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La création artistique chez Nishida Kitarô dans son texte "Art et morale (Geijutsu to dôtoku)" de 1923 - RERO DOC

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Texte intégral

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NISHIDA Kitarô

 西田幾多郎 (1870-1945)

à travers ses lectures de Fiedler et de Kant

dans son texte

Art et morale (

芸術と道徳 Geijutsu to dôtoku)

de 1923.

Thèse de doctorat

présentée (en octobre 2002) et soutenue (le 28 avril 2003) à l’Université de Genève

par Britta Stadelmann Boutry

« Das, was sich den Sinnen in seiner eigensten Naturgestalt offenbart, unterliegt ... durch die blosse Berührung des denkenden Geistes einer Verwandlung, und das, was man thatsächlich besitzt, erinnert in nichts mehr an das, was man hat ergreifen wollen. »

(Fiedler 1887, dans Marbach 1896, page 210)

« Ce qui se révèle aux sens dans la forme naturelle qui lui est le plus propre, subit ... par le seul toucher de l'esprit pensant, une métamorphose, et ce qu’on possède réellement, ne rappelle en rien ce qu’on a voulu saisir. »

(Fiedler 1887, dans Marbach 1896, page 210)

« [374] La tâche de la philosophie est, dans ce sens, d’éclaircir la signification personnelle qui se trouve dans le fond du savoir ; […]. La philosophie se base sur « L’idée du bien », elle est la réflexion de la raison elle-même, elle est l’auto-aperception du savoir lui-même. En décelant le contenu personnel au fond de la perception et de la sensation, nous avons affaire à l’art, et de la même façon, en décelant le contenu personnel au fond du savoir objectif, nous avons affaire à la philosophie. »

(Nishida 1923, dans NKZ III,374,chap.5) Buc, le 19 octobre 2002

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Thèse B. Stadelmann Boutry

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Préface 1

Introduction 4

Partie 1 La création artistique - Fiedler Chapitre Titre

1.1 Le lien entre l'art et la création artistique 28

1.2 L'art et le corps 42

1.3 Fiedler dans Nishida 75

1.4 Nishida - Fiedler, une comparaison 124

1.5 L'auto-aperception et la conscience 144

1.6 L'intuition-acte 175

Partie 2 Le beau et son appréciation - Kant

2.1 Le lien entre l’art et l'esthétique 190

2.2 L’art et le beau 201

2.3 Kant dans Nishida 226

2.4 La théorie de la réception 243

2.5 Le spectateur-créateur 249

2.6 Le transfert de sentiments 259

Partie 3 D’autres « points de vue »

3.1 Le beau et le pur 282 3.2 L’art et la nature 294 3.3 Le monde créateur et créé 318 3.4 Le subjectivisme 333 Conclusion 345 Bibliographie 369

LIEU DE LA SOUTENANCE Université de Genève (Suisse) DATE DE LA SOUTENANCE lundi 28 avril 2003

COMPOSITION DU JURY (depuis novembre 2002) Présidente de thèse :

-Professeur Roberta DE MONTICELLI (Université de Genève) Directeur de thèse pour la soutenance :

-Professeur NINOMIYA Masayuki (Université de Genève) Directeur de thèse de 1990 – 2002 :

-Professeur émérite Robert HEINEMANN (Université de Genève) Membres du jury invités :

-Professeur Frédéric GIRARD (Ecole française d’Extrême-Orient, Paris ; Université de Genève)

-Professeur Augustin BERQUE (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris)

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retravaillée afin d’être présentée la deuxième fois en octobre 2002. EXPLICATIONS

* L'astérisque précède le numéro de la note en bas de page.

NKZ est l'abréviation pour Nishida Kitarô Zenshû (西田幾多郎全集、Œuvres  complètes de Nishida Kitarô) et renvoie à l'édition japonaise en 19 volumes; dans les citations, le chiffre romain = volume, le chiffre arabe = page, par exemple NKZ III,345.

Pour les noms propres, nous observons la manière propre à chaque pays ; pour les noms japonais, le nom de famille précède toujours le prénom.

COORDONNEES DE LA CANDIDATE Britta STADELMANN BOUTRY

6 place Camille Corot 78530 Buc - France

Téléphone 0033-139 56 42 23

Adresse e-mail bst.boutry@wanadoo.fr

COMMENT LIRE LA CYBER-THESE Cette thèse se présente sous forme de deux volets : volet A : Le texte de la thèse proprement dite

volet B : La traduction française d’Art et morale, notre texte source

Les deux parties se distinguent par le choix de la police : volet A (Arial), volet B (Courrier). Pour chacune, le lecteur trouvera la table des matières au début du volet. Pour toute information supplémentaire vous pouvez contacter l’auteur directement par courriel : bst.boutry@wanadoo.fr

L ‘ADRESSE DE LA CYBER-THESE

http://www.unige.ch/cyberdocuments/theses2003/StadelmannBoutryB/meta.html Janvier 2005

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PREFACE

Un des moyens mis en avant dans cette thèse pour retracer la provenance et la gestation des idées de Nishida sur la création artistique était de remonter aux sources occidentales que Nishida cite 5

ou signale dans Art et morale. Grâce à une bourse du Ministère japonais de l'éducation (le Monbushô à l'époque), nous avons pu consulter ces ouvrages à Kyôto et à Tôkyô. *1.

Nous comptions faire des découvertes en retraçant les lectures 10

supposées de Nishida. Or, quelques annotations en marge des pages mises à part, ces livres ne nous permettaient pas de mieux scruter le fond de la pensée de Nishida, tel que nous l'avions espéré.*2 . Les

sources citées révèlent une partie de ce qui a alimenté la pensée de Nishida, l'autre partie, son héritage bouddhique, est souvent inavouée et 15

reconnaissable seulement par les spécialistes du bouddhisme.

En revanche, nous avons pu faire la découverte des écrits de Conrad FIEDLER (1841-1895), théoricien de l'art d'origine allemande. Les écrits que Nishida possédait de Fiedler comportaient des 20

annotations supposées de la main de Nishida lui-même dans le texte

1 Nous avons pu accéder à ces sources à l'Université de Kyôto et à l'Université

Gakushûin à Tôkyô, qui abritent chacune une partie de la bibliothèque personnelle

de Nishida. Le fonds de cette bibliothèque est actuellement dispersé et conservé en quatre lieux différents : l'Université de Kyôto, le musée commémoratif de Nishida à Unoke (petit village, lieu de naissance de Nishida, situé au nord de Kanazawa), l'Université Gakushûin et la Villa Sunshin à Kanazawa. (cf. YAMASHITA Masao,

Nishida Kitarô zenzôsho mokuroku (Inventaire de la bibliothèque intégrale de Nishida

Kitarô), Kyôto, 1983, p. II. )

Malheureusement, nous n'avons pas pu nous rendre ni à Kanazawa ni à Unoke durant notre séjour au Japon.

2 John MARALDO, dans son article "Translating Nishida", Philosophy East and

West 39; 4,1989, est de loin trop optimiste, à notre avis, quant à sa suggestion de

résoudre les problèmes de compréhension et d'interprétation dans Nishida en fonction de ses lectures (occidentales) contemporaines à la rédaction des différents textes.

(6)

original allemand. Cette rencontre entre Nishida et les écrits de Fiedler est devenue un aspect central de notre thèse.

* * *

5

Une des difficultés de la lecture de Nishida est l'impression que Nishida donne dans ses textes de ne jamais les avoir peaufinés ni à peine relus - cela est une impression, car en réalité on trouve des ratures et corrections dans ses manuscrits. Il n'empêche que son œuvre foisonne de redondances, de raisonnements elliptiques, de 10

changements abrupts, de comparaisons suspendues... A nos yeux, Nishida est un écrivain et un penseur qui a préféré la rédaction sous forme de création continue, à la mise en forme de ses œuvres.

Au début de nos recherches, nous avions une vision plus claire, 15

une opinion plus tranchée de Nishida que je n'en ai en fin de rédaction. La préoccupation avec les textes de Nishida a estompé les lignes nettes de notre premier jugement, nous sommes peu à peu entrée dans le processus de l'écriture continue, et nos critiques sont devenues au fur et à mesure plus personnelles, moins scientifiques.

20

Comment traiter d'une philosophie de la création dans le cadre d'une thèse académique? En effet, le texte même de la thèse ne présente pas un fil de pensée continu ; il s'agit plutôt de recherches et approches guidées par des lectures dans Nishida et sur Nishida. Nous 25

avons opté pour un style fragmenté qui convient davantage à l'œuvre de Nishida ; aborder Nishida d'une façon rigoureuse ne ferait que mieux ressortir les contradictions, et on passerait à côté du fonds intéressant qui peut enrichir notre propre pensée. Les écrits de Nishida, se

(7)

présentant à la fois comme réflexion et comme création, ont de ce fait imprégné l'écriture de la thèse.

* * *

5

Nous remercions de tout cœur nos relecteurs et relectrices pour leur disponibilité et leur attention. Si nous manquions de discipline pour terminer cette thèse, nous ne manquions point d'encouragements, et nous souhaitons exprimer notre gratitude en premier lieu aux professeurs qui ont bien voulu accepter de faire partie du jury et qui nous 10

ont soutenue sans relâche.

Nos remerciements sincères également au 西田研究会, groupe de recherche réuni par ASARI Makoto à l INALCO, Paris, qui est un lieu où nous avons reçu beaucoup de stimulations et de soutien. Rien de tel 15

que des gens qui ont envie de vous lire…

Et bien sûr toute la famille avait également accepté de jouer le jeu – un grand Merci !

20

(8)

INTRODUCTION

Cette thèse a pour objet de présenter un aspect de l'œuvre du philosophe japonais Nishida Kitarô (1870-1945) qui n'a pas encore été étudié d’aussi près qu’il le mériterait : le rôle de l'art. Dans notre approche, l'art se décline en deux volets qui sont la création et le beau. 5

Au centre de notre intérêt se trouve le texte Art et morale *1 publié à Tôkyô en 1923, où ces notions d'art, de beau et de création sont développées. *2

Dans Art et morale, Nishida discute de l'art et de la morale, à savoir de la création artistique mais aussi de l'action morale, ainsi que 10

de leur interrelation. Le concept fondamental de ce texte, tel que Nishida le précise dans sa préface, est la volonté. En effet, l'art et la morale seraient chacun établis en tant que mondes objectifs de la volonté :

« [239] Le présent écrit [Art et morale] se base sur la pensée exprimée dans Le problème de la conscience *3 et traite de

15

l'établissement des univers de l'art et de la morale ainsi que de la relation mutuelle que les deux entretiennent. Je suppose au fond du monde-des-objets-de-la-cognition le monde-des-objets-de-la-volonté, et je pense que les deux univers susmentionnés [de l'art et de la morale] sont établis en tant que mondes objectifs de la volonté. » (NKZ III,239) 20

1 芸術と道徳 Geijutsu to dôtoku, dans NKZ III,239-545. NKZ est l'abréviation pour Nishida Kitarô Zenshû (西田幾多ຄ全集、Œuvres  complètes de Nishida Kitarô) et renvoie à l'édition japonaise en 19 volumes.

2 Cette thèse comporte une traduction française du texte de Nishida réalisée par nos soins, avec des commentaires critiques concernant la traduction américaine établie par David DILWORTH, Art and Morality, translation of Nishida Kitarô's Geijutsu

to dôtoku, Honolulu, University of Hawaii Press, 1973.

(9)

Même si notre intérêt principal porte sur l'art, sur le lien qui unit l'art, la création et l'intuition artistique, ainsi que sur la relation de l’art avec le beau, il sera indispensable de nous pencher également sur les concepts de la volonté et de la morale afin de bien cerner ce que Nishida entend par le beau et la création artistique.

5

A l'origine, cette thèse devait s'intituler Esthétique et éthique dans le texte Art et morale de Nishida Kitarô. Dans cette perspective, et en guise de prédoctorat, nous avions établi la traduction commentée de l'Ébauche d'une éthique*4, un texte rédigé par Nishida avant sa première œuvre, Étude sur le bien.*5

10

Mais au cours de nos recherches de thèse proprement dites, deux modifications majeures sont intervenues.

Tout d'abord, nous avons infléchi la direction de notre travail, en le focalisant sur la dimension artistique et en en écartant progressivement l'aspect moral.

15

Pourquoi avons-nous écarté la dimension morale ? En dépit de ce que le titre Art et morale annonce, le lien entre l’art et la morale ne se trouve pas réellement au centre de cette œuvre. En effet, le lecteur se rend vite compte que les enjeux de la réflexion de Nishida sont divers,

4 倫理学草案 Rinrigaku sôan, 1905, NKZ XVI, pp.149-266, traduction française en 2 volumes de 147 p. (partie 1, chap.1-3) et 64 p. (chap.4-6, sans le chapitre 7) dont le 1er volume avait été présenté à l'université de Genève en 1991.

5 善の研究 Zen no kenkyû, 1911, dans NKZ I,3-200. La parution de ce premier livre, avec une préface mais sans notes explicatives, semble comme jetée au visage du lecteur non averti. Etude sur le bien est en effet un texte que l'on peut qualifier d'œuvre de jeunesse, non pas tant au regard de l'âge de son auteur – Nishida avait 41 ans lors de l’édition – qu'au vu de son contenu, plein de verve plus que de raison, et caractérisé par un manque de développement des idées. Ce texte, publié à l'initiative d'un ami de Nishida, reflète cependant bien la voie dans laquelle Nishida s'était déjà engagé spontanément : connaître les choses de l'intérieur, les étudier tant qu'elles sont vivantes et en mouvement, et ne pas attendre qu'elles soient mortes, fossilisées, pour les scruter de l'extérieur. La notion de junsui keiken (純粋経験 expérience pure) est l'emblàme de cette approche de la réalité.

(10)

qu'il s'engage dans des discussions philosophiques les plus variées. Un simple coup d'œil sur la table des matières suffit à s'en convaincre. Cette disparité des sujets traités s’explique par la genèse de l’ouvrage : il s’agit en effet de 13 articles publiés dans des revues différentes et qui avaient été réunis dans un volume auquel Nishida a ajouté une préface 5

et le titre Art et morale.

Il faut également comprendre que ce texte (comme la plupart des écrits de Nishida) donne l’occasion à Nishida de discuter d'autres penseurs, dont Fiedler et Kant, et expose des lignes de réflexion qui partent dans plusieurs directions. Celles qui nous intéressent sont 10

notamment le lien entre l'art et l'intuition, ainsi que le lien entre le beau, le bien et le vrai. Le rapport entre l'art et la morale, bien qu'il soit évoqué dans la question du beau, n'est pas prioritaire dans notre réflexion sur la création. Il s'agissait donc pour nous de faire le tri lors de la lecture, et de dégager l'essentiel pour notre propos.

15

Ensuite, après la première modification dans la conception de la thèse, nous avons nuancé le terme « esthétique » qui figurait dans notre première esquisse, en lui adjoignant celui de « création artistique ». En effet, dans Art et morale, le terme « Esthétique » (美学 bigaku) au sens de « science du beau », n'est pas utilisé par Nishida. Cette absence 20

devait surprendre dans la mesure où le titre comporte le mot « art » (芸術 geijutsu) qui fait appel à la beauté et partant, à l'Esthétique, et ce paradoxe nous a incitée à mener des recherches en ce sens. L'analyse que nous avons effectuée a confirmé que Nishida était parfaitement fondé dans le choix de son vocabulaire : c'est bien de l'art qu’il traite, et 25

non pas de l'Esthétique, c’est de l’art comme produit d’une création et non de l’art comme objet de science qu’il est principalement question dans cet écrit.

(11)

Parallèlement, la lecture de Conrad FIEDLER (1841-1895), dont un recueil d’essais est conservé dans la bibliothèque personnelle de Nishida à Kyôto, nous a permis de mesurer l’influence que cet auteur avait eue sur Nishida. Nous avons aussitôt relativisé l’approche « esthétique » extérieure de l’œuvre, et nous avons remplacé le terme 5

« esthétique » par un nouveau mot d’ordre, celui de « création artistique». Car le cheminement philosophique de Nishida dans le domaine de l’art est animé à la fois par l’acte créateur et par l’appréciation du beau - qui sont tous les deux des activités, par conséquent dynamiques - , et ne pouvait pas être retracé dans le cadre 10

de la seule discipline de l’Esthétique. Autrement dit, un questionnement esthétique de l’art ne reflétait que de manière partielle et impropre le but recherché par Nishida pour qui l’œuvre d’art renvoie à sa création.

De cette manière, les deux axes principaux de notre travail se sont faits jour, avec un auteur au centre de chacun des deux axes: d’une part 15

l'art en tant que création, et plus particulièrement en tant que création à dimension corporelle, telle qu’elle est formulée dans la théorie de l'art selon Fiedler, et reprise au sein du texte de Nishida ; d’autre part le beau et son appréciation selon la pensée de Kant, philosophe que Nishida invoque régulièrement dans ses textes.

20

Les deux axes sont traités séparément dans la thèse, alors qu’au niveau du texte de Nishida, ils s’enchevêtrent. Tout au long de cet ouvrage Art et morale, il y a une tension entre, d'une part, une approche de l'art qui se veut immanente et non-métaphysique et qui situe la force créatrice dans l'activité corporelle de l'artiste et, d'autre part, une 25

conception platonicienne, métaphysique du beau comme d'un idéal couplé avec le bien et le vrai, détaché de la réalité corporelle.

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Ainsi nous invitons notre lecteur à deux voyages : l’un vers la théorie de la création artistique pour laquelle Nishida s'inspire de Fiedler, et l’autre vers la théorie du beau - sous forme de jugement du goût - pour laquelle Nishida retourne à Kant. La question est de savoir comment Nishida concilie la divergence de ces deux théories. Comment 5

il ramène le beau dans l'immanence, d’une part, et comment, d’autre part, il rattache la création corporelle à une dimension transcendante.

Dans ce contexte, il nous semble indispensable de donner deux précisions :

Premièrement : Dans le texte de Nishida, les deux théories – de 10

l’art et de la création - ne sont pas opposées, ni présentées comme contradictoires. C’est nous qui soulevons la question du comment réussir le lien entre l’immanence de la création artistique et corporelle, et la transcendance de l’œuvre d’art en tant qu’elle est porteuse du bon-beau-vrai. C’est un problème pour nous, ce n’en est pas un pour 15

Nishida !

Deuxièmement : il nous semble que l’intérêt que Nishida suscite chez le lecteur contemporain réside peut-être moins dans sa tentative de forger une synthèse de grands systèmes philosophiques basés soit sur l’immanence, soit sur la transcendance – dans les deux cas, ne 20

restons-nous pas confinés dans des mots sans atteindre la réalité? – , que dans le fait de jeter une nouvelle lumière sur nos propres habitudes de penser.

(13)

L’art et la création dans la pensée de Nishida

Nishida n'a pas systématiquement exploré les domaines de l'art et de la création. Cependant, un certain nombre de lectures nous semblent indiquer que l'art et la création représentent une dimension importante dans sa pensée, qui apparaît partout en filigrane et qui 5

s'articule à tous les niveaux de sa réflexion. La création artistique touche en particulier au domaine de la conscience et de la perception du monde, et on constate l’impact de Fiedler sur Nishida à cet égard. *6

Le thème de la création artistique dans les textes de Nishida n'avait fait l'objet d'aucune étude vraiment approfondie au Japon. *7

10

Notre approche intuitive du début des années 1990 était néanmoins confortée par la lecture de la thèse de doctorat de Chul Ok YOO, Nishida Kitarô's Concept of Absolute Nothingness in Relation to Japanese Culture, de 1976 *8. Yoo s'est en effet penché sur les notions d'art et de

6 Malgré leur intérêt, les questions concernant la créativité comme caractère de base du monde dans lequel nous vivons, et celles concernant la société qui se crée et les phénomènes culturels qui se développent, ont été délibérément laissées de côté dans notre thèse.

7 Nos recherches ont débuté en avril 1991 à Kyôto; depuis, trois auteurs japonais ont étudié le rôle de l'art dans la philosophie de Nishida.

Le premier est TAKANASHI Tomohiro ژ梨友宏 de l'université d'Osaka, qui, lors d'une conférence donnée à Kyôto en automne 1992, a très aimablement mis à notre disposition son manuscrit de neuf pages,

世界把握の形式としての芸術、西田のフィードラーに対する 関係から

(L'art comme forme de compréhension du monde – à partir des rapports que Nishida entretient avec Fiedler ).

Le deuxième, ÔHASHI Ryôsuke 大橋良介, a publié un essai intitulé La théorie d’art

de la philosophie de Nishida (西田哲学の芸術論 Nishida tetsugaku no geijutsuron), paru dans 西田研究を学ぶ人のために、大峰あきら。思想社、京૲ 1996。(Dans la note personnelle dont M. ÔHASHI a accompagné son envoi, il marque « Herewith I enclose my article on Nishida’s Aesthetics… », ce qui indique bien le cadre dans lequel l’analyse se situe. De notre côté, nous mettons fortement l’accent sur l’aspect corporel de la création artistique et évitons une approche « esthétique »).

L e t r o i s i è m e e s t I W A K I K e n ' i c h i 岩 城 健 一 , qui a publié 西田幾多ຄと芸術 (Nishida Kitarô to geijutsu, Nishida Kitarô et l'art), dans le sixième volume des Œuvres choisies de la philosophie de Nishida, Tôkyô, 1998.

8 Chul Ok YOO, Nishida Kitarô's Concept of Absolute Nothingness in Relation to

(14)

culture chez Nishida en liaison avec le concept de zettai mu (絶対無)*9 .

Il s'est essentiellement appuyé sur deux textes : L'Arrière-plan de Goethe *10, et Les Formes de la culture classique en Orient et en

Occident d'un point de vue métaphysique. *11

Bien que mentionné comme texte majeur sur l'art, Art et morale 5

n'est ni cité ni analysé par Yoo, car la notion de zettai mu (絶対無) qui l'intéresse est postérieure à cette époque de l'œuvre de Nishida *12. Les

9 Yoo traduit ce concept par "absolute nothingness". Nous préférons ne pas le traduire, car les équivalents français qui sont proposés tels que « rien absolu » ou « néant absolu », prêtent à confusion. La notion japonaise de 無 mu est le carrefour de termes et significations différents : le vide de forme ou vacuité, le rien taoiste et le non-être bouddhiste zen. Zettai mu est le mu absolu en contraste tout ensemble avec le yû (ou encore le u, l'être 有) et le mu (無 non-être) relatif. Par conséquent,

zettai mu existe dans le temps de manière à la fois continue (être relatif) et

discontinue (non-être relatif). Dans notre conférence de 1997, nous l’avons défini comme suit : « Dans tous les textes bouddhiques anciens, l'idée de substance ou de nature propre est rejetée. Quand il est question d'existants, c'est dans le sens d'existants en mutuelle dépendance avec d'autres existants (en sanskrit :

pratîtyasamutpâda). Le concept de vacuité (en sanskrit : sûnyatâ) existait dans le

bouddhisme ancien mais avait été particulièrement developpé par Nâgârjuna (actif autour de l'an 125). Le terme sanskrit sûnya a le sens de "sans [nature propre]" ou "vide [de substance]". Afin de comprendre le sens de mu dans la philosophie de Nishida, il est utile de garder à l'esprit que ce concept - tout en étant chargé d'autres nuances, par exemple de celle du rien (en chinois : wu) taoiste ou de celle du non-être (en japonais : mu) du Zen - véhicule aussi le sens de vacuité. Le 絶対無 zettai

mu n'est pas l'être absolu, n'est pas une entité, mais le vide absolu de nature propre:

Nishida le conçoit comme la possibilité infinie de créer tout existant. Ce vide n'est pas distant des choses, il est caractéristique pour tout existant dans la mesure où ce qui existe n'est que l'illusion, à chaque instant recréée, d'une réalité "concrète" qui n'est autre que vacuité. Ainsi le mu de Nishida, comme celui du bouddhisme, n'est pas le rien au sens de vacuum ou d’absence d'être. C'est le processus de fonctionnement de la réalité. »

10 ゲーテの背景 Gête no haikei, 1931, NKZ XII, 138-149. Traduit par Robert Schinzinger, d'abord en allemand (1938), puis en anglais (1958) : G o e t h e ' s

metaphysical background. Ce texte avait été regroupé par Schinzinger avec deux

autres sous le titre de Kitarô Nishida - Intelligibility and the Philosophy of Nothingness, Honolulu, East-West Center Press, 1958.

11 形而上学的立場から見た東西古代の文化形体 Keijijôgaku-teki tachiba kara mita

tôzai kodai no bunkakeitai, 1934, NKZ VII, 429-453. Il s'agit du 3e et dernier texte de

la 2e partie des Problèmes fondamentaux en philosophie, Le monde dialectique

哲学の根本問題、弁証法的世界(Tetsugaku no konpon-mondai, Benshôhô-teki sekai),

1933-1934.

12 Cf. YOO, op. cit., pp. 138-139 : « He wrote his first major work on art in 1923,

Art and Morality, in which he sought the very ground of the true self in the creative

activity of [the] artist or the moral decision of the self. The key notion of Nishida's philosophy in this period, however, was the immediacy of pure experience as the ground of true self prior to the dichotomies between subject and object, knower and known, being and value, and so forth. In this work Nishida analyzed the ground of pure experience in terms of the act of aesthetic expression, the act of moral decision,

(15)

analyses de Yoo portent sur la notion de mu (無) à travers laquelle il souhaite mettre en évidence la particularité de la culture japonaise comme culture du néant ou du rien, en la contrastant avec les cultures occidentales *13 et les autres cultures orientales. S'il lui arrive d'aborder

l'art et la nature, il ne dit rien en revanche de la dimension de la création 5

qui nous importe.

La présente recherche est animée par le désir de mieux comprendre le processus de la création artistique qui est l'instant où l'œuvre d'art vient à exister, à travers le geste corporel. La création artistique est à la fois un processus d’expression du monde, et un 10

processus de réception du monde. L’artiste utilise son corps comme un outil qui se trouve dans le monde, qui s’en nourrit, et s’exprime vers le monde en le modifiant et en le créant en retour.

Chez Nishida, ce moment de création peut également surgir lorsque nous contemplons une œuvre d'art. Autrement dit, le regard a le 15

pouvoir de raviver l'instant créateur, ce qui fait du spectateur lui-même un créateur, puisqu'il recrée l'instant qui a fait naître et qui a donné vie à l'œuvre.

the act of reflective judgment, and so forth. But this was before the development of his notion of Nothingness as the true ground of true self in his epochal From the

Acting to the Seeing, in 1927 ».- On peut se demander pourquoi Yoo écrit «aesthetic

expression» là où «artistic expression» serait plus adéquat.

13 Il nous arrive d'utiliser les termes "Occident" et "Orient". Nous sommes consciente de l'absence de définition scientifique de ces termes ainsi que NAKAMURA Hajime, dans Ways of thinking of Eastern peoples (1964), Honolulu, University of Hawaii Press, 1993, pp. 3-4, l'a clairement démontré. Néanmoins, ces deux termes apparaissent dans notre texte, à la fois par commodité et parce qu'ils ont été utilisés par Nishida, par exemple dans La méthode scientifique, 1940, NKZ XII,385). Par "Occident" (西洋 seiyô), il entend la civilisation américano-européenne, par "Orient" (東洋 tôyô) la sphère culturelle indo-sino-japonaise. Il ne s'agit pas d'une division du monde en deux parties égales, mais plutôt de deux accents - sans qu'il ne soit question des autres centres de civilisation du monde.

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La création implique la totalité de l'être humain, qu'il s'agisse de l'artiste ou du spectateur. Cette totalité est chère à Nishida, et on peut, en abordant son œuvre sous cet angle, rendre compte aussi bien de l'arrière-plan à connotation bouddhique, que de l'apport de philosophes et de penseurs occidentaux qui privilégient cette vision. L'examen des 5

lectures de Nishida, et notamment de celle des publications de Fiedler, est révélateur.

Conrad Fiedler, juriste de formation, proche des milieux artistiques, proposait une théorie de l'art qui plaçait le regard et le mouvement corporel au centre de la création artistique. En libérant le 10

geste créateur de tout a priori moral aussi bien que de toute visée idéologique, il se démarquait des théories de son temps.

L'importance que Nishida a accordée à cette théorie de la création selon Fiedler justifie de s'intéresser de plus près à la création artistique dans sa dimension corporelle, et de la mettre en contraste 15

avec la notion du beau pour la compréhension de son texte. De fait, l’intérêt de Nishida nous semble porter aussi bien sur l'acte de la création, que sur la réflexion de ce qui est beau – car il réfléchit également sur le beau. Or, il insiste avant tout sur la naissance de ce qui sera beau, et moins sur le paraître (le Schein) du beau. La beauté 20

est une conséquence et non pas un objectif de la création. Le beau nous permet de remonter vers l’instant de la création. Nous sommes ainsi amenée, dans notre étude, à insister sur le rôle fondamental que Nishida attribue à la force créatrice dont la beauté est le couronnement.

L'art et la création sont des portes d'accès intéressantes pour 25

comprendre la philosophie de Nishida, car ils font appel à une perspective dynamique, si importante pour notre penseur japonais. Par contre, le procédé par lequel Nishida les aborde est tout à fait digne du

(17)

Zen dans sa forme : les titres de ses œuvres annonçant explicitement une réflexion sur l'art sont peu nombreux*14. Nonobstant, l'art, en tant

qu'acte de création et de réception, en tant que jaillissement perpétuel et imprégnation permanente, est omniprésent dans l'activité philosophique de l'artiste Nishida. *15

5

Nishida et ses sources

Nishida est le premier penseur japonais qui associe de propos délibéré la tradition philosophico-religieuse de l'Extrême-Orient à la philosophie occidentale. Le fruit en est une œuvre importante pour le 10

développement de la philosophie au Japon : « D'un côté, Nishida se sert de la méthodologie et de la terminologie de la philosophie occidentale, de l'autre, il puise dans la spiritualité bouddhique, en se basant sur sa propre expérience du zazen *16, "méditation assise".*17 »

Cette double orientation caractérise toute l’œuvre de Nishida. Sa 15

vie durant, il a été un lecteur infatigable des textes occidentaux – philosophiques, mais aussi littéraires et scientifiques –, ainsi qu'en

14 Art et morale (芸術と道徳 Geijutsu to dôtoku, 1923, NKZ III,237-545) ,

La création artistique en tant qu’activité formatrice historique

(歴史的形成作用としての芸術的創作 Rekishi-teki keiseisayô toshite no geijutsu-teki

sôsaku, 1941, NKZ X,177-264) et des essais courts, L'Explication du Beau (美の説明

Bi no setsumei, 1900, NKZ XIII,78-80), Le Monde objectif de l'art / Le monde des objets de l’art (芸術の対象界 Geijutsu no taishôkai, 1919, également dans NKZ XIII,121-123), La beauté de l’écriture (書の美 Sho no bi, 1930, NKZ XII,150-151).

15 Nous appelons Nishida artiste à dessein, puisque parallèlement à son travail intellectuel, il a pratiqué la poésie et la calligraphie, et les reproductions que le lecteur trouvera dans cette thèse sont de la main de Nishida.

16 坐禅

17 Robert HEINEMANN, « Pensée et spiritualité japonaises », L'Univers

philosophique, vol. I de l'Encyclopédie philosophique universelle, publiée sous la dir.

(18)

témoignent tant son journal et ses lettres que le catalogue de sa bibliothèque personnelle. *18 Il a très largement puisé dans le

vocabulaire philosophique occidental et, dans ses écrits, il mentionne de nombreux auteurs occidentaux, et semble donc à première vue largement redevable de leur pensée.

5

Néanmoins, l’héritage sino-japonais est fortement véhiculé dans la pensée de Nishida, et même si, en apparence, notre auteur s’en détache, cet héritage transparaît en palimpseste dans ses textes. Mais les sources ne sont pas explicitées *19 , Nishida cite rarement ses

références indiennes, chinoises ou japonaises, à l'instar de nombreux 10

érudits japonais de son époque*20.

Son véritable souci n'était pas de reproduire des schémas occidentaux, mais de s’en inspirer afin de forger, sur le modèle des

18 Nishida commandait ses livres directement aux États-Unis, en Angleterre et en France, ou par le biais des librairies Maruzen 丸善 et Tanno 淡野 notamment pour les livres en allemand ; il demandait également à ses amis qui séjournaient à l'étranger de lui rapporter des ouvrages. Voir aussi YAMASHITA Masao, Nishida

Kitarô zenzôsho mokuroku (山下正男、西田幾多ຄ全蔵書目ຉ, Inventaire de la bibliothèque intégrale de Nishida Kitarô), Kyôto daigaku jinbunkagaku kenkyûsho, Kyôto, 1983.

19 Mener une recherche sur les sources bouddhiques serait particulièrement intéressante en vue de déterminer les textes que Nishida avait réellement lus et connus. La lecture critique de l'œuvre de Nishida a permis à ISHII Kôsei de formuler des doutes sur la connaissance approfondie que Nishida a pu avoir des sources bouddhiques dont il s'inspire. Cf ISHII Kôsei, La philosophie de l'Ecole de Kyôto et le

Bouddhisme japonais: le point de vue de KôYAMA Iwao. *** date et parution?

石井 公成  京૲学派の哲学と日本仏教、ژ山岩男の立場   

La thèse de M. ISHII est particulièrement intéressante dans la mesure où l’on n'a jamais remis en cause que Nishida s'appuie sur la littérature bouddhique en bon connaisseur des textes. Parallèlement, ce doute peut être formulé au sujet de la compréhension (ou du manque de compréhension) par Nishida des textes européens et américains qu'il lisait en partie dans l'original.

20 Soit qu'ils cherchent à occulter leurs sources, soit que les textes de référence sont tellement connus qu'ils sont considérés comme faisant partie du bagage général du lecteur et que leur mention apparaît superflue à l’auteur.- Quant à ce savoir « intégré », il est important de savoir que Nishida avait encore étudié le kanbun (漢文) et les classiques chinois, mais que la génération de KUKI Shûzô (1888-1941), à peine 20 ans seulement plus jeune que Nishida, n’avait déjà plus bénéficié de cette éducation et que ce qu’on pouvait appeler les connaissances traditionnelles « évidentes » ou courantes de la jeunesse de Nishida commençaient déjà à se

(19)

philosophies européennes, une philosophie qui soit propre au Japon et propre au mode de pensée des Japonais *21. Il le précise dans La

Méthode scientifique *22 .

La difficulté de lire Nishida

De ce paradoxe - présence d’un héritage sino-japonais implicite 5

et des apports occidentaux explicites - résulte une certaine difficulté à lire Nishida. Bien des raisonnements de Nishida ne sont compréhensibles qu'à la lumière des références, en particulier au Zen (禅) et à l'Amidisme (la croyance en le Bouddha Amida et en la Terre Pure *23) pour ce qui est de la spontanéité – qui est sincérité - dans

10

l’émergence des phénomènes et dans le comportement des êtres humains ; ainsi qu’au Kegon (華厳) dont Nishida est proche dans sa compréhension de l’interrelation de toute chose. *24

modifier vers la fin du 19e siècle (communication personnelle de SAITÔ Takako,

auteur d’une thèse sur Kuki).

21 Gregor PAUL préfère parler de « philosophie du Japon » plutôt que de « philosophie japonaise », car il considère que la pratique de la philosophie est propre à tous les humains, à toutes les cultures. Ses recherches mettent en évidence la présence déjà bien implantée des schémas de pensée pré-philosophiques en provenance du Continent au Japon, à l'époque de Yayoi (de 300 av. JC à 300 ap. JC). En revanche, il réfute l'existence d'une philosophie proprement et typiquement japonaise (cf. Die Anfänge der Philosophie in Japan, OAG, Tôkyô, 1991 ; Philosophie

in Japan, Von den Anfängen bis zur Heian-Zeit, München, iudicium, 1993). Nishida,

toutefois, pensait fonder une philosophie qui tiendrait compte de ce qu'il appelle la spécificité japonaise.

22 学問的方法 Gakumon-teki hôhô, 1940, NKZ XII, 385-394 Ce texte est le résumé d’une conférence donnée en 1937 et éditée par le Bureau de l’éducation du Ministère de l’Education (cf. NKZ XII,394). Il est joint comme supplément (ಃຉ furoku) à l'essai Nihon bunka no mondai (日本文化の問題 Le problème de la

culture japonaise, 1940, NKZ XII,275-383) qui est rédigé sur la base de trois

conférences que Nishida avait données en 1938. Les deux textes sont traduits par Pierre LAVELLE, La Culture japonaise en question, Paris, POF, 1991.

23 L’Amidisme est pratiqué par deux écoles au Japon, la Jôdo-shû (Ecole de la Terre Pure, 浄土宗)fondée par Hônen (1133-1212), et la Jôdo-shinshû (Véritable Ecole de la Terre Pure 浄土真宗) fondée par le disciple de Hônen, Shinran (1173-1263). On réunit les deux écoles sous le terme d’Amidisme parce qu’elles font de l’invocation du Bouddha Amida leur pratique centrale.

(20)

Malgré l'implication du Zen dans le développement des arts japonais, Nishida ne s'y attache guère dans Art et morale. Les conceptions du Zen sont certes présentes, mais, là encore, elles se font discrètes quand nous cherchons des références précises.

Cette association de plusieurs fonds de pensée confère un 5

caractère amphibologique aux écrits de Nishida : un lecteur japonais n’exploite pas aisément les sources occidentales utilisées ; à l'inverse, un lecteur non-japonais aura des difficultés à repérer et à comprendre précisément l'arrière-plan bouddhique qui alimente la pensée philosophique de Nishida.

10

L'œuvre de Nishida est en effet construite sur des « évidences », les éléments d'une culture que ses membres - en l’occurrence les contemporains de Nishida - ne questionnent ni ne mentionnent jamais, tant ce fonds culturel est naturellement intégré dans leur quotidien. C'est très probablement ce même bagage qui fait partiellement défaut à un 15

Japonais de notre époque, car ce qui était « évident » pour un Japonais contemporain de Nishida ne l'est plus obligatoirement pour un Japonais d'aujourd'hui.

« Les lectures 華厳 Kegon de Nishida sont difficiles à cerner :

- il y a au moins le 五教章 Gokyôshô, le 法界玄՜ Hokkai genkyô, le 注華厳法界観඗

Chû Kegon hokkaikanmon, le 華厳՜ 探玄記 Kegonkyô tangenki qu'il a directement lus (Yamashita, Catalogue de la bibliothèque de Nishida, p.323, n°750, pp.339-340 [voir le Journal 日 記 Nikki en date de juillet 1943 (Meiji 18) dans NKZ XVII,667], n°1057, 1060). (cf.aussi, p.322, n°745).

- la bibliothèque comporte aussi des titres : pp.204-205, n°352, 353, 354, 355. (s'y trouvent le 五教章 Gokyôshô et le 探玄記 Tangenki qu'il a lus ; on ne sait rien quant aux autres).

- il y a les connaissances indirectes : venant de discussions avec Suzuki, d'un mathématicien Suetsuna qui connaissait bien le Kegon et fréquentait assidûment Nishida, etc. Le Zen est pénétré d'idées Kegon, sans jamais les mentionner explicitement (v. par ex. l'introduction de Catherine Despeux aux Entretiens de Mazou; des notes de P.Demiéville dans les Entretiens de Lin-tsi ; les ouvrages de Suzuki). »

(21)

Etant donné cette complexité et notre incompétence de référer aux sources bouddhiques, nous nous sommes rigoureusement limitée à exploiter les sources en langues occidentales qui ont inspiré Nishida, et au sein de ces sources nombreuses, nous visons en particulier l’œuvre de Fiedler et la pensée esthétique de Kant.

5

L’objectif de Nishida

L'objectif de Nishida était de fonder une pensée philosophique japonaise. Il lui fallait d'abord se démarquer des systèmes de pensée traditionnels qui sont le Shintô 神 道 , tel qu'il est présenté par le 10

mouvement Kokugaku (国 学   Étude nationale), le Bouddhisme (仏教 bukkyô) et le Confucianisme (儒教 jukyô). Ensuite, il lui fallait se distinguer de la philosophie occidentale, sans toutefois la réfuter comme l'exigeaient les Japonais extrémistes de son époque.

Nishida s’est efforcé d’appliquer deux méthodes. Il a pratiqué une 15

méthode scientifique qui serait « caractéristique des Japonais , qui est de connaître les choses sans partialité à partir de leur intérieur-même, par la participation à l'univers observé » (NKZ XII,388). Et il a également utilisé la méthode comparatiste : en discutant la philosophie venue de l'extérieur, en particulier de l'Occident, et en s'en inspirant, Nishida 20

formule sa propre pensée.

Autant la méthode comparatiste est constamment appliquée dans les textes de Nishida, autant la méthode scientifique ne se trouve pas clairement définie par Nishida. Dans son essai La Méthode

(22)

scientifique *25, il précise quel nouvel esprit scientifique il estime qu'il

conviendrait de développer au Japon, en s'appuyant sur le paradigme développé en histoire de l'art par Alois RIEGL (1858-1905).

Le Japon, explique Nishida, a été nourri pendant plus d'un millénaire par la sagesse et l'enseignement du continent, notamment 5

de la Chine et de la Corée. Conjointement à ces emprunts divers, le Japon a su mettre en relief des facultés qui lui sont propres, telles que la sensibilité et l'émotion.*26

« Mais je crois que, bien qu'il y ait à la base de la culture orientale beaucoup d'éléments qui ne le cèdent en rien à la culture occidentale, 10

qui sont même supérieurs à cette culture, son point faible est néanmoins de ne les avoir pas développés en tant que savoir (学 gaku) »*27.

25 学問的方法 Gakumonteki hôhô, 1940, NKZ XII, 385394, cf. aussi note 20. -Nishida parle aussi de la « méthode japonaise » dans ܚ感 (Zakkan, Sentiments divers/ Impressions diverses,1916, NKZ XIX,711-717). Il écrit à la première page : « Quand on parle d’indépendance de l'esprit, ce à quoi n'importe qui pense en premier, c'est de raviver la pensée et la science telles que mises en évidenceu par l'Asie ancienne [korai]. En particulier en tant que Japonais, il s'agit de promouvoir [sakanni suru] l'esprit propre aux Japonais qui avait été développé dans notre pays. Cela, c'est quelque chose que nous devons nous efforcer de faire, il va de soi, dans la mesure où nous sommes des Japonais. Nous devons tenter d'investiguer suffisamment en profondeur tous les aspects de ce qui est japonais [nihon toiu mono]. »

26 L’influence continentale millénaire a donné lieu à l’expression emblématique 和魂漢才 wakon kansai : âme japonaise, savoir chinois. A l’époque de l’ouverture du Japon, (Meiji 明治 1868-1912) l’expression est transformée en 和魂洋才 wakon

yôsai : âme japonaise, savoir occidental.

27 NKZ XII, 387. Lavelle traduit : « Mais je crois que, bien qu'il y ait à la base de la culture orientale bien des éléments précieux supérieurs ou égaux à ceux de la culture occidentale, son point faible est de n'avoir pas développé le savoir. » (L a

culture japonaise en question, Paris, POF, 1991, p. 111)

Nishida (NKZ XII,279) oppose d’emblée, dans son texte, le kyô (教 enseignement, doctrine) oriental au gaku (学 savoir, recherche) occidental ; il semble employer gaku dans le sens de savoir systématique. Il est à noter que gaku ne revêt pas toujours ce sens. Dans la première phrase des Entretiens de Confucius,

gaku a le sens d'enseignement : quand on apprend au moment opportun, on

assimile l'enseignement, quand dans la vie se présente un moment opportun, on applique cet enseignement.

(23)

Face à une culture européenne que Nishida perçoit comme spatiale, rationnelle et intellectuelle, il décrit en effet la culture japonaise comme linéaire et rythmique :

« On peut dire que la culture japonaise est linéaire (直 線 的 chokusen-teki). C'est pourquoi je la qualifie de rythmique 5

(リズミカル  rizumikalu). La Nation japonaise (国体 kokutai), qui est de l'ordre de l'émotion et qui a la Maison Impériale en son centre, m'apparaît comme une unité à caractère rythmique. » (NKZ XII, 392)

Nishida ne donne pas d'indications plus précises sur ce qu'il entend par « rythmique » *28. Ce qui compte dans ce passage, est la

10

conscience que Nishida a, en tant que Japonais, de sa propre culture. Guidé par cette conscience, il mène son investigation à la recherche d'une méthode scientifique spécifiquement japonaise.

Riegl, que Nishida discute dans ce texte, a développé son paradigme de l'art en s'opposant à la pensée traditionaliste, qui avait 15

pour coutume de faire dériver toute théorie de l’art des œuvres d'art grecques, plus précisément du canon hellénique. Dès lors qu'un art – par exemple l'art égyptien ou l'art gothique – n'entrait pas dans le parangon hellénique, il était considéré comme un art de classe inférieure, voire totalement exclu de la catégorie de l’ « art ». Cette vision 20

correspondait aux philosophies expliquant de l'extérieur les

28 Nishida écrit : リズミカル rizumikalu, transcription phonétiqe du mot anglais « rhythmical ». Il est étonnant que Nishida utilise un terme importé pour caractériser ce qui devrait être proprement japonais. Nous pouvons comprendre le concept de rythme qu'utilise Nishida si nous le transposons dans le domaine de la calligraphie.

Peut-être est-ce aussi dans le sens que l'être humain est au diapason avec ce qui l'entoure, le monde : « Quand une personne utilise l'énergie qui lui est propre, dans le temps qui lui est propre, et à un endroit qui lui est propre, elle utilise le rythme », écrit Michel Random (Japon. La stratégie de l'invisible, Paris, 1985, p. 86)

(24)

phénomènes apparus dans un certain contexte culturel, et cet « extériorité » était un concept occidental servant d’aune.

Dès que l’on procède, comme Riegl – et comme Nishida – à partir des exigences et structures internes d'un phénomène, ce qui va à l’opposé des tendances qui régnaient à leur époque, on aboutit à des 5

conclusions radicalement différentes. Pour Nishida, les scientifiques et penseurs japonais se devraient de mener leur recherche selon la méthode de Riegl, sans se conformer à des conventions, sans adopter des vues partiales ou des a priori, et en se laissant guider par la logique interne du phénomène étudié. Voilà ce que devrait être la véritable 10

science japonaise:

« Ce qu'on appelle la science (学問 gakumon) veut dire que notre esprit vit dans les faits objectifs. Ce n'est que de cette manière que nous pouvons réaliser une science japonaise. » (NKZ XII, 388)

Le Japon se trouve situé entre les deux blocs, entre l'Orient et 15

l'Occident, et aux yeux de Nishida il y a dans cette particularité culturelle et géopolitique une opportunité à saisir : « Que seule en Orient notre nation, tout en ayant reçu l'influence [ de l'Inde et de la Chine ], ait assimilé la culture occidentale et puisse être considérée comme re-créatrice de la culture occidentale, n'est-ce pas surtout dû à cet esprit 20

japonais qui se dirige sans entraves vers les choses elles-mêmes ? » (NKZ XII, 280)

L'idéal étant de combiner émotion et raison, Nishida considère que le peuple japonais et sa culture sont prédisposés à la mission de

(25)

jeter un pont entre l'Orient et l'Occident, par-delà le fossé séparant les deux mondes.*29

Lorsque Nishida insistait pour ouvrir le Japon intellectuel au monde, tout en développant un esprit critique qui soit propre à son pays, ses exigences étaient éminemment modernes, actuelles. Quand 5

Nishida enseignait à l’université de Kyôto (de 1913 à 1928), son ancrage dans la pensée bouddhique conjugué avec sa terminologie philosophique nouvellement forgée, était en contraste avec les autres disciplines universitaires. En effet, les universités japonaises étaient figées dès leur fondation en cela qu'elles entendaient leur rôle en 10

termes de transmission du savoir (dont notamment des connaissances sur et en provenance de l’Occident), et qu’elles étaient éloignées de la recherche fondamentale. Nishida faisait une exception dans ce cadre. Il était penseur, et non pas un historien de la pensée. *30

Cet objectif, à savoir forger une philosophie japonaise, était 15

couplé chez les disciples de Nishida (et fondateurs de l'Ecole de Kyôto, 京૲学派 Kyôto gakuha) avec l’ouverture vers le monde occidental. Comment peut-on définir le rôle de l'École de Kyôto dans le Japon actuel ? Suite à l’internationalisation, et à l'aube de la mondialisation du pays, pays entraîné et s’entraînant dans des échanges multilatéraux tant dans 20

le monde des affaires et de la technique, que dans le domaine des

29 La conscience qu'a Nishida de la mission assignée au Japon dans l'ordre mondial lui a valu d'être décrié comme partisan de l’ultra-nationalisme et de l'impérialisme japonais. Disparu le 7 juin 1945, avant le désastre des deux bombes atomiques – et donc avant la capitulation du Japon –, Nishida n'a pu en tirer de bilan pour la postérité.

30 Les universités cherchent aujourd'hui à développer un esprit novateur, et à intégrer une certaine approche individualiste et plus axée sur le monde du travail et de la recherche. Cf « Die japanische Universität im Umbruch », in Neue Zürcher

Z e i t u n g , le 11 avril 1992, p. 25. Les mouvements de diversification et

d'internationalisation des universités au Japon ne sont pourtant pas uniquement liés à une prise de conscience des réalités académiques, mais sont aussi dictés par des nécessités économiques : la perspective d'une baisse du nombre d'étudiants met en cause la survie des établissements privés qui, en procédant à l'ouverture de nouveaux départements, espèrent attirer un plus grand nombre d'étudiants.

(26)

sciences humaines (langues, philosophie, histoire), et à l’heure où les universités se restructurent, quelle place est-ce que cette école philosophique peut occuper?

La diffusion de la pensée de Nishida a pu être assurée par ses disciples, en particulier au travers du Zen, en posant la philosophie 5

japonaise comme une « philosophie du rien » (par opposition à la philosophie de l’être, c’est-à-dire l’ontologie).*31 Si les successeurs et

commentateurs de Nishida, notamment HISAMATSU Shin'ichi (久松真一 1889-1980) et UEDA Shizuteru (上田ҷ照 né en 1926), mettent l'accent sur le Zen et l'aspect philosophico-religieux dans les 10

œuvres de Nishida, cela s'explique d'une part par l'engagement personnel de ces philosophes dans l'étude et la pratique du Zen, d'autre part par l'attitude, qui peut être perçue comme ambiguë, de Nishida pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, Nishida ne s'est jamais ouvertement distancé du fascisme et du totalitarisme japonais*32. Pour

15

éviter d'aborder cette question vaste et gênante, il est courant de dépeindre un Nishida détaché du monde politique, plongé dans le monde du Zen. De plus, cette image avait l'avantage de correspondre à une mode en Europe et en Amérique, où l'on se laisse volontiers fasciner et intriguer par les philosophies orientales *33. Le Zen a ainsi

20

31 Il y a bien sûr aussi d’autres aspects philosophiques que les disciples de Nishida développent, en partant de Nishida et en interrogeant la philosophie européenne.

32 Bernard STEVENS, « En guise d'introduction : une présentation de l'École de Kyôto », Études phénoménologiques, n° 18, Louvain-la-Neuve, Ousia, 1993, 37.

33 Dès l'après-guerre, certains penseurs japonais abordent les questions qui touchent à la morale et à l'éthique chez Nishida. Pierre Lavelle a frayé un chemin avec sa traduction La culture japonaise en question (cf. note 19) qui ouvre le débat sur les implications politiques de la philosophie de Nishida. Parmi les mago-deshi (les disciples des disciples), ÔHASHI Ryôsuke (né en 1944) prend quelque peu ses distances vis-à-vis des accusations politiques et cherche à réhabiliter les textes de Nishida en les replaçant dans un contexte plus strictement philosophique. Toutefois, les plus éminents représentants de l'école de Kyôto se sont proclamés penseurs religieux. Le dialogue entre Bouddhisme et Christianisme, amorcé par Nishida dans son dernier essai , La logique du lieu et la vision religieuse du monde (1945, NKZ XI, 371-464, cf. note 34 ), a été poursuivi par Hisamatsu Shin'ichi, Nishitani Keiji, Abe Masao et Ueda Shizuteru. Malgré sa volonté d'être le fondateur d'une philosophie

(27)

pu, en Occident, ouvrir la porte à la philosophie de Nishida, et ce d'autant mieux qu'un dialogue entre bouddhistes et chrétiens peut aisément s'appuyer sur les textes de Nishida*34. Nishida lui-même établit un

parallèle entre le Christianisme et le Bouddhisme dans Les Formes de la culture classique en Orient et en Occident d'un point de vue 5

métaphysique .*35

japonaise et la distance affichée vis-à-vis du Zen, le discours de Nishida a glissé dans le religieux.

34 Cf.notamment Hans WALDENFELS, « Absolute Nothingness. Preliminary Considerations on a Central Notion of the Philosophy of Nishida Kitarô and the Kyôto School », Monumenta Nipponica, 1966, vol. 21, n° 3-4, p. 354-391 ; « Das schweigende Nichts angesichts des sprechenden Gottes. Zum Gespräch zwischen Buddhismus und Christianismus in der japanischen Kyôto-Schule », Neue Zeitschrift

für Systematische Theologie und Religionsphilosophie, 13, 1971, p. 314-334 ; «

Nishida Kitarô, Nishida und Zen, Abolutes Nichts », in Absolutes Nichts - Zur

Grundlegung des Dialogs zwischen Buddhismus und Christentum, Basel-Wien, 1976

(il existe une traduction américaine de ce livre).

H. RZEPKOWSKI, « Einstellung des Nichtsbegriffes nach Nishida », in Thomas

von Aquin und Japan. Nettetal 1967.

Fritz BURI, Der Buddha-Christ als der Herr des wahren Selbst. Die

Religionsphilosophie der Kyôto-Schule und das Christentum, Bern/Stuttgart 1982.

P,S. CHUN, The Christian concept of God and Zen 'Nothingness' as embodied in

the works of Tillich and Nishida. Dissertation University of Ann Arbor, 1982.

K. RIESENHUBER, « Reine Erfahrung. Im Gespräch zwischen Aristoteles, Nishida und Pseudo-Dionysios ». Hans Waldenfels, Thomas Immoos (Hrsg), Fernöstliche

Weisheit und Christlicher Glaube. Festgabe für Heinrich Dumoulin. Mainz 1985.

Steve ODIN, « Kenôsis as a Foundation for Buddhist Christian Dialogue : The Kenotic Buddhology of Nishida and Nishitani of the Kyôto-School in relation to the Kenotic Christology of Thomas J.J.Altizer », The Eastern Buddhist 1987, 20:1, p. 34-61 ; « A critique of the Kenôsis/Sûnyatâ motif in Nishida and the Kyôto-School. »,

Buddhist Christian Studies 1989, 9, p. 71-86.

UEDA Shizuteru, « Das absolute Nichts im Zen, bei Eckhart und bei Nietzsche.», in Die Philosophie der Kyôto-Schule. ÔHASHI Ryôsuke (Hrg.). Freiburg/München, Alber 1990.

Voir aussi le dernier écrit de Nishida, 場所的論理と宗教的世界観 (Basho-teki

ronri to shûkyô-teki sekaikan, La logique du lieu et la vision religieuse du monde),

1945, NKZ XI, 371-464 ; traduit par SUGIMURA Yasuhiko et Sylvain CARDONNEL,

Logique du lieu et vision religieuse du monde, Editions Osiris, 1999.

35 形而上学的立場から見た東西古代の文化形体 Keijijôgaku-teki tachiba kara mita

tôzai kodai no bunkakeitai, 1934, NKZ VII, notamment pp. 441-42, passage que Yoo

commente : « Nishida divides the cultural forms into two major categories: a) the cultures grounded in the immanent, actual world view; b) the cultures based on the transcendent, non-actual world view. The culture formed under the influences of Christianity and Buddhism are considered to be the cultures of the transcendent world view, although Christianity transcends the world in the direction of affirmation, whereas Buddhism in the direction of negation. » Yoo, op.cit. 1976, p. 189. - Nishida précise, toutefois, en 1901 que le Christianisme ne l'intéresse pas, parce qu'il ne veut pas être sauvé (NKZ XVIII,53, lettre 36). Nous tenons à remercier Frédéric Girard pour cette référence.

(28)

L'une des caractéristiques de l'École de Kyôto à l'heure actuelle est son dialogue interculturel avec les courants philosophiques européens et américains. C'est précisément ce dialogue que Nishida n'a pas véritablement amorcé.

Nishida n'a jamais quitté le Japon. En revanche, il a été en contact 5

avec des philosophes allemands : il a correspondu avec Heinrich RICKERT et Edmund HUSSERL; en avril-mai 1937, il a reçu la visite d'Eduard SPRANGER, et en novembre de la même année celle de Karl LÖWITH, puis en 1938 celle de Robert SCHINZINGER *36. Par ailleurs,

son ami de jeunesse SUZUKI Daisetsu, qui vivait aux États-Unis, ou 10

encore Lafcadio HEARN, lui ont donné une connaissance indirecte de ce pays *37.

Le fait de rencontrer d’autres philosophes n’est certes pas un critère pour évaluer la qualité intellectuelle d’un penseur. Néanmoins, la rareté des contacts directs avec le monde intellectuel européen et 15

américain, alors que sa lecture d’œuvres nées sur le fonds de cette culture occidentale est extrêmement riche et couvre toutes les époques, est symptomatique pour Nishida.

Les œuvres de Nishida ont été peu connues en Europe et aux Etats-Unis de son vivant. Si on veut appeler « dialogue » l'intérêt que 20

Nishida portait à la philosophie européenne en particulier, soit, mais il s'agit d'un dialogue à sens unique, d’un monologue. Même si l’influence de Nishida sur la réflexion philosophique au Japon est capital, il serait

36 Pour les rencontres, cf. Lothar KNAUTH, « Life is tragic », Monumenta

Nipponica, 1965, vol. 30, 3-4, p. 335-358, notamment pp. 347 et 356. En 1936, ÔKI

R. avait traduit une lettre de Nishida en allemand, mais Schinzinger fut le premier à traduire une œuvre complète.

37 Tel qu'en témoignent ses lettres à Suzuki, et à OMODAKA, le traducteur de KUKI Shûzô.

(29)

erroné de considérer que sa pensée alimentait le débat d'idées en Europe ou aux Etats-Unis.

Les premières traductions

Les premières traductions d’écrits de Nishida, en allemand, 5

datent de 1936, lorsque Ôki R. publia « Brief an den Schriftleiter der Zeitschrift “Risô”» (NKZ XIII,137-142) et «Logik und Leben » (論理と生命 Ronri to seimei, 1936, NKZ VIII,273-394) dans la revue Cultural Nippon 1936.

10

Par la suite, Robert Schinzinger publia en 1938 Der Metaphysische Hintergrund Goethes, traduction allemande de ゲーテの背景 Gête no haikei (1931, NKZ XII,138-149).

TAKAHASHI Fumi, une nièce de Nishida décédée très jeune, vers 1940, publia en 1939 à Berlin la traduction allemande revue par Oscar 15

Benl de l’essai Les Formes de la culture classique en Orient et en Occident d'un point de vue métaphysique *38 intitulée Die

morgenländischen und abendländischen Kulturformen in alter Zeit vom metaphysischen Standpunkt aus gesehen. En 1940, c'est à Sendai (dans le nord-est du Japon) qu'elle publia le cinquième chapitre d'Art et 20

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Guten.*39 Bien évidemment, dans le contexte de la Seconde Guerre

Mondiale, la diffusion de ces textes a été fort limitée, et l'intérêt qu'ils ont suscité, modeste.

Suivent d’autres traductions de Schinzinger qui publie trois essais de Nishida, d'abord en allemand en 1943 (sauf No. 2, paru en 1938), 5

puis en anglais en 1958. Il s'agit de :

1. Die intelligible Welt / The Intelligible World *40

2. Goethes metaphysischer Hintergrund / Goethe's Metaphysical Background*41

3. Die Einheit der Gegensätze / The Unity of Opposites *42

10

Les trois essais en anglais sont réunis dans le livre Kitarô Nishida, Intelligibility and the Philosophy of Nothingness (Honolulu, East-West Center Press, 1958) et dotés chacun d'une introduction. 15

38 形而上学的立場から見た東西古代の文化形体 Keijijôgaku-teki tachiba kara mita

tôzai kodai no bunkakeitai, 1933-34, NKZ VII,429-453.

39 真善美の合一点 Shin-zen-bi no gôitsu-ten, 1923, NKZ III,350-391.

40 叡智的世界 (Eichi-teki sekai, Le monde intelligible, 1928-29, NKZ V,123-185) est le 4e de huit essais réunis dans NKZ V sous le titre Le système auto-aperceptif de l’universel (一 般 者 の 自 ђ 的 体 系   Ippansha no jikaku-teki taikei). - Quant à la traduction de 叡智的 eichi-teki, nous nous plions aux habitudes depuis Schinzinger, en allemand et en anglais, de le rendre par « intelligible », mais nous n’en sommes pas satisfaite. Certes, on traduit « intelligible » par opposition à « sensible ». Mais le monde intelligible de Nishida n’est pas seulement le monde qui peut être connu par l’intellect, mais aussi un monde intelligent qui se comprend lui-même. C’est le monde le plus profond et le plus englobant qui permet de comprendre. La traduction par « intelligible » (avec le suffixe «-ible » dérivé du latin « -ibilis ») a une connotation passive : ce qui peut être connu, ce que nous pouvons connaître. Alors qu’il nous semble que le qualificatif eichi-teki contient une dimension active : un monde qui se structure selon l’intelligence. – En guise de rappel, 場 所   basho, le lieu du surgissement de toute la réalité, sera défini par Nishida dès 1926, comme étant ni sensible ni intelligible

41 ゲーテの背景 (Gête no haikei, L’arrière-plan de Goethe, 1931, NKZ XII,138-149) est le 12e de 22 essais réunis sous le titre Suite à Pensée et expérience

(続思索と体験、Zoku shisaku to taiken), une compilation de 1945.

42 絶対矛盾的自己同一 (Zettai mujun-teki jiko-dôitsu, L’auto-identité absolument contradictoire, 1939, NKZ IX,147-222) est le 3e de cinq essais qui forment le Recueil 3 des essais philosophiques (哲学論文集第三 Tetsugaku ronbunshû daisan) édité en 1939. Yamanouchi a aidé Schinzinger pour la traduction.

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D'autres traductions ont été réalisées, mais après la disparition de Nishida en 1945. Le dialogue était donc quasiment inexistant du vivant de l'auteur. Ses disciples, par contre, ont voyagé et sont entrés en contact direct avec l'Europe. Même si Nishida n'a pas véritablement 5

établi un dialogue avec l'Europe, il a le mérite d'avoir ouvert la voie à la philosophie japonaise, en exigeant que les Japonais développent un esprit propre, philosophique et scientifique.

«Il nous faut penser par nous-mêmes.», écrit Nishida, et «Nous devons entreprendre de penser avec logique et conséquence.» (NKZ XII, 10

288*43).

L'esprit de ces citations sera notre guide tout au long de cette thèse.

43 Voir aussi la traduction de Lavelle, La Culture japonaise en question, Paris, POF, 1991, p. 26.

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Références

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