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L’ancrage dans l’errance et la recherche de l’identité

Chapitre II : L’étude de l’image en thèmes

2. L’ancrage dans l’errance et la recherche de l’identité

Femme écrivain de langue française à la croisée des deux cultures, occidentale et orientale, Assia Djebar passe la plupart de sa vie dans l’interminable errance d’exil en exil, ce qui marque et caractérise son œuvre par la constante récurrence des deux thèmes qui nous semblent liés, à savoir : l’errance et la recherche de l’identité.

D’abord l’errance. Comme c’est le cas pour l’ensemble de la littérature maghrébine, ce thème est lié à un certain déséquilibre identitaire. Pour La Disparition …, le déséquilibre est déclanché par la séparation de Marise et Berkane. Au préalable, Berkane connaît l’ancrage en la compagnie de celle-ci mais lorsqu’elle le quitte l’équilibre et l’harmonie sont rompues, et le voilà de retour au pays. Dans la première partie du récit, la narratrice témoigne ainsi de son errance :

Deux semaines après, il se réveille un matin, téléphona à son directeur […]. Il déclara qu’il était grippé, qu’il allait consulter le médecin. Il n’alla pas chez le médecin, ni à son bureau, erra dans Paris, prenant un bus jusqu’au terminus, un autre bus, dans un autre sens […], oisif ou contemplatif, absent en somme, heures lentes jusqu’au crépuscule, jusqu’à l’heure nocturne où il rentra lentement dans son studio de célibataire : le silence l’envahit 145.

Ici, l’errance est déclanchée par la solitude qui suit la rupture, traduisant le sentiment d’étrangeté et d’exilé. Cependant, la décision de quitter la France ne

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semble pas résoudre la crise et stopper son errance, car de retour au pays, le sentiment d’étrangeté demeure toujours, d’où le besoin d’écrire à Marise.

Par ailleurs, quand il fait la connaissance de Nadjia il accoste momentanément, mais celle-ci encore le quitte aussitôt, et le voilà seul de nouveau. Dans la double étrangeté, l’écriture devient pour lui la seule consolation possible, s’instituant en tiers espace entre l’Ici et l’Ailleurs, ou comme seul lieu où l’ancrage est désormais possible. Aussi bien pour Berkane, Djebar conçoit l’écriture comme exutoire de Soi et de l’Autre et moyen pour échapper à la solitude comme perte de repères, d’où le second thème : la recherche de l’identité.

En effet, les deux thèmes nous semblent liés, car celui qui erre est souvent à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose (un objet perdu). Dans le texte de La

Disparition…, Berkane cherche l’Algérie en France et la France en Algérie, véritable

quête d’un territoire mixte, hybride qu’il ne retrouve que dans l’écriture, comme espace où se fait la rencontre de Soi et l’Autre dans la solitude.

D’ordinaire, dans la recherche de l’identité, l’écrivain tente dans l’écriture de donner dimension et corps à la distance qui sépare le Soi de l’Autre, qui est l’altérité. Or, cette distance se transmue et se traduit en sentiment d’exil hors de Soi. Cependant, il s’agit dans notre texte d’un « exil vers l’intérieur » au plus profond de Soi, que Berkane tente par l’écriture dans la solitude.

A l’initial, Malek Haddad était le premier écrivain maghrébin (Algérien) à avoir employé l’expression « l’exil dans la langue ». Dans son ouvrage intitulé : Les Zéros

tournent en rond, et pour évoquer l’aliénation, le drame et le déchirement

linguistiques, il écrit : « La langue français est mon exil » et « Je suis moins séparé de

ma patrie par le méditerranée que par la langue française ». Cependant, pour

Mohammed Dib, Assia Djebar et d’autres, battant en brèche le cloisonnement, la solution au problème identitaire serait l’ouverture à l’Autre dans une écriture nouvelle et universelle. D’où, nous pouvons constater une évolution et une certaine dynamique

dans la représentation du rapport de Soi à l’Autre. Cet élan d’ouverture à l’universalisme refusant les identités sclérosées et closes, confère à notre auteur (Assia Djebar) en particulier son statut d’illustre dans le champ francophone et interculturel de la littérature mondiale, et pour la littérature maghrébine en particulier, une progression, comme le souligne Foued Laroussi : « C’est une littérature qui ne

veut pas qu’on l’enferme dans un cloisonnement thématique plus qu’appauvrissant »146

.

En revanche, il est un exil plus pénible que celui de Haddad. Dans La

Disparition…, Djebar nous fait le portrait d’un homme (Berkane) exilé dans son

propre pays. Ainsi, y’ a-il plus étranger que celui qui l’est dans son pays ? Tel est le cas de Berkane.

Souvent, le thème de la recherche de l’identité dans l’ensemble de l’œuvre de Djebar et dans notre récit en particulier, se manifeste à travers une écriture introspective, une plongée dans les souvenirs et l’histoire. A ce propos, Laura Restuccia écrit : « La recherche de l’identité, d’autre part, est étroitement liée à une

récupération d’une identité historique. C’est ainsi qu’Assia Djebar, accepte le défi de réécrire l’histoire de son pays, colonisé et blessé »147. C’est ainsi que dès son

installation en terre natale, Berkane écrit ce journal en fragments pour rappeler les déchirements d’hier et évoquer ceux d’aujourd’hui (la seconde partie du roman).

Tout au long du roman, l’ancrage identitaire de notre personnage vacille entre deux « femmes/langues » Marise et Nadjia : une occidentale et une orientale pour dire le métissage identitaire et la double appartenance culturelle et linguistique du personne, à l’image de Djebar, d’où le glissement autobiographique. Cependant, les deux femmes dissipées, les lieux d’autrefois délabrés et les siens presque tous disparus : retour ou non retour ? L’interrogation demeure, et Berkane a-t-il réussi son « ré-ancrage après » son retour ? La réponse serait que Berkane le retrouve dans cette

146- LAROUSSI Fouad, « Ecrire dans la langue de l’autre », in GLOTTOPPL N003 de janvier 2004. UMR CNRS 6065 DYALANG Ŕ Université de Rouen/URL : http://www.univ-rouen.fr/ dyalang/glottopol.

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errance dans l’écriture, seul territoire où son être puisse retrouver toute sa dimension, son identité, en somme, Soi.

Outre, reste à souligner que la recherche de l’identité est aussi centrée sur Nadjia qui, exilée comme Berkane, retrouve son ancrage dans la fuite et l’incessant va et vient entre l’Algérie et tout l’Ailleurs possible. Dans sa lettre envoyée à Berkane de Padoue, deux ans après leur séparation (témoignage de l’auteur), celle-ci lui confie les raisons de son instabilité et de son errance, mais aussi de son attachement à lui :

Cher Berkane, je t’écris de Padoue…deux ans se sont écoulés déjà, […], je vaudrais t’informer de ce que devient ma vie, loin des orage de notre pays…jusqu’à lors […] je ne faisais que […] découvrir des contrées, ou simplement des villes […]. J’ai fini par comprendre […] que c’était en quelque sorte par volonté tenace d’inscrire partout mon oubli de mon propre pays […] 148

.

Dans la suite de cette lettre, quoique séparée de Berkane et de son pays, Nadjia vit son exil dans le bonheur, la complicité, les études et la découverte. Enfin, à l’image de Djebar, pour laquelle, point de repères, la littérature devient patrie. Nadjia finit par assumer son exil, et trouve dans l’errance et l’ailleurs l’ancrage et l’équilibre de son être..