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2EME PARTIE : ENJEUX DU DEVENIR MILITAIRE

5 Chapitre V : Le mode de vie militaire

5.3 Hiérarchie, Discipline et classement

5.4.2 Les spécificités de l'engagement en médecine militaire

5.4.2.1 Dans le temps ordinaire

Les médecins militaires peuvent pratiquer leur profession dans des champs extrêmement vastes, variés, spécifiques et simultanés, auxquels les praticiens civils ont rarement accès sauf éventuellement pendant les périodes éventuelles de la réserve opérationnelle.

En temps de paix, le praticien des armées a en effet la particularité d'exercer des fonctions à la fois en tant qu'expert et en tant que soignant, ce qui lui impose de se prononcer sur l'aptitude ou l'inaptitude à servir d'un même patient ; à cet effet, le médecin militaire n'est pas inscrit au conseil de l'ordre, se situant de façon statutaire en position dérogatoire par rapport au code de la santé publique. les médecins militaires sont tous soumis au statut général des militaires et aux Règles De Déontologie Propres aux Praticiens des Armées, RDPA104, établi en 2008 ; ce décret spécifie des règles de déontologie spécifique [annexe] pour le praticien

des armées, traite de l'ensemble des aspects de la pratique et notamment du secret médical, de « l'indépendance du choix de la mise e œu e de leu te h i ue ».

Le de i ilitai e e e e u e a ti it sp ifi ue d aptitude e pa ti ulie da s les fo es, les unités dans les régiments et parfois sur avis des spécialistes hospitaliers pour des pathologies spécifiques qui nécessitent le recours à des examens complémentaires ; si elle est le plus souvent facile à établir sur des critères objectifs, une bonne connaissan e de l e ploi, et u e esti atio de l i ide e de la pathologie, il e iste des situatio s où la d isio d aptitude ou d i aptitude est plus o ple e, ota e t da s le do ai e psychiatrique. Ces décisions plus complexes peuvent parfois interroger les jeunes médecins et cette particularité ne manque pas de soulever des questions éthiques, dans le sens où le médecin doit évaluer pour son patient de manière subjective, la possibilité d'occuper tel ou tel emploi selon l'incidence de sa pathologie : ces inter es l atteste t :

« Il faut travailler cette question de la dualité du métier pour pouvoir le vivre de manière pleinement épanouissante : être médecin c'est un métier empreint d'empathie, où on ne juge pas alors qu'être militaire c'est avoir de l'autorité sur l'autre ; on le constate tous les jours quand on fait les visites médicales d'aptitude où on doit parfois statuer sur les carrières des gens. »[PART21]

« Cela va être difficile de faire passer des messages à des gens qui ne comprennent que les ordres » [Part 23] « notre positionnement est complexe, il est difficile de demander à quelqu'un de se mettre au garde-à-vous et de vous saluer, puis de l'interroger et l'examiner, ce qui revient finalement à diminuer la distance entre les deux personnes ; de ce point de vue -là les stages en unités nous permettent de trouver une place progressivement » [Part 9]

Le médecin militaire exerce ainsi au sein d'une collectivité où il doit considérer simultanément l'intérêt de l'individu et celui du groupe (article 21 du RDPA), c'est dans cette collectivité qu'il a l'obligation de respect de la double chaîne hiérarchique militaire et technique (articles 11 et 18) pour autant, si on compare le code de la santé publique et le code de déontologie propre aux Praticiens des armées, on constate de très grandes similitudes notamment ce qui concerne les grands principes éthiques comme le respect de la vie et de la dignité de la personne, les principes de moralité et de probité, le secret professionnel, la non-discrimination, assistance à personne en danger ou personne privée de liberté et la continuité des soins en cas de danger public.

104 Décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées NOR:

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5.4.2.2 Dans le temps opérationnel

Cet l e dit so i patie e de pa ti e issio : « je n'ai qu'une envie c'est de partir et peut-être même de faire le maximum de missions pendant les 10 premières années... J'ai envie de voir du pays et pour moi faire la guerre s'est finalement pouvoir être disponible pour partir assez rapidement sur un théâtre d'opérations ou par exemple pendant une catastrophe humanitaire ; et comme je n'ai pas d'attache ça ne me pose pas de problème pour l'instant et ça ne me dérange pas de mourir en opex » [Part 23]

À quoi peut-il s atte d e e alit , da s uel o te te a-t-il pouvoir exercer son métier ?

Car depuis la fin de la guerre froide, les conflits armés ont fondamentalement évolués et par là-même la prise en charge des blessés par les équipes soignantes militaires ; les opérations militaires sont le plus sou e t i t g es da s le ad e de oalitio s et s a ti ule t un contexte de maintien de la paix, dans le cadre d a uatio de esso tissa ts ou de ai tie de l o d e ; les guerres sont devenues non conventionnelles et a a t is es pa l a se e de front véritable ; la lutte contre le terrorisme en est un exemple criant.. Le dernier livre blanc sur la défense de la sécurité nationale105 réaffirme la volonté de la France de préservation

maximale des vies humaines au cours des opérations militaires : à partir de ce concept de « zéro mort », il est demandé au service de sa t des a es d assu e pou les less s au o at les eilleu es ha es potentielles de survie. Les conflits menés ces dernières années par les troupes françaises en Afghanistan106

mais aussi en Centrafrique et au Mali dans la lutte contre le terrorisme ont montré la difficulté de prévoir la localisation des blessés et de ett e e œu e u e a uatio p o e, en raison des contraintes tactiques liées aux opérations ; une prise en charge médicale des blessés directement sur le terrain appelée « di alisatio de l a a t » est donc requise pe etta t d assu e da s les p e i es i utes sui a t le t au atis e u e a uatio apide e s les a te es hi u gi ales et de a i atio de l a a t.

Comment comprendre l'articulation entre la finalité de l'acte médical et son exercice dans des pays en crise, en particulier dans la question de la prise en charge des blessés ou de malades civils pour lesquels il peut apparaître difficile dans certains cas pour le praticien de ett e e œu e aussi igou eusement la même qualité de soins que pour les blessés des forces françaises ?

Le médecin militaire au cours de ces missions est véritablement confronté à la guerre.

Le texte militaire du RDPA est sans ambiguïté sur ce point et présente des spécificités propres aux médecins des armées, en particulier le respect des conventions humanitaires internationales ratifiées par la France: « Da s les o ditio s pa ti uli es d'e e i e, 'est à di e da s les situatio s d e eptio ou e te ps de guerre, soumis à de fortes contraintes opérationnelles, aggravées par l'isolement et la tension brutale des o ditio s d e e i e a ti les et le de i ilitai e doit alo s se o sa e a e d'auta t plus d'attention à ses patients. Dans certaines circonstances exceptionnelles, l'autorité dont il relève peut par un ordre formel le contraindre à quitter son poste » (article 25). Par exemple on peut lui ordonner d'interrompre tout ou partie de ses activités, pour se consacrer exclusivement à sa mission prioritaire de soutien des armées et des formations rattachées. Le médecin des armées doit soutenir, dans son domaine, l'action de ses camarades de combat, et lorsqu'il estime qu'une information recueillie lors de son exercice professionnel est de nature à éviter qu'il soit porté atteinte à l'intégrité des personnes ou à la sécurité de leur mission, le praticien des armées peut la communiquer à l'autorité susceptible de prendre les mesures

105 Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié le 29 avril 2013, est chargé de définir une stratégie

globale de défense et de sécurité pour la France. Il a été rédigé à la demande du président François Hollande au lendemain de son élection et fait suite au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008.

106« L e gage ent du service de santé des armées en Afghanistan. Les médecins militaires face à la prise de risque »,Le

178 nécessaires. La décision de cette communication lui appartient en conscience et nul ne peut le contraindre, par principe, à la prendre. (Article 26)

Au-delà des te tes gle e tai es, est u uotidie diffi ile ue o t i e les jeu es de i s d s la fi de leur formation : Patrick Clervoy, ps hiat e ilitai e, da s ses h o i ues d u de i ilitai e à Ka oul, a o te u s jou e Afgha ista fait de peu , d a tio et d atte te : da s u e a ia e de e a e pe a e te, les soldats et les uipes soig a tes i e t a e la peu et so t o t ai ts de la su o te e pe a e e tout e esta t toujou s p ts au pi e. [CLE‘VOY P, ], L auteu appo te e pa ti ulie sa e o t e a e u e jeu e fe e de i ui ie t à pei e de soute i sa th se et assu e les a uatio s pa h li opt e des less s u elle pa t he he su le te ai e plei œu des zo es hostiles afi de les a e e à l hôpital ilitai e de Ka oul. “o uotidie est th pa des a ti it s op atio elles à is ue, pa fois e plei e uit, au ou s des uelles elle doit po te seule u sa de kilos o te a t so at iel di al d u ge e, so gilet pa e- alles de plus de kilos et so as ue, et p e d e e ha ge sou e t da s l i s u it u ou plusieu s less s g a es ; e it e d o pte à la fois de la diffi ult de es issio s da s l a o d te h i ue et soulig e aussi l i po ta e de la oh sio du g oupe : le ta de de i -i fi ie , la p ote tio assu e pa les o a dos au uipes di ales pou i te e i au plus p s des o ats da s des o ditio s e t e e t diffi iles. Ce jeu e de i e po te pas so a e de se i e e i te e tio , laissa t le ilitai e o a do ui l a o pag e assu e sa p ote tio ; e d tail e a ue pas d i te oge : Qua d le ps hiat e la uestio e au d ou s de l i te e tio où elle a a u e plei e uit u soldat au deu pieds d hi uet s pa u e i e, elle po d si ple e t selo u p o a le a is e de d fe se fa e à l ho eu et la g a it de la situatio : « …e fo e, o e ap s u e s a e de spo t ! ça

eille ! » [CLE‘VOY P, ],

C est ie à e quotidien intense et parfois dramatique auquel les jeunes médecins des armées doivent se préparer lors de leur formation spécifique en école ; En parlant des jeunes praticiens militaires, Patrick Clervoy dit son admiration envers eux car ils « ajoutent à leurs compétences techniques une force morale qui leur paraît naturelle et cependant peu ordinaire » ;

Cette lecture pourrait être proposée aux élèves médecins militaires, afin de leur faire prendre conscience de l olutio des o flits da s les uels la France est engagée sur le plan militaire : on est loin des missions humanitaires imaginées par les étudiants à l e t e à l ole ou des soins à prodiguer aux populations civiles d out e- e . Les de i s ilitai es f a çais so t e o s e issio a e l objectif princeps de soigner les soldats des forces ; les contraintes sécuritaires actuelles ne laissent que peu de place pour les missions hu a itai es et e pe ette t e alit t s peu d ha ges a e les populatio s lo ales. Patrick Clervoy le souligne : « e Af i ue tait plutôt de la de i e t aditio elle, tait t s e oti ue. E e Yougosla ie tait u e de i e humanitaire ; nous venions essentiellement en aide aux populations civiles et aux casques bleus ; cette aide après les accords de Da to et la situatio tait pa ifi e. E Afgha ista , est u e tout aut e histoi e. U la ge d u ge e, d i ui tude, de solida it , d e gage e t et de d oue e t ui a ait ie à oi a e e ue j a ais o u a a t. L U ge e a il faut t e p t à tout o e t et u u e i ute pe due peut e t aî e e fi de haî e u e ie de pe due. L i ui tude a les oups peu e t e i de i po te où, à i po te uel o e t et ue ous e so es à l a i de ie , o p is à l hôpital où nous risquons toujours un attentat. La solidarité car on ne peut être que solidaire face au courage des soldats da s les o e ts les plus diffi iles. Le se i e de sa t est u e haî e d i te e tio do t ha ue aillo e le plus i fi e e appa e e est esse tiel. L e gage ent, car nous sommes tous tendus vers un seul but qui peut paraître à la fois modeste et ambitieux : tout tenter pour sauver tout ce qui peut être sauvé. » [CLERVOY P, 2012],

Ces missions seront donc pour les jeunes praticiens l o asio de oue des liens forts, de créer des relations interhumaines particulièrement profondes renforçant la cohésion du groupe.

179 La o f o tatio i lu ta le a e la o t d u soldat pourra toutefois mettre à mal la solidarité et le jeune praticien militaire - pas toujours accompagné par un psychiatre - sera parfois sollicité pour des débriefings psychologiques. Malgré une formation intense et spécifique, tout comme les soldats engagés en opex, les médecins qui font leur premier séjour vont découvrir une tension, une violence et pa fois l ho eu u ils o t rarement connues dans le temps ordinaire et o de aseptis et e ad de l hôpital

Conclusion

Alo s u ils so te t à pei e de l adoles e e, les l es ad is à l ole de sa t sous i e t un acte d e gage e t pou u e du e de a s ; A uoi s e gage t-ils ? Concrètement peu d e t e eu e o t conscience : 80 % des élèves deviendront des médecins des forces et exerceront un métier passionnant aux multiples facettes mais aussi très exigent, nécessitant des compétences très diverses et bien éloigné de l e e i e de la de i e g ale e a i et de ille ; 20 % des élèves deviendront médecins hospitaliers dans un nombre restreint de spécialités, définies chaque année en proportions variables selon les besoins du SSA pour servir les forces armées.

Cet e gage e t est d aut e pa t celui du collectif, de la nation, afin de soutenir les militaires français présents su les th ât es d op atio s. D s leu e t e à l ole, les l es so t do o ditio s de faço intensive afi d t e aptes à e pli leu s futu es issio s, d a o d à t a e s une vie en communauté au caractère indéniablement protecteur, t oite e t li e à l o ga isatio hi a hi ue du système militaire. Idéal du moi médical et ps hologie olle ti e s a ticulent à la fois dans l'intégration au groupe médical mais aussi à l'institution militaire, permettant la constitution de « l esp it de o ps » et une préparation aux missions spécifiques du praticien des armées. Pour autant, l olutio du contexte politique national et i te atio al a pu i pa te t s la ge e t les odalit s d appli atio d u contrat signé il y a dix ans pour les plus anciens élèves ; ces adolescents devenus jeunes adultes ont compris - en sus des risques vitaux pour eux-mêmes- u ils s e pose t aussi au is ue de se t o pe , ue la ause pou la uelle ils s taie t e gag s ne valait peut être pas la pei e d t e d fe due ou e alait d t e o attue ; est pou uoi les te sio s e t e id al et e gage e t e a ue t pas d appa ait e au t a e s d i te ogatio s e iste tielles et éthiques que nous allons détailler dans le chapitre à venir.

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