1.2 Parasitoses dihétéroxéniques
1.2.1 Les taeniasis
Les Ténias ont été répertoriés dans 8 des 12 sites archéologiques étudiés. Cela ne semble pas surprenant car pour la Haute Nubie comme pour l'Egypte, la chasse avait un attrait particulier pour les populations, mais d’après les textes anciens, ils ne consommaient pas les produits cynégétique (Menu, 1998). L'alimentation carnée était la ressource principale, mais elle était principalement fondée sur l'élevage et les échanges commerciaux. Les travaux
d'archéozoologie réalisés font état d'un cheptel à dominance caprine. En Haute Nubie, les
moutons (Ovis aries) et les chèvres (Capra hircus) sont, tout au long de notre échelle
chronologique, plus représentés par rapport aux bœufs (Bos taurus L.) (Chaix, 1990, 1993 ;
Chaix et Grant, 1992, 1993). Le porc est absent de la Haute Nubie (communication personnelle L. Chaix).
Une étude de la répartition du Téniasis dans notre "groupe d'individus" nubien apporte des informations de nature anthropologique tenant du domaine du régime alimentaire, et peut être du domaine culturel. Ceci est observable dans le tableau suivant et le graphique III :
Classes d’âge Nombre d’individus par classe
Parasités Non-Parasités Pourcentage de parasités dans le groupe / classe d'âge
0-2 ans 2 0 2 0
3-10 ans 6 5 1 83
11-20 ans 5 2 3 40
Adulte 18 7 11 39
Graphique III - Distribution du Téniasis en fonction de l'âge au décès des individus nubiens.
Dés l'observation du tableau et du graphique, « l'absence » de la parasitose dans la classe 0 - 2 ans est notée. Il faut préciser que les individus de cette classe d'âge ne sont pas de la période sub-musulmane. Cette répartition peut être liée à :
- Une variation d'alimentation entre la naissance et un âge des enfants
tournant autours de trois ans. Les femmes nubiennes, comme beaucoup d'autres, utilisaient certainement l'allaitement prolongé des jeunes enfants comme mode de contraception. Aujourd’hui encore, les Soudanaises allaitent longtemps leurs jeunes enfants (Erny, 1999 ; Desclaux et Taverne, 2000 ; www.who.int/fr).
- Une préparation culinaire de type viande bouillie pour cette classe d'âge
peut être envisagée.
- Une sélection qui relèverait plutôt de coutumes et qui privilégierait les
adultes et les enfants d’âges supérieurs à 2-3 ans.
Cependant, la classe des 3-10 ans semble être favorisée du point de vue alimentation carnée. S'agit-il d'un passage à un stade de maturité culturel plus élevé, ou tout simplement à
Il est important de noter que l'absence de Téniasis chez les plus jeunes n'est pas liée à
un problème d'interaction hôte-parasite. Les infestations à Taenia sp. sont observées chez des
enfants de 15 mois à 13 ans et plus (Antoniuk et al., 1991 ; Karrar et Rahim, 1995).
En Egypte, la viande de bovinés est considérée comme une nourriture de fête. En effet, l'alimentation principale des égyptiens comprend le pain, les laitages, les volailles les légumes et le poisson. Le porc n'est cité que dans le cas des travaux des champs pour piétiner les semences (Menu, 1998). Aucun document ne permet d'affirmer que la viande de porc était
mangée, mais le contraire n'est pas établi non plus (Montet, 1995). Hérodote cite "…tout ce
qu'il y a chez eux en fait d'autres oiseaux ou de poissons, exception faite de ceux qu'ils ont
reconnus pour sacrés (bœuf, ..), tout le reste est mangé rôti et bouilli". Encore une fois, les
ténias sont connus en Egypte ancienne et inscrits sur les papyrus d'Ebers et d'Harris (Breasted, 1906), et traités grâce à des vermifuges réalisés à partir de différentes plantes. Les décoctions prescrites par les Egyptiens et relevées par les auteurs (Lefebvre, 1956 ; Penso, 1981 ; Bardinet, 1995 ; Menu, 1998) citent le genévrier, grenadier, la bière, le miel comme base de préparations.
D'après les données bibliographiques et archéozoologiques recueillies, l'hypothèse d'une infestation par la viande de bœuf est privilégiée pour la vallée du Nil. Il s’agirait de
Taenia saginata. Cependant, pour la Haute Nubie, il est observé une "disparition" de cette
parasitose à la période sub-musulmane (1500 ans après J.C.). Les lois islamiques interdisent la
consommation de porc et de produits dérivés, mais pas celle de bœuf (Zayd ibn Thabit1, 652).
Cette absence totale du Ténia, malgré la consommation de bœuf, ne s'explique pas pour le moment dans notre étude.
A Chypre, l'étude se situe au moment de la période clé pour la domestication des
ongulés (Davis, 1984, 1989 ; Vigne et al., 1999, 2000 ; Vigne, 2000 ; Guilaine et al., 2000).
Le bœuf, comme le porc est un animal domestiqué, qui est gardé à proximité du village. Dans le cas de la sépulture collective ST 23 de Shillourokambos, il est possible de statuer sur la nature biologique du rejet contenant les embryophores. Le bœuf et le porc contiennent la larve, l'homme est l'hôte définitif qui rejette les embryophores.
D'après les résultats obtenus pour la sépulture individuelle ST 23-Sep 1, la sépulture individuelle ST 371 de Shillourokambos, et la sépulture 754 de Khirokitia, les embryophores attestent de la consommation de viande de bœuf ou de porc crue, peu cuite ou grillée.
En Israël, cette pathologie est connue depuis longtemps. Le ver, décrit comme un long
ruban appelé arqetha (signifiant - courroie -), et sa médication sont cités dans le Talmud de
Babylone (Auerbach, 1944; Penso, 1981). Pour le site de Qumran, aux données
bibliographiques (Cahill et al., 1991) et aux données archéozoologiques confirmant la
présence du bœuf (Zeuner, 1960), s'ajoutent des notions religieuses. L'interdiction de
consommer du porc (non Kasher - conforme -) est écrite dans deux textes religieux, le
Lévitique XI et le Deutéronome XIV (Thibaud 2002; Penso, 1981). En effet, seuls sont autorisés par la loi mosaïque les animaux ruminants et aux sabots fendus. Le porc est bien un
artiodactyle, mais non ruminant (Tannahill, 1988). Dans son Historiae, Tacitus explique
également cette abstention de manger du porc par une signification parasitologique. En effet, ce serait en souvenir d'une maladie touchant le porc et affectant l'homme, probablement la cysticercose porcine, que le peuple se serait "interdit" cette viande. Pour Qumran et Beit Shean, il semble préférable de privilégier le bœuf comme animal ayant transmis la parasitose
à Tænia saginata.