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Après avoir abordé le raisonnement général, nous abordons le processus lui-même. Un aspect important du processus est l’objet sur lequel agit la CRA : le différend. La littérature s’est penchée sur cette notion pour la définir de plusieurs manières. Certaines distinctions sont faites dans la littérature entre les notions de « litige », « conflit » et « différend ». Ces distinctions ont servi à définir différentes façons d ’aborder le différend594. Le professeur Legault le formule ainsi : « [l]e conflit peut être posé comme un conflit de besoins, de valeurs ou de normes et chaque définition du conflit engendrent ses options de résolution »595. Pour plusieurs auteurs, la notion de litige surpasse donc les points de droit qui la composent596. Elle dépasse le droit pour s’étendre aux normativités subjectives aux parties. L ’ampleur du différend qui devrait être pris en charge par la médiation peut varier d’un auteur à l’autre. Cependant, ce qui est commun dans la littérature c ’est que, pour que la médiation puisse incarner une offre de justice différente, elle doit envisager plus que le litige «juridique»; elle doit considérer d ’autres éléments constitutifs telle que la subjectivité des normes s’appliquant aux parties597. Ce qui est également commun aux différents auteurs, c ’est que pour aborder cette subjectivité, la médiation doit suivre un processus souple selon une normativité et une rationalité différentes de celles du processus judiciaire.

593Posner, « Summary Jury Trial and Other Methods of Alternative Dispute Resolution », supra note 166.

594Antoine Jeammaud, « Conflit, différend, litige. » (2002) 34 Revue Droits 15 à la pl 7.

595Legault, « La médiation et l’éthique appliquée en réponse aux limites du droit », supra note 85 à la p 189.

596Martine Lachance, Le contrat de transaction : Etude de droit comparé et de droit international privé, Cowansville (Qc), Yvon Biais, 2006 à la p 27.

597Legault, « La médiation et l’éthique appliquée en réponse aux limites du droit », supra note 85 à la p 182.

Le processus qui est mis de l’avant pour redonner aux parties le contrôle de leur différend est de les laisser choisir les règles applicables et la finalité de processus 598. Ces considérations s’apparentent à la notion d’« empowerment » et au type de médiation dite « transformative »599. Nous constatons qu’effectivement, ce type de médiation semble avoir influencé la littérature québécoise en PRD600. La CRA répondrait donc davantage aux besoins des justiciables et elle actualiserait davantage son potentiel si son processus était caractérisé par « l’empowerment », soit la construction du problème, des normes applicables et de la finalité du processus par les parties601.

Si l’on remet le contrôle aux parties, quel est alors le rôle du juge? Pour que la pratique s’opère selon un raisonnement différent du procès contradictoire, le juge doit nécessairement adopter un rôle différent602. Il est proposé dans la littérature que les responsabilités du juge se transforment de « dire le droit » à « faire la paix »603. Selon cette vision de la médiation, le juge n ’aurait pas un rôle décisionnel lorsqu’il préside une CRA :

Dans cette vision de la médiation, le médiateur n ’a pas de pouvoir décisionnel. Bien que certains modèles de médiation, comme la médiation évaluative, accordent au tiers un pouvoir plus élargi, le modèle théorique adopté par les CRA semble unanime à reconnaître que le juge, lors d’une CRA, n ’a pas de pouvoir décisionnel604.

598Lalonde, « Une nouvelle justice de la diversité? CRA et justice de proximité », supra note 86 à la p 19; Legault, « La médiation et l’éthique appliquée en réponse aux limites du droit », supra note 85 à la p 184.

599Bush et Pope, « Changing the Quality of Conflict Interaction », supra note 81 ; Bush et Folger, The Promise of Médiation, supra note 78.

60OPlusieurs chercheurs québécois, ayant une ertaines informations sur la conception de la CRA, reprennent des idées de ce courant, notemment : Nabil Antaki, George A.Legault, Louise Lalonde, Lacroix, Louis Marquis, Jean-francois Roberge, Pierre Noreau, Jean-Guy Belley. Legault, « La médiation et l’éthique appliquée en réponse aux limites du droit », supra note 85 à la p 184.Lalonde, « Une nouvelle justice de la diversité? CRA et justice de proximité », supra note 86 à la p 19.

601 Lalonde, « Les modes de PRD: vers une nouvelle conception de la justice. », supra note 426 à la p 31 et ss.Antaki, « Le règlement amiable des différends d’affaires », supra note 578.

^Lalonde, « Les modes de PRD: vers une nouvelle conception de la justice. », supra note 426 à la p22.

603Lalonde, « La médiation judiciaire : nouveau rôle pour les juges et nouvelle offre de justice pour les citoyens, à quelles conditions? » dans André Riendeau, dir, Dire le droit : pour qui et à quel prix?, supra note 79 à la p 24.

^Louise Lalonde, Mémoire portant sur Vavant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile - Plus spécifiquement, concernant les dispositions relatives à la Conférence de

Le juge n ’a pas comme rôle de clarifier les points de droit. Le rôle « évaluatif » du juge est mis de côté par une partie importante de la littérature. Conséquemment, selon R.A. Macdonald, l’interprétation dans une CRA n’est pas la prérogative du juge, elle doit être remise aux parties.605 Pour certains chercheurs, cet élargissement va plus loin, puisqu’on traite plus que le litige juridique, l’objectif n’est pas principalement de régler les points de droit ou même d’en arriver à un règlement à tout prix606. Le règlement du litige serait une conséquence potentielle, mais le processus aurait avant tout comme objectif d’améliorer les relations entre les parties607.

De son côté, l’AED considère le différend à travers son modèle de résolution des différends608. Pour l’AED les parties devraient normalement coopérer pour se partager le surplus coopératif. Les procès seraient dûs à certains comportements nuisibles par les parties ou encore à une mauvaise interprétation de ces derniers de leurs chances de succès à procès. La notion de différend est abordée dans le but de comprendre les incitatifs menant au règlement ou au procès. Pour l’AED, le différend est une variable et non l’objet d ’analyse. Pour l ’AED, le différend qui est considéré se caractérise par une opposition des intérêts et une négociation sur position609. On présume que les parties vont régler seulement si elles comptent en tirer le maximum de bénéfices. Contrairement à la littérature, pour l’AED le comportement des individus est une constante : ils vont toujours tenter de maximiser la richesse610. Deffains et Duban définissent la médiation judiciaire comme étant un « instrument, indirect, de régulation de la demande de justice »6n.

règlement à l ’amiable (CRA) et à la médiation comme mode de justice civile privée, supra note 104 à la p 16.

605Rodrick A Mcdonald et Alexandra Law II, « Le juge et le citoyen : une conversation continue », dans André Riendeau, dir, Dire le droit : pour qui et à quel prix ?, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005 à la p 15.

^Lalonde, « La médiation judiciaire : nouveau rôle pour les juges et nouvelle offre de justice pour les citoyens, à quelles conditions? » dans André Riendeau, dir, Dire le droit : pour qui et à quel prix?, supra note 79.Lalonde, « Médiation et droit : opposition, intégration ou transformation? Le «continuum» dans la pratique civile et commerciale de la médiation », supra note 108 ; Jeammaud, « Conflit, différend, litige. », supra note 595.

^Legault, « L’émergence de l’éthique appliquée et les insuffisances du droit », supra note 568 à la p 300.

608 Pour plus d’information à propos du modèle, voir la section 3.2.1 du présent mémoire. ^Zumeta, « Facilitative Mediator Responds, A », supra note 72.

610Pour l’AED, la richesse n’est pas uniquement le pécunier, la richesse peut comprendre tout ce qu’une partie peut valoriser.

Pour l’AED la médiation judiciaire est une variable qui est ajoutée au modèle de résolution des différends pour en analyser les effets sur la propension à régler hors cour612. L ’objet d’étude est donc l’opportunité d’implanter la médiation judiciaire pour aider le système judiciaire à être plus efficace. Les hypothèses d’efficacité se résument à une régularisation de l’information et une diminution des comportements stratégiques613. Ainsi, le rôle du juge est de clarifier les positions juridiques des parties pour créer plus de coopération. L ’AED analyse donc une version traditionnelle du conflit et parfois les effets potentiels de la médiation dite « évaluative ».

Ainsi, les effets positifs que pourrait avoir l’« empowerment » ne sont pas analysés. L ’AED n’analyse pas précisément le type de médiation qui est proposé par Bush, Folger, Legault ou Antaki. Il semble seulement que le processus lui-même ne soit pas l’objet d ’étude de l’AED. Par ailleurs, rien n’empêche qu’une analyse économique soit faite évaluant les effets d’une médiation dite « transformative »614. Malgré le nombre restreint d ’études sur le sujet, l ’intérêt au sein de l’AED existe ; plusieurs auteurs se questionnent ouvertement sur le fonctionnement de la médiation : Shavell l’exprime ainsi : « why should ADR resuit in parties leaming more than they would through volontary exchange o f information and the discovery process ? [...] Whatever is the truth o f the matter, it warrants investigation. »615. Posner de son côté: « Yet after a dispute arises, the parties will often agree to médiation (why this pattem ?) »616. Dans les dernières années, particulièrement avec l’élan amené par le mouvement du « behavioral law and économies », certains auteurs commencent à se pencher sur les caractéristiques internes de la médiation qui pourraient expliquer pourquoi la médiation améliore les chances des parties d’en venir à une entente617.