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La collectivité n ’a pas les mêmes finalités que l’individu. L’objectif n ’est pas de minimiser les délais pour l’individu, mais plutôt d’offrir un meilleur accès à la justice pour le plus grand nombre. Les délais lorsqu’ils sont excessifs peuvent devenir un obstacle à l’accès à la justice. Pour l’AED, les délais excessifs sont davantage problématiques que les coûts élevés, car ils sont un symptôme suggérant que le marché de la justice n ’est pas régulé efficacement332.Pour l’AED, il existe un niveau optimal de délai et la structure actuelle du marché de la justice fait en sorte qu’il est nécessairement en déséquilibre. Il existe théoriquement un niveau optimal de délai333. Nous disons théoriquement, car ce niveau existe, mais il n ’est pas possible de l’évaluer avec précision. Il résulterait plutôt du jeu de l’offre et de la demande de justice qui fixerait naturellement le niveau de coûts et de délais334. L’AED en vient à la conclusion que les niveaux actuels sont forcément excessifs à cause de la sur-utilisation provoquée par les coûts gardés artificiellement bas. Bref, les

328 Douglas A Henderson, « Médiation Success: An Empirical Analysis » (1996) 11 Ohio St J on Disp Resol 105 à la p 143.

329Posner, Economie Analysis o f Law, supra note 138 à la p 627.

noIbid.

331Posner, « An Economie Approach to Légal Procédure and Judicial Administration », supra note 200 à la p 446.

332Deffains et Duban, « Equilibre et régulation du marché de la justice », supra note 310.

33;,Posner, « An Economie Approach to Légal Procédure and Judicial Administration », supra note 200 à la p 447.

individus profiteraient de ces coûts qui sont bas, mais ceci causerait un engorgement des tribunaux335.

Certains tenants de l’AED décrivent le système de justice actuel comme étant un marché régulé par les files d ’attente336. Ceci est le cas, car le marché de la justice est un marché en grande partie planifié par l’État : il peut être qualifié de monopole d’offie de justice337. L’intérêt de l’État est de contrôler son budget tout en offrant un certain niveau d ’accès à la justice. Dans les faits, ceci se traduit par un coût très bas et qui varie peu. L’offre de justice que nous décrivons est « fortement réglementée »338. Elle n'est également sensible à aucun facteur de marché à l’exception de l’offre de justice concurentielle de certains modes alternatifs privés de règlement des différends. La demande de justice, de son côté, n’est pas contrôlée, elle n’est donc pas aussi rigide que l’offre; elle est influencée, entre autres, par les délais en place et les frais liés au procès. Elle représente le besoin des contribuables de régler leurs différends devant les tribunaux. L ’AED considère que, la demande de résolution de conflit est naturellement forte, l’humain vivant en société ayant de nombreux conflits à régler et peu de solutions en cas d’impasse des négociations. Selon les modèles économiques, une forte demande et une offre rigide vont avoir tendance à se traduire par l’allongement des listes d ’attente339. C’est pour ceci que Bruno Deffeins parle d ’un marché qui serait le marché « rationné » par les délais 340 . Pour l’AED, contrairement au rationnement par les coûts, « l ’inefficacité de cette procédure de rationnement réside dans le fait que la perte supportée par le justiciable sur la base du temps passé dans la file d’attente n’est compensée par aucun gain équivalent pour l ’offreur de service de justice qu’est le tribunal »341. L’autre manière de rationner l’utilisation du système de justice serait d’augmenter les prix pour y avoir accès. L ’AED considère cette option comme étant plus efficace342. Cependant, étant donné les priorités d ’accès à la justice de l’État, il n’est pas

335Shavell, « The Fundamental Divergence Between the Private and the Social Motive to Use the Légal System », supra note 293.

336Deffains et Duban, « Équilibre et régulation du marché de la justice », supra note 310.

niIbid.

338Coase, « J Law & Econ. », supra note 146; Deffains et Duban, « Équilibre et régulation du marché de la justice », supra note 310 à la p 952.

339Deffains et Duban, « Équilibre et régulation du marché de la justice », supra note 310 à la p 950.

™lbid.

iAiIbid à la p 955.

politiquement envisageable de laisser l’offre de justice varier librement. Ainsi, par sa nature même, le marché de la justice est caractérisé par une pénurie de services. Dans cette situation, la seule façon dont les citoyens peuvent montrer à quel point ils valorisent leurs besoins d’utiliser le système de justice est par leurs attentes. La valorisation de ces derniers a nécessairement une limite. Éventuellement, un trop long temps d’attente va avoir pour effet de les décourager et causer ce qu’on appelle le « décrochage judiciaire ». Heureusement, le marché de la justice ne vit pas en vase clos, il existe des alternatives au procès. Les longues listes d’attente, à un certain point, deviennent une motivation pour la recherche d’alternatives: « [a] qualification is necessary, however. Court queues are to some extent selflimiting. The longer the queue, the greater the incentive to substitute arbitration or other nonjudicial methods o f dispute resolution for the courts » 343 , « [delay] promûtes the search o f alternative dispute resolution methods, thus keeping many disputes out of the court System »344. Les pratiques de prévention et de règlement des différends au privé ont d’ailleurs pris de l’expansion depuis que le niveau de délais est élevé345. Cependant, ce type d’alternative n ’enraye pas la pénurie, car la nature du marché de la justice reste la même.

Le marché de la justice est influencé par de nombreux facteurs. Le niveau de délais est issu des interactions que nous pouvons constater sur ce marché. Pour analyser les délais, il est donc nécessaire de tenir compte de tous ces facteurs. Richard Posner exprime ainsi la nécessité de considérer la notion de délai dans un contexte large:

It is only excessive delay that is undersirable, and what is excessive can be determined only by comparing the costs and benefits of différent amounts o f delay. [...] The goal, it has been argued in this article, is to minimize the sum of error costs and the direct costs o f légal dispute resolution. The problem o f delay must be placed within that larger framework o f inquiry. Indeed, unless that is done, delay cannot even be defined un a meaningful fashion346.

Malgré l’importance de ne pas avoir de délais excessifs, l’objectif pour l ’AED n’est pas de minimiser ceux-ci. Les délais excessifs causent des erreurs et des coûts additionnels dont on

343Posner, « The Costs o f Enforcing Légal Rights », supra note 192 à la p 79. 344Zuckerman, « A Reform of Civil Procédure », supra note 305 à la p 165. 345Main, « ADR », supra note 33.

346Posner, « An Economie Approach to Légal Procédure and Judicial Administration », supra note 200 à la p 445.

doit tenir compte. Ils peuvent être importants, mais ils ne sont que des coûts parmi d’autres. Selon Posner, ce sont les coûts sociaux dans leur ensemble qu’il faut minimiser347. Un certain niveau de délais serait non seulement inévitable, mais il pourrait, dans certaines circonstances, favoriser le règlement et minimiser les coûts sociaux348. Un délai serait nécessaire pour que les parties puissent prendre de bonnes décisions quand à l ’opportunité d’aller à procès ou encore par rapport aux négociations avec l’autre partie. De plus, comme c’est le cas pour les coûts, il existerait un niveau de délais où le marché de la justice serait théoriquement en équilibre « optimal ». Ainsi, pour l’AED, la minimisation de délais n ’est pas une formulation correcte de ce que devrait viser une réforme procédurale. Les délais font partie d’un large éventail d’effets à considérer.

En conclusion, l’AED ne considère pas la minimisation des coûts et des délais comme une fin en soi. Ils sont, d’un côté, des effets qui ne sont pas catégoriquement néfastes et de l’autre, des outils essentiels à la gestion du marché de la justice. Bref, les coûts et les délais ne sont pas nécessairement un symptôme d’un système en crise. Ils peuvent même être considérés comme bénéfiques pour encourager les individus à régler hors cour, ce qui est plus efficace. De plus, l’AED analyse ces notions d ’une manière large considérant les effets indirects et les interrelations qu’ils peuvent avoir.

3.4 La notion d’efficacité économique

La notion d’efficacité économique est une notion dont la signification dépend en grande partie du contexte dans lequel on entend l’utiliser. L’efficacité de laquelle nous discutons ici est propre à l’AED et caractérisée d’« économique ». Arnaud Raynouard, dans un article intitulé : Faut-il avoir recours à l ’AED pour assurer l ’efficacité économique du droit?, propose une définition de l’économie, c ’est-à-dire ce « qui touche à l’activité humaine dans sa dimension de production/consommation, sociale et politique »349. Selon cette définition,

347La notion de coûts sociaux est définie dans la section suivante. 348Posner, Economie Analysis o f Lcrw, supra note 138 à la p 624.

349Amaud Raynouard, « Faut-il avoir recours à l’analyse économique du droit (AED) pour assurer l’efficacité économique du droit ? » dans Jean-Louis Bergel, dir, Cahiers de méthodologie

juridique: Analyse économique du droit: Autour d ’Ejan Mackaav, Revue de la recherche

juridique : Droit prospectif 2008-5 - N° spécial, Aix-en-Provence, Presses universitaires d ’Aix- Marseille, 2008, 2509 à la p 2509 ; Zuckerman, « A Reform o f Civil Procédure », supra note 305 à

l’AED ne se limite pas aux seuls aspects financiers de l’analyse du droit. Le Dictionnaire d ’analyse économique propose cette définition pour l’« efficience » : « [un] terme un peu vague qui est utilisé pour désigner une affectation des ressources parmi les meilleures possibles »350. L’idée d’efficience est donc opposée à celle de « gaspillage » des ressources, entendue au sens large351.Cette définition est très large et permet plusieurs interprétations de ce que doit être l’efficacité. Il y a d’ailleurs plusieurs façons de concevoir l’efficacité, pour l’AED. Notons cependant que, malgré les conceptions différentes de l’efficacité, tous les tenants de l’AED sont conséquentialistes en ce qu’ils conçoivent une situation finale idéale ou supérieure352.

La notion d’efficacité économique peut laisser perplexe, car elle suppose une certaine subjectivité : « [d]ire de quelque chose qu’elle est efficace suppose un jugement de valeur»353 . Par exemple, Richard Posner s’aligne sur la maximisation de la richesse: « [ejfficiency means exploiting économie resources in such a way that value-human satisfaction as measured by aggregate willingness to pay for goods and services is maximized »354. Tandis que la définition de Becker vise davantage une minimisation des coûts de transaction: « Wealth maximizing mies [are] designed to imitate the results of a costless market »355. L’AED ne s’entend pas sur une manière unique de formuler l ’idée d’efficacité économique. Ces notions d ’efficacité sont différentes, mais ne s’opposent pas nécessairement, elles sont plutôt différentes dans la manière d’aborder le même problème, celui d’une allocation efficace des ressources. Nous allons donc présenter les principaux aspects de la notion d ’efficacité économique qui sont utilisés par l ’AED lorsqu’il est question d’évaluer l’efficacité de mécanismes procéduraux, soient : la maximisation de la richesse, l’optimum de Pareto/Khaldor-Hicks, le théorème de Coase et la minimisation des

la p 165.

350'Dictionnaire d'analyse économique : Bernard Guerrien, La Découverte, 2002.

351 Raynouard, « Faut-il avoir recours à l’analyse économique du droit (AED) pour assurer

l’efficacité économique du droit ? », supra note 349 à la p 2509.

352Picavet, « L’approche économique du droit, l’éthique et le statut de la norme d ’efficacité » supra note 163.

353 Raynouard, « Faut-il avoir recours à l’analyse économique du droit (AED) pour assurer l’efficacité économique du droit ? », supra note 349 à la p 2509.

354 Stephen E Margolis, « Two Définitions of Efficiency in Law and Economies » (1987) 16 : 2 J Légal Stud 471 à la p 471. L’auteur reprend et analyse une définition de : Richard A Posner,

Economie Analysis o f Law (2e éd, 1977).

coûts sociaux.

3.4.1 La maximisation de la richesse

La maximisation de la richesse n ’est pas un réfèrent pour évaluer l’efficacité. Cependant, l’AED émet l’hypothèse que si tous les individus rationnels concluent des transactions profitables, l’agrégat de ces transactions se traduira par une augmentation de la richesse collective356. L ’hypothèse est que si le marché est bien régulé, et même si l’individu agit de manière à améliorer son sort, pourvu que son activité égoïste ne s’exerce pas aux dépens d’autrui et n ’entraîne pas de coûts de transaction, son activité enrichira forcément la société357. L’individu productif dans une économie de marché créerait systématiquement plus de richesse qu’il n’en retire358.

La maximisation de la richesse implique une forme de libéralisme économique. L ’individu doit être libre de faire ces choix pour que la richesse puisse être maximisée. Une nuance importante est constamment faite par les tenants de l’AED: par « richesse », il n’est pas seulement question de richesse financière, le terme inclut également la valeur subjective qu’en retirent les individus359. La liberté des marchés est donc créatrice de richesse et mène vers un point d’équilibre de l’ofire et de la demande considéré comme étant plus efficaceau niveau économique 360 . Le critère de maximisation de la richesse est une forme d’utilitarisme361. Pour pouvoir quantifier l’utilité, les économistes ont fait le choix de maximiser la « richesse », car cette dernière est plus facilement chiffrable et elle symbolise du même coup une représentation de la valorisation que font les individus362. Bref, l’efficacité est l’objectif ultime de l’AED et la maximisation de la richesse est le premier pas dans cette direction.