• Aucun résultat trouvé

Les services bancaires islamiques

Dans le document La création d'un droit bancaire islamique (Page 146-156)

BANCAIRES MUSULMANES

Section 2- Les services bancaires islamiques

Dans cette section, la notion de compte bancaire islamique sera tout dʼabord envisagée (§1). Nous évoquerons ensuite un ensemble de produits dont la légitimité est justifiée par leur rémunération forfaitaire (§2). Nous observerons que la légitimité de la plupart de ces services, calqués sur les instruments bancaires conventionnels, ne soulève pas de difficultés particulières.

§1- les comptes bancaires

En raison de lʼimportance fondamentale de lʼinterdiction de lʼintérêt dans les banques islamiques, nous distinguerons les comptes non rémunérés (A) et les comptes rémunérés (B).

A- Comptes non rémunérés

Au regard du droit classique, le dépôt bancaire sʼanalyse par le prisme de la notion dʼal amanah (1). Nous montrerons que dans la pratique, cette notion nʼest pas suffisante pour analyser la nature des comptes islamiques de dépôts (2).

1- Le dépôt : al amanah

La amanah renvoie à la notion de confiance, en droit classique elle désigne

la remise dʼune chose à une personne (el amin) qui se charge de la garder.

Cʼest une obligation spéciale de garde portant sur la chose due, qui peut entraîner la responsabilité sans faute du gardien sur la seule base de son obligation de résultat, la garde en lʼétat. La bonne garde doit être assurée par le dépositaire lui-même ou par un membre de sa famille. On peut la rapprocher de la notion de custodia en droit romain513. Le défaut de restitution du dépôt ou la confusion du dépôt avec le patrimoine du dépositaire sont deux motifs qui permettent dʼentraîner la responsabilité de ce dernier514.

2- Les applications pratiques

Si la remise des fonds et lʼobligation de restitution sʼanalysent dans les banques islamiques au regard du statut classique de la amanah, dans la pratique, les clients sʼengagent contractuellement à prêter leur dépôt à la banque, sur la base du qard al hassan, prêt gratuit, que nous avons étudié précédemment. Ainsi,

513 GAUDEMET Jean, Op. cit., p. 294. 514 SCHACHT Joseph, Op.cit., p. 133.

les dépôts de la clientèle peuvent être utilisés par la banque pour financer la fourniture de crédit sur le modèle des banques conventionnelles515. Les comptes de dépôts islamiques ne se distinguent pas des comptes de dépôts conventionnels.

Il est une problématique spécifique aux banques qui proposent des produits islamiques et conventionnels. Une stricte séparation entre les ressources conventionnelles (porteuses de riba) et les ressources conformes à la Shariʼa est en principe exigée516. Toutefois, en raison de la rapide croissance et de la jeunesse des banques islamiques, différents comités ont admis que les financements dont a besoin la banque puissent provenir dʼune source conventionnelle517.

B- Comptes rémunérés

Notre étude des comptes rémunérés proposés par les banques islamiques distinguera les comptes épargne (1) et les comptes dʼinvestissements (2).

1- Comptes épargne

Les comptes épargne sont des comptes de dépôts à terme. La banque gère les fonds reçus et est rémunérée pour le service effectué. Le bilan des investissements est reversé au client en fonction des bénéfices ou des pertes réalisés par la banque. Il nʼy a en théorie ni capital garanti, ni profit préalablement établi. En pratique toutefois, la banque va utiliser tous les contrats que nous avons étudiés précédemment. Elle va ainsi proposer à sa clientèle des dépôts à terme dont le profit (ou le profil de gain) sera fixé à lʼavance et versé à terme, par le jeu

de mourabaha ou de tawarruq croisés, sur le modèle des produits financiers que

nous venons dʼétudier.

515 Pour le cas de la France cf. Code monétaire et financier, article L. 312-2.

516 Cf. infra p. 203 et p. 299 pour la question des audits externes sur la séparation des activités islamiques et conventionnelles.

517 Notamment le comité Shariʼa dʼHSBC Amanah in EL-GAMAL Mahmoud A., Peddling religion, IIFF, Istanbul, Septembre 2004, 12 p., [En ligne] http://www.ruf.rice.edu/~elgamal/files/islamic.html (consulté le 25 septembre 2011), p. 3.

2-Comptes dʼinvestissement

Les comptes dʼinvestissement sont structurés sur la base dʼun contrat de

moudharabah, ils héritent donc des conséquences légales de celui-ci.

Ainsi, on trouve trois types de comptes dʼinvestissement. Dans le premier, on utilise la moudharabah dans son acception limitative. Ce sont des comptes affectés, la banque dispose des fonds selon les indications du client (le dépositaire) et, est rémunérée pour son service de gestion. Le second est illimité,

le moudharib, la banque gère alors les fonds à sa guise et est rémunérée pour le

service de gestion.

Dans les deux cas le client reçoit une part proportionnelle des profits réalisés en vertu du contrat de moudharabah.

Il est enfin un troisième type de compte, le plus fréquent en pratique, pour lequel la banque est à la fois rab al mal et moudharib. Cʼest la moudharabah à deux volets que nous avons déjà rencontrée au cours de nos développements et dont nous avons détaillé la légitimation. Dans ce compte, la banque mélange ses fonds à ceux déposés par la clientèle et gère la totalité. Elle est ainsi rémunérée au titre de gestionnaire et de dépositaire.

§2- Les produits payés au forfait

Dʼune manière générale, tous les produits ou services bancaires qui sont rémunérés à un tarif forfaitaire ou qui dépendent dʼun travail effectif sont licites518. A la condition toutefois que leur finalité soit conforme à lʼéthique musulmane. Il en va ainsi pour le contrat de fourniture de service quʼest la juʼalah (A), mais également pour un ensemble de produits proposés par les banques (B).

A- La fourniture de service : al juʼalah

Lʼanalyse dʼal juʼalah passera par lʼexamen des conditions de ce contrat (1) ainsi que par son utilisation dans les banques islamiques (2)

1- Conditions du contrat

Les conditions du contrat de juʼalah seront envisagées dans sa phase de formation (a) puis, au cours de son exécution (b).

a- Formation

Le contrat de juʼalah se définit par la promesse dʼune récompense à quiconque entreprend de réaliser un travail déterminé. Ainsi, le jaʼil embauche un

majʼul pour accomplir une mission contre un juʼul (compensation financière ou autre précisée dans le contrat), le majʼul est payé sʼil accomplit la tâche519. Le contrat de juʼalah se différencie de lʼijara dans la mesure où il nʼest pas exigé que le majʼul soit connu au moment de lʼappel dʼoffre. Il se distingue aussi de lʼistisnaʼ

car le majʼul fournit un service alors que le moustasniʼ fournit un produit. La rétribution du service est de plus incertaine et conditionnée à lʼaccomplissement du travail demandé alors que dans le cas de lʼistisnaʼ, elle est précisée au contrat.

518 Sur ce point cf. AL AMIN Hassan, Statut légal des transactions avec intérêt, Op. cit., p. 41 et ss. 519 BENDJILALI Boualem, The jaʼala contract and its applicability to the mining sector, IRTI, Jeddah, Arabie Saoudite, 1997, disponible sur www.irtipms.org, p. 18.

Le contrat de juʼalah est légitimé dans le Qorʼan520 et dans la sunna car il est rapporté que le Prophète a approuvé la décision de quelques-uns de ses compagnons de donner une récompense à celui qui soignerait le guide de la communauté521.

b- Exécution

Le contrat de juʼalah nʼest contraignant quʼà partir du moment où le majʼul

commence son travail. Le jaʼil qui souhaiterait mettre fin au contrat de service devrait dans ce cas indemniser le travailleur pour lʼœuvre accomplie. Dans la mesure où le contrat de juʼalah se définit par la promesse dʼune récompense, lʼacceptation du travailleur nʼa pas à être formalisée. Dans la pratique contemporaine, ce contrat sʼadressera à un travailleur déterminé qui sʼobligera ainsi à accomplir le travail requis.

2- Pratique de la juʼalah

Le contrat de juʼalah est utilisé dans de nombreux domaines pour lesquels la banque accepte de rendre un service à sa clientèle tout en nʼétant pas désireuse de le réaliser elle-même. Elle contractera donc par la juʼalah avec le client et, par un deuxième contrat de juʼalah, avec celui qui effectuera effectivement le travail.

Cf. page suivante pour le schéma du mécanisme contractuel de la juʼalah

parallèle :

520Qorʼan S. XII, V. 70-72.

Schéma du mécanisme contractuel de la juʼalah parallèle :

Il en sera ainsi pour la réalisation des due diligences522 et études diverses (économiques, scientifiques) dans les opérations de financements de projets islamiques, pour le courtage ou encore le règlement des contentieux et des procédures de recouvrement.

B- Produits divers

Dans la variété des produits proposés par les banques, il nous a semblé opportun, en raison de leur importance dans le sytème bancaire, de focaliser notre analyse sur les cartes bancaires (1) et les lettres de crédit (2).

1- Les cartes bancaires

Si la légitimation de la carte bancaire de paiement (a) ne soulève pas de difficulté particulière, la carte bancaire de crédit mérite une analyse plus attentive

522 La notion anglo-saxonne de due diligence correspond en droit français à lʼaudit préalable (investigations impliquant le recours à différents experts dont les conclusions serviront de base à la prise de décision dʼun investisseur), Journal Officiel du 28 décembre 2006.

(b) en raison de la nécessité imposée par lʼIslam de sʼémanciper de lʼintérêt, qui rémunère son utilisation dans le système bancaire conventionnel.

a- La carte bancaire de paiement

Les cartes de paiement, dans la mesure où elles emportent un simple commandement de payer, sans ouverture de crédit, ne posent pas de difficultés quant à leur légitimité en droit musulman523. Ainsi, tout type de carte de débit est autorisé en pratique524.

b- La carte bancaire de crédit

Les cartes de crédit sont également proposées au client, mais doivent être exemptes dʼintérêts. Lʼon trouve ainsi plusieurs modes de fonctionnement fondés sur les contrats nommés classiques.

Certaines cartes sont payées au forfait, le calcul de ce forfait étant effectué de manière à compenser une forte utilisation du crédit ; ce type de carte est souvent cher et en pratique peu utilisé par la clientèle.

Dʼautres cartes sont basées sur la mourabaha. Dans ce cas, le client, en payant par carte, achète le bien pour le compte de la banque, qui le lui revend instantanément, à paiement différé. Pour éviter les achats de biens contraires à lʼéthique musulmane, les banques islamiques sʼengagent avec les sociétés fournissant les solutions de paiement électronique, pour brider lʼutilisation de ces cartes, qui ne pourront pas être utilisées dans des casinos, par exemple.

Enfin, les cartes de crédit qui rencontrent le plus grand succès et participent de la conversion de nombreux clients aux préceptes de la banque islamique, sont fondées sur les mécanismes dʼal ʻinah ou du tawarruq. Les clients disposent ainsi dʼune réserve de monnaie quʼils peuvent utiliser à leur gré. Le remboursement est effectué par échéances, sur le modèle des cartes de crédit conventionnelles, en référence au taux dʼintérêt du marché et proportionnel à la durée du remboursement.

523 Si lʼon met de côté lʼacception classique de la monnaie. 524 AAOIFI, 2004-5A, Standard on cards.

2- La lettre de crédit

La lettre de crédit est une lettre par laquelle « un banquier accrédite son client auprès dʼun de ses confrères pour lui permettre de retirer des fonds dans une autre banque »525. Désignée en Arabe par le terme hawala (ou suftaja), qui donne son origine étymologique au mot français « aval »526 (pour lʼendos dʼune lettre de change) la lettre de crédit fut très répandue dans lʼempire musulman. Elle fut ainsi utilisée dès lʼépoque des Omeyyades pour rémunérer les troupes. Ces lettres de crédit donnaient à leur porteur le droit de prélever une certaine quantité de céréales dans les greniers de lʼEtat après la récolte527. La hawala fut historiquement utilisée bien au delà des limites du droit islamique. Elle permit les activités bancaires par les banquiers juifs, mais aussi par les marchands musulmans528.

La différence entre la vente de dette et la hawalaest que la relation entre le débiteur et le créancier nʼy est pas détruite. Ainsi, le transfert de créance est autorisé par ce biais puisque le gharar résultant de lʼincertitude du paiement est réduit par le recours qui reste possible au créancier primaire. Ainsi, les banques islamiques utilisent lʼinstitution classique de la hawala pour fournir à leur clientèle un ensemble large de moyens de paiements tels que le chèque, le billet à lʼordre ou la lettre de change, ce qui nʼest là finalement quʼun juste retour des choses. La créance transférée par la hawala ne peut néanmoins lʼêtre quʼà sa valeur nominale. En pratique, ce service sera généralement facturé au titre des frais de gestion du compte, ou de la mise à disposition des moyens de paiement.

La capacité dʼadaptation du droit musulman est démontrée par le développement de ces techniques bancaires encore embryonnaires voilà trente ans. La créativité des solutions retenues est par contre sujette à interrogation tant nous constatons la volonté de calquer les solutions conventionnelles, voire même, dans certains cas de les revêtir dʼattributs islamiques dont la teneur semble plus utile en mercatique que porteuse de sens en droit. Les débats concernant lʼorthodoxie des techniques de financement islamiques sont le naturel reflet de leur

525 GAVALDA Christian, STOUFFLET Jean, Op. cit., p. 480.

526 Plusieurs institutions de droit commercial furent transmises à lʼoccident médiéval par le biais des relations commerciales ainsi le hawala, le sakk et peut être encore la moudharabah,cf. supra

p. 52.

527 COULSON Noël J., Op. cit., p. 39 528 BENMANSOUR Hacène, Op. cit., p. 70.

milieu dʼorigine : les solutions shafiʼites malaises ont beaucoup de difficultés à

satisfaire les ʻulama saoudiens, eux-mêmes étant parfois désavoués par leurs

voisins du Bahreïn. Les modernistes et les traditionnalistes de ces pays restent également sur des positions contradictoires.

Lʼapparition dʼun droit bancaire islamique est en question dʼautant que les

procédés directement issus du droit musulman classique peinent à trouver leur place sur le marché en raison de leur relative inadéquation aux enjeux de notre

temps. Si les détracteurs de la banque islamique auront tôt fait dʼen déduire une

faiblesse structurelle du modèle, nous nous attacherons à prouver que cette

manière dʼenvisager la problématique est par trop réductrice. Nous le verrons, la

variété des solutions retenues est fonction du public auquel elles sʼadressent. La

création dʼun droit bancaire islamique est à nos yeux essentiellement pragmatique.

Le financement de projets dʼinfrastructures dans des pays dotés dʼune

organisation économique moderne ne pouvant dépendre des mêmes instruments

que le microcrédit fourni à un individu dans une région rurale dʼun pays en voie de

développement. Dʼautant plus si le dit pays est dépourvu de capacité permettant

T

ITRE

II- L

ES DIFFERENTS MODELES DE BANQUES ISLAMIQUES

Face à la variété des situations auxquelles ils sont confrontés, les acteurs du développement dʼun système bancaire islamique ont trouvé des solutions aussi diverses que nécessaires (Chapitre 1). Dans ce domaine mêlant gestion de lʼargent et religion, les sensibilités locales de la clientèle sont dʼune importance essentielle, il importe finalement assez peu au banquier islamique que son produit soit jugé hétérodoxe par la majorité du monde musulman si sa clientèle est persuadée du contraire. Nous y reviendrons. Cet éclatement des situations est aujourdʼhui remis en cause par la recherche dʼune unité (Chapitre 2) qui devra amener le système bancaire islamique à la rationalité et la standardisation quʼimplique la volonté dʼen faire un modèle alternatif global. Nous verrons comment procèdent ces forces unificatrices et nous interrogerons sur la pérennité dʼune telle entreprise. Cette volonté dʼasseoir un modèle unifié ne serait-elle pas la cause même dʼune faiblesse future ? LʼHistoire viendra ici encore en renfort de notre argumentation et nous montrera que dans lʼhistoire du monde musulman, lʼuniformisation des pratiques a souvent conduit à la mise en cause de ceux qui les ont imposées.

Dans le document La création d'un droit bancaire islamique (Page 146-156)