) 6 Über die Beurteilung von Werken der bildenden Kunst (1876),

Über Kunstinteressen und deren Förderung (1879), Moderner Naturalismus und künstlerische Wahrheit (1881), Über den Ursprung der künstlerischen Thätigkeit (1887),

nombreuses mais révélatrices. Nous y reviendrons dans le chapitre « Fiedler dans Nishida ». Dans son écrit « Sur l'origine de l'activité artistique », Fiedler se limite à la « bildende Kunst » que sont la peinture et la sculpture qu’il connaissait intimement. Pour chaque art, la question de son expression au travers du corps devrait se poser 5

individuellement, selon Fiedler.

Les réflexions de Fiedler sur la création artistique partent d'un double constat :

10

1) tout événement a une origine physico-spirituelle, physico-mentale dans la mesure où le corps et l'esprit, c’est-à-dire le corps et le mental, forment une unité;

2) tout événement ne signifie que lui-même, il n'y a pas de sens autre 15

que l'événement en tant que tel.

Appliqué à la création artistique, ce double constat signifie que l'œuvre d'art est le résultat d'un événement physico-spirituel dont les composantes sont indissociables les unes des autres, et que le sens 20

de l'œuvre d'art ne réside pas dans un contenu autre – qu’il soit symbolique, religieux, idéologique ou moral - que l'œuvre elle-même, autre que la présence de l'œuvre elle-même.

Quant au premier point, nous y reviendrons dans le chapitre 2, 25

L’art et le coprs. Pour le deuxième point, Fiedler explique :

« Jene sogenannte geistige Sphäre des Wortes ist thatsächlich nicht grösser als seine sinnliche Sphäre. Es ist durchaus falsch, zu sagen, dass wir uns mit der physischen Leistung, an die unser 30

Hans von Marées (1889); les cinq textes sont republiés comme œuvres posthumes

par Hans Marbach, Conrad Fiedlers Schriften über Kunst, Leipzig 1896. Nishida possédait un exemplaire de ce recueil.

psychisches Leben gebunden ist, ein geistiges Reich erschlössen, dass alle sinnlichen Vorkommnisse unseres sogenannten geistigen Lebens, wie Wort, Zeichen, Bild, Ton, Gebärde nur Symbole eines Geistigen seien; e s sind nur Reminiszenzen veralteter Anschauungen. »*7

5

Et Fiedler poursuit plus loin:

« Jedes Vorkommnis bedeutet nur sich selbst, und der Schein, dass es eine Bedeutung besitze, die von ihm verschieden sei und es 10

überrage, beruht darauf, dass sich auf dem Wege der Assoziation andere Vorkommnisse mit ihm verbinden, die ebensowenig wie es selbst einem vorgebliche, in Wahrheit ganz undenkbaren geistigen Reiche angehören, und die auch nur wiederum sich selbst bedeuten können. » *8

15

Avec ces affirmations, Fiedler a dû heurter les convictions de ses contemporains : il relègue l'idée d'un royaume spirituel, qui serait plus riche et plus noble que la réalité sensorielle, sur le plan des « résurgences d'opinions surannées » (Reminiszenzen veralteter 20

Anschauungen ). Quant à la théorie de l'art, il nettoie la critique d'art de tout ce dont elle affuble la création artistique et qui lui est étrangère, autrement dit de tout ce qui fait obstacle à notre compréhension directe de l’art entendu comme création artistique. A Fiedler revient le mérite, selon certains critiques, d’avoir libéré l’art du joug de l’esthétique 25

ancienne, voire de l’esthétique tout court.*9

7 Fiedler 1887, dans Marbach 1896, p.227 « Ce qu’on appelle la sphère spirituelle de la parole n’est en réalité pas plus grande que sa sphère sensorielle. Il est tout à fait faux de dire que nous nous donnions accès, au moyen de notre effort physique – auquel est liée notre vie psychique - , à un royaume spirituel ; que toutes les données sensorielles de ce qu’on appelle notre vie spirituelle telles que la parole, le signe, l’image, le son, le geste ne soient que des symboles de quelque chose de spirituel ; ce ne sont que des résurgences d’opinions surannées. »

En effet, Fiedler s’est ouvertement opposé au courant dominant à son époque qui était animé par les théoriciens d'art élevés dans la tradition de Platon et d’Aristote *10, et de l’idéalisme allemand,

notamment de Kant et de Hegel qui considéraient l'art classique comme la norme, et les œuvres d’art comme les outils d’une visée culturelle ou 5

morale. Leur idéal était représenté par le style classique gréco-romain érigé en valeur absolue, et ils jugeaient avec un certain mépris, à peine caché, le reste de la production artistique. L’art classique grec fournissait, selon leur opinion, le canon de beauté par excellence, la mesure, le modèle parfait, et on faisait de la « classification » des 10

œuvres d’art le credo principal. Il incombait à l’art de se plier à la grille du jugement, et non pas l’inverse. L’art gothique, l’art primitif, l’art asiatique ou encore l’art des enfants et l’art des malades mentaux se trouvaient, de ce fait, inclassables, «hors » classification et partant, hors norme.

15

Fiedler renverse cette tendance. Tout comme lui-même, des théoriciens tels qu’Alois Riegl*11 et Robert Wilhelm Worringer*12

défendaient une conception de l'art comme mouvement expressif guidé par la volonté artistique qui est une volonté d’expression.*13 L'art est le

20

produit, le résultat d'une intention créatrice, d'une intention ou visée artistique qui reflète sa propre condition historique. De ce fait, tout art a

9 Cf. Kultermann op. cit. 1991, qui cite Croce, Paret, Eckstein, p.18 sq.

10 Il faudrait plutôt dire que les intellectuels du 19e siècle étaient inspirés de la

tradition néo-platonicienne qui était le vecteur de notre connaissance des anciens écrits grecs, et qui était teinté par l’influence chrétienne. Notamment la trinité beau- bien-vrai est une adapation chrétienne, elle ne se trouve pas originellement dans Platon, qui connaît seulement le beau-bien (kallagathon) et pour qui le vrai était un mode de fonctionnement de la pensée, pas une vertu parmi d’autres.

11 Alois Riegl est représenté dans la bibliothèque de Nishida par les titres suivants:

- Gesammelte Aufsätze (1929?).

- Stilfragen. Grundlegungen zu einer Geschichte der Ornamentik (1893). - Die spätrömische Kunstindustrie (1901).

12 Worringer (1881-1965) est représenté dans la bibliothèque de Nishida par les titres suivants (selon Yamashita, op.cit.,p. 241): Aegyptische Kunst, Formprobleme

der Gotik, Griechentum und Gotik

13 On pourraitt également placer Theodor Lipps (1851-1914) et sa notion de « Einfühlung » dans ce contre-courant tel que nous le verrons par la suite.

sa valeur, toute époque est le sol fertile sur lequel croît un art qui lui correspond. Ni mépris ni prédilection pour tel ou tel style ne sont de mise. L'art est un flux ininterrompu qui connaît les expressions les plus diverses.

5

De plus, selon les perspectives nouvelles nées vers la fin du 19e siècle, d’autres penseurs – Heinrich von Stein*14, Francesco de Sanctis,

Benedetto Croce - développaient des réflexions qui allaient dans le même sens de valoriser la création artistique comme voie intuitive de connaissance de la réalité, sans hiérarchiser la production artistique. 10

Le philosophe qui avait marqué le plus la nouvelle orientation du contre-courant et qui tenait compte de la portée éminente de l’art aussi bien que de l’importance de l'activité créatrice en termes philosophiques, était Friedrich NIETZSCHE (1844-1900).*15 Ses idées

15

sur la création artistique sont une réfutation directe de l'esthétique de Kant. Nietzsche remplace le spectateur par l'artiste, le désintéressement par l'implication totale, et confère à la création plus de valeur qu'à la vérité. Le corps devient le véritable cœur de l'être chez Nietzsche qui rejette la glorification platonicienne du supra-sensible 20

pour resituer la réalité fondamentale dans le contexte du sensible.

L’art est une manière de connaître, il n’est pas au service d’une autre instance que l’art lui-même, et des critères d’évaluation

14 Précepteur dans la famille de Richard Wagner et proche de la philosophie de Nietzsche.

15 D’autres philosophes avant Nietzsche ont avancé des réflexions qui indiquaient de nouvelles voies, mais sans s’opposer consciemment au courant classique. Il s’agissait de phénomènes ponctuels, pas encore organisés comme nouveau courant de la conception de l’art. Kultermann écrit : « Das umfassende und der Kunst einen neuen Freiraum gewährende Werk Nietzsches bezeichnet deutlich den Punkt der Entwicklung, von dem aus eine Neuorientierung erfolgte. Doch wäre es verfehlt, diese Neuorientierung als vollendete Neuschöpfung zu sehen. Bereits in Kants Genielehre, in den Kunstanschauungen Goethes und Schellings sowie in Schopenhauer waren Erkenntnisse ans Licht getreten, die auf eine neue Sicht hinleiteten. Doch waren sie nur isolierte Ansatzpunkte für ein neues Denken, das sich nicht gegen den vorherrschenden Betrieb der offiziellen Aesthetik durchsetzen konnte. » (Kultermann, Kunst und Wirklichkeit, München, scaneg, 1991, pp.9-10)

immanents à l’art, à l’œuvre d’art, voient le jour. Une nouvelle attitude naît qui dote toute forme d’art d’un accès instantané à la réalité.

Platon et l’idéalisme allemand privilégiaient une théorie définissant l’art comme la mimésis, l’imitation de la nature, ou comme 5

la reproduction de celle-ci. Alors que l’art, tel que Fiedler le stipule, est production de réalité. L’art est un des moyens dont nous disposons pour rendre la réalité apparente, ou davantage : pour obtenir la réalité.

« Wenn von alters her zwei grosse Prinzipien, das der 10

Nachahmung und das der Umwandlung der Wirklichkeit, um das Recht gestritten haben, der wahre Ausdruck des Wesens der künstlerischen Thätigkeit zu sein, so scheint eine Schlichtung des Streites nur dadurch möglich, dass an die Stelle dieser beiden Prinzipien ein drittes gesetzt wird, das Prinzip der Produktion von Wirklichkeit. Denn nichts anderes 15

ist die Kunst, als eins der Mittel, durch die der Mensch allererst die Wirklichkeit gewinnt. »*16

Pour Fiedler l’art n’est pas la traduction d’un contenu spirituel 20

dans un support sensible, mais une forme authentique d’expression en lui-même. De cette façon le regard, quoiqu’il constitue un point de départ, n’est pas la source de la création artistique – sinon, nous nous retrouverions dans une situation d’imitation ou de reproduction – mais un élément du processus créatif. L’importance et la caractéristique du 25

talent artistique résident dans la relation expressive que l’artiste réussit à réaliser, et non pas dans la relation visuelle que l’artiste entretient avec son environnement – avec la nature, comme le dit Fiedler.

«… [der Künstler] unterscheidet sich vielmehr dadurch, dass ihn 30

anschaulichen Wahrnehmung unmittelbar zum anschaulichen Ausdruck überzugehen ; seine Beziehung zur N a t u r i s t keine Anschauungsbeziehung, sondern eine Ausdrucksbeziehung. » *17

La création artistique n’a pas, comme son centre, ce qui précède 5

le geste – à savoir le regard – mais le geste expressif lui-même. L’art naît au travers du geste.

Sans cette pensée précurseuse de Fiedler, nous serions démunis pour comprendre la majeure partie de la production artistique 10

du 20e siècle. Et grâce à elle, les artistes avaient à leur disposition un outil pour rendre compte de leur travail par des mots.*18

Valoriser le geste artistique comme origine de l’œuvre ; valoriser l’art comme une approche de la réalité parmi d’autres; et apprécier 15

toutes les formes d’art, sans jugement de valeur, en tant qu’elles sont, à chaque moment, des moyens d’expression et de connaissance propres à une civilisation donnée : voilà les grandes lignes poursuivies par les penseurs qui animaient le contre-courant visant à dépasser l’ancienne critique d’art et l’esthétique désuète.

20

Un soutien supplémentaire à ce contre-courant est fourni par Ernest FENOLLOSA (1853-1908), connaisseur et défenseur des arts orientaux sous l’influence duquel les fondements de l’euro-centrisme dans les arts – poésie, théâtre, peinture - sont ébranlés ou pour le 25

16 Conrad Fiedler, Moderner Naturalismus und künstlerische Wahrheit (1881), Marbach 1896, p. 180.

17 Fiedler 1887, Marbach 1896, p. 289.

18 Cézanne pouvait écrire que le peintre n’a pas pour tâche de reproduire la nature, mais de la représenter, par des équivalents en formes et en couleurs. Paul Klee pouvait dire que l’art ne rend pas le visible, mais rend visible. Kandinsky peut