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Chapitre II : Théorie et démarche d’analyse

4. Les trois niveaux de l’analyse imagologique

De l’image au mot ou du mot à l’image ? Le mot est une entité lexico- sémantique que nous pouvons considérer aussi comme unité minimale constitutive de l’image. A ce niveau, nous serons ramenés à identifier un stock de mots participant en

31 - AMOSSY Ruth Herschberg, Pirrot Anne, Stereotypes et Clichés. Paris, Armand Colin, 2005. p. 27. 32

ciment à l’édifice de l’image. Cette dernière comme construction symbolisée ou métaphore filée, sera l’espace même du sens où le Je et l’Autre se rencontrent, s’affrontent et parfois fusionnent. A ce premier niveau d’étude, il nous semble impératif de recourir à une analyse lexicale qui nous permettrait le relevé de toutes les traces d’itération et de répétition. Nous pouvons pour cela pratiquer le comptage de certaines occurrences concernant le marquage des lieux (espaces du Même et/ou de l’Autre) et autres. Bref, de tout ce qui, au niveau du mot, permet un système d’équivalence entre le Je et l’Autre.

Ces mots, mais aussi dans des textes, ces constellations verbales et ces champs lexicaux, composent l’arsenal affectif servant de composantes de l’image. Si le Je se définit tout en définissant l’Autre ou que son image reflète autant celle de l’Autre, nous serons attentifs à tout ce qui permet la différenciation d’un (Je Vs l’Autre). Mais aussi à l’assimilation (Je ressemble à l’Autre), puisque ici c’est l’écriture de l’altérité qui nous occupe.

Par ailleurs, il nous conviendrait d’être attentifs à l’adjectivation qui permet certains procédés de qualification et de catégorisation. A ce stade, l’imaginaire auquel renvoie cette image en mots, autrement dit ce lexique, se présente en une sorte de répertoire traversant tout le texte, comme écrit PAGEAUX : «un dictionnaire en

image, un vocabulaire fondamental servant à la représentation et à la communication »33. Cependant, il serait mal convenu de nous arrêter ici et nous limiter à cette analyse lexicale avec seulement des remarques d’ordre sémantique. Il importerait dès lors de passer à un autre niveau d’analyse, à savoir celui qui concernera l’identification des motifs et des relations hiérarchisées.

4.2. L’image en thèmes

Pour pouvoir opérer un passage du mot au thème dans notre étude de l’image, PAGEAUX propose une possible démarche consistant à : « suivre les méandres de

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l’écriture du Je énonciateur, c’est identifier, au-delà des mots, des motifs, des séquences, des thèmes, des visages et images qui disent l’Autre, comment s’articulent au sein d’un texte les principes organisateurs, distributeurs (série de Je Vs série de l’Autre), les logiques et les dérives d’un certain imaginaire »34

. Au sujet des thèmes

qui participent à l’élaboration de l’image, PAGEAUX parle de relations hiérarchisées. Selon lui, il importera d’identifier les grandes oppositions qui structurent l’image, et par là, le texte. Des unités thématiques et des pauses descriptives d’un Je (culture regardante) et de l’Autre (culture regardée). Egalement, les séquences où se trouvent rassemblées les éléments catalyseurs de l’image.

L’analyse de ce second niveau portera par ailleurs, sur le cadre spatio-temporel. Nous nous appliquerons ainsi à l’étude des procédés d’organisation et de réorganisation dans le récit. Nous nous intéresserons également aux découpages oppositionnels et leur transcription littéraire, à l’exemple de (ville Vs village). Enfin à tous les principes de découpage de cet espace, en faveur d’une d’un Je regardant l’Autre. L’image littéraire comme espace du sens, entre territoires des uns et des autres, s’écrit souvent selon un procédé de mythification. Or, dans une image de culture, l’espace se trouve le plus souvent valorisé. Cependant certains espaces se trouvent plutôt isolés dans le texte, et d’autres voire même condamnés. Plus loin, PAGEAUX parle d’espaces harmonieux et espaces négatifs ou de chaos. Nous serons attentifs aussi aux relations qui s’instaurent entre l’espace, comme lieu de mémoire, et le corps des personnages, pour revenir dans une sémiotique de l’espace romanesque à Jean ROUSSET qui, à ce propos affirme que la structure du récit est vivante : « la

forme est jaillissement des profondeurs »35. Or, nous virons par là, à quel point les thèmes participent à la structuration dans le texte, de ce langage symbolique qui est l’image.

Par ailleurs, nous nous appliquerons au terme de cette analyse des relations hiérarchisées, à explorer les modalités thématiques dans le texte à savoir :

34 - Ibid, p. 143. 35

premièrement la thématique personnelle que BARTHES définit comme : « la

structure d’une existence », « un réseau organisé d’obsessions »36. Par conséquent, la

page que l’auteur écrit est inséparable de l’instant qu’il vit, mais aussi du passé dans lequel il plonge ses racines. De fait, dissocier son moi, se dissiper, disloquer son souvenir et son idéologie et ses aspirations, sont autant de jeux qui illustrent une conception ludique de la littérature et, par là même, de ce caractère programmé de l’image. FREUD montre également dans le même sens que la création littéraire est comme un jeu, un rêve éveillé où l’écrivain se crée des fantasmes. Deuxièmement, une thématique d’époque. Cette dernière pourrait être constituée par l’actualité politique, culturelle, sociale mais aussi littéraire et artistique. Troisièmement et enfin, une thématique éternelle. Elle se traduit par le résonance actuelle de thèmes anciens qui fouillent toutes les époques, ou comme les nomme FREUD dans, La création littéraire

et le rêve éveillé : les rêves séculaires de la jeune humanité.

4.3. L’image en mythes

Si l’image comme métaphore filée ou nébuleuse sémantique traversant la trame du récit, est constituée des réseaux lexicaux des relations hiérarchisées, les mythes s’y trouvent également. Or, quoique parfois dissimulés, ces derniers participent à la constitution de cette image, et par là même à la structuration du texte véhicule. Pour notre part nous prendrons le mythe dans le sens particulier, lui conférant la fonctionnalité d’une image, d’un modèle symbolique de la représentation collective qui s’imposerait à travers l’histoire à l’imaginaire de l’auteur ou du groupe social en question. A ce stade, l’image devient un micro récit reconstituant une histoire. Voire une mise en scène scripturaire d’un rapport (opposition/dialogue) entredeux cultures.

En effet, la relation entre texte et mythe n’est pas toujours une relation simple et explicite. Le texte peut intégrer en son sein un mythe déjà constitué en préconstruit culturel. Pierre BRUNEL pose à ce propos le principe que le mythe est : « langage

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préexistant au texte, mais diffus dans le texte, est l’un de ces texte qui fonctionnent en lui »37. Ainsi pour opérer un glissement du mythe en général au mythe dans sa reprise au sein d’une œuvre littéraire, subverti, restructuré et modelée ou altérée, Denis de ROUGEMONT part de la considération de la littérature comme une reconstruction de la réalité. Représentation confuse et déformante d’une image qui, selon lui, s’installe en faveur d’une profanation de cette réalité. En ce sens le recours au mythe et sa reprise et son glissement en littérature n’en n’est pas moins un hasard qu’un acte réfléchi et programmé par l’auteur.

De ROUGEMONT ajoute à ce propos que : « lorsque les mythes perdent leur

caractère ésotérique et leur fonction sacrée, ils se résolvent en littérature »38. De fait

nous nous intéresserons dans le cadre de ce niveau d’analyse de l’image, aux éventuelles manifestations de mythes ou de figures mythiques dans notre corpus, pour pouvoir dans une analyse structurale, examiner les fonctionnalités des mythes structurant notre texte. Nous nous pencherons également pour ce, sur les nombreux travaux en mythocritique et en mythanalyse, pour essayer de voir la manière dont les représentations sociales à un moment donné, à une époque, articulent, génèrent et restructurent les mythes. En somme, nous nous intéresserons au mythe comme scénario participant au processus de l’ethnotypisation et laissant transparaître les rapports entre le Je et l’Autre.

Au terme de ce chapitre, nous avons essayé d’exposer en résumé en quoi consiste, d’une part l’image que nous prétendons étudier, et d’autre part la démarche théorique que nous adoptons pour notre analyse. Nous avons aussi rendu compte de la dimension et de la complexité d’où procède l’image dans un texte littéraire. Or, pour pouvoir donner suite à ces deux premiers chapitres essentiellement théoriques, nous consacrerons le chapitre qui suit, à une présentation sommaire de Assia Djebar et de notre corpus d’étude.

37 - BRUNEL Pierre, Mythocritique, théorie et parcours. PUF, Coll. « Ecriture », 1992, p. 61. 38

Chapitre III : Présentation de l’auteur et du corpus