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Synthèse Intermédiaire

4.1 Ressources sociales

4.1.2 Le réseau social et familial en Suisse

4.1.2.1 La communauté ethnique

Les relations et les contacts avec des personnes de la même nationalité fournissent un grand appui dans le parcours des migrants. Ce qui ressort des entretiens, est un lien assez fort avec des individus de la même origine résidant en Suisse. Ces relations permettent d’avoir une confrontation directe avec des personnes ayant souvent vécu les mêmes événements. Cela donne la possibilité de se confier et de s’épancher, notamment grâce au fait de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle. En effet, la première génération de migrants reste souvent dépendante des relations avec les personnes de la même origine, principalement à cause des difficultés linguistiques rencontrées et de l’expérience migratoire partagée (Dahinden, 2005). Avoir des relations avec des personnes qui partagent « le même contexte socio-économique et culturel, faisant donc face aux mêmes difficultés […], permet d’affronter les obstacles et de compenser les ressources manquantes par une force motivationnelle commune » (Bader & Fibbi, 2012, p. 25).

Koffi : Avoir des togolais dans le centre m’a remonté́ le

moral, quand je les ai vu là-bas, ils m’ont dit « ah non

t’inquiète pas », ils m’ont donné́ du soutien moral. « Ne

t’inquiète pas, c’est comme ça, tout le monde voyage, tout le monde vient, tu es en Suisse il ne faut pas que tu t’inquiètes », alors j’étais un peu soulagé.

Julia : Les premières années qu’on arrivait ici, on s’aidait beaucoup entre chiliens, si quelqu’un avait quelque chose qu’il pouvait te donner, il te la donnait, on s’aidait pour trouver du travail. Tout le monde avait vécu ces histoires compliquées, quand quelqu’un arrivait il était très bien accueilli par les chiliens.

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Lejla : Souvent on se trouvait avec d’autres bosniaques, on parlait justement de notre passé, on ne travaillait pas. Parler nous aidait, parce que tu n’avais pas d’autre moyen, tu ne connaissais pas la langue, tu n’avais pas d’argent, tu ne pouvais pas retourner là-bas parce que c’était interdit. Tu sais combien de soirées on a passé jouer aux cartes en parlant jusqu’à l’aube.

Les trois extraits ci-dessus démontrent le soutien que le groupe peut apporter : simplement pouvoir parler avec quelqu’un et entendre des mots de réconfort permet de remonter le moral de Koffi. Le fait d’avoir vécu des histoires similaires fournit un élément d’identification et permet aux migrants de trouver un soutien concret basé sur une relation de confiance qui s’instaure automatiquement. L’existence de caractéristiques communes à la base du groupe, dans ce cas dictées par l’ethnicité (status homophily au sens de Dahinden, 2010), amène la construction d’un réseau de solidarité qui permet aux migrants d’en exploiter les ressources. En effet, comme Julia le dit, le fait de connaître ces personnes permet d’accéder à une aide concrète, par exemple dans la recherche d’un emploi (‘on s’aidait à chercher un travail’). Nous voyons ainsi comment les ressources du réseau peuvent être exploitées et amènent à une augmentation du capital social (Bourdieu, 1980) de la personne. Par contre, le cas de Lejla met en évidence un mécanisme qui fait plutôt penser à une fermeture du groupe sur lui-même. Malgré l’existence d’un réseau basé sur l’appartenance ethnique fournissant de l’aide et un soutien au niveau moral, le groupe amène à un certain isolement. Le fait que les personnes avec lesquelles elle passe du temps n’ont pas de travail, donne des indices sur la faiblesse du capital qu’elles possèdent et qui, par conséquent, ne semble ouvrir aucune porte sur la société d’accueil (‘on ne travaillait pas […] tu ne sais pas combien de soirées on a

passé jouer aux cartes’). Nous pouvons ainsi observer une certaine

dynamique qui, à long terme, pourrait contribuer à l’exclusion sociale (Dahinden, 2010).

L’existence d’un groupe permet également de réaliser des actions pour le pays d’origine. Il s’agit principalement d’aide humanitaire et d’envoi de fonds pour soutenir les personnes restées sur place. Une dynamique transnationale se met ainsi en œuvre. Grâce aux activités de communication et à l’envoi de fonds, le pays d’origine est constamment lié au pays d’accueil (Glick Schiller et al., 1992). Le fait d’envoyer de l’argent n’est pas forcément un témoignage de l’existence d’un réseau transnational (Dahinden, 2005). Toutefois, dans le cas des personnes interviewées dans le cadre cette recherche, il s’est avéré qu’un véritable échange s’opère entre les deux pays. Nous pouvons à ce titre citer l’échange de nourriture qui, comme nous le verrons mieux par la suite, peut être qualifié comme « transnational and ethnic business » (Dahinden, 2005, p. 192).

Lejla : On faisait aussi les choses humanitaires, on recueillait des vêtements, des trucs à manger, on envoyait là-bas de l’argent… peut être au lieu de m’acheter une t-shirt je mettais à côté l’argent et j’envoyais là-bas, pour les personnes qui n’avaient même pas à manger.

Julia : Les premières années toutes les associations de chiliens appartenaient chacune à un parti politique, donc on projetait ici les discussions des partis politiques qui existaient là-bas. On envoyait l’argent pour le projet des communistes, des socialistes… et donc les luttes qu’il y avait au Chili se sont prolongées.

Lejla concentre ses ressources matérielles sur les actions humanitaires de soutien envers son pays d’origine, pour lequel elle arrive à renoncer à ses propres envies (‘au lieu de m’acheter une

t-shirt, je mettais à côté l’argent et l’envoyais là-bas’). A travers

l’exemple de Julia, nous comprenons à quel point les luttes et les revendications en cours dans le pays d’origine peuvent se prolonger en Suisse, ce qui tend à démontrer l’existence d’un « transnational field » (Dahinden, 2010). Le fait d’être engagée dans ces luttes, permet notamment à Julia de combler le sentiment d’éloignement

53 ressenti en quittant son pays. En effet, au moment du départ, elle

prend conscience de la déception provoquée par le fait de ne pas pouvoir participer au processus historique en cours dans son pays. En d’autres termes, elle s’est sentie éloignée de l’histoire commune partagée par la population chilienne (Bauböck, 1998).

Julia : Je regrettais le fait que je n’aurais pas pu être

active dans le processus qui mettait la fin à la dictature, donc de ne pas faire partie du moment qui faisait tomber la dictature. Et cela me faisait très mal.

Cet extrait met en évidence l’importance de partager la même histoire et des expériences communes avec un groupe (Dahinden, 2005). Le fait de s’y détacher implique également un écartement du processus historique que traverse le pays. Cela est dur à accepter pour Julia, qui, en utilisant le réseau de la communauté ethnique, cherche à perpétuer son engagement depuis la Suisse.

La création des groupes se fait sur la base de critères qui peuvent être sociodémographiques, mais aussi sur des critères comme les valeurs et les croyances (Dahinden, 2010). Au contraire de ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, le prochain extrait met en lumière un autre principe fondateur du groupe que celui de l’ethnicité.

Koffi : Après, en dehors du centre il y avait les catholiques. On allait là-bas, ils avaient des livres qui pouvaient nous aider pour savoir comment faire la demande d’asile. […] Moi, ce n’était pas pour la religion, mais je partage certains valeurs des catholiques, et je respecte tout. Aller là-bas me faisait du bien. […] Et puis il y avait un monsieur qui était là-bas qui nous interviewait un tout petit peu pour savoir ce qu’il faut dire dans l’audition donc on a pu profiter de son aide. Ils nous prenaient comme leurs enfants… on était leurs enfants, ils nous appelaient et parlaient. Franchement moi ça m’a beaucoup aidé, j’allais là-bas, il y avait beaucoup de livres, je lisais, je me replongeait quelque part dans mon métier.

Koffi décrit un réseau de soutien formé par des catholiques. Bien qu’il ait affirmé être musulman au cours de l’entretien, il trouve dans

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ce groupe une forme d’aide et d’appui concret afin de faire face aux difficultés liées à la demande d’asile. Cela peut aussi s’expliquer par son expérience passée, car il a grandi dans une famille où la religion constituait un choix personnel (il affirme avoir des frères catholiques). Nous observons ainsi l’instauration d’une confiance envers le groupe des catholiques, confiance basée sur des valeurs partagées (value homophily au sens de Dahinden, 2010). De plus, l’appartenance à ce groupe permet à Koffi de tisser des liens avec son ancienne activité professionnelle : grâce à la lecture, il peut, d’une certaine manière, se replonger dans les activités qu’il faisait lorsqu’il était enseignant. Nous voyons ainsi que le capital culturel, économique et social de ce groupe (Bourdieu, 1980) est suffisamment important pour permettre à Koffi d’acquérir des connaissances utiles, de trouver du soutien moral et même de retrouver une certaine continuité dans son parcours professionnel. L’existence de ces groupes dans lesquels les migrants s’insèrent constituent un élément primordial de la construction du chez-soi dans le pays d’accueil. Une fois encore, nous observons que les relations humaines occupent une place primordiale dans ce que les personnes peuvent définir comme maison (Märtsin & Mahmoud, 2012). Ces relations, qui s’assimilent à des ressources sociales pour les migrants, fournissent un soutien moral et concret qui permet de s’ajuster au nouvel environnement et de se frayer un chemin dans la construction d’un nouveau chez-soi.