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LES COMPORTEMENTS DELICTUEUX DES DIRIGEANTS DES PERSONNES

PARAGRAPHE 2 : LA RESPONSABILITE PENALE DES DIRIGEANTS DES SOCIETES

A- LES COMPORTEMENTS DELICTUEUX DES DIRIGEANTS DES PERSONNES

Le respect de la fortune publique et la promotion de la bonne gouvernance au sein des entreprises publiques a logiquement amené le législateur camerounais à stigmatiser les comportements délictueux susceptibles d’être sanctionnés par les juridictions pénales. Ces comportements qui altèrent le fonctionnement du service public, et qui spolient l’Etat de son patrimoine sont fixés non seulement dans le Code pénal camerounais (1), mais aussi dans des lois spéciales (2).

1-Les conduites criminelles définies dans le Code pénal.

Symbole du droit pénal dans notre pays, le Code pénal intègre dans ses dispositions les comportements qui pourraient nuire à la fortune des sociétés d’Etat. Du fait de la mission d’intérêt général assignée au patrimoine des entreprises publiques, les dirigeants de celles-ci peuvent être sanctionnés du fait d’atteintes à la propriété publique (a). De même, les actes infâmes qu’ils posent contre la crédibilité du service public sont mis en cause par le législateur pénal (b).

a)Les dirigeants et les atteintes à la propriété des personnes morales publiques.

315KAMTO (M.), « La chose publique », in RASJ, Université de Yaoundé II, vol.2, n◦1, 2001, p.9.

L’entreprise publique, qui a pour mission de servir l’intérêt général, reste un service public malgré ses objectifs commerciaux. Les biens et le crédit qui lui sont affectés doivent être gérés par les dirigeants avec clarté et transparence. Cela suppose qu’elle reste sous l’emprise, même indirecte, de l’Etat316. C’est pourquoi, lorsque l’organe dirigeant, dans le cadre de ses fonctions, obtient ou retient de manière injustifiée un bien mobilier ou immobilier appartenant à la personne morale de droit public dont il a la charge d’administrer, il commet un détournement317. L’élément psychologique s’ajoute à la matérialisation de l’infraction car le dirigeant le fait frauduleusement, c’est-à-dire de mauvaise foi, à des fins personnelles (s’enrichir rapidement, par exemple). Le fait encore pour un organe dirigeant de détruire ou de dégrader un bien public mobilier ou immobilier constitue également un acte criminel punit par la loi318. L’intention criminelle est l’élément supplémentaire car les dirigeants doivent avoir conscience de l’irrégularité de leurs actes.

Confondre les biens de l’entreprise publique avec son patrimoine personnel, sachant pertinemment qu’il s’agit de la « chose publique », nécessite la mauvaise foi de l’agent.

b) Les dirigeants et les atteintes à la crédibilité du service public.

L’intérêt général constitue la mission régalienne de l’Etat. Garant de la protection des droits et des libertés des citoyens, ceux-ci doivent être traités avec respect et dignité par l’administration. L’autonomie financière des entreprises publiques n’empêche pas celles-ci de rester attachées aux idéaux du service public. C’est pourquoi les organes dirigeants ont l’obligation de pérenniser le service d’intérêt général malgré les objectifs économiques de leurs entreprises. Lorsqu’ils posent des actes contraires aux usages du service public, ils engagent du même coup leur responsabilité pénale. C’est le cas lorsqu’ils accomplissent ou s’abstiennent d’accomplir un acte en l’échange de transactions multiformes319. D’après un auteur, la corruption issue desdites transactions a pour effet la « césure dans les processus réguliers des marchés publics, du fait des individus initiés »320. Les personnes initiées étant considérées comme des « personnes dépositaires de l’autorité publique, personnes titulaires d’un mandat électif public, personnes chargées d’une mission de service public »321. La corruption est un acte manifestement accomplit de mauvaise foi car l’opportunité d’un

316ASSIGA (E.M.),op.cit., p.23

317Art.184 du CP.

318Art.187 du CP.

319Art.134 du CP.

320NOAH (H.M.), « Corruption et régulation des biens publics », in Juridis Périodique, N◦56, octobre-novembre-décembre 2003, p.100.

321NOAH (H.M.), article précité, p. 100.

enrichissement personnel prend le pas sur la nécessité d’œuvrer pour les intérêts de la collectivité. Ce qui fait dire au même auteur : « ceci créée des fractures sociétales telles que les programmes de lutte contre la pauvreté s’en trouvent totalement dénaturés ; en tout état de cause, les objectifs de politique publique sont dévoyés, renforçant même l’inégalité de traitement des citoyens et des entreprises »322. En outre, il ajoute que : « L’enrichissement illicite participe aussi de ce que la pratique ordonnateur-comptable-contrôle d’effectivité relève en violation des textes, du même décideur ; nombre d’états financiers fantaisistes existant qui circulent, pour l’aboutissement desquels les contrôleurs financiers spécialisés et agents comptables sont listés abusivement parmi les bénéficiaires. Ces derniers contribuent sérieusement à vulnérabiliser, à décrédibiliser les procédures administratives légales »323. A part la corruption, d’autres formes de délinquance peuvent être le fait des organes dirigeants dans l’exercice de leurs missions d’intérêt général : le fait d’avoir un intérêt dans un acte324, le fait pour le dirigeant de participer au financement ou à l’activité d’une entreprise dans laquelle il officie325, le fait d’exonérer les produits des personnes morales publiques de taxes normalement dus326, le fait d’abuser de ses fonctions327, et le fait de transférer à l’étranger le personnel ou les secrets industriels dans l’optique de nuire au développement national328. Le manque d’intégrité et de probité morale, la volonté criminelle de porter préjudice à la crédibilité de l’Etat (dol général) afin de s’enrichir ou de bénéficier d’avantages occultes (dol spécial) constitue l’élément psychologique de ces actes délictueux.

2-Les comportements illicites définis dans les lois spéciales.

Les lois spéciales incarnent la règle « specialageneralibusderogant » du fait de l’urgence pour le législateur de palier aux comportements criminels que pourraient avoir les organes dirigeants au regard des nouveaux phénomènes qui apparaissent dans la société actuelle (les technologies de l’information et de la communication, par exemple). Ces nouveaux faits sociaux sont susceptibles de générer de nouvelles formes de délinquance dans les entreprises publiques et d’entraver la mission d’intérêt général auxquelles elles se sont assignées. C’est pourquoi, nous allons analyser en substance les infractions contenues dans la loi n° 99/016 du

322NOAH (HM), article précité, p. 107.

323NOAH (HM), article précité,p. 108.

324Art. 135 du CP.

325Art.136 du CP.

326Art.137 du CP.

327Art.140 du CP

328Art.224 du CP

22 décembre 1999portant statut général des établissements publicset des entreprises du secteur public et parapublic(a), et celles contenues dans les autres lois spéciales(b).

a)Les infractions prévues par la loi de 1999.

Du fait de l’autonomie financière dont bénéficient les entreprises du secteur public et parapublic, le législateur a cru bon de définir les comportements délictueux dont pourraient se rendre coupables leurs dirigeants. Ceux-ci, disposant de pouvoirs de gestion et de représentation en vertu de leur mandat329, doivent faire preuve de probité car le patrimoine de l’entreprise reste tout de même affecté aux missions d’intérêt général (l’Etat ou les collectivités territoriales décentralisées détiennent intégralement ou partiellement des actions dans ces structures). C’est pourquoi, d’après la loi de 1999, ils s’exposent à des sanctions pénales lorsqu’ils opèrent entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs au moyen d’un bilan frauduleux330. De même, leur responsabilité pénale est engagée lorsqu’ils publient délibérément un bilan contradictoire à la véritable situation financière de l’entreprise331. En outre, ils sont responsables sur le plan pénal lorsqu’ils font des pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise publique, un usage contraire à l’usage de celle-ci332. La volonté criminelle de nuire à l’entreprise (dol général), dans un but d’enrichissement personnel (dol spécial), constitue l’élément psychologique de chacune de ces infractions.

b) Les infractions prévues dans les autres lois spéciales.

Parmi les lois que nous pouvons évoquer, il y a la loi n° 2010 / 013 du 21décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun, et la loi n° 2010/012 du 21 décembre 2010relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité au Cameroun.

i-Les infractions prévues par la loi sur les communications électroniques

Les dirigeants des personnes morales de droit public, partenaires de l’Etat à travers une convention de concession dans le domaine des communications électroniques, engagent leur responsabilité pénale lorsqu’ils posent des actes contraires à la règlementation en vigueur333. L’article 78 alinéa 1 ajoute : « Nonobstant la responsabilité des dirigeants et agents des opérateurs et exploitants des réseaux et services des communications électroniques qui sont des personnes morales, la responsabilité pécuniaire de celles-ci peut être engagée s’il est

329L’origine du mandat du directeur est du à sa nomination à la majorité des 2/3 par le conseil d’administration, sur proposition de l’actionnaire majoritaire ou unique, pour plus de détails, v. l’art. 47 de la Loi.

330Art.108 de la loi.

331Ibid.

332Ibid.

333 Pour les amendes, v. les art.69 et s. de ladite loi.

établi que l’infraction commise par la personne physique a eu pour conséquence l’enrichissement de l’entreprise ou si elle a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions au sein de l’entreprise ».

ii-Les infractions prévues par la loi relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité Les personnels appartenant à l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication(ANTIC), personne morale de droit public, sont exposés à des sanctions pénales lorsqu’ils révèlent sans autorisation des informations confidentielles dont ils ont eu connaissance lors d’un audit de sécurité334. Cela inclut logiquement les organes dirigeants de ladite structure. D’autres comportements délictueux en rapport avec les technologies335, définis par la loi peuvent être le fait des dirigeants, parmi lesquels le détournement, la suppression ou l’accès aux communications électroniques, ou la révélation du contenu de ces communications336.

Après avoir présenté les infractions qui sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale des dirigeants du secteur public et parapublic, il se pose un problème majeur dans le droit positif actuel : celui de la qualification juridique de certains délits. C’est pourquoi, les avis sont partagés sur ce point.

B-LES THESES ANTAGONISTES SUR LES QUALIFICATIONS