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2EME PARTIE : ENJEUX DU DEVENIR MILITAIRE

6 Chapitre VI : Des interrogations existentielles et éthiques

6.1 Genre, famille et parentalité

6.1.1 Les conséquences de la féminisation du service de santé

C est u fait, l armée française est de plus en plus féminisée depuis les années 1980, en particulier après la disparition progressive du service militaire dans les années 2000 et les uotas au o ou s d e t e des écoles militaires supprimés depuis 1998. Les oles d offi ie s et de sous-officiers accueillent dans leurs rangs de nombreuses femmes avec un taux de féminisation qui atteint 15 % en 2009 pour les armées en général. 107Les femmes sont plus jeunes que les hommes et plus nombreuses au sein des catégories

hiérarchiques les moins élevées ; Les fe es ilitai es i e t pou % d e t e elles e ouple et e e e t dans pratiquement toutes les spécialités ; le taux de féminisation en opérations extérieures ou sur les âti e ts de la a i e atio ale se situe autou de %. La a i e ie t e d ou i t s e e t au femmes des postes opérationnels dans les sous-marins.

181 Le service de santé des armées a t l u des p e ie s à f i ise ses a gs : outre les nombreuses infirmières ayant servi les armées au cours de la guerre 1914-1918, le corps de santé militaire féminin est créé en 1952. Des élèves officiers féminins sont recrutés à l'École du service de santé militaire de Lyon de 1953 à 1956. Les officiers féminins sont intégrés dans le corps interarmées des médecins et pharmaciens des armées en 1968 ; ai si Val ie A d , à la fois de i , pilote d h li opt e et capitaine féminin de l'armée de l'Air, docteur en médecine, chirurgien, parachutiste, elle a effectué en Indochine de 1949 à 1953 un nombre considérable de missions à bord de son hélicoptère Hiller M-360.108

Alors que le taux de féminisation au sein du SSA atteint actuellement 50 pour 100, comment les jeunes femmes futures médecins militaires envisagent elles leur rôle et leur positionnement par rapport aux hommes au sein du service de santé et dans l a e e général ?

Ce tai es d e t e elles t oig e t e o e des diffi ult s à s i t g e da s u ilieu ajo itai e e t masculin et opérationnel :

« En tant que femme médecin on doit montrer qu'on est légitime car dans les forces on est parfois moins bien intégrées... Certains ont parfois l'impression qu'on n'est pas militaire, on a d'abord besoin de montrer qu'on sait faire, même si on a parfois besoin qu'on nous montre les choses à nouveau ; je pense en particulier aux marches sur le te ai au p eu es de ti … »[Part 22] même si la féminisation du service de santé est déjà ancienne, les promotions étant réparties à parts égales entre garçons et filles, les remarques à propos des femmes médecins « qui ne partent pas en opex » restent fréquentes de la part de leurs congénères masculins qui revendiquant une certaine discrimination liée au genre, en lien avec une raréfaction du nombre de médecins disponibles ; en 2010, le quotidien du médecin publiait un article sur l e gage e t des de i s ilitai es e Afgha ista 109 ; les témoignages rapportés dans cet article

reprenaient ces éléments : « On ne sollicite donc principalement que le vivier masculin. Et ce sont toujours les es ui s olle t. Cela crée un problème, sur lequel nous avions alerté la direction centrale il y a 10 a s, e de a da t l i stau atio de uotas, ou d p eu es de sélection physique au concours »

Certains postes très spécifiques demandant une aptitude physique particulière sont en effet rarement choisis par les jeunes femmes lors de leur premier choix d affe tatio .

« Les postes très opérationnels comme le GIGN110 ou la BSPP111 ou les SNLE112 ne concernent qu'un tout petit

pourcentage de la promotion et sont très rarement attribués aux femmes »

[Part 14] par la suite lors des propositions faites aux femmes médecins par les gestionnaires RH lors des affectations suivantes

Cependant, depuis la fin des missions e Afgha ista et l appa itio d aut es o flits da s les uels la F a e est engagée militairement, les femmes médecins militaires participent de plus en plus aux missions, tout comme leurs collègues masculins. Certains militaires en dehors du service de santé sont parfois étonnés de rencontrer de très jeu es de i s fe es à pei e so ties de l ole et e gag es su des th ât es d op atio s pou soig e les less s au o at, elle-même armées, risquant parfois leur vie tout comme les

108 Idem

109 Article sur « L e gage e t du Service de santé des armées en Afghanistan. Les médecins militaires face à la prise de

risque » paru le 26.10.2010 :« Passa t out e l o ligatio de se e, les de i s d u it et leu s adjoi ts i te og s par « le Quotidien », expriment un malaise diffus au sujet de l OPEX op atio e t ieu e e e pa la F a e e Afghanistan. Si certains relativisent les risques sur le terrain, la plupart font état de leur inquiétude. Ils signalent la raréfaction des ressources humaines, en lien avec la féminisation du service, et évoquent aussi des clivages générationnels. Deux démissions sont en outre rapportées, ainsi que plusieurs mises en arrêt-maladie. »

110 GIGN : g oupe e t d i te e tio de la ge da e ie atio ale 111 BSPP : brigade des sapeurs-pompiers de Paris

182 soldats. [Clervoy, 2012] les étudiants militaires e fi de pa ou s, o f o t s à l i i e e des d pa t e mission, ont bien conscience des risques spécifiques pour les femmes médecins : « on a peut-être la naïveté de croire encore que le médecin militaire est derrière, pas en première ligne; ce que je sais en toute objectivité n'est pas toujours vrai ; ce qui a changé dans les guerres actuelles c'est que les terroristes ont bien compris que tuer un médecin - et qui plus est une femme - toucherait encore plus les opinions publiques occidentales que tuer un homme et j'espère qu'on ne deviendra pas des cibles faciles... »[Part 12] j appris par la suite que cet interne de spécialité hospitalière avait en ce qui le concernait peu de probabilité de partir en mission mais s i ui tait eau oup pou so pouse ui allait t e affe t e da s l a e de terre)

«...Pour mon mari qui est militaire lui aussi, il s'inquiète que je parte en OPEX et même s'il n'est pas misogyne il pense que la femme doit être le pilier de la famille »[Part 5]

6.1.2 De la parentalité

La pa e talit est u ologis e ui e oie à la fo tio et à la o ditio d t e pa e t ua d il s agit de la traduction du terme « parenthood » ou ie au p ati ues du ati es pa e tales lo s ue est u e traduction du terme « parenting ». L e ploi de e o ept s est la ge e t d elopp es di de i es années. [Lamboy, 2009] De nombreux auteurs considèrent la parentalité comme une question majeure de sa t pu li ue. E effet, les p o l es de pa e talit se aie t à l o igi e de o euses diffi ult s sanitaires et sociales : troubles de comportements, conduites à risque, troubles psychiques, abus de substances psychoactives, absentéisme, échec scolaire, délinquance, criminalité...

L e gage e t militaire et la disponibilité opérationnelle qui en découlent interrogent sur la possibilité et la capacité de concilier vie de famille et activité professionnelle pour ces jeunes femmes et ces jeunes hommes ; Notre étude montrait ue la oiti d e t e eu taie t e ouple et que 7 étudiants étaient de e us pa e ts, la plupa t au ou s de l i te at, e ui ep se tait u peu oi s de % de ot e population. (Tableau 18)

Les étudiants témoignaient de la difficulté de concilier parentalité et le métier de médecin militaire puisque 50 % des répondants pensaient ue le fait d t e ilitai e tait u o sta le à la ate it , et 27 % des po da ts esti aie t ue le fait d t e ilitai e tait u o sta le à la paternité ; l puise e t otio el augmentait significativement ua d le sujet a ait selo lui pas assez de te ps à o sa e à sa fa ille (p<0,001) ou quand il avait un enfant ; l e pathie di i uait sig ifi ati e e t ua d il tait i uiet pa rapport à un problème de santé pour un membre de sa famille (p=0,01) cf. tableaux 10, 18, 38,44 et figure 14

Adeli e MILLA a alis da s sa th se d e e i e de de i e g ale u e tude su le lie e t e les psychopathologies des militaires au cours des missions extérieures et le soutien familial perçu ; elle montrait ue l ha o ie et le soutie de la fa ille so t des l e ts esse tiels pou le ilitai e p ojet e op atio s extérieures. Notamment dans la période qui précède la mission, elle constatait moins de souffrance familiale chez les sujets en couple, les militaires les plus anciens. L a i t is-à-vis de la famille primait su l a i t de la mission avenir [Milla, 2014] cet élève de 4° année témoigne :

[PART1] : «... faire des missions de quatre mois ou six mois c'est pas évident pour la stabilité. J'ai pas envie d'être un médecin militaire qui se retrouvera dans une situation personnelle désastreuse à 50 ans comme beaucoup de médecins militaires que j'ai rencontrés

183 PART1 : Des anciens médecins militaires qui ont fait des carrières à l OM“, des médecins qui étaient à fond dans ce qu'ils faisaient, à fond dans les OPEX, qui partaient tout le temps et qui ont mis l'essentiel de côté FR: C'est quoi l'essentiel ?

PART1 : Pouvoir vivre! FR : C'est à dire?

PART1 : On ne vit pas tout seul ! C est à dire avoir une vie de famille, je ne sais pas une certaine stabilité, pas être un célibataire endurci de 50ans qui a fait 50 OPEX »

6.1.2.1 De la maternité

Pour les jeunes femmes,- même si chacune répondait lo s de l e t etie selon son histoire personnelle, sa personnalité, son environnement socio- familial,aussi les déterminants de son engagement professionnel, -la plupa t d e t e elles soulig aie t la diffi ult d t e à la fois étudiante en médecine, mère puis médecin opérationnel :

« L pa ouisse e t n'est pas que professionnel, il ne faut pas rater le coche avec ses enfants... » [Part 21] « il n'y a pas le moment idéal pour avoir des enfants quand on devient médecin militaire : pendant les études c'est très compliqué, quand on prépare l'internat c'est hyper dur, quand on est interne, il faut pouvoir gérer les gardes à l'hôpital, les cours à la faculté, les modules du val-de-grâce... Ensuite quand on arrive en unité et si on est en congé de maternité ça devient très compliqué, on ne peut pas partir en OPEX et on se culpabilise parce que ce sont les autres qui partent! Après quand on est plus avancé en âge on devient moins fertile... En fait je pense que cela doit être un projet du couple...

En stage de gynécologie j'ai rencontré pas mal de femmes militaires qui devaient avoir recours à la PMA113

pour avoir des enfants parce qu'elles avaient trop attendu et qu'elles devenaient moins fertiles ; en plus elles devaient gérer les grossesses entre deux missions... Dans le civil globalement les femmes font leurs enfants pendant les périodes de remplacement, elles ont le temps du remplacement pour se poser et souvent ensuite quand elles s'installent elles prennent le mercredi pour pouvoir s'occuper des enfants... Souvent il y aussi des problèmes de garde et beaucoup de nounous n'acceptent pas de travailler le mercredi et pendant les vacances scolaires! » [Part 5]

Pour certaines, il existait un probable moratoire de la conjugalité et de la parentalité en lien avec les o ditio s d e e i e du a t les p e i es a es d affe tatio ; h poth se u il faud ait ifie dans un travail de recherche ultérieur ; « le travail d'interne et de maman n'est pas compatible pour moi, c'est impossible de gérer les deux » [Part 13 ] « C'est jamais le bon moment pour une grossesse ; j'admire les filles qui se sont lancées la dedans et enchaînent les gardes avec leur bébé… et ua d o sait que la première année on peut partir en Opex...on verra... » [Part 17] « les aspirations de mon épouse en tant que femme passent pour l'instant au second plan...elle est contente d'être partie tout de suite en opex pour ensuite pouvoir se consacrer à sa vie de femme... » [Part 21]

D aut es do e t la p iorité à leur vie de famille au risque d e isage un renoncement à leur engagement i itial et d i pa te et leu a i e :

184 « En ce qui concerne la vie de famille il y a des gens qui vont retarder114 le fait d'avoir des enfants pour

pou oi pa ti e issio ... J'ai e ie d'a oi u e ie de fa ille pa ouie tout e pa ouissa t da s o métier mais je sais que ce ne sera pas facile... Je n'ai pourtant pas envie de démissionner... Cependant s'il y a un choix à faire je sais que je choisirai avant tout ma famille »[Part 24 ]Ca est u e ide e, le fait d t e mère influence la disponibilité opérationnelle des femmes ; la proportion importante de jeunes femmes médecins dans le service de santé en âge de procréer a des conséquences non négligeables sur la capacité opérationnelle du service : « le plus dur en OPEX serait qu'il arrive quelque chose à mon enfant, même une simple grippe, et que je ne puisse pas rentrer... le plus dur aussi serait de gérer une vie de couple avec quelqu'un qui n'est pas militaire... » [Part 16 ]

C est i i la uestio de la s pa atio e t e la e et les jeu es e fa ts : les o s ue es d u e s pa atio trop longue ou trop brutale entre sa mère et son enfant durant les premières années de la vie ont été étudiées par de nombreux auteurs, la figure maternelle ayant un rôle primordial dans le développement harmonieux de la personnalité de son enfant. Donald Winnicott a particulièrement étudié cette période d atta he e t utuel, cette « préoccupation maternelle primaire »au cours de laquelle a son attention est toute proche de celle de son bébé [Winnicott D. W., 1958]. Au-delà des conséquences bien connues sur l e fa t, il e iste aussi des o s ue es pou la e ui peu e t i fluer sur sa disponibilité opérationnelle, son efficacité, sa résistance au stress. Chez une femme militaire qui qui se voit obligée de confier son jeune enfant soit à son père soit à sa famille proche durant son absence pour se consacrer à sa mission, peuvent apparaître - à la fois pour elle-même et aussi pour son enfant des troubles anxieux et comportementaux - qui peuvent remettre en question son engagement opérationnel à plus long terme.

6.1.2.2 De la paternité

Du ôt des futu s p es, le fait d t e militaire semble être un obstacle moins important quant à la question de la paternité : 26,7 % des po da ts pe saie t ue le fait d t e ilitai e tait u o sta le à la paternité contre 50 % des répondants en ce qui concerne la maternité (Tableau 18)

Vi gi ie Vautie , ps hiat e ilitai e de l hôpital “te A e à Toulo 115s est i te og e su ette uestio de

la pate it à pa ti d u e e u te de te ai alis e aup s de uel ues ilitai es faisa t pa tie d u it s op atio elles de l a e de te e.

“o e u te, alis e à pa ti d u e populatio o li i ue pe et d app ofo di des ep se tatio s de ces hommes à la fois militaires et pères de famille confrontés aux évolutions sociétales ; pour ces militaires, la parentalité demeure une pratique essentiellement féminine a l e gage e t p ofessio el est u pa ces hommes comme une véritable passion, classant leur engagement professionnel au- dessus de tout. Ceci semble rejoindre les conceptions des étudiants en médecine militaire masculins, comme le suggère cet interne : « ma compagne est infirmière et accepte de tout lâcher pour me suivre dans ma première affectation… [PART 18] Pour autant, Virginie Vautier souligne un vécu parfois douloureux et complexe chez

114“elo l i see e F a e M t opolitai e les fe es o t leu p e ie e fa t à l âge de a s et plus le

diplôme de la femme est élevé que le premier enfant arrive tard

115Vautier. V. Mémoire de recherche -Maste . Et e p e et ilitai e aujou d hui : des e jeu ide titai es o ple es.

185 les plus jeunes confrontés à la mise en tension entre les attentes importantes de la famille et les contraintes du milieu professionnel.

Elle o state aussi da s le dis ou s des ilitai es aup s des uels elle a e l e u te u e as t ie des rôles persistante : les a ti it s de soi s et d éducation pour les enfants restent du domaine essentiellement f i i et l i estisse e t p ofessio el sou e t o sid o e optio el hez la fe e ilitai e ; à l i e se le soi au e fa ts este optio el pou les ho es da s u e isio t aditio elle de la famille. La parentalité peut donc être parfois ressentie comme un facteur de fragilisation du militaire en mission.