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Chapitre II : L’étude de l’image en thèmes

6. L’Altérité en thème

Dans cet article, il s’agira de discuter l’altérité comme facteur hiérarchisant l’ensemble des rapports entre Je et l’Autre. Cette altérité s’institue en thème par sa forte présence déterminante dans la représentation. Elle se manifeste dans le texte sous plusieurs modalités que nous prétendons aborder. Avant d’aborder ce thème, il importe au préalable de le replacer dans la dimension du processus d’ethnotypisation qui, selon P. Siblot est : « processus à travers lequel, se construisent les images

collectives de Soi et des Autres »170. Ainsi, pour pouvoir dresser une double image de Soi et de l’Autre dans une œuvre, l’auteur doit mettre l’accent sur tout ce qui est ligne de partage et sur l’altérité. En un mot, ceci dit, donner toute sa dimension à la différence entre culture regardante et culture regardée. Dans ce sens Charles Bonn écrit : « […] la littérature est l’emblème par excellence d’une culture »171, il ajoute :

« La littérature générale et comparée se justifie comme description de la rencontre entre culture, […] »172. De fait, si l’altérité est prise au sens : écart entre Je et l’Autre,

elle serait au cœur même de notre étude. Or, dans ce sens Charles Bonn ajoute : « comme le souligne Yves Chevrel, la rencontre avec l’Autre est au cœur de la

démarche comparatiste »173.

La première modalité structurant les relations entre le groupe A (Je) et le groupe B (l’Autre), se manifeste dans une certaine peinture des traditions. Le roman apporte

170

- SIBLOT Paul, op. cit, p. 73.

171- BONN Charles, « Littérature comparée et didactique du texte francophone », in, Itinéraire et contacte de

cultures, vol 26. Paris, L’Harmattan, 1998, p. 10.

172- Ibid, p. 9. 173

des informations sur les coutumes arabo-berbères et musulmanes, dont quelques tradition sont évoquées à savoir : la fille qui hérite de la moitié de la part du garçon, comme le précise Berkane : « […] trois fils et filles, donc un quart pour les deux

filles »174. Les rites chrétiens par opposition à ceux des musulmans s’agissant de fête

de l’anniversaire, comme en témoigne la narratrice : « Berkane est de retour, […], son

anniversaire sera pour le 13 décembre, […], personne ne lui fêtera ce jour, on a jamais fêté les (jours de naissance) chez lui »175. Une épouse chrétienne pour Berkane, mais pas un « chrétien » pour une de ses sœurs comme il reprend les propos de sa mère (Mma Halima) : « Qu’elle soit de n’importe quel pays, de n’importe quelle foi, peu

importe, Dieu est un pour toutes les créatures […] »176

. Encore, le port du voile, le pèlerinage à la mècque, l’aumône, des prières et expressions religieuses, les enterrements et autres. Ainsi, au fil du texte, il est question de femmes gardiennes de la tradition, de filles cloîtrées et voilées dans l’attente du mariage, aussi d’hommes (de mâles) dominateurs et protecteurs. Cependant d’autres femmes sortent sans voile, Nadjia est une femme affranchie célibataire, active et aventurière. Elle est également provocatrice dans l’acte amoureux ; d’autres encore, sont d’un grand apport dans la guerre de libération, ce qui revient au traitement de Djebar de la condition des femmes dans le monde arabo-musulman. Elles, reconnaissant les mortes, participant par leur you-you au combat des hommes. Plusieurs romans de Djebar traitent de cette reconsidération de la femme, en particulier dans La femme sans sépulture, Paris, Albin Michel, 2002.

Par là, nous remarquons que la peinture des traditions institue une axiologisation entre l’ethnie de Soi et celle de l’Autre. C’est ainsi que nous aurons des oppositions d’ordre suivant :

Musulman Vs Chrétien Femme Vs Homme

174- DJEBAR Assia, op. cit, p. 13. 175- Ibid, p. 15.

176

Voilée Vs Sans voile Cloîtrée Vs Libre

………. ……..

Par ailleurs, une seconde modalité s’ajoute à cette première, et qui découle quant à elle, de l’ordre historique relatif à la guerre de libération d’une part, et d’ordre de la réalité de l’Algérie des années 1990, relative au conflit entre intégristes islamistes et intellectuels francophones. Cette seconde modalité laisse transparaître une double représentation, et par là une axiologisation des personnages (appréciation et dépréciation). Pour l’analyser, nous ferons référence à Pageaux qui, à ce propos, écrit : « C’est prioritairement étudier les éléments et les mécanismes idéologiques sur

lesquels se construisent l’axiomatique de l’altérité, le ou les discours sur l’Autre »177.

Dans un premier temps, l’ordre des événements relatifs à la montée du nationalisme entre 1954-1962, génère la série d’oppositions suivante :

Algériens Vs Français Indigènes Vs Colons Héros Vs Harkis ……. …….

Cependant, d’autres oppositions citées plus haut, s’ajoutent à ces trois principales à savoir :

F.L.N Vs M..N.A

Femmes Vs Dames de petite vertu ………. ………...

Dans un second temps, l’ordre relatif à « la guerre civile » des années 1990, génère principalement l’opposition suivante :

177

Intégristes islamistes Vs Intellectuels francophones

Malgré la structure fragmentaire de l’ouvre, il nous est aisé de constater que Djebar fait appel dans La Disparition… au passé et l’Histoire de l’Algérie pendant la guerre, pour évoquer dans un certain parallélisme, la guerre civile des années 1990. Ainsi, parler de la douleur d’hier pour évoque le malheur d’aujourd’hui, dimension qui confère à cette fiction tout son réalisme. Cependant, malgré la guerre et le conflit, générant de multiples horreurs (meurtres, sacrifices et tortures), Djebar montre les diverses communautés en chaleur de cohabitation, comme en témoigne la narratrice : « La Casbah de Berkane grouillait d’appellations, […], d’identités multiples […] »178. Or, cette représentation de la cohabitation peut être lue comme une certaine transcendance et acceptation des différences, une tolérance, et par là, un dépassement des barrières, des frontières, de l’antagonisme et de l’hostilité, en somme vers une fusion avec l’altérité source de richesse.

Pour revenir à la transposition des oppositions, nous pouvons voir que les martyrs renvoient aux intellectuels francophones (assassinés ou exilés) ; et les traîtres (harkis et tortionnaires) renvoient aux intégristes. Or, plus loin ses derniers se prononcent en arabe détourné, comme en témoigne Nadjia dans son dialogue avec Berkane :

Mais les autres, de l’autre côté, les fanatiques, a-tu senti leur fureur verbale, la haine dans leur vocifération ? Leur langue arabe, […]. C’est une langue convulsive, dérangée, et qui me semble déviée, […]179

D’autre part, les intellectuels auxquels le récit fait référence, sont francophones,. Ils parlent et écrivent en français. Dans ce sens Pageaux écrit : « à un moment historique

donné et dans une culture donnée, il n’est pas possible de dire, d’écrire n’importe quoi sur l’Autre »180. Dans cette transposition, Djebar écrit une altérité sous le double signe

178- DJEBAR Assia, op. cit, p. 45. 179- Ibid, p. 118.

180

fusionnel et confusionnel entre Soi et l’Autre. D’une part la guerre d’Algérie contre le colonisateur, d’autre part, la guerre civile entre les intégristes et les intellectuels francophones. Par conséquent, la langue française comme emblème de tolérance et comme partie de Soi, se trouve menacée, tel que le constate Berkane : « C’est donc

le français, comme langue politique, qui est en défaillance chez nous et cela dure, dans notre classe dirigeante, depuis plus de trente ans »181. Le schéma suivant montre le parallélisme entre les transpositions axiologiques de l’altérité.

Parallélisme et altérité

La période de la guerre (1954-1962) ↔ La guerre civile des années 1990 Algériens Vs Français → intégristes Vs intellectuels

indigènes Vs colons → arabophones Vs francophones héros Vs harkis → assassins Vs victimes

Fig-03

Au-delà de ce parallélisme entre les deux axes, Assia Djebar écrit, dans La

Disparition…, cette illusion de complicité entre Soi et l’Autre, par une certaine

recherche dans l’écriture, de réaliser la fusion de ces deux composantes de Soi. Autrement dit, tenter d’apprivoiser l’Autre en Soi et de l’accepter en dépassant dans cette fiction les barrières et l’antagonisme vers une écriture francophone ouverte sur l’ailleurs et l’universalisme. Enfin, pour mieux cerner cette image double, de l’Autre en Soi, Pageaux dans son article, propose d’étudier celle-ci dans sa manifestation en mythes, ce dont nous traiterons dans le prochain chapitre.

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