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LES THESES ANTAGONISTES SUR LES QUALIFICATIONS JURIDIQUES Á

PARAGRAPHE 2 : LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS DES SOCIETES

B- LES THESES ANTAGONISTES SUR LES QUALIFICATIONS JURIDIQUES Á

DIRIGEANTS DES SOCIETES PUBLIQUES.

La controverse doctrinale sur les qualifications à appliquer aux dirigeants des sociétés du secteur public et parapublic est née au lendemain des procédures relatives à « l’Opération épervier ». Elle s’est imposée aux différentes autorités chargées de la poursuite et du jugement des criminels à col blanc. La diversité du droit positif camerounais est la principale cause de ce débat car celui-ci intègre en même temps les qualifications du droit pénal communautaire et celles du droit pénal interne. Cela a eu pour conséquence l’avènement de deux tendances, à savoir la première thèse qui retient la qualification de l’abus des biens sociaux (1), et la deuxième thèse qui elle retient plutôt celle du détournement des deniers publics (2). Une solution suggérée par la doctrine camerounaise est proposée en vue de résoudre l’imbroglio juridique (3).

334Art.61 de la loi.

335V. les art.62 à 84 de la loi.

336Art.85 de la loi.

1-La thèse de l’abus des biens sociaux.

D’après cette thèse généralement avancée par les avocats de la défense au cours des procès relatifs à l’ « Opération épervier », du fait de la compétence du Droit OHADA sur les sociétés publiques337, l’acte qui consiste à faire des biens ou des crédits de la société publique un usage contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société, doit être qualifiée d’abus des biens sociaux. Ce délit doit donc être sanctionné par l’article 9 de la loi n◦2003/008 du 10 juillet 2003 fixant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA338. Les raisons qui justifient cette assimilation peuvent être au nombre de trois :

La première raison réside dans la conception d’après laquelle l’article 45 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 reconnait la primauté des traités (à l’instar, le Traité OHADA) sur les lois internes339. C’est aussi le cas du Code pénal camerounais qui consacre cette primauté des conventions internationales340.

La deuxième raison vient de la supranationalité du Droit OHADA. Le législateur camerounais s’est plié aux exigences du Traité OHADA en son article 5. Il n’a fait que transférer la qualification communautaire dans le droit positif national, notamment dans la loi n◦2003/008 du 10 juillet 2003 fixant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA341, et même dans la loi n◦ 99/16 du 22 décembre 1999 portant statut des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic342.

La troisième raison a trait à la règle specialiageneralibusderogant(la règle spéciale déroge à la règle principale) qui fait primer la loi n◦ 99/16 du 22 décembre 1999 portant statut des

337 C’est le cas à travers l’art.1er al.1 de l’AUDSCGIE qui dispose : « Toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un Etat ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (ci-après désignés « les Etats parties ») est soumise aux dispositions du présent Acte uniforme ». Lire également l’article de POUGOUE (P-G), article précité, p. 99-102.

338 Cette qualification peut se vérifier dans l’arrêt n◦38/CRIM du 18 juin 2009, relatif à l’affaire Ministère Public et Port Autonome de DOUALA contre SIYAM SIEWE Alphonse et 12 autres. Dans cet arrêt, il est écrit que « Maitres TCHANGA et AYISSI invoquent l’exception de disqualification des faits de la cause tirée de la loi n◦

99/16 du 22 décembre 1999 portant statut des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic, notamment les articles 2alinéa 5, 54 et 108 de ladite loi et demandent qu’en l’espèce, l’on applique la loi n◦2003/008 du 10 juillet 2003 fixant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA en ses articles 9 et 39 », 20ème et 21ème rôles.

339 Cet art. dispose : « Les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

340 L’art. 2 al.1 du CP dispose : « Les règles de droit international ainsi que les traités dument promulgués et publiés s’impose au présent Code ainsi qu’à toute disposition pénale ».

341 V. l’art. 9 de ladite loi.

342 Le fait qu’un dirigeant fasse « de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise, un usage contraire à l’intérêt de celle-ci dans un but personnel ou pour favoriser une autre société ou affaire dans laquelle il détient directement ou indirectement des intérêts » constitue bel et bien un abus des biens sociaux (V. art.108 al.1).

établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic sur les dispositions du CP qui elles, qualifient les mêmes faits de détournement.

La deuxième thèse, qui soutient cependant la qualification de détournement, vient s’opposer à celle adoptant l’abus des biens sociaux.

2-La thèse du détournement de fonds publics.

D’après cette thèse, c’est l’origine juridique du capital de la société qui oriente la qualification et les peines adéquates. Il est admis que, toute société dans laquelle l’Etat possède des parts sociales, c’est-à-dire tout ou partie du capital, est une société publique soumise aux dispositions pénales du détournement prévues à l’article 184 du CP. Malgré le fait qu’elle a pour objectif de faire des recettes à travers la vente de biens et de services , et de tenir une comptabilité, il faut rappeler que la société, avant tout, a pour mission de satisfaire l’intérêt général. C’est pourquoi cette thèse, également soulevée lors des procès relatifs à l’ « Opération épervier »343, a soutenu que les peines à infliger aux gestionnaires indélicats des sociétés publiques sont celles prévues à l’article 184 du CP punissant le détournement344. Afin de trancher une fois pour toutes ce conflit doctrinal et même judiciaire, une troisième thèse est proposée afin de trouver une solution satisfaisante.

3-La thèse de la conciliation.

Proposée par des auteurs camerounais345, cette thèse consiste à retenir la qualification du détournement des biens avec tous ses éléments constitutifs (matériel et psychologique), et d’appliquer les peines prévues par la loi de 2003, conformément au Droit communautaire OHADA. Cet entremêlement juridique permet de rendre compatible les objectifs du Droit communautaire et ceux du Droit pénal interne, symbole de la souveraineté nationale.

Ainsi , conformément à la loi de 2003, peut être puni des peines d’emprisonnement d’1 à 5ans et d’amende de 2 000 000 à 20 000 000 de francs ou de l’une de ces peines seulement, tout dirigeant d’une société publique (directeur général, administrateur directeur général, président

343Dans le jugement n◦ 270/CRIM du 11 juillet 2008 rendu dans l’affaire Ministère public et Crédit Foncier du Cameroun contre BOOTO A NGON André et 30 autres, cette thèse apparait au 27ème rôle en ces termes : « Attendu que le Ministère public soutient que les fonds du CREDIT FONCIER DU Cameroun sont des deniers publics au sens de l’article 1841 du Code pénal en ce que ses ressources sont essentiellement constituées de recettes parafiscales affectées au titre de la contribution ; que dans sa lettre et son esprit, l’acte uniforme OHADA en son article 916 alinéa 1er n’a pas abrogé l’article 184 du Code pénal camerounais et les autres législations internes, lesquelles restent en vigueur ».

344Idem.

345FOPI (V.P.) et DJILA(R.), « La répression des atteintes portées à la fortune des sociétés d’Etat par leurs dirigeants : le cas du Cameroun », inJuridis Périodique, n◦ 95, juillet- aout-septembre, p.81 et s.

du conseil d’administration, administrateur directeur général adjoint) qui obtient ou retient frauduleusement tout bien mobilier ou immobilier appartenant , destiné ou confié à l’ Etat unifié, à une coopérative, collectivité ou établissement public ou soumis à la tutelle administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou indirectement la majorité du capital346.

Ainsi, la responsabilité pénale des dirigeants sociaux est engagée lorsqu’ils commettent des infractions dans l’environnement des affaires, principalement dans les entreprises. Cette responsabilité se prolonge même dans les sociétés à la santé financière fragile, c’est-à dire les sociétés en difficulté.

SECTION II : LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS DES SOCIETES IN MALIS.

Comme les Hommes, les animaux et les plantes, l’entreprise, dans ses activités économiques, peut souffrir de maux pouvant entrainer sa disparition347. Ces « maladies » que connaissent les sociétés sont dues à plusieurs facteurs : succession d’exercices déficitaires, perte de plus de la moitié du patrimoine, arrêt complet ou partiel des activités, licenciement économique, et absence de bénéfices. Les difficultés que connait la société en cessation de paiement348 font de celle-ci une structure dont l’éventuelle disparition constitue un danger pour l’économie nationale. C’est pourquoi les dirigeants à qui ont été confiés la mission de gérer efficacement l’entreprise en vue de participer à l’effort national de développement, sont sévèrement sanctionnés.

346 CP du Cameroun, op. cit.

347Pour entériner, des auteurs affirment : « Comme un organisme vivant, l’entreprise naît, vit, et peut être le siège de désordres divers, dont les plus graves sont susceptibles de provoquer sa disparition, par arrêt du crédit et des flux financiers » (PEROCHON (F.) et BONHOMME(R.), Entreprises en difficulté – Instruments de crédit et de paiement, 5e éd., LGDJ, 2001, p. 1, n° 1)

348 La définition d’une entreprise en état de cassation de paiement n’est pas aisée à élaborer. Toutefois, l’article 25 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPCAP) adopté le 10 avril 1998, nous donne une idée assez précise sur les indices perceptibles d’une personne en état de cessation de paiement lorsqu’elle dispose : « Le débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible doit faire une déclaration de cessation des paiements aux fins d’obtenir l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, quelle que soit lanature de ses dettes ».

L’entreprise en difficulté n’est pas abandonnée à son sort. Elle fait l’objet d’un encadrement des pouvoirs publics en vue de sauvegarder son patrimoine qui servira à apurer son passif349. Les dirigeants, durant cette période difficile, se doivent d’avoir un comportement irréprochable.

Cependant, certains d’entre eux par cupidité peuvent poser des actes préjudiciables à la société en difficulté. C’est pourquoi le législateur identifie les infractions commises par les dirigeants non seulement lors de la dissolution de la société, mais aussi lors des procédures collectives (PARAGRAPHE 1). De même, en période de liquidation marquant la « mort officielle » de l’entreprise, la morale et l’éthique pèsent également sur le liquidateur. C’est ainsi qu’il engage aussi sa responsabilité pénale pour ses actes délictueux (PARAGRAPHE 2).

PARAGRAPHE 1 : LES INFRACTIONS RELATIVES A LA