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Chapitre III : Voix et la remise en cause de l’ideologie

A. La fascination hypnotique

Si la pratique de l’hypnose a mis Freud sur la voie de la découverte de l’inconscient, c’est sans doute parce que l’état hypnotique n’est pas sans rappeler l’état de sommeil. Or, il n’est pas insignifiant de noter que c’est précisément dans cet état que se manifeste le rêve, à savoir la production psychique qui a permis à Freud d’établir des distinctions

328 Les italiques sont de l’auteur.

329 Si le monde de Karain se caractérise également par le hors-temps, c’est parce qu’il relève de l’utopie. La phrase conradienne constitue donc une médiation entre le lecteur et le monde de Karain. Ainsi, elle nous prémunit continuellement contre la tentation utopique sur laquelle se base le monde de Karain 330 Henri Meschonnic, « Embibler la voix », Le Français aujourd’hui, n° 150, (Paris, Armand Colin, 2005), p. 30.

entre les différents systèmes de l’appareil psychique (l’inconscient, le préconscient et la conscience dans le cadre de la première topique freudienne qui est élaboré dans

L’interprétation des rêves331). En effet, de même que l’inconscient joue un rôle primordial dans l’état de sommeil, de même il constitue une force centrale dans l’état hypnotique. D’ailleurs, l’analogie entre ces deux états est sous-jacente au vocable

hypnose puisque l’adjectif hypnotique est « un emprunt au bas latin hypnoticus,

hellénisme du grec hupnôtikos “du sommeil”, dérivé de hupnos “sommeil” » (Rey, 1998, II : 1764).

Pourtant, c’est avec un autre état que, dans sa seconde conception topique, Freud va comparer l’hypnose. En effet, il établit une analogie avec l’état amoureux lorsque, dans « Psychologie des foules et analyse du moi », il écrit :

Il n’y a manifestement pas loin de l’état amoureux à l’hypnose. Les concordances entre les deux sont évidentes. Même soumission humble, même docilité, même absence de critique envers l’hypnotiseur comme envers l’objet aimé. Même résorption de l’initiative personnelle ; aucun doute, l’hypnotiseur a pris la place de l’idéal du moi332.

Or, s’il existe un point commun entre l’état hypnotique et l’état amoureux, c’est bien la fascination. En effet, dans la relation amoureuse, le sujet est fasciné, au sens de « “captiver par la beauté”» (Rey, 1998, II : 1400) de l’objet aimé. En outre, ce n’est sans doute pas pour rien que le verbe hypnotiser a pris « des valeurs extensives (s’hypnotiser sur qqch., 1897) évoquant un état psychique de fascination » (Rey, 1998, II : 1765). Cependant, lorsqu’on s’intéresse aux différentes acceptions du verbe fasciner, on se rend compte du fait que la fascination semble ressortir moins à la pulsion invocante qu’à la pulsion scopique, comme en témoigne l’acception de « “maîtriser par la puissance du regard”» (Rey, 1998, II : 1400). La fascination caractérise l’état hypnotique, certes, néanmoins, selon Freud, cette dernière résulte non pas de la voix de l’hypnotiseur, mais de son regard : « il hypnotise de façon typique par son regard333 ». Dans le Séminaire X, Lacan passe semblablement la voix sous silence lorsqu’il met l’accent sur le rôle primordial que joue le regard dans l’hypnose :

331 Voir à ce sujet : Sigmund Freud, L’interprétation des rêves (1900), (Paris, Presses Universitaires de France, 1999), p. 460.

332 Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi » (1921), Essais de psychanalyse, (Paris, Payot, 2001), p. 199.

Ce n’est pas pour rien que le miroir, le bouchon de la carafe, voire le regard de l’hypnotiseur sont les instruments de l’hypnose. La seule chose qu’on ne voit pas dans l’hypnose, c’est justement le bouchon de carafe lui-même ou le regard de l’hypnotiseur, à savoir la cause de l’hypnose. La cause de l’hypnose ne se livre pas dans les conséquences de l’hypnose.(Lacan, 2004 : 132)

De même que Lacan se désintéresse de la place qu’occupe la voix de l’hypnotiseur dans la relation hypnotique, de même il néglige, au profit du regard qu’il étudie d’une manière détaillée dans le Séminaire XI, l’étude de la voix en tant qu’objet partiel. C’est la raison pour laquelle nous allons engager dès à présent notre attention vers les analyses de Michel Poizat. En effet, ce dernier est parvenu à ajouter des développements substantiels à la conception lacanienne de la voix.

Pour mieux saisir le fonctionnement de la fascination, il est nécessaire de revenir à la relation hypnotique et, en particulier, de s’attarder sur le rôle que joue l’hypnotiseur pour l’hypnotisé. Freud insiste sur le fait que « l’hypnotiseur a pris la place de l’idéal du moi »334. C’est précisément cette remarque de Freud qui conduit Michel Poizat à définir l’hypnose de la façon suivante :

Pas plus maintenant que du temps de Freud, la notion d’hypnose ne nous aide, à moins de définir l’hypnose, dans la perspective freudienne, comme simplement le consentement du sujet à écouter la voix du surmoi, c’est-à-dire à lui obéir, – ce qui après tout, n’en est peut-être pas la plus mauvaise des définitions335.

Il y a pourtant une différence majeure entre la formulation freudienne et celle de Michel Poizat puisque l’idéal du moi chez Freud devient le surmoi dans la définition donnée par Michel Poizat. En fait, même si, comme l’a noté Lacan, l’idéal du moi ou « Ich-Ideal est pris quelquefois comme synonyme de surmoi » (Lacan, 1998a : 289) dans certains articles de Freud, il est nécessaire d’établir une distinction importante entre ces deux termes.

« Le surmoi est contraignant et l’idéal du moi exaltant » (Lacan, 1998a : 164) dit Lacan dans le Séminaire I. C’est donc parce que l’idéal du moi constitue un but à atteindre qu’il stimule le sujet. Le problème étant que la face surmoïque de l’idéal du moi fait son

334 Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi », Essais de psychanalyse, (Paris, Payot, 2001), p. 199.

335 Michel Poizat, Vox populi, vox Dei, (Paris, Métailié, 2001), p. 163. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Poizat, 2001 : 163).

apparition précisément lorsque ce but n’est pas atteint. Ainsi, le surmoi introduit une scission, il y a, d’un côté, le moi et, de l’autre, la loi représentée dans l’appareil psychique du sujet par le surmoi. Bien que ce dernier « se situe essentiellement sur le plan symbolique de la parole » (Poizat, 2001 : 164), cette parole a la caractéristique d’être impérative, c’est-à-dire qu’elle se manifeste au sujet sous deux aspects, l’ordre (« tu dois être ainsi »336) et l’interdiction (« tu n’as pas le droit d’être ainsi »337), en sorte que le sujet se retrouve persécuté par cette instance psychique.

Au début de sa période dite du « retour à Freud », Jacques Lacan porte son attention sur le rôle que joue le surmoi dans la seconde topique freudienne338. Pourtant, au fur et à mesure de son enseignement, le concept de surmoi va laisser place à un concept plus large : l’Autre. Michel Poizat souligne cette évolution conceptuelle lorsqu’il écrit :

Avec Lacan, c’est d’une tout autre instance placée dans un tout autre rapport avec le sujet qu’il s’agit : un rapport de totale sujétion vis-à-vis d’une Altérité – et d’une autorité – absolue, totalitaire, qui prend en effet dans le cadre de cette relation, valeur véritablement de puissance de vie ou de mort sur le sujet. Cet Autre prend certes souvent visage maternel, puisque c’est, quand même, à la mère que l’“infans”, entièrement dépendant de l’Autre pour subvenir à ses besoins, a le plus souvent affaire dans le cadre de cette relation de vie ou de mort. Mais il faut se garder d’en faire un attribut spécifiquement maternel. (Poizat, 2001 : 139)

Cette dernière remarque de Michel Poizat est capitale puisqu’elle met en évidence l’ingéniosité de ce concept lacanien qui, en éludant de spécifier ce qu’il désigne, nous rappelle que les « “pères” et les “mères” dans la théorie analytique désignent avant tout des lieux et des fonctions dans une structure » (Poizat, 2001 : 115). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a « nulle contradiction à ce que ce soit, selon Lacan ou Mélanie Klein, une instance mise du côté de la mère […] qui vienne occuper la même position que celle que, dans le mythe de Totem et tabou, Freud représente par le “père” de la horde primitive » (Poizat, 2001 : 115). En effet, le père primitif et la mère dévorante ont un point commun : ils occupent tous deux la place de l’Autre.

Ce détour par l’hypnose n’a donc pas été vain puisqu’il nous a permis d’organiser en concepts la dynamique de la fascination et, partant, de mieux comprendre son fonctionnement. De même que, comme le souligne Freud, l’hypnotiseur a pris la place

336 Sigmund Freud, « Le moi et le ça » (1923), Essais de psychanalyse, (Paris, Payot, 2001), p. 274. 337 Ibidem.

de l’idéal du moi aux yeux de l’hypnotisé, de même celui ou celle qui fascine incarne, pour le sujet fasciné, une figure de l’Autre. Ainsi, dans le cadre de la pulsion invocante, c’est la voix de l’Autre qui fascine le sujet, c’est-à-dire la voix qui a trait au père primitif (le schofar339) ou à la mère archaïque (les sirènes), la voix de celui ou celle qui se situe à la place de l’Autre pour un sujet donné. Or, la personne qui occupe cette position est souvent l’objet de l’amour ou de la haine du sujet.

B. L’ hainamoration

L’ « hainamoration » (Lacan, 1999 : 116) est un néologisme lacanien qui a un grand mérite, à savoir celui de mettre en relief le fait que la haine et l’amour sont enlacés dans une inextricable interaction. Cette inextricabilité est patente si l’on articule la haine et l’amour avec la fascination. Certes, l’on pourrait croire que la fascination s’inscrit uniquement dans le cadre de la relation amoureuse, néanmoins il suffit de lire « Hérodias » pour se rendre compte du fait que la haine joue un rôle primordial, dans toutes les acceptions du mot.

1. De la haine…

Étant donné que l’Autre inclut à la fois l’idéal du moi et le surmoi, il est fondamentalement ambivalent. Michel Poizat met l’accent sur cette ambivalence lorsqu’il écrit :

Mais le paradoxe, c’est que l’Autre est aussi, comme on l’a vu, le lieu-source du langage qui en tant que tel non seulement est soumis à la castration symbolique, mais va introniser le sujet dans l’ordre symbolique, va l’élever au statut d’animal parlant, de “parlêtre” pour reprendre le néologisme lacanien. Il nous faut donc postuler deux figures de l’Autre, l’une, du premier type, lieu de jouissance mortifère, lieu de la voix comme telle, la seconde du deuxième type, lieu de la parole, instance structurante et civilisatrice, pour le sujet comme pour le social. La tension entre verbe et voix, que nous n’avons cessé de relever, recouvre la tension entre ces deux figures de l’Autre. (Poizat, 2001 : 140)

Il apparaît clairement que la figure de l’Autre qui fascine ressortit, non pas à l’ordre symbolique qui fonde la parole, mais au registre du réel duquel relève la voix, au sens

339 Voir à ce sujet les remarques de Lacan dans le Séminaire X à propos des analyses de Theodor Reik, (Lacan, 2004 : 295). Voir également annexe n°2, p. 428.

lacanien du terme. Ainsi, la voix qui fascine vient de l’Autre pour autant que ce dernier se donne pour absolu ou, en d’autres termes, dans la mesure où il nie l’existence de son autre face, à savoir celle qui a trait au symbolique et qui rappelle au sujet qu’il est « coupé irrémédiablement d’une jouissance première mythique et absolue du seul fait qu’il est pris par l’Autre dans une relation de langage » (Poizat, 2001 : 133). Or, cet Autre absolu reste, à l’instar du père originel dont parle Michel Poizat et qui constitue l’un de ses avatars, « une instance de jouissance et de toute-puissance absolue, primitivement haïe » (Poizat, 2001 : 121). C’est précisément cette haine primordiale qui caractérise la fascination qu’exerce la voix de saint Jean-Baptiste sur Hérodias.

Ce qui est frappant à propos de la relation entre ces deux personnages, c’est, d’une part, le fait que le mot « fascination » est utilisé par Flaubert pour décrire l’attraction de saint Jean-Baptiste sur Hérodias et, d’autre part, le fait que l’écrivain normand insiste sur le pouvoir de fascination qu’exerce, non pas le personnage de saint Jean Baptiste, mais seulement sa voix :

Ce fut d’abord un grand soupir, poussé d’une voix caverneuse.

Hérodias l’entendit à l’autre bout du palais. Vaincue par une fascination, elle traversa la foule ; et elle écoutait, une main sur l’épaule de Mannaëi, le corps incliné.

La voix s’éleva :

— « Malheur à vous, Pharisiens et Sadduccéens, race de vipères, outres gonflées, cymbales retentissantes ! » (171)

Pour mieux comprendre cette fascination, il est important de noter que, à l’image d’Hérodias, le peuple est fasciné par la voix de saint Jean-Baptiste :

Le peuple revoyait les jours de son exil, toutes les catastrophes de son histoire. C’étaient les paroles des anciens prophètes. Iaokanann [le même que les Latins appellent saint Jean-Baptiste] les envoyait comme de grands coups, l’une après l’autre. (173)

Le fait que « les paroles » de saint Jean-Baptiste suscitent une vision collective (« le peuple revoyait ») pourrait orienter notre attention vers une figure de rhétorique, à savoir l’hypotypose, qui consiste précisément à « décrire un spectacle ou un évènement de façon si vivante que l’auditoire croit l’avoir sous les yeux » (Reboul, 1991 : 239).

Pourtant, les paroles de saint Jean-Baptiste, qui sont essentiellement composées de malédictions, ne s’apparentent pas aux « notations particulièrement sensibles et fortes »340 qui constituent l’hypotypose.

La fascination ne résulte donc pas des paroles proférées par saint Jean-Baptiste, mais de l’effet que produit sa voix sur ses auditeurs. C’est pour cette raison que la fascination qu’exerce saint Jean-Baptiste sur Hérodias commence, non pas lorsqu’il articule un mot, mais quand il pousse « un grand soupir » (171).

L’effet que produit la voix de saint Jean-Baptiste sur Hérodias peut donc être qualifié de performatif, comme le souligne Philippe Dufour lorsqu’il écrit : « Voix qui ne supporte aucun message articulé, et pourtant fonctionne comme un signal, convoque Hérodias. Le soupir prend une valeur performative : il ouvre le discours tout comme lorsqu’un président dit : "La séance est ouverte”341. » Or, la performativité de la voix de saint Jean-Baptiste est liée à la place qu’occupe ce dernier pour son auditoire et Juliette Frølich a raison de mettre l’accent sur le fait que cette voix prend une valeur performative pour autant que « ceux à qui il s’adresse y reconnaissaient une parole censée faire surgir à l’existence ce qu’elle énonce »342, c’est-à-dire dans la mesure où il joue le rôle de l’Autre pour ses auditeurs.

En fait, ce qui sous-tend la performativité de la voix de saint Jean-Baptiste, c’est la logique de l’inversion fétichiste (« the logic of “fetishistic inversion” »343) dont parle Slavoj Žižek dans Looking Awry :

The subjects think they treat a certain person as a king because he is already in himself a king, while in reality this person is king only insofar as the subjects treat him as one. The basic reversal of Pascal and Marx lies, of course, in their defining the king’s charisma not as an immediate property of the person-king but as a “reflexive determination” of the comportment of his subjects, or — to use the terms of speech act theory — a performative effect of their symbolic ritual. But the crucial point is that it is a positive, necessary condition for this performative effect to take place that the king’s charisma be experienced precisely as an immediate property of the person-king. The moment the subject takes cognizance of the fact

340 Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, (Paris, Librairie Générale française, 1992), p. 167. 341 Philippe Dufour, « Entendre des voix », Gustave Flaubert 3, (Paris, Minard, 1988), p. 107.

342 Juliette Frølich, « La Voix de saint Jean. Magie d’un discours », Gustave Flaubert 3, (Paris, Minard, 1988), p. 88.

343 Slavoj Žižek, Looking Awry, (Cambridge, Mass., The MIT press, 1992), p. 33. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Žižek, 1992: 216).

that the king’s charisma is a performative effect, the effect itself is aborted. In other words, if we attempt to “substract” the fetishistic inversion and witness the performative effect directly, the performative power will be dissipated. (Žižek, 1992: 33)

Même si cette inversion fétichiste semble dissimuler, à première vue, le lien entre la valeur performative de la voix du prophète et le fait que ce dernier occupe la place de l’Autre pour son auditoire, il suffit de s’intéresser à certains détails pour se rendre compte que ce lien est patent.

Portons notre attention sur la phrase suivante : « Mais la voix se fit douce, harmonieuse, chantante. Il annonçait un affranchissement, des splendeurs au ciel » (173). Philippe Dufour met au jour l’existence d’une séparation (qui évoque les schizes, chères à Lacan) entre le corps du prophète et sa voix lorsqu’il écrit, à propos de la phrase précédente tirée d’« Hérodias » : « la narration distinguant dans sa propre rhétorique l’élocution du

corps et les énoncés de Iaokanann [le même que les Latins appellent saint

Jean-Baptiste], oppose la synecdoque la voix au il de la phrase suivante : le trope constitue Iaokanann en prophète, à travers qui Dieu parle ; il magnifie une énonciation toute puissante : “la voix se fit”, sorte de discours autonome, dicté à Iaokanann344. » Cette passivité du corps du prophète, qui se fait caisse de résonance pour la voix de l’Autre, n’est pas sans rappeler la passivité du sujet dans la relation de langage qui l’unit à l’Autre : «the big Other pulls the strings, the subjet doesn’t speak, he “is spoken” by the symbolic structure »345.

Il est vrai néanmoins qu’il existe une différence notable entre l’Autre symbolique et l’Autre imaginaire. L’Autre dont parle Žižek dans la citation précédente « est soumis à la castration symbolique » (Poizat, 2001 : 140) tandis que l’Autre imaginaire ne l’est pas, comme le souligne Žižek lorsque, dans The Fright of Real Tears, ce dernier parle du « non-castrated Other, of the Other not bound by the symbolic law »346.

Le sacrifice pourvoit à l’existence de cet Autre absolu. « Sacrifice is a guarantee that

“the Other exists” » (Žižek, 2001a : 56) écrit Žižek dans Enjoy Your Symptom. Faire un

sacrifice, c’est attribuer un désir et, partant, une existence à l’Autre imaginaire. Or, le

344 Philippe Dufour, « Entendre des voix » in Gustave Flaubert 3, Paris, Minard, 1988, p. 107. Les italiques sont de l’auteur.

345 Slavoj Žižek, Enjoy Your Symptom!, (Londres, Routledge, 2001), p. 216. Les références à cet ouvrage seront désormais indiquées sous la forme suivante : (Žižek, 2001a : 216).

pouvoir de fascination de l’Autre absolu résulte précisément du fait que, en le faisant exister, on remet en question la castration symbolique. Ainsi, la voix de la Diva est fascinante pour autant que, en se faisant objet-voix, c’est-à-dire objet sacrifié, elle postule que l’Autre imaginaire a un désir et donc une existence dans le champ de la pulsion invocante. Dans Vox populi, vox Dei, Michel Poizat met l’accent sur ce point :

Le phénomène de la Diva, de “l’idole”, s’inscrit totalement dans ce schéma : un être se met en scène, tendant à présentifier au plus près la voix, tendant à, pour ainsi dire, se faire voix, objet offert, voire sacrifié à la jouissance de l’auditeur, objet dès lors idéalisé, magnifié, divinisé. Il tend ainsi à présentifier l’Autre absolu, tout de complétude, identifié à la voix, cette voix que l’auditeur sait qu’il l’a à jamais perdue, mais qu’il va tenter malgré tout de se réapproprier en l’incorporant dans l’écoute. (Poizat, 2001 : 133)

La diva est, au sens étymologique, une « déesse » (Rey, 1998, I : 1108), à savoir une figure du parangon de l’Autre : l’être divin. Or, de même que la diva fait entendre la voix d’une divinité féminine, de même saint Jean-Baptiste est un prophète, c’est-à-dire « un homme inspiré par Dieu » (Rey, 1998, III : 2973), il fait donc entendre la voix d’une divinité masculine. Ces divinités respectives ont néanmoins un point commun dans la mesure où, à l’instar du père primitif et de la mère archaïque, elles occupent