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La yourte et l’habitat de la famille de Buural

3. L’organisation de l’espace et les aspects symboliques de la yourte

3.2. L‟horloge solaire

L‟espace interne de la yourte est également divisé en signes astrologiques, de douze animaux comprenant le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, le coq, le chien, le cochon. Ci-dessous un schéma replaçant les signes astrologiques, inspiré par Maidar :

Figure 21 : Les points cardinaux divisés en signes astrologiques (schéma inspiré celui de Maidar, 1976).

D‟après le schéma, le rat correspond au khoimor. Des études de la yourte montrent que « le rat signifie le respect du khoimor ». Il est donc associé à cette partie la plus prestigieuse de la yourte. En effet, pour les Mongols, le rat est considéré comme le symbole de la richesse. Par exemple, dans un chant traditionnel sur le thème des douze animaux, on trouve ces paroles dès le début:

Tellement riche qu'il vomit des trésors, Erdeniin züileer bööljööd baidag

Le rat est le premier ! Erüü tsagaan khulgana neg jil

[du cycle des douze animaux rassemblant le trésor]

Il n‟est pas étonnant que le khoimor corresponde symboliquement à la zone du rat.

Le rayon de soleil qui passe par le cadre de la couronne illuminant, les perches et les croisillons des murs, permet d‟indiquer l‟heure d‟une façon qui rappelle le cadran solaire. Pour les éleveurs, il ne s‟agit pas d‟un luxe, car les activités journalières comme la traite les vaches, la conduite des moutons et des chèvres en pâture ou l‟abreuvage des troupeaux sont indiquées précisément par cette espèce d‟horloge que représente la yourte.

Plus généralement, le système astrologique sert à définir aussi des espaces-temps liés à la course journalière du soleil. Les heures de lever et de coucher du soleil varient selon les saisons, mais dans tous les cas, les habitants peuvent diviser la journée en différents moments. La yourte de « quatre murs » avec ses 60 perches, montée vers le sud-est, correspond particulièrement bien au cadran d‟une horloge puisque l‟écart entre deux perches est de six dégrées (Maidar, 1976 : 138). Cependant nous avons remarqué les signes astrologiques de l‟espace est renversé quant il s‟agit du temps (voir la figure 26 ci-dessous). Par exemple, au lever du soleil, le premier rayon arrive sur la couronne du côté droit de l‟entrée (à l‟ouest) l‟heure nommée « lièvre » pourtant cela correspond à l‟espace nommé « coq », et finit sur le cadre de la couronne du côté gauche (l‟est), l‟heure nommée « coq » mais cela correspond l‟espace « lièvre ». Nous en donnerons une explication, lus bas.

La tâche du soleil de la yourte à l‟intérieur va de la gauche vers la droite. L‟heure s‟exprime à travers les signes astrologiques qui correspondent à une tranche de deux heures

environ. On voit bien que, le matin, les premiers rayons éclairent l‟heure du lièvre (en été, il est alors approximativement 6 heures) ; un peu plus tard, c‟est le dragon qui est éclairé et ainsi de suite; vers 10 heures- le serpent, alors que midi est l‟heure du cheval (le soleil est alors sur la partie khoimor); à 14 heures- le mouton, à 16 heures- le singe, à 18 heures- le coq sont respectivement éclairés. En hiver, on observe évidemment un passage plus bref du soleil, mais, dans les deux cas, les tâches journalières correspondent à cette division et, au bout du compte, les références astrologiques montrent que : « le soleil se lève à l‟heure du lièvre et se couche à l‟heure du coq ». La répartition des travaux journaliers se fait de la manière suivante : entre le lièvre et le dragon, c‟est l‟heure pour traire des vaches; entre le dragon et le serpent, c‟est l‟heure d‟aller au pâturage chercher les troupeaux ; entre le cheval et le mouton, c‟est l‟heure d‟abreuver ces mêmes troupeaux ; entre le mouton et le singe, c‟est l‟heure de ramener les troupeaux vers la maison et à l‟heure du coq, il faut traire les vaches. A l‟heure du cheval, les troupeaux sont en pâturage donc il n‟y a pas d‟activités précises à faire. Le schéma ci-dessous représente l‟horloge solaire :

Figure 2 : La division horaire par la lumière solaire pénétrant par le toit de la yourte (schéma inspiré celui de Maidar, 1976).

En considérant le rayonnement du soleil qui pénètre à l‟intérieur de la yourte par le toit il n‟illumine jamais que la moitié de cet intérieur. La lumière oscille de la partie gauche à la partie

droite de la yourte, en passant par le khoimor. Cela correspond aux animaux allant du lièvre au coq. Or, de ce point de vue, ce système se complique singulièrement lorsque l‟on observe que, quand on évoque l‟heure, le nord ou le khoimor correspond à la fois au cheval. Logiquement, le cheval devrait s‟opposer au rat et donc se trouver à la porte au sud. Or ce n‟est pas le cas et, l‟heure du cheval désigne le moment où le soleil illumine le khoimor. Comment comprendre que la partie khoimor est à la fois celle du rat mais aussi celle de l‟heure du cheval, qui devrait normalement se situer en opposition à celle du rat? Il semble que deux logiques se superposent et, pour résoudre cette énigme, il faut se référer au phénomène d‟inversion extérieur/intérieur.

En effet, tout se passe comme si, à l‟intérieur de la yourte, le nord est ensoleillé alors que le sud reste dans l‟ombre. On ne peut comprendre ce paradoxe qu‟en supposant un renversement de l‟ordre. Dans la tradition bouddhiste et mongole, le nord représente la direction de l‟obscurité, du froid, voire de la mort. Il n‟est pas auspicieux et est associé au monde d‟en bas, voire aux démons. Je me suis demandé pourquoi, dans ces conditions, l‟organisation interne de la yourte semblait contredire ce principe en plaçant au nord la zone supérieure : comme on l‟a vu, l‟autel de la maison, c‟est-à-dire la place des dieux, se trouve systématiquement au nord. Un élément intéressant de réponse à ce paradoxe peut se trouver dans l‟article que Bourdieu consacre à la maison kabyle dans son Esquisse d‟une théorie de la pratique. Il affirme avec perspicacité : « Si l‟on revient maintenant à l‟organisation intérieure de la maison, on observe que son orientation est exactement l‟inverse de celle de l‟espace extérieure… » (1972 : 35). Ainsi l‟auteur met la polarité inversée de l‟espace selon que l‟on est à l‟intérieur ou à l‟extérieur de la maison. Il me semble qu‟il s‟agit là d‟une remarque particulièrement féconde qui peut expliquer l‟organisation de l‟habitation mongole. Ce serait alors, selon la raison évoquée par Bourdieu, qu‟à l‟intérieur de la yourte, l‟autel et la place d‟honneur se trouvent au sud et non pas au nord: selon le principe d‟inversion, cela revient à dire que le nord de l‟extérieur correspond au sud de l‟intérieur. La porte qui donne vers le sud de l‟extérieur correspond le nord de l‟intérieur et effectivement, ainsi que nous l‟avons vu, le soleil n‟y brille jamais, à l‟inverse du khoimor.

Nous sommes ici dans un univers structural où le système d‟oppositions prévaut sur le contenu des termes. On voit donc comment la yourte s‟organise selon une série d‟oppositions: haut/bas ; lumière/ombre ; sacré/profane ; ordre/désordre ; homme/femme. Il s‟agit d‟un espace

culturel et hautement symbolique, mais c‟est aussi un lieu de confinement où tout est réduit et où chaque chose doit être à sa place selon un principe d‟ordre qui participe au monde de la culture.

3.3. Le foyer

Le foyer, gal golomt, se trouve au centre de la yourte. Autrefois le foyer était constitué de trois grosses pierres posées en forme circulaire. Des traces archéologiques de ce type ont été trouvées, par l‟archéologue Ser-Odjav à Tamsag Bulag dans la province Arkhangai, dans une grotte61. Les hommes préhistoriques devaient se contenter de ces pierres pour cuire leurs aliments. Aujourd‟hui, cette technique archaïque n‟a pas tout à fait disparu puisqu‟elle est encore utilisée par des éleveurs en transhumance. Il semble que les trois pierres posées en cercle permettent de couper le vent tout en circonscrivant le feu. On a aussi trouvé un instrument trépied appelé tulga datant de l‟âge du fer : destiné à recevoir une marmite, il est en fer avec trois pieds qui sont tenus par un anneau en fer circulaire. Mais, depuis les années 1930, la yourte est chauffée par un poêle et l‟usage de ce dernier s‟est généralisé au point d‟être devenu un élément incontournable de l‟habitation. Le poêle est en aluminium et de forme ronde ; il est fabriqué dans une usine régionale ou communale, parfois aussi par des artisans. Il est particulièrement apprécié pour sa légèreté et chauffe très vite. Cependant, il tient relativement mal la chaleur.

La femme est toujours considérée comme la gardienne du foyer. En effet, c‟est elle qui cuisine et qui a aussi la charge de chauffer l‟intérieur. Le foyer occupe une place importante dans l‟imaginaire mongole. Par exemple, une légende dit que « les Mandchous ont voulu porter atteinte au foyer mongol en modifiant la forme du trépied à chaudron. La partie supérieure de chaque pied a été recourbée vers l‟intérieur, lui donnant forme d‟un bec de corbeau qui, pour les Mongols, est un oiseau de malheur. Des Mongols ont décrypté cela et pour protéger leur foyer ils ont modifié la coiffe de leur femme dont la chevelure fut divisée en deux parties plates en forme d‟aile représentant l‟oiseau mythique, Garudi, (Songino, 2003 : 312). Et depuis ce temps les femmes utilisent la pince à argol qui représente symboliquement des « ciseaux à feu » pour

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« neutraliser » les corbeaux qui veulent détruire le foyer. Depuis la femme doit surveiller le foyer et elle est respectée comme le dieu du feu (Idem, 2003 : 258).

D‟après l‟interprétation de Songino (2003), l‟instrument trépied porte une marque symbolique : « le pied droit symbolise le père, le gauche la mère et le dernier désigne le fils ». C‟est la représentation de la base de la famille. Selon l‟auteur, il s‟agit du dernier fils appelant otgon qui veut aussi dire galiin khaan, littéralement « le roi du feu ». C‟est-à-dire que l‟auteur associe l‟héritage du foyer au dernier né de la famille. Le dernier de la famille, selon la loi coutumière mongole, est l‟héritier de la famille et donc, le gardien du foyer. On trouve aussi un tulga à quatre pieds. Le dernier pied symbolise la belle-fille, dit-on. Selon certaines coutumes, la belle-fille qui arrive dans la famille de son futur mari doit prier devant ce tulga.

Prof. Ruegg a écrit « la centralité de la maison signifie que l‟espace sacré figure également un centre par rapport à des zones indéfinies […] qui est comme le symbole de l‟axe du monde par lequel le terrestre et l‟humain communiquent avec le céleste et le divin (2011 : 245). Les Mongols croient littéralement au pouvoir du feu et elles prennent garde de ne pas sortir ce dernier en dehors du foyer. Il existe aussi des tabous liés au feu : par exemple, il est interdit de laisser poser les ciseaux à feu, ouverts, sinon cela risque de provoquer des querelles et des disputes.Il est interdit aussi de cracher vers le feu. Car cela signifierait que l‟on méprise le foyer. La salive est la partie de la saleté. Il est aussi interdit de mettre un couteau dans le feu car cela serait le signe de la destruction du foyer et provoquerait le courroux de l‟esprit du feu.