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444 L ʼArabie Saoudite a récemment lancé une politique dʼinvestissements, forte de cent dix milliards

Dans le document La création d'un droit bancaire islamique (Page 118-125)

BANCAIRES MUSULMANES

444 L ʼArabie Saoudite a récemment lancé une politique dʼinvestissements, forte de cent dix milliards

444 LʼArabie Saoudite a récemment lancé une politique dʼinvestissements, forte de cent dix milliards de dollars, pour permettre la construction de six villes entièrement nouvelles dédiées au développement économique dans des secteurs tels que lʼindustrie pétrolière, lʼagriculture, lʼindustrie lourde ou les nouvelles technologies.

445 Les financements de projets impliquent une multitude de contrats (de la fourniture des matières premières aux contrats dʼassurance), qui impliquent chacun des aménagements au regard de la structuration islamique. Nous nous contenterons donc, pour préserver la clarté de notre argumentation, dʼanalyser lʼarchitecture générale des financements de projets.

Structure utilisant une combinaison dʼijara et istisnaʼ446 :

Schématiquement, la banque et la société désirant financer la construction dʼune usine sʼentendent pour que, dans un premier temps, la banque finance la construction par un contrat dʼistisnaʼ. A lʼissue de quoi elle est propriétaire de la construction. Dans une deuxième phase, la banque, engagée avec la société de projet dans un contrat dʼijara dont nous avons vu quʼil pouvait comporter une promesse dʼachat contraignante, loue lʼactif financé à la société qui rembourse ainsi les financements.

Une autre structure couramment utilisée fait intervenir plusieurs contrats de

salam et dʼistisnaʼ :

Cf. page suivante pour la structure combinant salam, Istisnaʼ et

mousharakah :

446 Source SAINT MARC Gilles, Finance SAINT MARC Gilles, Finance islamique et droit français, Cabinet Gide Loirette Nouel, Table ronde finance islamique organisée par la commission des

finances du Sénat, Paris, 14 mai 2008, 27 p., [En ligne]

www.senat.fr/commission/fin/actualites/finance_islamique_saintmarc.ppt (consulté le 25 septembre 2011), p. 13.

Structure fondée sur salam et Istisnaʼ et mousharakah :

b- Islamisation des pratiques ?

Ainsi, par lʼutilisation conjointe des contrats nommés classiques, le droit bancaire islamique rénové permet dʼassurer le financement de tout type de projets dʼinfrastructures. Cette islamisation des techniques financières permet en théorie de favoriser lʼexpansion de cette activité dans les pays où la manne pétrolière dont on commence à percevoir les limites, impose de se tourner vers un développement économique diversifié. Toutefois, lʼutilisation moderne de ces techniques juridiques, dont nous avons vu précédemment les points faisant débat quant à la stricte conformité à lʼIslam, rejaillit sur ces montages. Là encore, les modalités de détermination du prix en référence à un taux dʼintérêt, sans réelle prise de risque autre que le risque de crédit ou la réalité du transfert de propriété des actifs sous-jacents soulèvent des interrogations. Nous verrons plus loin, quand nous étudierons les financements de projets mettant en relation des financiers islamiques et conventionnels447 que lʼhypothèse selon laquelle le développement du droit bancaire peut en réalité sʼanalyser sous lʼangle de sa conformité aux pratiques conventionnelles, est pleinement justifiable.

447 Cf. infra p. 300.

2- Implications juridiques liées à la structuration

Dans ces développements sur les implications juridiques liées à la structuration nous envisagerons deux problèmatiques révélatrices de lʼacculturation des normes islamiques dans la pratique conventionnelle préexistante : les crédits syndiqués (a) et les instruments de couverture (b).

a- Cas des crédits syndiqués

Eu égard à la taille des financements impliqués dans ce type dʼopérations, il est fréquent que les banques se réunissent en un pool, syndicat bancaire448. Mettant en commun leurs contributions au projet et se répartissant le support des risques qui lui sont attachés449, les banques désignent un chef de file450 qui, mandaté par le syndicat, assurera la relation directe avec lʼemprunteur. Dans le cas où lʼemprunteur requiert dʼimportantes ressources pour mener à bien ses investissements, il peut simplement rechercher un financement non-affecté451, sous forme de crédit quʼil utilisera en fonction de ses besoins particuliers. A cet effet, les banques islamiques utilisent la mourabaha, ou le tawarruq, En pratique, la banque chef de file, par lʼintermédiaire dʼun broker, achète un lot de matière première quʼelle revend immédiatement à son client en lui accordant un délai de paiement (mourabaha) quʼelle facture en référence à un taux dʼintérêt conventionnel. Ensuite, mandatée par le client, elle revend la marchandise au même broker, au prix dʼachat initial. A lʼissue de lʼopération, le client est en possession dʼune somme quʼil devra rembourser au coût classique du loyer de lʼargent. Précisons là encore, quʼil est expressément stipulé dans les procédures contractuelles, que le transfert de propriété des biens sʼeffectue uniquement par un jeu dʼéchanges de titres et que les transactions doivent sʼeffectuer « simultanément pour limiter tout risque dʼévolution du prix des matières premières ». On le voit bien, les portes ouvertes par lʼutilisation des contrats classiques du droit musulman cherchent à reproduire les mécanismes financiers

448 Cf. MATTOUT Jean-Pierre, Op. cit., p.186 et ss.

449 Les financements de projets réunissent en pratique plusieurs banques, au regard des enjeux financiers de ces opérations, parfois plusieurs milliards dʼeuros, une banque ne peut sʼengager seule.

450Op. loc. cit.

451 Ce peut être le cas par exemple pour le financement dʼun navire, dans ce cas la banque ne souhaite pas être propriétaire du bien en raison des risques quʼelle peut être amenée à supporter en cas de pollution causée par le dit navire par exemple. Elle privilégiera donc le financement par la mourabaha ou le tawarruq que par lʼijara.

conventionnels. La référence commerciale à la matière première est purement

formelle, comme dʼailleurs la nouveauté prétendument apportée par le droit

islamique à la pratique des affaires. Précisons enfin que le coût de ce type de financement est généralement plus élevé pour le client puisque le recours à

lʼintermédiation dʼun broker vient sʼajouter au coût du crédit. Lʼindustrialisation de

ce type de procédures tend néanmoins à en relativiser lʼimpact.

b- Instruments de couverture

Nous le verrons, derrière la structuration islamisante de ces opérations, in

fine, cʼest par les circuits financiers conventionnels que se déroulent les

financements. La surcouche islamique est essentiellement formelle452.

Concrètement, la pratique nécessite le recours aux marchés financiers

internationaux. Ainsi, dans le cadre dʼun financement de projet, les différents

intervenants peuvent avoir intérêt à se protéger contre lʼévolution du coût des

matières premières453 ou du cours des devises454. Pour ce faire, ils procèderont

par lʼachat à terme du bien dont ils veulent sʼassurer le prix. Or, nous lʼavons vu,

lʼachat à terme nʼest possible que par le salam ou lʼistisnaʼ, en payant comptant ou

au cours de la fabrication du produit. Lʼachat futur de marchandises inexistantes

est donc interdit en principe ce qui fait courir dʼimportants risques aux

établissements financiers islamiques. Le développement des instruments islamiques permettant ce type de couverture constitue un des enjeux majeurs du

développement récent du droit bancaire islamique455. Nous reviendrons en détail

sur lʼélaboration de ces techniques innovantes456, mais nous arrêterons

néanmoins pour lʼheure sur lʼexemple de l'achat de devises.

En théorie, lʼachat de devises ne peut se faire quʼà une même date et pour

un même montant457. En lʼoccurrence, lʼintérêt de lʼopération de couverture

passera par la certitude de pouvoir se procurer plus tard la devise en question à un prix convenu dès le départ. Si la couverture du prix à terme est autorisée pour

452 Par le jeu dʼune documentation juridique islamisant les apparences.

453 Dont la revente servira à désintéresser les emprunteurs. Schématiquement, dans le cadre dʼune structure istisnaʼ/ijara, si le projet porte sur la construction dʼune usine de production dʼaluminium, le prix futur de cet aluminium doit être suffisant pour payer le leasing.

454 Si lʼemprunteur emprunte dans une devise (dollars) et que ses ressources proviennent dʼune autre devise (dinar) une évolution dans le taux de conversion peut entraîner de profondes différences sur le plan financier.

455 A ce propos, cf. CEKICI Ibrahim Zeyyid, « Du filtrage islamique », Op. cit., p. 15.

456 Cf. infra p. 139.

certains dans le cas où le paiement est effectué comptant458, le paiement à terme est majoritairement tenu pour illicite car portant sur un objet inconnu. Globalement, lʼon considère en pratique, si lʼachat de devises est à terme, quʼil doit prendre la forme de deux promesses dʼachats distinctes pour être valide459.

B- Les incidences des prescriptions de la Shariʼa sur les parties

au projet

Dans une perspective chronologique nous commencerons par aborder les rapports entres les parties durant la phase de structuration (1), avant de nous tourner vers lʼétude de ces rapports durant la vie du projet (2).

1- Les rapports entre les parties durant la phase de structuration

Le phénomène de la banque islamique est récent, voilà à peine deux décennies quʼil se développe réellement. Aussi, la plupart du personnel, les modes de fonctionnement, le savoir-faire, sont issus du système bancaire conventionnel. Les banques islamiques impliquées dans le financement de projets intègrent donc ces pratiques. Le rôle du chef de file et des différents créanciers, lʼétablissement des responsabilités ne diffère pas dans les banques islamiques par rapport à ce quʼil est dans le système conventionnel. Leur étude ne présente donc pas pour le moment dʼintérêt particulier au regard de la création dʼun droit nouveau. Toutefois, il est un point qui mérite analyse.

Dans le modèle de gouvernance des banques islamiques, on trouve un comité (Shariʼa board) au sein duquel siègent plusieurs spécialistes, à la fois du droit musulman et de lʼactivité bancaire, qui sont amenés à juger de la conformité à la Shariʼa des pratiques de lʼétablissement. Nous reviendrons en détail sur le rôle central joué par ces comités460. Précisons néanmoins dès à présent que dans le cadre dʼun financement de projet leur capacité à contrôler la conformité est excessivement délicate. En effet, les financements de projets font intervenir plusieurs banques et un grand nombre de contrats, si bien que dans les faits le

458 Cf. supra p. 34 et OBEIDI Zouheir, Op. cit., p.141-142.

459 Le risque de réputation des institutions financières sur les marchés assurant le caractère contraignant de ces promesses.

Shariʼa board contrôle en aval les documents qui lui sont soumis. La plupart de la documentation juridique est généralement déléguée à des grands cabinets dʼavocats dʼaffaires internationaux qui structurent juridiquement les opérations et font remonter les contrats au comité qui décide ou non de les valider. Le grand formalisme impliqué par lʼislamisation des pratiques, que nous venons dʼévoquer, engendre un surcroît de documentation bien évidemment facturé par ces cabinets et qui pèse sur la compétitivité du modèle bancaire islamique. De plus, sans vouloir stigmatiser la profession, il est fréquent que lʼensemble de la documentation ne soit pas présentée aux ʻulama membres du comité Shariʼa. En effet, la compatibilité de la Shariʼa avec toutes les normes conventionnelles nʼest pas assurée en financement de projet. Les banques sont donc nécessairement amenées à user, par nécessité, de techniques dont elle savent que le comité réprouverait lʼusage. Il en est ainsi par exemple, dans le cadre dʼun financement de projet fondé sur un contrat de mousharakah. Ce contrat, nous lʼavons vu entraîne un éventuel partage des pertes entre la banque et son client. Or, il est fréquent dans la pratique, nous lʼavons constaté, que les banques se préservent de ce risque de perte en faisant tirer un billet à ordre sur le compte du client pour compenser dʼéventuelles pertes futures, perdant en cela tout le sens de lʼinstitution classique de la mousharakah. Ce détail, parmi dʼautres sur lesquels nous reviendrons, est typique des contradictions liées au développement du droit bancaire islamique.

2- Durant la vie du projet

Lʼétude exhaustive du rapport entre les parties durant la vie du projet étant un sujet trop étendu pour ce qui est au coeur de notre travail sur la création dʼun droit bancaire islamique461, nous nous focaliserons sur les modalités de paiement dans le cadre dʼune structuration par istisnaʼ (a) et le cas de mauvaise exécution des obligations (b).

a- Les modalités de paiement dans le cadre dʼune structuration

par istisnaʼ

Dans le cadre dʼun financement de projet comportant un contrat de fabrication par lʼistisnaʼ, nous lʼavons vu le paiement successif est permis. La

461 En effet, soit ces rapports nous entraîneraient trop loin du cœur de notre sujet (les problématiques fiscales propres à chaque pays par exemple) soit ils utilisent des contrats qui font déjà partie de notre étude (contrat de vente, de location, de fourniture de service).

compréhension des modalités de paiement nʼest pas néanmoins unanimement

partagée. Certaines banques considèrent que lʼéchéancier, comportant toutes les

étapes de construction, doit être préalablement établi et que lʼon ne peut sʼen

écarter. En cas de retard dans le calendrier de construction, fréquent en pratique,

les fonds sont versés au client qui ne peut en disposer sur le champ puisquʼil nʼa

pas encore atteint ses objectifs antérieurs. De fait, cet argent est en quelque sorte inutile. Le bénéfice que la banque pourrait espérer en obtenir en le gardant dans

ses livres462 est anéanti. Cʼest pourquoi dʼautres banques choisissent

conventionnellement, quʼen cas de retard dans la construction, les sommes soient

versées sur un compte réserve et non au client directement. Les banques

autorisant cette pratique jugée moins conforme à lʼesprit du contrat dʼistisnaʼ

traditionnel ont donc un avantage compétitif sur les autres, si bien quʼau bout du

compte, alors que lʼon pourrait penser que cʼest la fidélité aux principes de la

Shariʼa qui guide le développement du droit bancaire islamique, les autres

banques en viennent à modifier leurs procédures, pour améliorer leur

compétitivité463. Compétitivité dont bénéficie par ailleurs la clientèle qui joue un

rôle dans la définition du droit bancaire islamique, nous y reviendrons.

b- En cas de mauvaise exécution des obligations

Dans le financement de projet, le défaut de lʼun des contractants ne peut

entraîner de pénalités que dans le cadre du contrat dʼistisnaʼ. Pour les autres

contrats, lʼobligation de payer ne doit pas faire lʼobjet dʼune augmentation

ultérieure de la dette dʼargent, assimilée au riba. Dans ce cas, les pénalités

dissuasives pourront être imposées à la partie fautive et versées à des oeuvres de

bienfaisance, nous lʼavons vu. Toutefois, le manque à gagner pour les créanciers

sera compensé en pratique par la souscription dʼassurances couvrant les risques

dʼimpayés. La particularité des règles du droit bancaire islamique ainsi défini,

conduit au résultat paradoxal que le coût de financement est indexé sur un taux

dʼintérêt, majoré du coût de lʼassurance, le plus souvent conventionnel, et du coût

de formalisation des contrats par des cabinets dʼavocats dʼaffaires rompus aux

techniques islamiques de financement ; supérieur donc au taux dʼintérêt

conventionnel assimilé au riba.

Dans le document La création d'un droit bancaire islamique (Page 118-125)