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Quelques définitions de la pauvreté

CHAPITRE II. REVUE DE LA LITTÉRATURE SUR LA RÉSILIENCE

2.2 Concept de pauvreté

2.2.1. Quelques définitions de la pauvreté

Les recherches de Sen (1983) ont influencé l’abandon de l’approche unidimensionnelle au profit de l’approche pluridimensionnelle de l’analyse de la pauvreté. De même, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD, 2000) affirme que la pauvreté est un problème multidimensionnel qui nécessite des solutions multisectorielles intégrées. Pour la Banque mondiale (BM, 2000), la pauvreté revêt des « dimensions multiples » avec de

« nombreuses facettes », et elle est « la résultante de processus économiques, politiques et sociaux interagissant entre eux dans des sens qui exacerbent l’état d’indigence dans lequel vivent les personnes pauvres. »

Le PNUD distingue spécifiquement l’« extrême pauvreté », la « pauvreté générale » et la « pauvreté humaine ». Ainsi, « une personne vit dans la pauvreté extrême si elle ne dispose

pas des revenus nécessaires pour satisfaire ses besoins alimentaires essentiels – habituellement définis sur la base de besoins caloriques minimaux […]. Une personne vit dans la pauvreté générale si elle ne dispose pas des revenus suffisants pour satisfaire ses besoins essentiels non alimentaires – tels l’habillement, l’énergie et le logement – et alimentaires. » La « pauvreté humaine », quant à elle, est présentée comme l’« absence des capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, longévité réduite, mauvaise santé maternelle, maladie pouvant être évitée. »

La BM ne parle pas explicitement, comme le PNUD, de « pauvreté humaine ». Bien qu’elle ne donne pas de définition précise des types de pauvreté qu’elle analyse, son raisonnement distingue pauvreté absolue et pauvreté relative. Selon, cette institution : « La pauvreté

absolue correspond à un niveau de revenu nécessaire pour assurer la survie des personnes. Et la pauvreté relative, pour sa part, reflète une conception plus axée sur la répartition des revenus ; elle signifie avoir moins que les autres. »

Les concepts absolus et relatifs de la pauvreté ont fait l’objet d’un large débat dans la littérature spécialisée, avec pour résultat principal que « la pauvreté est un concept, ni

strictement absolu, ni strictement relatif » (Lorenzo et Liberati, 2006).

D’un autre côté, Sen (1983) s’efforce de hiérarchiser les deux approches. Il définit « la

pauvreté comme une privation absolue pouvant être interprétée comme une préférence pour le concept absolu en cas de contradiction entre les concepts absolus et relatifs de la pauvreté ». A la base, Sen réfute le concept de pauvreté relative en arguant qu’il « existe un noyau absolutiste irréductible dans l’idée de pauvreté, quelles que soient les positions relatives (par exemple, la faim et la famine constituent des indicateurs de pauvreté sans équivoque. » En outre, Sen avance qu’il ne faut pas confondre les concepts absolus et relatifs

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avec la « variabilité dans le temps », bien que celle-ci infuse au concept de pauvreté des éléments de relativité. Il souligne qu’il existe une différence entre faire « relativement moins que les autres » et « absolument moins que les autres ». De ce fait, il rejette la relativité. Cependant, il admet que « faire absolument moins » peut évoluer au fil du temps, en fonction des changements majeurs subis par la société et l’économie. Les concepts absolus de pauvreté peuvent donc être soumis à des variations dans le temps, puisque la pauvreté est toujours une fonction de variables reflétant la situation sociale et économique. Par exemple, les composants non alimentaires jugés non essentiels à une étape du développement peuvent devenir essentiels quelques années plus tard, ce qui nécessitera leur intégration dans la liste des biens assurant la subsistance minimum. Cette actualisation du concept absolu de pauvreté, cependant, est d’une nature moins automatique que l’actualisation du concept relatif, où le lien avec la distribution des revenus, dominante pour une année donnée, est paramétrique (par exemple, 50 % du revenu moyen).

Il faut également ajuster les concepts absolus de pauvreté en fonction de la variabilité dans l’espace, lorsque l’on compare la pauvreté de plusieurs pays. Par exemple, la viande pourra être incluse dans le panier de subsistance minimum des économies industrialisées, mais pas dans celui des pays moins industrialisés. L’utilisation du même panier dans des situations différentes peut conduire à des conclusions erronées quant au niveau relatif de la pauvreté dans différents pays. En ce sens, les concepts absolus de pauvreté, à un moment donné, dépendent des conditions économiques dominantes.

D’une manière générale, pour appréhender les analyses de la pauvreté, il faut considérer l’évolution de ses approches.

2.2.1.1 L’approche monétaire

Selon Hourrier et Legris (1997), l’approche monétaire définit « le pauvre uniquement à partir

du revenu : être pauvre signifie disposer d’un revenu inférieur à un seuil. » Elle se distingue

ainsi d’autres approches existentielles. La définition monétaire semble a priori la plus naturelle. Pourtant, elle ne saurait rendre compte de tous les éléments entrant en jeu dans la pauvreté. Une définition fondée uniquement sur le revenu omet d’autres composantes du bien- être, telles que la possession ou la disposition gratuite du logement, l’existence du patrimoine permettant de compenser les difficultés, le réseau relationnel, la production domestique ou le capital humain. Pour Brockel (2005), « l’approche monétaire s’appuie sur une évaluation des

préférences des individus que l’on considère représentées par une fonction d’utilité. Cette dernière est supposée être la même pour tous. »19 On peut ainsi considérer que le niveau de dépenses de chacun correspond à une maximisation de la fonction d’utilité afin d’obtenir un niveau de bien-être optimal.

On peut dès lors comparer le niveau de bien-être de chaque individu à travers les dépenses effectuées. Les consommations ne faisant pas l’objet d’une dépense monétaire, telles que les loisirs non marchands, les services publics comme la santé ou l’éducation ne peuvent être pris en compte. Ainsi, parmi les inconvénients de l’approche monétaire et utilitariste, on peut citer l’indifférence distributionnelle, un total désintérêt pour les droits, les libertés et autres questions liées à une dépense qui estompe les privations dont souffrent les plus démunis. Bref, dans cette approche, les pauvres sont définis comme des individus ou des ménages ayant un

19 « Si cette hypothèse n’est pas confirmée, il serait impossible de comparer le niveau du bien-être de chaque individu. »

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niveau de revenu inférieur au seuil défini (seuil de pauvreté). Ce seuil peut être absolu ou relatif.

2.2.1.2 L’approche par les besoins essentiels

Pour Bockel (2005), le caractère trop utilitariste de la précédente approche a généré de nombreuses critiques, allant jusqu’à réfuter la notion même d’utilité. Ceci a contribué au développement de l’approche par les besoins essentiels (Streeten, Burk et al. 1981 ; Richard et Leonar, 1982) durant les années 1970. « La pauvreté est le fait d’être privé des moyens

matériels permettant de satisfaire un minimum acceptable de besoins, notamment alimentaires. » (PNUD, 1997).

Cette approche part de l’identification des formes spécifiques de privations de biens. Il faut alors définir quels sont les biens importants et quel est le niveau de « consommation » jugé suffisant. Généralement, les besoins dits essentiels sont : l’alimentation, le logement, les soins de santé, l’éducation, l’approvisionnement en eau, l’accessibilité aux transports. Cette conception dépasse la notion de dépenses individuelles, car elle admet qu’il ne suffit pas que les revenus augmentent pour que les individus aient un meilleur accès, par exemple, aux soins de santé ou à l’éducation. Elle intègre ainsi des services devant être fournis par la communauté.

En outre, elle met en avant le fait que les ménages n’ont pas tous les mêmes capacités à transformer un accroissement de revenu en un meilleur niveau de vie. Les problèmes de malnutrition des populations pauvres relèvent de ces questions-là (Lipton et Ravallion, 1995). Enfin, elle tient également compte des besoins en termes d’emploi et de participation à la vie de la société.

2.2.1.3 L’approche par les capacités ou opportunités

L’élargissement des approches a récemment mis en exergue la notion de capacités ou d’opportunités, la pauvreté se définissant par le fait de ne pas disposer de moyens suffisants (capital humain, capital physique, capital social) pour atteindre un niveau de vie décent. L’accent est mis de plus en plus sur l’insécurité ou la vulnérabilité, d’une part, et sur l’exclusion sociale, d’autre part, non seulement comme facteurs, mais aussi comme résultantes de la pauvreté (Loup et al. 2000). La « capacité » d’une personne définit les différentes combinaisons de fonctionnements qu’il lui est possible de mettre en œuvre (Sen, 1999). Dans l’approche des capacités ou opportunités (capabilities) de Sen (Sen, 1983 ; Sen, 2003), le focus est placé sur le fait que la pauvreté se définit comme un état où l’ensemble des choix est restreint. De ce point de vue, « la pauvreté représente l’absence des capacités

fonctionnelles élémentaires. Cette forme de pauvreté s’applique aux personnes n’ayant pas la possibilité d’atteindre des niveaux minimums acceptables concernant ces capacités fonctionnelles. Celles-ci peuvent aller du domaine matériel - disposer d’une alimentation convenable, être correctement vêtu et logé et être prémuni contre les maladies pour lesquelles existe une prophylaxie, par exemple, à des critères sociaux plus complexes tels que la participation à la vie collective » (PNUD, 1997).

Cette conception prend en compte et mesure à la fois ce qu’on peut faire ou ne pas faire (capacités) et ce qu’on fait ou non (réalisations, functionning, ou doing and being). L’idée étant que la possibilité de choisir est un facteur essentiel au bien-être.

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La consommation de biens matériels n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’accéder à un état de bien-être désiré, reconnaissant le caractère contingent du bénéfice tiré par la consommation de biens. Il dépend d’un faisceau de facteurs, dont les caractéristiques de l’individu et de la communauté. Toutefois, la notion d’utilité est réfutée.

Cette conception du bien-être ne tient donc pas compte du fait que « certains états », atteints par un individu et jugés comme représentatifs de la pauvreté, peuvent être voulus comme tels par l’individu lui-même. La place des préférences n’est donc pas claire. Cette approche n’a pas démontré en quoi l’accroissement de la consommation (et du revenu), bien que pouvant ne pas agir sur les « capacités » des pauvres, ne devait pas être un objectif politique (Lipton et Ravallion, 1995).

2.2.1.4 L’approche par l’exclusion sociale

Quoi qu’il en soit, les écrits de Sen ont révélé un élément important dans l’approche de la notion de pauvreté, à savoir l’exclusion sociale, thème qui s’est aussi développé dans les pays occidentaux (Towsend, 1985). Selon cette option, Bockel (2005) définit un pauvre comme « une personne qui n’a pas les moyens de participer aux activités de la communauté à

laquelle il appartient et de prendre part au niveau de vie largement dans la société. » Cette

approche ne se limite pas à une dimension individuelle ; elle s’applique aussi à des communautés entières exclues de la société. Cette exclusion sociale s’explique par un manque de moyens financiers mais aussi par un bas niveau d’éducation, par un faible accès à l’information ou par une insuffisante capacité à tisser des liens sociaux, etc.

Selon Bockel, cette conception renvoie à un concept de la pauvreté : les codes sociaux de reconnaissance, les systèmes d’expression politique, le mode de hiérarchisation des individus sont très différents d’une société à l’autre. De même, elle renvoie à une approche subjective de la pauvreté, dans la mesure où être pauvre s’exprime par un manque de respect, de reconnaissance, de dignité, de sécurité et de justice.

Nous reprenons également, ci-dessous, les quatre axes d’analyse de la pauvreté proposés par Cogneau, Dumont et al. (1996) : un axe « objectif-subjectif », un axe « amont-aval », un axe

« continu-discontinu » et un axe « statique-dynamique ».

 Le premier axe classe les conceptions de la pauvreté suivant leur mode d’évaluation : les pauvres sont-ils définis par rapport à des critères objectifs extérieurs à eux-mêmes ou sont-ils, par définition, des personnes qui se déclarent comme tels ? L’approche subjective débouche souvent sur la question des comparaisons interpersonnelles, et c’est sans doute pourquoi l’approche objective lui est souvent préférée, particulièrement dans les pays en développement.

 Le deuxième axe, « amont-aval », catégorise les différentes conceptions de la pauvreté suivant le type de déficit auquel elles se réfèrent. Un déficit d’opportunités (approche de Sen par les capacités) signifie que les pauvres auront des difficultés à accumuler ou à se procurer des ressources de base : éducation, santé, capital productif. Ce manque de ressources implique lui-même de faibles revenus qui, en aval, généreront des conditions de vie difficiles. Selon la position à laquelle on se réfère sur ce second axe, les politiques de lutte contre la pauvreté seront différentes. Si on met l’accent sur les droits et les libertés, une action juridique, législative devra être entreprise. Si l’on privilégie la répartition des ressources, il faudra mettre en œuvre des réformes du

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système foncier, des droits de propriété et d’héritage ou du système éducatif. Si l’on ne considère que les inégalités de revenu ou de satisfaction, on pourra se restreindre à des actions portant sur le marché du travail, à une amélioration de la fiscalité ou à des aides directes aux plus démunis.

 Le troisième axe, « continu-discontinu », oppose deux conceptions. La position « discontinue » considère que le passage de la pauvreté à la non-pauvreté n’est pas une transition continue mais implique un saut de nature qualitative. De ce point de vue, les situations de pauvreté doivent être valorisées de manière spécifique par rapport aux autres situations d’inégalité, dans la mesure où les individus pauvres sont privés de l’accès à certaines libertés ou ressources essentielles. Cette conception privilégie une action large, permettant de faire passer le plus grand nombre possible de pauvres au- delà du seuil de pauvreté ; la réduction des inégalités (au sens des pauvres ou entre pauvres et non-pauvres) aura par contre une importance relativement moindre. Par opposition, une conception « continue » de la pauvreté s’intéresse aux différences de degrés de pauvreté et à la réduction des inégalités parmi les pauvres.

Le quatrième axe “statique/dynamique” oppose une conception statique et statistique de la pauvreté (s’intéressant à un “stock” de pauvres) et une conception de la pauvreté en tant qu’expérience individuelle. Si les expériences individuelles de la pauvreté sont très transitoires dans certaines sociétés, dans d’autres, la pauvreté constitue un état absorbant dont les individus ne peuvent sortir. On peut donc avoir des pauvres qui ne sont pas les mêmes à deux dates données, ou au contraire peu de pauvres qui sont toujours les mêmes. Suivant que la pauvreté est appréhendée comme une situation statistique par laquelle les individus transitent ou comme handicap affectant une catégorie de “pauvres de longue durée” bien identifiés, les politiques de réduction de la pauvreté seront différentes. Dans le premier cas, il est possible de chercher à réduire le risque de pauvreté par un système d’assurance ; dans le second, il faudra s’efforcer de remettre à flot les individus concernés tout en agissant en amont sur les facteurs de risques.