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La création artistique Fiedler

1.6 L' INTUITION – ACTE

« Ce qu'on appelle intuition n'est pas simplement le fait d’adopter des contenus de connaissances, mais ce doit être le fait de les construire. »(NKZ III,530,chap.13.1)

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L’intuition est pour Nishida le début de la création ; l’intuition artistique est le début de la création artistique :

« J'ai cherché le rapport interne entre l'intuition (直観 chokkan 10

*1) artistique et la volonté morale dans le rapport [qui existe] entre l'intuition et la réflexion du moi volitif*2. » (NKZ III,239,préface)

L’intuition de même que la réflexion, sont des activités du moi doté de volonté. Nous pourrions établir un parallèle entre l’intuition et la réflexion, d’une part, et l’expérience pure et la pensée, de l’autre, le 15

premier étant un acte immédiat, non-conscient, le deuxième un acte médiat, conscient. Le rapprochement de l’intuition et de l’expérience est suggérée par Nishida lui-même : dans sa troisième préface à son Etude sur le bien, 1911), en date de 1936, il écrit:

« Ce que j'ai appelé dans ce livre [Etude sur le bien] le monde de 20

l'expérience immédiate ou bien le monde de l'expérience pure, je le pense maintenant comme le monde de la réalité historique. Le monde

1 直観 chokkan et 直ђ chokkaku (utilisé plus loin, NKZ III, 357), sont deux termes équivalents selon le Iwanami dictionnaire de la philosophie

(岩波哲学辞典 Iwanami Tetsugaku Jiten =ITJ,19252). Une partie de l'article sur

l’intuition dans ce dictionnaire est rédigée par Nishida. Nous y reviendrons ci-après.- ). Dans Art et morale, Nishida utilise plus souvent chokkaku.

2 意志我 ishiga, le moi qui a une faculté de vouloir, le moi volitif, le moi qui a la volition.

3 En guise de rappel, jikaku n’est pas une expérience mais un état conscient extrêmement lucide.

de l'intuition-acte et le monde de la poïèsis sont directement le monde de l'expérience pure. » (NKZ I,7)

L'intuition, en tant qu'elle est une expérience *3, est une façon de

comprendre et de connaître la réalité dans son mouvement, et ceci à 5

travers l'activité corporelle, plus précisément : à travers l'activité du corps-esprit. En 1936, Nishida n’utilise pas le simple terme intuition (直 観   chokkan, mais kôi-teki chokkan (行為的直観), que nous traduisons par intuition-acte *4.

L’intuition en tant qu’approche de la réalité joue un rôle 10

déterminant dans la pensée de Nishida, dès ses premiers écrits.

Dans Etude sur le bien (1911), Nishida accorde plus d’importance à la religion qu’à la philosophie, car la religion allie la connaissance intellectuelle au sentiment et à l’intuition, alors que la 15

philosophie ne propose qu’une approche intellectuelle jugée incomplète par Nishida. Dans Intuition et réflexion dans l’auto- aperception (1917), il se penche également sur l’intuition comme moyen de connaissance.

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4 Quant à la traduction de cette notion, par intuition acte, cf. ci-après.

5 KUKI Shûzô, « Bergson au Japon », dans Les Nouvelles Littéraires, 15 décembre 1928, publié à la demande de Frédéric Lefèvre, rédacteur en chef du journal. Bergson était connu au Japon dès environ 1910. – Nous remercions M. KIOKA Nobuo pour cette référence.

6 Kant, Kritik der reinen Vernunft, Die transzendentale Dialektik, Erstes Buch,1. "Von den Ideen überhaupt", cité d'après Lalande, Vocabulaire de la philosophie, Paris 1991.

7 岩波哲学辞典 Iwanami Tetsugaku Jiten, Tôkyô 1922, 19252

8 Dans Ôhashi, Die Philosophie der Kyôto-Schule, München 1990, p.80.

9 Le terme 美的感情 bi-teki kanjô traduit le terme allemand ästhetisches Gefühl. En français, c’est le sentiment esthétique ou l’émotion esthétique.

En effet, l’intuition comme méthode de connaissance a une histoire au Japon. A ce propos, nous pouvons citer KUKI Shûzô dans son essai « Bergson au Japon » :

« […] c’est par l’intermédiaire de la philosophie bergsonienne, 5

que nous avons appris à apprécier la phénoménologie allemande. Husserl d’abord, non pas tant comme auteur de la première partie de ses Recherches logiques, que comme celui de la deuxième partie, non pas tant comme « logicien pur » que comme « phénoménologue ». Et puis Max Scheler, philosophe de la vie, et tout récemment Martin 10

Heidegger, l’auteur de l’Etre et le Temps. Parmi les points communs entre la philosophie bergsonienne et la phénoménologie allemande, ce qui nous semble le plus caractéristique c’est ce qui justement les distingue toutes les deux de la philosophie néo-kantienne : d’une part l’exigence bergsonienne d’abolir la distinction trop nette entre la matière 15

de la connaissance et sa forme, d’autre part l’idée de l’ « intentionnalité » chez Husserl ou la notion d’ « être dans le monde » chez Heidegger. Ce point commun n’est peut-être qu’un résultat commun de la méthode d’intuition. En tout cas nous avons, au Japon, été amenés du néo-kantisme à la « phénoménologie » par la 20

philosophie bergsonienne. »*5

Lintuition comme méthode de connaissance jouissait donc d’un certain prestige dans le monde intellectuel japonais du début du 20e siècle, ce qui a pu influencer Nishida. Dans Art et morale, il n’utilise pas 25

encore l’expression kôi-teki chokkan 行為的直観, mais simplement chokkan 直観. Pourtant, le sens dans lequel il utilise le terme chokkan (ou chokkaku 直ђ) indique qu’il contient déjà la dimension active, et nous pensons qu’il est parfaitement légitime d’interpréter le terme l’intuition dans Art et morale comme l’intuition-acte.

« Ce qu'on appelle l'intuition n'est pas comme on pense habituellement un état passif. L'intuition dans ce sens-là ne serait qu’un geste (所 作   shosa) de la pensée, et la pensée en s'unissant avec [cette intuition] ne pourrait rien obtenir. L'intuition véritablement donnée (与えられた ataerareta) doit être l'acte de l'union sujet-objet, en lui- 5

même dynamique. Dans ce sens-là, on pourrait penser que le fait que la pensée s'unit avec l'intuition, c'est le fait de retourner à l'origine du soi lui-même. »(NKZ III,525,chap.13.1)

Le mot chokkan 直観 , composé de choku (直 immédiat,direct) 10

et de k a n (観 voir,vision), est calqué sur le terme allemand Anschauung (Kant ; peut-être utilisé avant Kant?) ou Intuition qui remonte à son tour à intuitio (mot latin, cf. Nicolas de Cues: intuitio intellectualis). Descartes, puis Locke et Leibniz utilisent le terme intuition au sens de « connaissance d'une vérité évidente ». Kant se démarque 15

de cette interprétation et définit la Anschauung de la manière suivante : « L'intuition se rapporte immédiatement à l'objet et est singulière. »*6

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Nishida confère un sens à chokkan qui s'apparente à l'utilisation que Schopenhauer fait de ce terme : toute connaissance donnée d'un seul coup et sans concepts. En effet, dans le Iwanami Dictionnaire de la philosophie *7, chokkan est défini comme suivant:

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« Intuition : Contrairement à la pensée qui est la façon médiate de connaître les choses, c'est la façon immédiate de connaître les choses, autrement dit le cœur reflète directement les choses. C'est voir des choses et entendre des sons, mais aussi à l'intérieur du mental. Pour cette raison, le mot intuition est fondamentalement différent des 30

définitions de la sensation (感 ђ   kankaku) et de la perception (知ђ chikaku). Parfois on peut dire qu'on fait l'intuition de quelque

chose de complètement idéal, p.e. on peut avoir l'intuition de Dieu. Nous avons dit que l'intuition c'est connaître directement les choses; or dans la philosophie de Kant, si on considère que les choses, délimitées dans l'espace et le temps, ne sont pas des choses en soi (物 自 体   mono jitai), ce que nous appelons habituellement la 5

perception etc. ne peut plus être appelée intuition. Toutefois, Kant les appelle intuition [Anschauung]. Dans ce cas, il est juste de penser qu'au mot intuition ne s'ajoute aucun acte de penser et que son sens principal est sa passivité qui consiste à recevoir ou refléter tel quel les choses. L'intuition est exempte de tout acte du moi, c'est voir les choses d'une 10

manière statique. Conférer à l'article "intuition pure" et "intuition intellectuelle". »(650-651)

Cette définition se trouve dans le dictionnaire auquel Nishida a collaboré, et de surcroît, c'est Nishida en personne qui a rédigé cette 15

entrée dans le dictionnaire. On comprend de ce fait aisément pourquoi il insiste, quand il parle de 直 観 chokkan dans ses œuvres, sur la dimension active, et qu’il y ajoutera le qualificatif kôi-teki (行為的 actif, basé sur l’action). En effet, l'intuition comme notion philosophique européenne ne comporte pas, à l'origine, cet aspect d'activité. Elle est 20

statique, passive, réceptive.

La traduction de 行為的直観 kôi-teki chokkan dans les écrits de Nishida par l'intuition active suggère qu'il y a une intuition passive ce qui n'est pas faux lorsqu'on tient compte de la définition dans le 25

Dictionnaire en question, mais ne rend pas compte du sens que Nishida confère à cette notion d’intuition. Mieux vaut traduire ce terme, quand il apparaît chez Nishida, par intuition en action, ou bien intuition qui agit ou encore intuition-acte, dans le sens que cette intuition est active puisqu'elle est basée sur l'activité de l'être humain.

Au sujet de la traduction de 行為的直観 kôi-teki chokkan, NAKAGAWA Hisayasu, Doyen émérite de la Faculté des lettres de l'université de Kyôto, rapporte la confusion qui s'est produite en 1986 lorsque NAKAMURA Yûjirô, dans une conférence prononcée à Paris, utilisait la traduction d' intuition active. Cela avait provoqué la question 5

de la part des auditeurs de savoir ce que c'était alors que l'intuition passive. M. Nakagawa, qui était présent dans l'auditoire, a par la suite consigné ses réflexions dans la brochure qui accompagne l'édition du 7e volume des œuvres de M. Nakamura. Il y note judicieusement que cette traduction intuition active ne rend point compte de la pensée de 10

Nishida. Il s'agirait plutôt de quelque chose comme soi-action ou « Tathandlung » (事行 jikô). –

Toutefois cette traduction de chokkan par Tathandlung, qui permet de remonter la filière allemande, n’est pas utilisée pour notre 15

part, et cela pour d'autres raisons alléguées par le traducteur Elmar Weinmayr qui préfère "handlungsmässiges Anschauen" oder "handlungsgemässes Anschauen".

Restent comme possibilités de traduction intuition-basée-sur- 20

l'acte, intuition-inspirée-par-l'acte, intuition conforme à l'acte, intuition agissante, intuition-action, ou bien intuition acte que propose également M. Nakagawa et que nous avons adoptée. Cette traduction fait de l’intuition son centre, et de l’acte son qualificatif. Ainsi on rend compte, dans le texte français, qu’il s'agit d'une vue immédiate et actuelle des 25

choses au travers des activités du corps (au sens de corps-esprit ou Leib).

Dans Etude sur le bien, Nishida écrit :

« L'intuition, c'est la conscience où sujet et objet sont encore 30

indivisés, où ce qui connaît et ce qui est connu font un, [c'est la conscience] du processus ininterrompu de l'actualité (現実 genjitsu)

telle quelle. Ce qu'on appelle la réflexion, se trouve à l'extérieur de ce processus, c'est la conscience qui, en se retournant, le regarde. »(NKZ II,15)

L'intuition est donc un phénomène mental au sens large de 5

phénomène corporel-spirituel, elle n'est pas exclusivement intellectuelle. L'intuition est un acte créatif. E. Weinmayr commente:

« Avec quelques réserves, kôi-teki chokkan de Nishida peut être comparé avec l'analyse de Heidegger du Dasein de l'être humain 10

comme geworfen und entwerfend, comme jeté et passif, d'une part, et créant et actif, de l’autre. » *8

Dans Art et morale, nous trouvons l’explication suivante :

« L'intuition, qui est basée sur le sentiment du beau *9, n'est pas 15

un simple acte intellectuel, et cela indépendamment de savoir si [le contenu de l'intuition est] une perception ou une imagination;*10 l'intuition doit être le sentiment pur, la conscience pure, qui est l'union immédiate des actes. La perception et l'imagination, en tant qu'elles sont des actes intellectuels (知的 chi-teki), ne sont qu'un aspect du 20

sentiment. En elles, les sentiments subjectifs ne sont pas transférés dans un contenu objectif. Un nouveau monde d'objets (対象界 taishôkai) est créé dans la perspective de l'acte des actes.*11 Ce genre d'intuition artistique est accompagnée naturellement d'une activité créatrice artistique.*12 L'activité créatrice est l'accomplissement 25

d'un tel acte [unificateur]. Dans Die Einbildungskraft des Dichters, Dilthey

10 NAKAGAWA Hisayasu nous a expliqué que, pour un lecteur japonais, le mot "chokkan" implique immédiatement "nanika no chokkan", l'intuition de quelque chose, d'un objet, d'un contenu. Le mot "sono" renvoie donc à un "contenu" implicite.

11 "Sayô no sayô" peut être compris à la lumière de ce que Nishida appelait "dô-itsu sayô" 同一作用 (NKZ III,265), l'acte qui est l'union des deux actes de l'artiste et du spectateur, ou bien comme "l'acte unifiant tous les actes".

12 Nishida traduit "Gestaltungstätigkeit" par sôzô-sayô 創造作用 (cf.NKZ III,274) ; pour la traduction française, nous proposons "activité créatrice".

[267] cherche l'activité créatrice du poète dans l'essence de notre vie spirituelle (精神的 seishin-teki). Dans notre vie spirituelle réelle, toutes les sensations aussi bien que toutes les représentations sont des activités (活動 katsudô) emplies de sentiment, selon Dilthey. » (NKZ III,266-267,chap.1.4)

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Pour Nishida, le jugement est organisé par l'intuition qui est un acte créatif réel et complexe. L'intuition est à la base de notre connaissance, de nos jugements. Par exemple le jugement de couleur est en dernier lieu possible sur la base de notre intuition du monde des 10

couleurs :

« Quand nous disons, en voyant une couleur, qu'elle est rouge ou bleue, la couleur - qui est le contenu de la perception - n'est pas rouge ou bleue simplement en tant qu'objet du jugement. Si on se demande 15

comment le jugement qui dit que c'est rouge ou bleu, s'établit, c'est le système des couleurs en soi qui doit devenir la fondation à ce jugement. Dans le système des couleurs en soi, [439] la position [de chaque couleur] est déterminée, et le jugement déterminant la couleur est établi. Comme le dit Kant, le jugement en mathématique, en tant qu'il est un 20

jugement synthétique (総合的 sôgô-teki), doit admettre qu'il y a, à sa base, de l'intuition (直ђ chokkaku), et ainsi il va sans dire que l'intuition devient la fondation du jugement des couleurs. » (NKZ III,438- 39,chap.7)

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L'intuition est de ce fait un acte créatif ; elle n’est pas une façon statique ou passive de connaître :

« Toutefois, ce qu'on appelle intuition dans ces deux cas, n'est pas quelque chose comme ce qu'on appelle l'intuition donnée, ce doit 30

être un acte de synthèse, mieux encore : ce doit être une sorte d'acte créatif. Par conséquent, nous considérons que l'intuition, en tant qu'elle

est concrète, est infiniment complexe. Le système qui devient la fondation du jugement et qui confère de l'objectivité au jugement s'établit par [l'intuition]. L'existence, que Bosanquet considère comme le sujet grammatical du jugement, elle aussi n'est rien d'autre qu'un tel système [instauré par l'intuition]. »(NKZ III,439,chap.7)

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Etant donné l’importance de l’intuition pour notre jugement, il s’avère que l’intuition joue un rôle fondamental pour que l’être humain se constitue lui-même :

10

« Le soi qui agit est toujours déterminé par l'intuition (直観 chokkan) » (NKZ VIII,77, et aussi dans Ôhashi, op.cit. 1990, (Weinmayr) page 109)

Le soi qui agit est en contraste avec le soi intellectuel, qui se 15

trouve moins bien placé pour connaître la réalité concrète dans la mesure où l'intellect nous permet d'accéder à une seule dimension du monde, la dimension intellectuelle - Fiedler dirait linguistique, car le monde organisé selon l'intellect est un monde que nous possédons sous forme de concepts, et les concepts relèvent de la langue -, tandis 20

que le monde concret est pour nous beaucoup plus complexe, à la fois subjectif-objectif, continu-discontinu. Il est le fruit des informations que notre corps-esprit reçoit, transforme et produit. Pour Nishida, le soi qui agit est le seul capable de saisir la réalité du monde concret.

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L'intuition-acte est érigé, par Nishida, en principe de l'auto- détermination de l'éternel maintenant (永遠現在 eien genzai). Pour écarter tout risque de comprendre cette intuition comme subjective (ou innerweltlich), il précise que ce qu'il appelle intuition-acte équivaut à l'activité créatrice de l'histoire (歴史的形成作用 rekishi-teki keisei- 30

sayô).*13 Cette intuition est expressive et créatrice. Elle a dans son centre non pas un sujet, mais un soi situationnel qui forme, qui façonne le monde, et qui, à son tour, se trouve formé et façonné par le monde dans un processus infini.

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Nishida nous met en garde : « Bien des gens tiennent l'intuition pour une image subjective, intérieure. » (NKZ VIII, ?, Ôhashi 1990, (Weinmayr) 102-103) Alors que pour Nishida, l'intuition est une activité fondamentale pour l’être pensant qui est à l’œuvre en nous, qui a de la force. Loi, morale, poésie sont des objets de l'intuition, sont vues au 10

travers de notre agir dans le monde réel.

« Dans l'art romantique, on a détruit la coque extérieure des choses pour atteindre à leur intuition infinie dans leur fond. De l'unité de la nature formulée selon des termes panthéistes, on passe à l'esprit 15

objectif de l'univers. » (NKZ XIII,122)

Dans cette citation tirée de l’essai Le monde objectif de l’art (芸 術 の 対 象 界  Geijutsu no taishôkai, 1919), Nishida utilise 直観 chokkan (intuition) dans le sens de connaissance intime des choses. 20

Le Iwanami Tetsugaku Jiten (ITJ 19252) possède une autre entrée à la page 639 qui nous intéresse à ce sujet:

« Intuition intellectuelle (知 的 直 観   chi-teki c h o k k a n ), en opposition avec l'intuition des choses matérielles, à savoir [en 25

oppositon avec] sensation et perception, pour ainsi dire l'intuition de quelque chose que nous ne pouvons connaître que par la pensée. Autrement dit l'intuition des idées. Par exemple l'intuition artistique ou l’intuition religieuse etc. peuvent être pensées comme des intuitions intellectuelles. Autrefois, les mystiques pensaient pouvoir connaître la 30

véritable réalité selon cette intuition. Ekkehart scindait notre capacité

intellectuelle en trois champs : le sensoriel, le rationnel et le supra- rationnel, ce dernier ne s'alignait pas avec les deux premiers, c'était la force de l'esprit dans sa totalité, autrement dit l'étincelle, Funke. Il pensait qu'au moyen de cet esprit, nous pouvons nouer l'antithese sujet- objet et nous unir avec Dieu. Kant considérait que notre intuition de la 5

force créatrice de la nature n'est pas une intuition intellectuelle, mais Fichte a reconnu l'intuition intellectuelle de l'unité sujet-objet dans la conscience de soi (jikaku) où le connu et le connaissant font un. Et cette pensée, développée par Schelling, devenait la pensée fondamentale de sa philosophie. » (Iwanami Tetsugaku Jiten, page 639) Article 10

également rédigé par Nishida.

Ce qui frappe est évidemment la conception des intuitions artistique et religieuse comme intuitions intellectuelles. Elle est vraisemblablement à prendre dans un sens kantien, où l’intuition est 15

une sorte d’a priori, qui fonde une connaissance, qui la rend possible (dans le même sens que ci-dessus, l’intuition était expliquée par Nishida comme le fondement pour le jugement) :

« Intuition pure, […] Selon Kant, espace et temps ne sont pas des 20

concepts mais des intuitions; il les appelait intuition pure dans le sens que c'étaient des intuitions congénitales et formelles, sans le moindre élément expérimental. Ce mot s'oppose aux catégories en tant que forme de la pensée, c'est-à-dire au concept de la reine Vernunft. (Iwanami Tetsugaku Jiten, page 480) Article signé Fujioka.

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Cette dimension fondamentale attribuée à l’intuition, est soulignée dans Art et morale :

« Si on nomme une chose non-conceptuelle la vérité, on suscite 30

bien des doutes. Mais la vérité n'est pas établie simplement selon des rapports conceptuels ; au fond de la vérité conceptuelle, il doit toujours y avoir l'intuition créatrice. » (NKZ III,384,chap.5)

Rien n'est plus vrai, plus fondamental que l'activité qui est création, qui est intuition. La vérité la plus profonde n'est pas figée, mais un réseau de correspondances et d’activités, un tissus vivant. La création artistique révèle cette réalité :

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« Dire que le contenu de l'art est intuitif ne revient pas à dire que l'intuition artistique est une simple intuition ; l'intuition artistique est un contenu intuitif regardé à travers le mouvement expressif. [274] L'œuvre