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Chapitre II : L’oralite et la culture

C. Les pseudo-incrustations

1. Les pseudo-incrustations lexicales

De nombreux phénomènes de variation sont repérables dans les textes de notre corpus. On peut les classer, pour plus de clarté, en trois groupes. Cette classification est certes artificielle, néanmoins elle a le mérite d’être sous-tendue par une logique linguistique. En effet, le lexique varie principalement selon trois facteurs, à savoir le facteur temporel auquel ressortit la variation diachronique, le facteur spatial duquel relève la variation diatopique, et le facteur social sur lequel se fonde la variation diastratique.

a) La variation diachronique

Le mot me manque – à quel moment dans la littérature apparaît une tournure comme celle-là ? C’est Saint-Amant qui l’a prononcée pour la première fois – pas même écrite, mais dite un jour comme ça dans la rue, et cela fait partie des innovations introduites dans la langue par les précieux. Somaize le signale dans son Dictionnaire des précieuses entre mille autres formes qui nous sont maintenant communes. (Lacan, 1998a : 408)

Lorsque Lacan souligne, dans ce passage tiré du Séminaire I, la dette du français contemporain envers les précieux, il met l’accent, d’une part, sur le fait que la variation diachronique joue un rôle primordial (le lexique de notre temps est lié par exemple au lexique du dix-septième siècle) et, d’autre part, sur le fait qu’un vocable peut être ancien sans être archaïque. Ce second point est d’autant plus intéressant qu’il y a de nombreux archaïsmes dans un récit qui figure dans notre corpus : « La Légende de saint Julien l’Hospitalier ».

Comment Lacan l’a noté, le lexique du français contemporain est grandement redevable au lexique précieux. Pourtant, du fait qu’une partie de ce lexique nous est devenue commune, on emploie, sans qu’on y prenne garde, des mots qui trouvent leurs origines

chez les précieux. Cette présence latente d’une partie du lexique précieux dans le lexique de notre temps s’oppose à la présence manifeste des archaïsmes.

Au vrai, même s’il est patent que le lexique d’une langue ne cesse d’évoluer, il est également nécessaire de reconnaître que le lexique du français contemporain n’est pas très éloigné de celui de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, en sorte qu’une illusion de synchronie lexicale peut presque être encore sous-jacente à une lecture faite au début du vingt-et-unième siècle d’un roman ou d’un récit datant de l’époque où Flaubert publiait ses Trois Contes (1877).

Pourtant, l’on ne peut manquer d’être surpris quand on rencontre des vocables qui ont soit un sens archaïque (par exemple, le mot « erreurs » doit être pris dans son acception ancienne puisque, dans le lexique de l’époque de Flaubert ainsi que dans celui de notre temps, il a été remplacé par le vocable « errances » : « les erreurs des nefs sur la mer écumeuse », 85), soit une graphie archaïque (Flaubert écrit « oliphants » au lieu d’ « olifants » : « on fut obligé de boire dans les oliphants et dans les casques », 81). Le fait que des archaïsmes sémantiques et orthographiques fassent irruption dans le lexique du texte flaubertien n’est pas insignifiant. En effet, ces apparitions soudaines semblent attirer l’attention du lecteur sur la dimension diachronique qui sous-tend l’évolution lexicale.

Certes, à première vue, ces surgissements de la diachronie lexicale semblent avoir pour fonction d’ouvrir une béance au sein de l’illusion synchronique, mais, pour mieux comprendre leurs significations, il est nécessaire de s’intéresser au contexte littéraire dans lequel s’inscrit l’écriture des trois récits qui composent le recueil intitulé Trois

Contes.

Lorsque, dans la France de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, Flaubert écrit ces récits, il marche sur les traces d’un devancier, à savoir l’auteur de nombreux contes : Charles Nodier. Or, dans un article à propos d’un conte de Nodier qui a pour titre

Trésor des Fèves et Fleur des Pois (1833), Elisabeth Lemirre souligne dans un premier

temps qu’une multitude de moyenâgismes émaillent le lexique de ce conte, puis elle poursuit en analysant le rôle que jouent ces moyenâgismes :

Nodier, lui, inaugure dans ce conte [Trésor des Fèves et Fleur des Pois] une manière dont les conteurs ne se déprendront plus au point d’accabler parfois le texte sous les moyenâgismes, ou ce qu’on considéra comme tels. C’est comme si la langue ici leurrait, ou donnait bonne

conscience. Pris du remords inconscient d’avoir détramé le conte traditionnel, le conteur de donner et de se donner le change en archaïsant son vocabulaire, pour faire « populaire » ou « ancien ». (Lemirre, 2004 : 98)

Certes, il est possible qu’un remords inconscient sous-tende cette intention de faire « populaire » ou « ancien », néanmoins il est encore plus probable que cette intention soit sous-tendue par une volonté de faire illusion, non seulement dans l’acception de leurrer (Elisabeth Lemirre a bien noté cet aspect), mais également au sens de dissimuler : « L’art réaliste, illusionniste, avait dissimulé le médium, employant l’art pour cacher l’art224 », écrit le critique américain Clement Greenberg.

En fait, lorsqu’on lit « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », on peut être frappé par les premiers archaïsmes que l’on rencontre. Pourtant, quand on suit le fil du récit, on remarque que les archaïsmes en question ne coupent pas ce fil, au contraire ils sont presque invisibles. Cette invisibilité est notamment due au fait que le retour régulier des mots qui évoquent simplement le Moyen-Âge (« échauguette », 79 ; « hennin », 80, etc.) fait apparaître les archaïsmes comme naturels. Ainsi, le procédé illusionniste est mis en oeuvre par cette récurrence en apparence anodine qui le naturalise.

L’utilisation des archaïsmes par Flaubert n’est donc pas sans rappeler l’usage que ce dernier fait des éléments apparemment superflus que Roland Barthes a nommés « effets de réel »225. Ce lien entre les archaïsmes et les effets de réel est dû au fait qu’une même logique de dissimulation les sous-tend. C’est pour cette raison qu’il est malaisé pour le lecteur de déceler ce qu’ils recèlent : une signification seconde, c’est-à-dire mythique, au sens barthésien du terme.

À propos de deux phrases de « La Légende de saint Julien l’Hospitalier » (« Après une minute d’hésitation, Julien dénoua l’amarre. L’eau, tout de suite, devint tranquille », 129), Claude Mouchard et Jacques Neefs parlent de l’envie qu’elles soulèvent chez le lecteur réel, cette « envie quasi enfantine de croire comme, de croire avec, de retrouver une communauté qui, écoutant la légende, s’unirait sans fissure »226.

224 Clement Greenberg, « La peinture moderniste » (1960), À propos de la critique, (Paris, L’Harmattan, 1995), p. 318. Les références à cet article seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Greenberg, 1995 : 318).

225 Voir à ce sujet l’article de Roland Barthes qui s’intitule « L’effet de réel » (Barthes, 2002, III a : 25-32).

Les effets de réel visent à créer une illusion de réalité. Pareillement, les archaïsmes, qui doivent être mis en parallèle avec les mots qui évoquent simplement le Moyen-Âge, ont pour but, dans « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », de ressusciter illusoirement une communauté unie, non seulement par l’écoute d’une légende transmise oralement (l’archaïsme « encadrure » (120) peut par exemple être identifié comme tel grâce à l’écoute), mais aussi par la lecture puisque ce n’est qu’en lisant que l’on peut s’apercevoir que le vocable « oliphant » (81) constitue de par sa graphie ancienne un archaïsme.

En réalité, le jeu lexical, dans ce récit, consiste, non pas à séparer le Moyen-Âge et l’époque moderne, mais à rassembler ces deux époques dans une sorte d’illusion diachro-synchronique où coexistent l’oral et l’écrit, le lexique médiéval et le lexique moderne.

b) La variation diatopique

Comme on l’a dit précédemment, Elisabeth Lemirre a insisté, dans son article qui s’intitule « Nodier et la tradition orale de Pouçot », sur le fait que l’utilisation de nombreux archaïsmes par Nodier a fait date dans l’écriture du conte en France au dix-neuvième siècle. Elle a aussi accessoirement noté la présence de provincialismes dans ce conte : « D’autres termes appartiennent au dialectal (comme affaireux) ou au dialectal proprement franc-comtois (comme trésir) » (Lemirre, 2004 : 98).

On retrouve chez des romanciers comme Zola ou Barbey d’Aurevilly cette volonté de régionaliser la parole. Ce dernier a un point commun avec Flaubert : il est attiré par sa Normandie natale. Or, l’influence de cette province a joué un rôle décisif dans leurs œuvres respectives.

Cette influence est patente, certes, lorsque la Normandie sert de toile de fond à des romans (L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, Madame Bovary de Flaubert) ou à des nouvelles (notamment « Un cœur simple »), mais elle est plus discrète au niveau lexical. Il est vrai néanmoins qu’il faut se garder de généraliser, car l’utilisation que Flaubert fait des normandismes est bien plus subtile que celle de Barbey d’Aurevilly.

En effet, lorsqu’on lit, sous la plume de ce dernier, des phrases telles que « “C’est bon, cha ! ” » ou « “Supe ! Supe !” »227, il appert que l’on n’a aucun mal à mettre au jour ce

qui sous-tend la parole du pâtre qui s’exprime ainsi. Il est certain, d’une part, que cette parole est « volée et rendue »228 et, d’autre part, qu’un second système sémiologique s’est établi entre le vol et la restitution. Ainsi, « ce bref larcin, ce moment furtif d’un truquage » (Barthes, 2002, I b : 838) déforme la parole du berger, il ajoute au sens littéral (Gobe ! Gobe !229) un autre signifié (je suis un normandisme) qui finit par prévaloir sur la lettre. Or, étant donné que « le mythe est une parole définie par son intention beaucoup plus que par sa lettre» (Barthes, 2002, I b : 836-837), on peut en inférer que, ce qui sous-tend la parole du berger dans L’Ensorcelée, c’est un concept mythique que l’on pourrait appeler, à l’instar de l’ « italianité »230 dont parle Roland Barthes dans S/Z, la normandité231.

Anne-Marie Perrin-Naffakh a fait une analyse stylistique intéressante du passage dans lequel cette parole régionalisée se fait entendre. À propos de cette dernière, elle écrit : « L’effet de réel tient par ailleurs, dans trois brèves séquences de discours direct, aux calques du dialecte manchois » (Perrin-Naffakh, 1989 : 71).

Au vrai, l’effet de réel n’est pas inconciliable avec le mythe, au contraire ce second concept semble inclure le premier. Effectivement, lorsque Barthes met en relief le fait que « le baromètre de Flaubert [dans « Un cœur simple »], la petite porte de Michelet ne disent finalement rien d’autre que ceci : nous sommes le réel » (Barthes, 2002, III a : 32), il ne fait que mettre au jour une facette d’un concept mythique, à savoir la réalité dans la littérature française du dix-neuvième siècle : le « baromètre » (10) a un sens simple, mais il est également pourvu d’un autre signifié : je suis le réel.

En fait, Anne-Marie Perrin-Naffakh va même plus loin puisqu’elle porte également son attention sur la signification des effets de réel que constituent les « calques du dialecte manchois » qui sont récurrents dans la parole du pâtre. Ces derniers « connotent la

228 Les italiques sont de l’auteur.

229 « Supe, impératif de super, au sens de “gober, absorber par petites gorgées”», Anne-Marie Perrin-Naffakh, Stylistique. Pratique du commentaire, (Paris, Presses Universitaires de France, 1989), p. 71. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Perrin-Naffakh, 1989 : 71). 230 Roland Barthes, « S/Z » (1970), Œuvres complètes, (Paris, Seuil, 2002), III, p. 185. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Barthes, 2002, III c : 185).

231 « Le concept est un élément constituant du mythe : si je veux déchiffrer, il me faut bien pouvoir nommer des concepts. Le dictionnaire m’en fournit quelques-uns : la Bonté, la Charité, la Santé, l’Humanité, etc. Mais par définition puisque c’est le dictionnaire qui les donne, ces concepts-là ne sont pas historiques. Or ce dont j’ai le plus souvent besoin, c’est de concepts éphémères, liés à des contingences limitées : le néologisme est ici inévitable. La Chine est une chose, l’idée que pouvait s’en faire, il n’y a pas longtemps encore, un petit-bourgeois français en est une autre : pour ce mélange spécial de clochettes, de pousse-pousse et de fumeries d’opium, pas d’autre mot possible que celui de sinité », (Barthes, 2002, I b : 833-834)

véracité géographique » (Perrin-Naffakh, 1989 : 71). Ainsi, au niveau lexical, on peut dire que le mot supe ressortit à un type particulier d’effets de réel : les effets de réel diatopiques.

Si les effets de réel visent à créer une illusion de réalité, les effets d’oralité ont pour but de créer une illusion d’oralité. Or, il est manifeste que ce qu’impliquent les substitutions de supe à gobe et de cha à ça, c’est l’idée qu’une transcription à partir de l’oral a été opérée. Ainsi, l’effet de réel diatopique vise à instituer non seulement une illusion de réalité, mais également une illusion d’oralité, pour autant qu’il fait comme si les conditions d’énonciation, auxquelles ressortit la langue parlée qui sous-tend le lexique du berger, étaient différentes des conditions d’énonciation effectives. Ces dernières relèvent de la langue écrite puisque ce qui fonde le roman en général, et L’Ensorcelée en particulier, c’est la culture scripturale.

Les normandismes dans « Un cœur simple » sont donc, à l’instar du vocable supe dans le roman de Barbey d’Aurevilly, à la fois des effets de réel diatopiques et des effets d’oralité. Autrement dit, ils ont trait au mythe, si l’on conserve l’acception barthésienne de ce mot.

Toutefois, pour saisir la différence entre la fonction des normandismes dans le récit flaubertien et celle des calques du dialecte manchois dans le roman aurevillien, il est nécessaire de s’intéresser à la « forme du mythe » qui, comme le note Roland Barthes dans Mythologies, « n’est pas un symbole » (Barthes, 2002, I b : 831-832). Et ce dernier d’illustrer ainsi son propos : « le nègre qui salue n’est pas le symbole de l’Empire français, il a trop de présence pour cela, il se donne pour une image riche, vécue, spontanée, innocente, indiscutable » (Barthes, 2002, I b : 832). Or, il est patent que cette exubérance de la forme du mythe est flagrante dans la parole du pâtre. Ainsi, ce qui sous-tend cette parole, c’est le mouvement expansif propre à la forme du mythe.

S’il apparaît clairement que la fonction des calques du dialecte manchois ressortit au mythe, il est plus malaisé de déterminer, de façon précise, la fonction des normandismes dans « Un cœur simple ». En effet, si l’on se place au niveau de la forme du mythe, l’on ne peut que mettre en relief le fait que les normandismes que l’on trouve dans ce récit flaubertien se caractérisent non seulement par leur parcimonie, mais également par leur discrétion.

Prenons l’exemple suivant pour illustrer notre propos : « Pour “se dissiper”, elle [Félicité] demanda la permission de recevoir son neveu Victor » (35). Certes, il est évident que cette brusque citation attire l’attention du lecteur sur le verbe pronominal se

dissiper, néanmoins, au lieu de nous imposer d’emblée la normandité, ce verbe ouvre

une béance sur le plan lexical.

Cette béance n’est pas sans rappeler celle décrite par Raymonde Debray-Genette au niveau narratif. À propos d’une phrase tirée d’ « Un cœur simple »232, Debray-Genette écrit : « On ne sait à qui attribuer le vocable de salle : à Félicité ? au bon peuple normand ? à une sorte d’“archi-visiteur” ? » (Debray-Genette, 1983 : 146) S’il est impossible, devant ce triple choix, de se décider de façon certaine pour l’une des trois possibilités, il n’en est pas de même pour le verbe se dissiper qui, selon toute apparence, semble devoir être attribué à Félicité. Pourtant, il ouvre une béance qui est sous-tendue non pas par un problème de focalisation, mais par un problème lexical.

À première vue, l’on pourrait croire que les guillemets visent uniquement à attribuer le verbe se dissiper à Félicité, c’est-à-dire à produire tout à la fois un effet d’oralité (grâce à l’insertion entre guillemets d’un vocable qui appartient au lexique de la servante, la parole de cette dernière fait irruption dans le texte) et un effet de réel (le fait de citer Félicité présuppose son existence et, partant, sa réalité). En fait, si, dans un premier temps, l’on ne peut considérer l’insertion entre guillemets que comme une restriction de champ, c’est parce que, à l’inverse du vocable supe233 dont le signifiant nous oblige à reconnaître un concept mythique, à savoir la normandité, le verbe se dissiper ne peut être lié à ce concept que par son signifié. Dans la phrase en question, il signifie « se distraire », il s’agit donc, comme l’a bien noté Pierre-Marc de Biasi, d’un « normandisme pour se distraire, sans nuance péjorative »234. De même, le mot auvent, que l’on peut lire dans une phrase tirée de « La Légende de saint Julien l’Hospitalier »235, est qualifié de « normandisme »236 pour autant que son signifié est spécifique : il désigne un volet et non pas ce que l’on appelle ordinairement un auvent.

232 « Un vestibule étroit séparait la cuisine de la salle où Mme Aubain se tenait tout au long du jour, assise près de la croisée dans un fauteuil de paille » (10).

233 Jules Barbey d’Aurevilly, L’Ensorcelée, (Paris, Pocket, 1999), p. 190. « Supe, impératif de super, au sens de “gober, absorber par petites gorgées”», (Perrin-Naffakh, 1989 : 71).

234 Pierre-Marc de Biasi, éd., Trois Contes, (Paris, Seuil, 1993), n. 2, p. 35.

235 « Les plus charitables posaient une écuelle sur le bord de leur fenêtre, puis fermaient l’auvent pour ne pas l’apercevoir » (123, l’italique est de nous).

Il n’est pas insignifiant, pour conclure, de s’attarder sur la différence entre la fonction des calques du dialecte manchois dans le passage de L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly et celle des normandismes dans « Un cœur simple ». On pourrait comparer,

mutatis mutandis, cette différence entre les deux romanciers normands à celle que

Roland Barthes met en relief dans Le degré zéro de l’écriture.

Ce dernier souligne le fait que, chez Garaudy, les métaphores « sont seulement une marque littéraire qui situe un langage, tout comme une étiquette renseigne sur un prix »237. Ainsi, les nombreuses métaphores utilisées par Garaudy ont pour but de « signaler lourdement au lecteur que “c’est bien écrit” » (Barthes, 2002, I a : 214). Il appert par conséquent qu’un concept mythique est sous-jacent à l’utilisation que Garaudy fait de la métaphore : la littérarité. La lourdeur dont parle Barthes est donc liée au fait qu’il s’agit d’un mythe dans toute l’acception du concept barthésien, c’est-à-dire que, si l’on s’intéresse par exemple à la forme du mythe, l’on peut remarquer que, chez Garaudy, la métaphore est « expansive » (Barthes, 2002, I b : 837).

À l’instar du mythe qui, au niveau de sa forme, s’oppose au symbole, l’utilisation insistante que Garaudy fait de la métaphore contraste très vivement avec les « procédés beaucoup plus discrets » (Barthes, 2002, I a : 214) utilisés par André Stil. Malgré la subtilité de ces procédés, Barthes met en évidence le fait qu’un second système sémiologique, à savoir un système mythique, leur est sous-jacent. Néanmoins, il est nécessaire de mettre l’accent sur le fait qu’il existe des différences notables entre la forme du mythe chez Garaudy et la forme du mythe chez Stil. En effet, cette dernière est, de par sa discrétion, plus proche du symbole que du mythe.

Il en est de même relativement à la forme du mythe dans « Un cœur simple » ainsi que dans « La Légende de saint Julien l’Hospitalier ». Effectivement, autant les effets d’oralité diatopiques sont tapageurs dans le passage de L’Ensorcelée, autant ils sont discrets dans les récits flaubertiens. Cette discrétion peut même parfois être teintée d’incertitude.

Reprenons par exemple la phrase tirée d’ « Un cœur simple » : « Pour “se dissiper”, elle [Félicité] demanda la permission de recevoir son neveu Victor » (35). Bien que

236 Pierre-Marc de Biasi, éd., Trois Contes, (Paris, Seuil, 1993), n. 1, p. 123.

237 Roland Barthes, « Le degré zéro de l’écriture » (1953), Œuvres complètes, (Paris, Seuil, 2002), I, p. 214. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Barthes, 2002, I a : 214).

Marc de Biasi insiste sur le fait que le sens du verbe pronominal se dissiper dans cette phrase doive être rattaché à la variation diatopique238, il est important de souligner que, au dix-septième siècle, le verbe dissiper « a développé le sens figuré de “distraire,