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Chapitre II : L’étude de l’image en thèmes

1. L’exil et/ou la nostalgie

Comme nous pouvons le lire dans sa biographie, Assia Djebar est une femme écrivain à la croisée des deux, culture et histoire d’un occident et d’un orient. Ayant beaucoup voyagé en aller et retour, en quête interminable qui la conduite jusqu’aux Etats-Unis. Elle devient cette femme écrivain de langue française et cinéaste arabe qui, d’exil en exil finit par trouver son ancrage assumé, dans l’errance. Ainsi, la nostalgie devient pour elle un sentiment nécessaire s’inscrivant en thème permanant dans son œuvre.

Elle est également femme écrivain militante dans la culture occidentale qui lui appartient, désormais, non moins que sa culture d’origine. Néanmoins ses écrits concernent presque toujours l’Algérie. L’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, lieu d’amour, de l’enfance et des ancêtres. Le fait de vivre entre les deux cultures, deux mémoires et deux langues, a fait jaillir en elle un métissage imparfait surgissant dans son œuvre en constant sentiment d’exil et de nostalgie. Double fidélité ou double trahison ? Entre les deux cultures, ou en marge des deux ?

Dans l’ensemble de son œuvre, elle donne à lire comme en témoigne Laura Restuccia : «L’image d’une identité morcelée […] dans laquelle les différentes

composantes donnaient lieu à un rapport de solidarité, mais une solidarité pleine de conflits »137. Au- delà de son sentiment de double étrangeté exprimé dans La

Disparition de la langue française, Djebar se sent en exilé partout. Dès lors, sa patrie

devient territoire où elle n’est pas, pour revenir au passage, cité en exergue, de Bernard Marie Koltès : « […] est-ce que la patrie, c’est l’endroit où l’on est pas ? »138.

137- RESTUCCIA Laura, « Assia Djebar ou l’orient seuil de la mémoire ». 138

Il s’agit dans cet article de discuter les deux thèmes à savoir, celui de l’exil et de la nostalgie qui, pour très présents qu’ils soient dans le récit, s’imposent en laissant transparaître les rapports entre Soi et l’Autre.

Avant de quitter la France, Berkane vivait en compagnie de Marise auprès de laquelle il a connu l’amour et la tendresse. Quand celle-ci lui déclare le quitter, et que malgré, elle l’aimait, Berkane est pris par une sorte de nostalgie du pays natal et en même temps, un mal de l’autre pays, la France, qui le saisissent dans la tourmente et la déception. Une semaine après, Berkane comme en témoigne la narratrice : « […] eut

des veillées à la fois de tendresse et de nostalgie »139, et décide deux mois plus tard de quitter la France et de rentrer au pays, en faisant comprendre à ses collègues de travail : « Je vais me remettre à écrire ! J’aurais besoin alors de tout mon temps »140. A cet événement Berkane était saisi par un malaise et un sentiment d’étrangeté comme d’un « répudié ». Dans son demi-sommeil, la patrie, « l’autre patrie », sa ville natale le réclamait. Ici, l’Autre par la figure de Marise, assurait à Berkane l’ancrage dans cet ailleurs, et à la perte de celle-ci, la nostalgie et le sentiment d’être exilé se réveillent en lui comme un mal, un désarroi le taraudant dans la solitude.

De retour au bercail, il s’installe face à la mer, à proximité d’Alger. Lui l’enfant de la Casbah ne reconnaît plus sa terre natale, elle n’a rien à voire avec celle de sa mémoire, celle d’il y’a vingt ans, encore ses proches ont presque tous disparu. Il observe le présent et égrène les souvenirs d’autrefois : son enfance, l’école française, les événements, la torture, et dans cette longue réminiscence, Berkane est à nouveau saisi par le sentiment d’étrangeté. Est-il exilé en terre natale ?

A ce double sentiment d’étrangeté et d’exilé en terre natale, Berkane entreprend d’écrire à Marise deux lettres qu’il n’envoie pas. Dans ces deux lettres, il lui avoue son attachement éperdu à elle et aux moments qu’ils ont passé ensemble : « Chère Marise,

je décide de t’écrire […] pour converser et me sentir le temps d’une lettre, proche de

139- Ibid, p. 18. 140

toi […] »141

, et il ajoute plus loin : « Je t’avoue ces deux ou trois réveils, où tout,

inextricablement, se mélange : le choc de mon retour et le tristesse de t’avoir quittée, […] »142 […] », il ajoute encore : « Marise-Marlyse, te dire que mon amour se gonfle

à présent par la séparation, […]. En même temps, mon désir de toi devient marée haute dans cette absence voulue et pourtant si lourde […] »143. Cette suite de passages

illustre largement le sentiment de nostalgie que Berkane éprouve en l’absence de Marise. Son attachement à celle-ci et son amour malgré la séparation structurent toute la première partie du roman. Ainsi, l’absence de l’Autre provoque en Soi une frustration et un manque, d’où ce sentiment d’étrangeté de Berkane. Or, l’Autre devient indispensable, voire une partie irréductible de Soi, (du Je qui parle).

Plus loin, Berkane raconte dans ces deux lettres sa désolation du délabrement de la Casbah de son enfance :

Je tente de relater, pour toi, mon délaissement par rapport à mes lieux d’origines,

[…], il faisait nuit presque nuit quand, épuisé au-delà de la morne constatation de retrouver ces lieux de vie dégradés, délabrés, disons même avilis…je n’ai pas retrouvé ces lieux d’une vie autrefois foisonnante, grouillante, je les ai cherché, je ne les ai pas encore trouvé alors que je t’écris ! […]. Mon royaume d’autrefois, je l’ai cherché dans les moindres rues, les artères, les placettes, […]. Mais je le constatais, ils se sont mués quasiment en non-lieux de vie, […], marqués par une dégradation funeste ! 144.

Plus loin dans le récit, Berkane fait la connaissance de Nadjia dont il tombe amoureux, celle-ci l’arrache par la chaleur de son dialecte à sa solitude et lui permet un ancrage momentané. Nadjia fuyant l’Algérie depuis longtemps, le quitte et de plus bel, comme une peine, une maladie incurable renaissent en lui les sentiments de l’étrangeté et de nostalgie, dans la solitude qui devient un fait.

Séparé de Marise et de Nadjia, de l’Algérie et la France, en somme des deux versants de son être, Berkane tente dans l’écriture et la réminiscence de retrouver un 141- Ibid, p. 19. 142- Ibid, p. 22. 143- Ibid, p. 21. 144 - Ibid, p. 66.

équilibre entre un Ici et un ailleurs, un passé et un présent. Se retrouver enfin Soi, dans l’espace de l’écriture où il n’est réellement pas. Ainsi, quant il disparaît c’est en fait pour exister dans l’éternité de l’écriture. De fait, l’exil est recherche de Soi et la nostalgie n’est que l’expression de l’écartèlement entre les deux cultures.