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Les ressources institutionnelles

Synthèse Intermédiaire

4.3 Les ressources institutionnelles

Cette dernière section est consacrée aux ressources fournies par la société elle-même et qui peuvent être mobilisées par les acteurs dans leur processus d’installation en Suisse. Nous élargissons le concept de ressources institutionnelles, à priori basé sur les dispositifs d’accueil et d’encadrement (Zittoun, 2012c), au travail en général. Ce dernier représente un moyen d’accéder à la société d’accueil et peut être considéré comme une ressource. Dans le point 4.3.2 nous décrirons brièvement le cas particulier du théâtre, vécu par l’un des interviewés. Ce cas mérite d’être approfondi car il fournit une clé de lecture intéressante.

4.3.1 Le travail

Dans la plupart des entretiens, l’élément « travail » ressort de manière courante et significative. Le fait d’être encadré dans un dispositif qui permet la participation à la société est pour les migrants une source de bien-être et de satisfaction. Les premiers

dispositifs d’encadrement, tels que les programmes d’occupation ou les travaux d’utilité publique, offrent aux requérants d’asile la possibilité de s’occuper et d’exercer une activité qui leur permet de commencer à accéder à la société d’accueil.

Davit : Deux jours après que je suis arrivé, je dis que je dois absolument travailler […] On m’a mis dans un programme d’occupation. Je me souviens en Géorgie, moi du jardinage… jamais vu ! Mais j’étais tout content d’arracher de l’herbe… peu à peu j’ai connu des gens. Koffi : On allait dans les montagnes travailler, tracer la route, je ne faisais pas ça au Togo, mais c’était comme une libération pour moi, parce que je voulais vraiment sortir, faire quelque chose. Je voulais m’occuper un peu, pour me sentir mieux, connaitre des gens.

Koffi et Davit sont confrontés à des activités qu’ils ne connaissent pas mais qui leur permettent de sortir et de s’occuper. La possibilité d’exercer ces travaux est pour eux une source de bien-être et de libération, et permet de participer à la société. Accéder à ces structures d’encadrement permet, par extension, d’accéder à un réseau de personnes. Nous observons ainsi l’interdépendance des différents éléments : le travail est une ressource institutionnelle qui permet d’accéder aux personnes qui, à leur tour, sont des ressources sociales. La sécurité de l’emploi dans le pays d’accueil représente un pas important, qui permet aux migrants de commencer à se sentir appartenir à la société.

Prianka : Les premiers moments ici notre vie était très difficile, mais quand moi aussi j’ai trouvé enfin un travail, alors après les choses ont commencé à aller mieux, tu commences à sentir que tu fais partie d’ici.

Prianka, comme d’autres l’ont remarqué dans les entretiens, souligne la place fondamentale que le travail recouvre : quand elle

69 trouve un poste, tout commence à prendre une bonne direction et

elle commence à voir sa place dans la société (Zittoun, 2012c). Le fait de pouvoir trouver un travail permet aux personnes de se réaliser et ouvre de nouvelles possibilités. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (chapitre 3), les personnes sont souvent confrontées à une rupture professionnelle. Dans certains cas, cette rupture est surmontée à travers une validation de ses capacités par la réappropriation du métier autrefois exercé dans son pays d’origine.

Semir : Quand je me suis remis sur la voie de ce métier, ça a été le pas le plus grand que j’ai fait en Suisse. Ça a été une énorme satisfaction.

José : J’ai eu la grande chance et le grand privilège d’avoir entrepris cette carrière du théâtre, qui m’a donné un appui à quelque chose de très concret. Si j’étais encore à l’usine, c’est-à-dire un travail dont je n’en avais rien à faire, tu sais peut-être je serais retourné clandestinement. Mais je suis retourné à faire mon métier, au Chili j’étais étudiant de théâtre, je suis retourné au théâtre, une chose qui me plaisait, me donnait satisfaction et donc j’ai eu un fort appui, pour dire « bon, maintenant que je suis ici, je forme cette compagnie de théâtre, je vais par ici je vais par la, et c’est ça que je veux faire ».

Pour Semir, retrouver la possibilité d’exercer son métier, constitue l’élément le plus important de son vécu en Suisse, à savoir une

‘énorme satisfaction’. José a aussi l’occasion de retrouver l’activité

qui l’anime, le théâtre, sans laquelle il serait retourné au Chili. L’exercice de ces différentes activités ouvre un canal d’épanouissement (Hage, 1997) et permet d’avoir un point d’ancrage dans le pays d’accueil. Dans les cas de Semir et de José, le travail se présente comme une ressource qui permet de garder une certaine continuité dans sa propre existence et de redonner un sens à sa vie. Avec un nouvel emploi, les personnes arrivent à

trouver une nouvelle place dans la société (Zittoun, 2012c).

4.3.2 Un cas particulier : le théâtre

Nous avons vu comment le fait d’avoir un travail, parfois en lien avec les expériences précédentes, permet de ressentir du bien-être et, ainsi, de créer et de renforcer le sentiment de chez-soi en Suisse. Cette dernière partie concernant les ressources se focalise sur un cas particulier, ressorti de manière importante de l’un des entretiens menés. L’exemple du théâtre met en évidence la puissance que certains éléments peuvent avoir dans la vie des individus.

José : Le théâtre me faisait croire à quelque chose. C’est ma passion et ma profession. Ici évidemment il a été une force très grande, pour pouvoir sortir, pour pouvoir croire à quelque chose de très concret et précis.

José arrive à faire de sa passion son métier. Sa passion est ainsi exploitée comme ressource pour faire face à la rupture de la migration et pour trouver sa place dans le nouvel environnement. Comme nous venons de le noter dans les commentaires de la section précédente, le théâtre lui offre un encadrement qui lui permet de créer un lien concret avec la Suisse et, en dernier lieu, lui donne la motivation de rester. Le fait de pouvoir encore ‘croire en

quelque chose’ lui a redonné la force qu’il avait perdue suite au

traumatisme vécu.

José : Parce que je suis sûr que ici, en m’intégrant en Suisse et en faisant du théâtre, j’ai laissé une empreinte… une trace, une saveur, une odeur de mon passé, je l’ai mis dans ce travail… le théâtre n’aurait pas été le même sans ça.

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Le théâtre lui permet de mobiliser son expérience passée afin de se réaliser dans un projet concret, qui lui donne une chance importante de participer à la vie du pays d’accueil. Les Arts, dont le théâtre fait partie, peuvent contenir des potentiels de création et de transformation (Bell & Desai, 2011). En effet, les différentes formes d’expression de l’art sont autant des ressources qui poussent à imaginer, à créer et à transformer. En fournissant des nouvelles lunettes « for looking at the world and ourselves in relation to it » (Bell & Desai, 2011, p. 288), les Arts contribuent à rendre visible les histoires, les voix et les expériences des personnes. C’est ainsi que le théâtre se présente aux yeux de José comme manière de regarder le monde avec une nouvelle approche. En rendant son expérience passée visible et utile, le théâtre lui permet de trouver un lien concret avec le pays d’accueil. C’est grâce à son vécu et à son histoire qu’il arrive à réaliser ses activités et qu’il peut trouver satisfaction.

José : La Suisse, à travers le théâtre, m’a permis de parcourir le monde. Du Chili je n’aurais jamais pu partir en Russie, au Japon, au Canada, dans les pays arabes, etc. La grande mobilité et la possibilité d’avoir ces contacts, avec d’autres cultures et d’autres langues… cela m’a donné des faits très concrets qui m’ont beaucoup impressionné, je n’aurais pas pu avoir ces opportunités au Chili.

Grâce à son activité, il a la possibilité de voyager et d’avoir des contacts partout dans le monde. Travail va de pair avec bien-être et satisfaction. Le fait d’avoir ces nouvelles possibilités en Suisse contribue à la construction d’un sentiment de bien-être et de sécurité et, finalement, permet de s’épanouir. Mobilité, apprentissage des langues, connaissance des nouvelles personnes : l’installation en Suisse est vue par José, comme par d’autres participants, comme la chance d’une vie meilleure. Le fait

de pouvoir développer ses propres capacités et de voir ainsi une possibilité d’avancement personnel, ou celle de ses proches (comme nous avons remarqué dans le cas de la scolarisation des enfants), contribue à forger des idées d’opportunité et d’espoir (Hage, 1997), en permettant à l’individu de trouver une place dans la société (Zittoun, 2012c)

José : Bon, moi je dois te dire que le théâtre pour moi continue à être quand même une maison. A travers le théâtre j’ai connu beaucoup de gens, des journalistes, des artistes, des musiciens qui viennent jouer. Je me suis créé un univers ensemble aux autres collègues, je ne me le suis pas créé seul, et cela fait partie d’un monde à moi, auquel je ne peux pas renoncer. […] Le public qui vient, le groupe de personnes qui vient nous aider… là on a créé une collectivité dans laquelle je me reconnais, je fais partie de cette communauté, la communauté de spectateurs du théâtre, qui ne sont pas seulement des spectateurs du théâtre, parce que nous sommes amis aussi dehors, et dans ce sens je me reconnais et cela devient ma maison. […] Ici moi je dis, j’ai le théâtre, les gens me connaissent, je sors en ville, pendant que tu marches tu rencontres quelqu’un que tu connais… il y a un groupe humain, une collectivité ici. Chose qu’au Chili n’existe pas.

Cette citation met, une fois de plus, en évidence l’interdépendance des ressources : le théâtre en tant que ressource institutionnelle permet à José de connaître des personnes et de construire son propre univers. Cette activité artistique déclenche ainsi un mécanisme lui permettant de nouer de nouveaux liens avec des acteurs, des journalistes et des gens du public. Cela lui permet ainsi de diversifier ses connaissances et d’avoir accès au capital social et culturel (Bourdieu, 1994) de cette nouvelle communauté qui a, comme principe fondateur, la passion pour le théâtre (Dahinden, 2010). Ce ‘groupe humain’, comme José le définit, permet de combler le manque qu’il ressent des relations qu’il avait dans son

71 pays d’origine et qui, aujourd’hui, se sont affaiblies. En définitive, le

théâtre se présente comme une manière de garder une continuité dans les relations et dans les manières de vivre qu’il avait dans son pays d’origine.