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Partie 1 : Les soins de support et leur prise en charge à l’officine

3. Les affections cutanéo-muqueuses

3.4. Les mucites

3.4.1. Définition

La mucite est une inflammation de la muqueuse. Elle est localisée au niveau de la bouche et du tube digestif, mais peut être associée à des lésions plus diffuses, au niveau de la muqueuse génitale ou de la conjonctive de l’œil, par exemple.

Cette inflammation est, le plus souvent, provoquée par la radiothérapie ou la chimiothérapie qui entraînent respectivement une radio- ou une chimio-mucite. Dans les deux cas, la mucite provient d’une diminution de la capacité de régénération cellulaire de la muqueuse, les traitements interférant notamment avec les mitoses cellulaires. Le cycle normal de renouvellement de la muqueuse buccale est de 7 à 14 jours, cette réplication active la rend vulnérable aux antimitotiques. La mucite survient en moyenne 5 à 7 jours après le début de la radiothérapie ou de la chimiothérapie. La cicatrisation se fait habituellement en 2 à 3 semaines si les traitements anticancéreux ne se poursuivent pas pendant cette période. [37]

3.4.2. Signes cliniques et évolution

La mucite débute par un érythème avec des desquamations de certaines plages. Ces desquamations peuvent ensuite se transformer en véritables ulcérations, provoquant ainsi une dégradation rapide de la qualité de vie.

La mucite peut provoquer des douleurs, avec des sensations de brûlures. Une dysphagie et une gêne à la parole peuvent se faire ressentir. Le goût peut être perturbé, ainsi que la salive qui diminue en quantité et en qualité. Sur le plan nutritionnel, ces modifications peuvent donc entraîner une dénutrition majeure. La perturbation de la salivation, à plus long terme, peut favoriser le développement des caries, le déchaussement des dents ou une ostéonécrose après irradiation.

58 Les mucites représentent également une porte d’entrée pour les infections bactériennes et mycosiques, avec un risque vital associé à certaines septicémies ou en cas de neutropénie. [37]

3.4.3. Les facteurs de risque

Certains facteurs, liés au terrain du malade, augmentent le risque de mucite. Il s’agit d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire, une parodontopathie chronique, un mauvais état nutritionnel ou encore une xérostomie induite par une radiothérapie antérieure de la cavité buccale ou par certains médicaments. Dans ce cas, les molécules non cytotoxiques incriminées sont les molécules ayant une composante anticholinergique, les anti-H1, les activateurs de la transmission aminergique ou encore les diurétiques. Le risque de mucite dépend également du protocole de chimiothérapie reçu. Parmi les cytotoxiques les plus fréquemment impliqués, on trouve le cyclophosphamide, le 5-fluorouracile, le méthotrexate, le docétaxel, la doxorubicine, la bléomycine et l’épirubicine.

Cette inflammation est accentuée par une infection simultanée et réduite par une désinfection préalable et régulière. [7], [49]

3.4.4. Evaluation selon l’OMS

La méthode d’évaluation la plus utilisée est le score de l’OMS qui gradue l’intensité de la mucite en différents niveaux. [49]

Figure 32 : La mucite responsable de douleurs, de troubles du goût et de dysphagie

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Tableau 13 : Signes cliniques selon le niveau de la mucite [51]

Figure 33 : Photographies de mucites selon le degré d'atteinte de la muqueuse

3.4.5. Traitements

3.4.5.1. Les traitements préventifs 3.4.5.1.1. Les évaluations préalables

Les soins bucco-dentaires réalisés en amont de la chimiothérapie et de la radiothérapie préviennent ou réduisent les complications buccales. Suite à un examen clinique et radiologique, le chirurgien dentiste évalue l’état bucco-dentaire, contrôle l’appareillage et les prothèses en place et réalise les soins bucco-dentaires nécessaires (extractions, détartrages, soins parodontaux). [37]

3.4.5.1.2. Les soins quotidiens

L’équipe soignante, et en particulier le pharmacien, doit veiller à la sensibilisation du patient aux règles d’hygiène buccodentaire. Le malade devra en effet réaliser des soins quotidiens lors du traitement anticancéreux et au-delà. Ces mesures sont essentielles car, une fois une mucite installée, son traitement ne peut être que symptomatique.

L’éducation du patient met ainsi l’accent sur des mesures préventives simples.

L’emploi d’une brosse à dent chirurgicale très souple permet de ne pas majorer les risques d’abrasion de la muqueuse buccale. Le brossage des dents est nécessaire avant et après chaque repas. Il est également possible d’utiliser en plus un jet dentaire. Si le patient présente une thrombopénie avec un taux de plaquettes inférieure à 20 G/l, l’usage de la brosse à dent est contre-indiqué. On utilisera alors un coton tige. Mouiller la brosse avant utilisation permet de la rendre plus douce. Le patient veillera à éviter les fils dentaires et à utiliser un dentifrice non abrasif.

NIVEAU SIGNES CLINIQUES

Niveau 0 Absence de mucite

Niveau 1 Erythèmes avec des sensations désagréables

Niveau 2

Erythèmes ou ulcères (perte de substance du revêtement muqueux, s’étendant plus ou moins aux tissus sous-jacents) avec des douleurs n’empêchant pas une alimentation solide

Niveau 3 Ulcères et mucites confluentes avec des douleurs rendant l’ingestion des solides impossibles

Niveau 4

Ulcères, voire hémorragies et/ou nécroses avec des douleurs entraînant une alimentation per os impossible (alimentation entérale ou parentérale

60 Des bains de bouche (sans alcool de préférence), doivent être réalisés 4 à 6 fois par jour, dès le début des traitements et poursuivis pendant une dizaine de jours après leur arrêt. Les bains de bouche seront composés de sérum bicarbonaté à 1,4 % et d’un antiseptique local, de type hexetidine (Hextril®) ou chlorhexidine (Eludril®, Paroex®). La préparation suivante peut être utilisée : Eludril® un flacon ajouté au bicarbonate de sodium 1,4 % qsp (quantité suffisante pour) 500 ml. Il est nécessaire de garder la solution en bouche le plus longtemps possible avant de la recracher. Il est très important de ne pas manger pendant au moins 20 minutes après les bains de bouche.

Le temps de port des prothèses doit se réduire aux repas. La bouche doit être maintenue humide par l’ingestion d’au moins 2 litres d’eau par jour, ainsi que les lèvres avec l’application d’un gel ou un baume adapté. Humidifier l’air est également un geste préventif. Consommer des bonbons ou chewing-gums, sans sucre, permet de stimuler la salivation. Des substituts salivaires doivent être utilisés en cas de bouche sèche.

Enfin, le pharmacien doit conseiller au malade d’éviter les facteurs susceptibles d’agresser la muqueuse comme le tabac et l’alcool. Au niveau de l’alimentation, les plats trop chauds et les aliments épicés ou acides sont à proscrire. [41], [50]

3.4.5.1.3. Pendant la chimiothérapie

Un des moyens les plus efficaces de prévenir les mucites est de sucer des glaçons. En effet, cette action permet de réduire de 2 à 5 fois l’incidence des mucites sévères. Par le même mécanisme que celui du casque réfrigérant, le froid provoque localement une vasoconstriction qui limite les concentrations en agents anticancéreux au niveau des cellules buccales. Les effets indésirables, telles que des céphalées et des sensations d’engourdissements dans la bouche sont minimes. Les glaçons sont à sucer 5 minutes avant le début de la chimiothérapie et pendant au moins 30 minutes. [41]

3.4.5.2. Les traitements curatifs

On privilégie le traitement local, basé le plus souvent sur l’utilisation de bains de bouche tout en maintenant les mesures préventives citées précédemment.

3.4.5.2.1. Les bains de bouche au bicarbonate de sodium

Les bains de bouche pluriquotidiens au bicarbonate de sodium 1,4 % associés à un antiseptique local de type hexetidine (Hextril®) ou chlorhexidine (Eludril®, Paroex®) sont utilisés en prévention et à titre curatif. L’eau oxygénée est déconseillée car elle est irritante malgré ses propriétés hémostatiques.

En pratique, il faut agiter le flacon avant emploi. Un temps de contact avec la cavité buccale d’au moins 5 minutes est à respecter pour ces antiseptiques qu’il faut recracher par la suite. Les bains de bouche sont à renouveler 4 à 6 fois par jour. [49]

3.4.5.2.2. Les antifongiques

Les levures de type candida se développent plus facilement lors d’une mucite et d’une baisse des défenses immunitaires. Les antifongiques utilisés pour le traitement sont peu stables en solution. Ils peuvent tout de même être mélangés aux bains de bouche bicarbonatés et aux antiseptiques. Cette solution est communément appelée « Potion de Saint-Louis » et s’utilisent dans un délai de 3 à 5 jours après la préparation (agitation avant emploi). [50] On utilise principalement l’amphothéricine B (Fungizone®), en suspension buvable ou en forme à usage local et la nystatine (Mycostatine®), en suspension buvable. Ces antifongiques polyèniques se fixent sur l’ergostérol et altèrent la membrane fongique.

61 Ils ne sont pratiquement pas résorbés par le tube digestif et sont donc dénués de toxicité. Ils s’utilisent en bains de bouche de quelques minutes ou en applications locales. Il est ensuite nécessaire de les avaler pour traiter un éventuel foyer de candidose digestive. Leur utilisation doit se faire en dehors des repas.

Le fluconazole (Triflucan®) en suspension buvable est également utilisé. Antifongique azolé, il inhibe la biosynthèse de l’ergostérol d’origine fongique. La résorption digestive est importante et des effets indésirables tels que des nausées et des douleurs abdominales sont à prendre en compte, ainsi que l’inhibition du cytochrome P450 qui potentialise l’action des autres traitements.

Ces préparations ont un goût désagréable et certains sujets déjà nauséeux peuvent mal le supporter. On utilisera alors une forme comprimé. [50]

3.4.5.2.3. Les antalgiques

En cas de douleurs, on peut ajouter un antalgique par voie locale ou par voie générale.

Par voie locale, on utilise la lidocaïne (Xylocaïne®) à 5 % visqueuse ou pour application locale, en association à la préparation de bicarbonate. Cette utilisation est limitée car l’effet anesthésiant de la muqueuse induit un risque de morsures et de fausses routes (à préciser au malade). Il faut également lui indiquer de ne pas avaler la solution après usage.

Le paracétamol ou l’aspirine en sachet, ainsi que des corticoïdes (Soludecadron® ampoule à 4 mg) à diluer dans le bain de bouche et à recracher de préférence, sont également utilisés. On associe par voie générale l’antalgique nécessaire, il est possible d’utiliser un morphinique en cas de fortes douleurs ou du néfopam (Acupan®) en cas de douleurs brutales. Ce traitement est à adapter selon l’EVA. [50]

3.4.5.2.4. Les antibiotiques

La vancomycine (Vancocine®) peut être utilisée par voie orale et incorporée dans les bains de bouche bicarbonatés. Cette utilisation est actuellement remise en cause pour son risque de résistance sur les staphylocoques méti-R et les entérocoques. Une antibiothérapie par voie orale est à prescrire en cas de fièvre prolongée. [50]

3.4.5.2.5. Les autres traitements

Le sucralfate (Ulcar® ou Kéal®) en suspension buvable peut être utilisé mais son efficacité n’est pas établie. Sa posologie est de 4 sachets par jour en gargarisme, à déglutir par la suite. Le bleu de méthylène peut être appliqué sur les lésions, avec une bonne efficacité. C’est un antiseptique à faible action fongicide et bactéricide.

Le laboratoire Evolife commercialise un spray Evomucy spray® à base d’eau thermale, d’oligoéléments et de lithium (anti-inflammatoire et bloque la substance P). [41]

3.4.5.2.6. Les antiviraux

Un traitement antiviral systémique peut être proposé en cas de lésions évocatrices de surinfections herpétiques, ou d’antécédents de récurrences herpétiques. Il faut toutefois noter la difficulté de différencier les ulcérations mycosiques des ulcérations herpétiques. On utilise l’aciclovir (Zovirax®), antiviral inhibant sélectivement l’ADN polymérase virale, à la posologie de 200 mg 5 fois par jour ou le valaciclovir (Zelitrex®), ayant l’avantage d’un faible nombre de prises quotidiennes, à la posologie de 1000 mg en 2 prises par jour. [19], [42]

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3.4.5.2.7. Le palifermin (Kepivance®)

Il est indiqué pour réduire l’incidence, la durée et la sévérité des mucites buccales chez certains patients atteints d’hémopathie maligne. C’est un facteur de croissance humain des kératinocytes, produit par la technique de l’ADN recombinant à partir d’Escherichia Coli. Il se lie spécifiquement aux récepteurs de surface des cellules endothéliales cibles, stimulant ainsi la prolifération, la différenciation et la régulation positive des mécanismes cytoprotecteurs des muqueuses. Son AMM est indiquée dans le traitement des mucites buccales chez les patients atteints d’hémopathies malignes recevant un traitement myéloablatif associé à une incidence élevée de mucite sévère et nécessitant un support autologue par cellules souches hématopoïétiques. Sa prescription se restreint aux spécialistes en oncologie ou en hématologie. La posologie est de 60 µg/kg/jour pendant 3 jours consécutifs puis de 3 doses après le traitement myéloablatif. [25]

3.4.5.2.8. Le laser

Depuis quelques années, l’utilisation de la photothérapie au laser s’est montrée intéressante dans le traitement des mucites : elle a fait l’objet de nombreuses publications et d’une attention particulière du groupe Mucites MASCC/ISOO (Multinational Association of Supportive Care in Cancer/International Society for Oral Oncology). [54]

Le laser de faible puissance, représente une avancée importante dans la prévention des mucites radio- et chimio-induites grâce à ses propriétés antalgiques, anti-inflammatoires et cicatrisantes. Le tissu traité absorbe l’énergie émise par le laser athermique, ce qui lui permet de rééquilibrer sa propre énergie, perturbée par les traitements. Les tissus agissent comme accumulateurs. Après avoir reçu l’illumination, ils la restituent en partie, au bénéfice du tissu pathologique environnant. Cette technique est indolore et n’a pas d’effet secondaire. Les séances de laser ne sont efficaces que si elles sont répétées au moins 3 fois par semaine pendant toute la durée des lésions. Le laser a une action sur la douleur avec un effet quasi immédiat sur l’inflammation, les œdèmes et la cicatrisation grâce à son effet sur les fibroblastes et la synthèse du collagène. [51]

L’intérêt de la photothérapie a été mis en évidence dans de nombreuses études où une diminution significative des mucites de grade 3 et 4 chez les patients traités par laser après chimiothérapie, pendant le traitement de conditionnement avant les greffes de cellules souches hématopoïétiques dans le cadre du traitement des hémopathies malignes a été observée. Le groupe MASCC/ISOO ne recommande pour le moment ce traitement préventif que pour les institutions qui disposent déjà d’un laser de faible puissance et qui en ont l’expérience, car elle nécessite des moyens coûteux en temps et en personnel. Seuls les médecins formés à ces techniques sont habilités à réaliser les séances qui sont remboursées par la sécurité sociale. [52], [53]

3.4.5.3. Surveillance

La surveillance de l’évolution locale de la mucite et un contrôle régulier de la douleur sont nécessaires lors du traitement. On vérifiera également le bilan biologique du malade et l’absence de dénutrition. [37]

Figure 34 : Traitement d’une mucite par la technique du laser

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