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Les pionniers des recherches sur la résilience

CHAPITRE II. REVUE DE LA LITTÉRATURE SUR LA RÉSILIENCE

2.1 Le concept de résilience

2.1.2 Les pionniers des recherches sur la résilience

Selon Theis (2006), les professionnels s’impliquant dans le champ de la résilience viennent de disciplines différentes : médecins de santé publique, pédiatres, sociologues et psychologues. Ils contribuent à décrire et à comprendre le phénomène de la résilience. L’objectif principal de leurs travaux est de tenter de répondre à cette question : comment un individu peut-il résister à des situations adverses, à des traumatismes, et poursuivre son développement de façon harmonieuse, alors qu’un autre, confronté à des épreuves similaires, sera submergé par des troubles psychopathologiques ?

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Dans les lignes qui suivent, nous évoquons les recherches des pionniers de la résilience. Ils sont pour la plupart anglo-saxons et issus du domaine de la psychologie.

La psychologue américaine Werner (1989) est considérée comme la « mère » du concept de résilience. Elle a suivi dès 1955, et pendant plus de trente ans, dans une île voisine d’Hawaï, une cohorte de 698 enfants de la naissance à l’âge adulte. Elle a tout d’abord évalué, pour chacun d’entre eux, les conséquences à long terme des stress survenus au cours des périodes prénatales et périnatales, avant de chercher à obtenir des données sur leur développement physique, intellectuel et psychosocial. Elle a ainsi pu montrer que sur 201 enfants présentant de forts facteurs de risques et qui pouvaient pour cela être identifiés comme « vulnérables », près d’un tiers d’entre eux (soit 72 enfants) ont évolué favorablement, sans difficultés d’apprentissage ni problèmes de comportement pendant l’enfance et l’adolescence. Ils sont devenus des jeunes adultes compétents, heureux et bien intégrés. Werner a été la première à utiliser le mot « résilience » pour qualifier ces enfants. Elle a, en outre, montré que les facteurs de risques n’ont pas le même impact pour chacun, selon le moment de la vie. Ainsi, avant l’âge de 10 ans, les garçons sont plus vulnérables que les filles : confrontés aux mêmes difficultés, ils courent un risque plus grand de développer des troubles physiques et émotionnels pouvant aboutir à des comportements totalement inadaptés. En revanche, après 10 ans, ce sont les filles qui courent le plus grand risque de développer une pathologie psychiatrique.

Les « pères » du concept de résilience sont aussi les Américains Rutter et Garmezy (Tisseron, 2007). Au même titre que Werner, Rutter a identifié, dès les années 1970, les facteurs de protection susceptibles de contrebalancer l’influence des facteurs de risque. Il a réalisé une recherche de plusieurs années portant sur la fréquence des désordres mentaux chez les enfants âgés de 10 ans habitant l’île de Wight. Cela lui a permis d’identifier six facteurs de risques familiaux : (i) la discorde conjugale ; (ii) la classe sociale défavorisée ; (iii) la famille

nombreuse ; (iv) la criminalité paternelle ; (v) les désordres psychiatriques ; et (vi) le placement des enfants.

Rutter a montré que la présence d’un seul facteur de risque n’augmente pas la probabilité du trouble psychiatrique, alors que cette probabilité se trouve multipliée par quatre quand deux facteurs coexistent. En outre, l’existence concomitante de quatre facteurs multiplie par dix le risque d’apparition de troubles psychiatriques. Pourtant, rien n’est automatique ; il existe en effet, parallèlement aux facteurs de risque, des facteurs de protection. Plus tard, Rutter (1993) a mis en évidence que pour être efficaces, ceux-ci doivent associer quatre caractères : diminuer l’impact du risque, réduire la probabilité des réactions négatives en chaînes, renforcer l’estime de soi et le sentiment de sa propre compétence et entraîner des opportunités positives. Enfin, une contribution importante de ce pionnier a été de montrer que la résilience ne se construit pas seulement dans les premières années de la vie, mais qu’elle peut s’apprendre à tout âge.

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Garmezy (1993) a étudié le devenir des enfants grandissant dans une famille de schizophrènes17. Il a démontré que si le fait d’avoir un parent touché par cette maladie augmente le danger de la développer soi-même, 90 % des enfants auxquels il s’était intéressé ont grandi avec un équilibre satisfaisant. En outre, il a cherché à identifier les facteurs susceptibles de protéger ces enfants à haut risque. Ses travaux ont aussi ouvert la voie à l’identification des mécanismes de la résilience. Pour lui, les facteurs de protection se déclinent en trois classes : « ceux qui sont centrés sur l’enfant, ceux qui sont liés à la

configuration familiale et enfin les facteurs sociaux et environnementaux. » Pour lui, face à un

obstacle, un individu évalue la situation et met en œuvre une stratégie d’adaptation organisée à partir de ces trois séries de facteurs.

Du côté francophone, Cyrulnik (2012) est considéré comme le « pape » de la résilience. Dans ses recherches, il a découvert que le traumatisme déchire, déstructure la mémoire. Par la suite, il fait la distinction entre le trauma, qui est le coup subi, et le traumatisme, qui est la représentation du coup. Il conclut en disant que les personnes traumatisées souffrent doublement : d’une part du coup (la mort d’un proche par exemple) et d’autre part de la représentation du coup (pourquoi ce malheur m’est-il arrivé à moi ? Que disent les autres de moi ?). Il affirme également que la représentation fait très mal, plus que le coup. Pour venir en aide au patient (traumatisé), il préconise de passer par les « tuteurs de résilience », qui sont des acteurs aidant à modifier ou à alléger la représentation de la souffrance. Parmi eux, figurent l’entourage, la famille, la parole (aider la personne traumatisée à parler de sa souffrance).

Dans la liste des autres auteurs francophones qui s’intéressent à la résilience, on retrouve Manciaux (2000), Lecomte (2001), Vanistendael (2001) et Tisseron (2001). Ils étudient la compréhension et l’identification des facteurs de résilience des enfants maltraités, abandonnés, des enfants de la rue, des femmes en situation de violence sexuelle, des victimes d’incestes et des personnes en situation de deuil.

Dans leurs recherches appliquées à des exploitations agricoles et d’élevage en milieu rural, Lallau (2009) et Rousseau (2007) identifient les facteurs de risques, de vulnérabilité et les mécanismes de la résilience déclenchés par les paysans et les acteurs qui les soutiennent. Il ressort de la synthèse de leurs recherches que la résilience ne peut être appréhendée sans la compréhension des facteurs de risques encourus et de la vulnérabilité qui en découle. Les facteurs de protection et d’adaptation, quant à eux, servent à prévenir les risques « ex ante » pour les premiers et « ex post » pour les seconds.

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La schizophrénie est une maladie mentale se développant généralement au début de la vie adulte. Elle est caractérisée par des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, ce qui entraîne des comportements et des discours bizarres, parfois délirants. Les facteurs connus pour être liés au développement d'une schizophrénie sont multiples : d'ordres génétique, environnemental, psychologique, neurobiologique et social. Ils sont cependant encore largement incompris. Le mécanisme de la pathologie est lui aussi incomplètement compris. Au départ, elle se manifeste principalement par un sentiment d'étrangeté, une bizarrerie, des intérêts étranges, ésotériques, voire un sentiment de persécution. Ceci peut aboutir au développement d'un délire paranoïde. On retrouve une désorganisation de la pensée et du discours. Dans 20 à 30 % des cas, la personne peut avoir des hallucinations, surtout auditives. Ces voix imaginaires (souvent les mêmes) parlent au malade pour commenter ses actes et ses choix. La schizophrénie engendre aussi des dysfonctionnements cognitifs, sociaux et comportementaux qui évoluent avec des phases aiguës et des phases quasi asymptomatiques.

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Dans les paragraphes qui suivent, des liens seront établis entre risque, vulnérabilité, pauvreté et résilience.