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Les troubles affectant la pratique de l’élevage

Les conséquences du changement politico-économique sur le système pastoral

4. Les troubles affectant la pratique de l’élevage

Nous venons ce voir que les risques d‟intempérie, de dégradation du pâturage et d‟épidémie entrainent des problèmes majeurs dans la pratique du pastoralisme nomade. En suivant, nous aborderons un autre facteur qui affecte cette activité, c‟est la délinquance par les vols des bêtes et les cambriolages, et le sentiment de l‟insécurité chez des ruraux.

4.1. Les divers vols

Les vols des animaux domestiques existaient à toutes les périodes du moyen âge à nos jours, comme le montrent les actes de punition contre ces méfiants. Un témoignage cité dans le recueil de conseils destinés aux éleveurs, rédigés par un Zasag nommé To van, daté des années de 1850, rapporte que les vols se multiplient à cette époque. Il faut punir les voleurs en leur interdisant de monter à cheval, à la place ils doivent monter un bœuf, en interdisant d‟utiliser un couteau, un fouet, une perche, l‟harnachement et en interdisant de quitter le territoire de la bannière, en interdisant de se balader pendant la journée. De plus, ils doivent ramasser les bouses et tanner les peaux pour leur gardien (Natsagdorj, 1968 : 111).

Plus tard, une autre remarque consignée par le Père Kervyn (1946 : 152) précise que : « Le vol avec effraction est sans doute très rare, mais c‟est avant tout sur ces troupeaux immenses de chevaux et de bœufs vaguant librement et sans grande surveillance dans de vastes plaines, que les malandrins jettent leur dévolu ».

Il est possible que le vol soit moins problématique à l‟époque communiste puisqu‟il y a peu de données sur ce sujet. Par contre aujourd‟hui les vols d‟animaux deviennent assez fréquents. Les ruraux appellent les voleurs süültei süülgüi chono ce qui veut dire « les loups avec queue ou sans queue ». Autrement dit, l‟ennemi principal des animaux domestiques est le loup. Le loup sans queue est la métaphore pour le voleur qui est aussi dangereux que le loup. D‟après des ruraux les vols augment de plus en plus de nos jours. Ainsi, la radio annonce à longueur de journée le signalement de bêtes volées. Souvent, le vol concerne les chevaux car ceux-ci vivent en liberté et restent sans surveillance perpétuelle. Les endroits où il y a davantage de circulation, le risque est plus grand et le propriétaire garde lui-même ses chevaux. A la moindre perte de vigilance, le risque de vol augmente.

La police, l‟administration ou les responsables des communes disent que les éleveurs ne surveillent pas leurs troupeaux ; ils les laissent toute la journée paître au loin ce qui risque d‟attirer l‟attention des voleurs. Pour eux, ce sont les éleveurs eux-mêmes qui sont les responsables, au point que la police fait payer une amende aux éleveurs qui ont perdu leur bétail, en cas de bêtes retrouvées. En effet un éleveur qui perd des bêtes est forcement perdant dans tous les cas car, soit les bêtes volés ne sont jamais retrouvées, soit il paye une amende si la police les trouve. Pour remédier à cette situation, une ONG propose de mettre en place une assurance contre le vol du bétail.

Afin de ne pas attirer l‟attention, il faut vivre dans des endroits à l‟abri des regards pour que des inconnus ne sachent pas où vivent les éleveurs. Par exemple, Buural s‟est fâché contre l‟un de ses voisins parce qu‟ils ont envoyé des marchands inconnus chez eux tard le soir. Ces marchands ne lui inspiraient pas confiance.

Selon Naran, des éleveurs laissent paître leur troupeau tout seul sans surveillance, ce qui entraîne des disparitions de bêtes. Il est vrai que plusieurs fois des hommes venaient chez Buural

pour demander la piste de leurs bêtes perdues. Un jour, Davaatseren, le petit frère du mari de la sœur de Buural, rend visite à Naran qui lui offre du pain avec de la crème fraîche. Il a refusé le thé au lait car il venait de boire du koumis chez un autre éleveur. Il explique l‟objet de sa visite : il y a quelques jours il a perdu ses chameaux dont quatre blancs et deux qui ont les bosses tombés. Ils sont partis vers l‟ouest hier, paraît-il. Il est venu avec beaucoup d‟espoir de trouver une piste pour chercher ses bêtes. Comme Buural fait tous les jours la garde de son troupeau le visiteur a pensé qu‟il pourrait apercevoir ses chameaux.

Il y a un an dans leur vallée une famille avait perdu une vache : son cadavre fut retrouvée morte le lendemain car les voleurs l‟avaient tuée pour prendre la viande. L‟un des frères de Buural lui a confié ses deux chameaux dont la famille se servait au transport de l‟eau potable et du camp. Mais en septembre 2009 ces deux chameaux ont été tués par des voleurs. La famille a trouvé leur carcasse dans un trou. Quelques mois après leurs bœufs ont été aussi volés par des malfaiteurs.

Bien que Buural surveille régulièrement son troupeau, la famille s‟est fait voler un bœuf et deux chameaux ; ce qui veut dire que la vigilance et la régularité de la surveillance ne suffisent pas à pratiquer l‟élevage de la poly-espèce. Nous savons en effet que les « longues pattes» et les « courtes pattes » exigent différents pâturages d‟où l‟éparpillement du troupeau sur de plus grands espaces qui nécessite alors davantage de main d‟œuvre. Buural étant tout seul à surveiller son troupeau, privilégie la garde des «courtes pattes » car le troupeau est plus grand que celui de ses « longues pattes », mais en même temps le risque de perte d‟animaux devient plus grand chez les « longues pattes ».

Les vols ne se limitent pas uniquement aux animaux il y a aussi des cambriolages. En automne Naran est partie pour vendre leurs productions en ville et Buural restait à la maison en compagnie de Boldoo, le fils du frère de Dendegmaa. Pendant la journée les deux partent faire paître le bétail et personne ne reste dans la yourte. Au retour à la fin de l‟après-midi les deux hommes ont eu une mauvaise surprise. La porte de la yourte était entrouverte et les affaires étaient dispersées partout. Des voleurs ont fouillé leur commode et pris des affaires. Bien que la

police de leur commune et de leur région aient fait une investigation, l‟affaire a été classée sans suite. Les dégâts ne sont pas indemnisés.

Avec les dommages subis, la famille pense que des malfaiteurs peuvent être des inconnus et mais pas seulement. Si des éleveurs se sentent entourés par des gens peu fiables et ne peuvent pas faire confiance aux inconnus comment étendre les relations sociales ?

4.2. La violence sociale

Il y a peu de traces, pratiquement pas de littérature, concernant les violences sociales à l‟époque communiste. Mais nous ne pouvons pas conclure qu‟il n‟y en avait point. Les « faits divers » des journaux apparaissent après le communisme. Les crimes atroces, querelles mortelles entre voisins, scènes tragiques intrafamiliales, sont rapportés presque quotidiennement dans la presse. Cette violence est très généralisée. Les risques de comportements violents sont présents en ville et à la campagne.

Même un des membres de la famille de Naran est devenu un sujet parmi ces « faits divers » des journaux. Nous pouvons lire dans un journal hebdomadaire écrit par Sutaibayar (Le Quotidien, 2005), « Un victime [cadet de Naran] est assassiné par son voisin de la vallée. L‟assassin était soul quant il a commis cet acte. Pendant la journée l‟assassin a bu de l‟alcool avec des amis de la victime. Ils se sont disputés et ainsi se sont séparés. Dans la nuit l‟assassin est revenu avec un couteau chez la victime et a tué en même temps trois personnes qui étaient dans la yourte ».

Ces dernières années la violence et l‟alcoolisme se sont aggravés et affectent la vie des gens dans leur quotidien. Lors d‟une recherche au nord de la Mongolie j‟ai rencontré une jeune femme-victime. Elle avait un bleu énorme sur son visage. Alors elle dit que pendant l‟absence de son mari un homme de sa commune est arrivé dans un état d‟ébriété avancé. Elle était avec ses enfants. Il l‟a frappée parce qu‟elle ne lui aurait pas rapidement servit du thé. D‟après elle, il

s‟était disputé avec son mari il y a quelques jours et il est venu chez eux pour se venger. Alors elle est devenue la victime de la querelle entre les deux hommes.

Ces faits alimentent le sentiment d‟insécurité chez les ruraux. Ainsi la femme de Jagaa dit : « J‟ai peur de rester seule s‟il n‟y a pas de voisin auprès de chez moi ». Ce sentiment de l‟insécurité est partagé par les femmes de la vallée d‟Aarag, et elles ne sont pas rassurées à rester seules au foyer ou à garder leurs troupeaux. J‟ai l‟impression que surtout ce sentiment est plus renforcé chez les jeunes femmes. Naran trouve que le fait que les réseaux routiers se soient développés à proximité de chez eux, cela renforce davantage le sentiment d‟insécurité. N‟importe qui peut rendre facilement visite à n‟importe quel moment et Naran n‟est pas toujours rassurée de cette situation. Notre informatrice, madame Byambaa, de Türegiin gol, éprouve exactement le même sentiment.

L‟alcool, le chômage, la pauvreté sont des facteurs des violences sociales que nous apprenons par diverses études sur la société contemporaine mongole. Pour nous, il semble que la violence surgit parmi ceux qui se connaissent déjà et qui connaissent le quotidien des uns et des autres. De plus, la faiblesse physique des femmes ou des enfants les rend plus vulnérable et ils deviennent la cible des comportements violents. Autrefois le droit coutumier était bien respecté par tout le monde, qui réglait les problèmes liés à la violence, d‟après ce que disent des ruraux. Alors est-ce que la violence sociale existait à l‟époque communiste ? Et l‟absence de la littérature à ce sujet, la question reste ouverte. Mais on peut aussi se demander si c‟est un nouveau type de comportement. Dans l‟affirmatif, serait-ce un comportement lié à l‟effet de la modernité ?

CHAPITRE 3