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1.4 Problématique générale de la thèse : comment investiguer l'activité mentale du

1.4.1 La démarche  ascendante  : de l'observation de l'activité de conduite à

1.4.1.3 Les moyens d'accès indirects à l'activité mentale

Pour appréhender ces processus cognitifs à partir de l'activité observée, il est donc néces-saire de disposer de moyens d'accès indirects à l'activité mentale du conducteur5. Deux types d'approches indirectes de l'activité mentale du conducteur sont utilisés au LESCOT. Le pre-mier consiste à faire verbaliser le conducteur sur son activité de conduite. Le second consiste à procéder par inférence, à partir de l'analyse des traces d'activité.

Le recours aux verbalisations : Le principal moyen d'accès à la pensée utilisé en ergonomie cognitive comme en sciences de la cognition est le recours à la verbalisation des sujets.

Interroger l'opérateur sur sa tâche semble indispensable pour permettre d'entrevoir une partie de l'activité cognitive mise en jeu pendant l'activité. Mais l'explicitation est toujours sujette à la subjectivité de l'opérateur et de l'ergonome qui veut la comprendre, il est donc nécessaire de collecter des données qui feront l'objet d'une interprétation débattue ou questionnée. Ces

5L'observation de  l'activité mentale  du conducteur au sens où nous l'avons dénie dans cette thèse sera toujours indirecte, y compris dans le cadre des recherches mesurant l'activité cérébrale pendant la conduite [Fort et al., 2010], car si celles-ci observent bien de façon directe l'activité  du cerveau , elles ne permettent pas pour autant d'observer directement son produit,  la pensée , qui est précisément l'objet de ce que nous dénommons l'activité mentale

données collectées peuvent provenir de plusieurs techniques diérentes, qui vont du questionnaire spécique au dialogue ouvert avec l'ergonome. Chacune des techniques reste limitée pour la possibilité d'explicitation de la part de l'acteur de l'activité et donc de la capacité du sujet à exprimer consciemment une activité souvent automatisée.

Nous allons décrire tout d'abord les données qui peuvent être récoltées pendant la phase d'ac-tivité grâce à la verbalisation du sujet. Cette verbalisation est parfois instinctive ou automatique, mais l'ergonome peut pousser le sujet à verbaliser son activité pour faciliter la compréhension de l'activité en cours. L'intérêt de ces données, c'est qu'elles sont fortement contextualisées et permettent donc d'avoir une explicitation de l'activité et une compréhension de la part de l'er-gonome en pleine situation [Guérin et al., 2006]. Mais la verbalisation de la part du sujet lui demande une partie de son attention et de ses ressources cognitives. Il est donc parfois dicile, voire impossible, d'obtenir une verbalisation contextuelle pendant une phase critique de l'acti-vité, ou celle-ci sera très imparfaite, car l'explicitation d'une situation d'urgence demande le plus souvent un retour intellectuel sur la situation. Enn, cette verbalisation peut être sujette à une demande en amont de la part de l'expérimentateur, comme exprimer à haute voix un chire compris entre zéro et dix pour caractériser la criticité d'une situation. Cela permet de structu-rer la masse de données récoltées par la verbalisation, et permet d'avoir dans certains cas une verbalisation complémentaire à la note donnée par le sujet.

Une seconde phase peut permettre d'améliorer la compréhension de l'activité du conducteur : les entretiens a posteriori. Pour cela on peut réaliser des entretiens d'explicitation [Vermersch, 1994] permettant d'aider le sujet dans son explicitation en lui posant des questions dirigeant la description précise de ses actions passées, mais portant aussi sur les raisons ou les motivations de ces actions. Cela vise à l'inciter à décrire le vécu des situations sous plusieurs aspects comme le sensoriel (se souvenir d'un regard permettant de prendre en compte une information), l'émo-tionnel (ressentir un autre usager comme agressif), décisionnel (prise de distance par rapport à une situation pour décider d'une action), ou anticipatoire (se souvenir d'une anticipation impor-tante pour une action d'évitement d'un piéton). Cette explicitation a posteriori permet souvent à l'ergonome d'améliorer sa compréhension de certaines situations. Mais l'entretien d'explicitation n'est pas la seule technique d'entretien a posteriori, il existe aussi l'autoconfrontation.

L'autoconfrontation consiste à faire revivre au sujet, grâce aux données véhicule enregis-trées pendant le trajet, certaines situations particulières (et particulièrement intéressantes pour l'ergonome). Cela permet de faire revivre au conducteur un cas particulier, qu'il va pouvoir se remémorer et expliciter. L'intérêt est de lui faire revivre depuis l'extérieur une situation qu'il a connue pour qu'il puisse expliciter son activité, expliquer ses actions, exprimer ses souvenirs de décisions sur un cas, et donc expliciter certaines facettes de son activité mentale telle qu'elle s'est engagée en situation [Guérin et al., 2006]. Plusieurs solutions sont possibles dans ces autoconfron-tations : on peut laisser le sujet libre dans ses commentaires ou bien le diriger en sélectionnant des situations particulières et en posant des questions précises. Il est aussi possible de demander au sujet de répondre à une série de questions permettant l'estimation de critères plus ou moins objectifs sur la situation (par exemple, qualier une situation routière ou une man÷uvre de conduite qu'il aurait engagée en se situant sur des échelles de criticité bipolaire, allant de  pas du tout critique  à  extrêmement critique ).

Le recours à l'inférence En complément des méthodes de verbalisation, la démarche de modélisation cognitive peut reposer sur un processus d'inférence reposant sur l'analyse des faits

observés, étayée par des modèles ou des théories cognitives.

Comme le souligne Leontiev, l'une des sources de la psychologie ergonomique [Saussez and Yvon, 2010], une fois que nous admettons qu'il existe  une structure commune de l'activité pratique externe, et de l'activité mentale interne, nous pouvons comprendre l'échange d'éléments qui prend place constamment entre elles, nous pouvons comprendre que certaines actions internes peuvent devenir une partie de la pratique directe, l'activité physique, et inversement, que les actions sensori-motrices externes peuvent servir la performance mentale dans une structure de pure activité cognitive 6[Leontiev, 1981]

Cela signie qu'il est possible d'entrevoir l'activité mentale d'un opérateur en observant son activité comportementale, car les fonctions psychologiques mises en ÷uvre se reètent dans l'acti-vité eective. C'est en fonction de l'actil'acti-vité observée, et du produit d'une transformation résultant de l'inférence, que l'activité mentale de l'opérateur pourra être déduite.

Toutefois, inférer l'activité mentale ne peut pas uniquement reposer sur la description d'un comportement particulier, observé dans une situation particulière. Cela nécessite de considérer un ensemble d'observations convergentes, puis d'en proposer une explication commune reposant sur des processus cognitifs cachés jugés identiques, le tout accompagné d'une formalisation de ces processus permettant de traduire explicitement et intelligiblement une ou plusieurs activités internes du système cognitif humain, et pouvant alors permettre de comprendre l'origine, ou la cause, des comportements observés.

Cette démarche d'analyse systématique d'une grande quantité detraces d'activitéobservées sur véhicule instrumenté et en conditions réelles de conduite7, dans l'objectif de permettre une modélisation ascendante de l'activité de conduite et de la cognition du conducteur, a fait l'ob-jet de deux thèses au LESCOT dont les résultats ont permis d'alimenter directement le modèle COSMODRIVE8. Ces deux thèses ont été réalisées en collaboration avec le LIRIS9 et ont per-mis de concevoir des outils informatiques (issus des méthodes d'ingénierie de la connaissance) pour l'analyse de données collectées sur véhicule, et permettant d'inférer progressivement, à par-tir de traces  brutes  d'activité, des schémas de conduite (formalisme de représentation des compétences de conduite utilisé dans COSMODRIVE, sur lequel nous reviendrons ultérieure-ment) correspondant à des phases d'activité plus complexes (comme réaliser un dépassement sur autoroute ; cf. gure 5).

La thèse de [Georgeon, 2008] a permis de concevoir l'atelier logiciel ABSTRACT10, visant à inférer la conscience que le conducteur a de la situation dans laquelle il évolue (e.g. la façon dont il se la représente mentalement), à partir des données véhicule. Le principe de cette méthode d'analyse consiste à générer un certain nombre de variables quantitatives et qualitatives permet-tant de décrire l'activité de conduite, puis de proposer un mode d'analyse et d'indexation de ces

6 Once we acknowledge the common structure of external, practical activity and internal, mental activity we can understand the exchange of elements that constantly takes place between them, we can understand that certain mental actions may become part of the structure of direct 

7Pour faciliter l'exploitation des données ainsi récoltées, une plateforme logicielle a été développée auLESCOT

permettant de structurer le développement d'applications de traitement et d'analyse speciques (cf. plateforme BIND présentée en annexe.3)

8COgnitive Simulation MOdel of the DRIVEr

9Laboratoire d'InfoRmatique en Images et Systèmes d'information; UMR CNRS 5205 / Université Lyon1

(a) (b)

Figure 5  Exemple de découverte d'un schéma tactique de dépassement à partir de l'analyse de traces d'activité (extrait de [Mathern, 2012]

variables qui  fasse sens  pour un analyste souhaitant investiguer la Conscience de la Situation des conducteurs. Ces données sont organisées sous forme d'une succession d'observables, datés et localisés. Ces observables correspondent à des comportements (actions sur les commandes, stratégies visuelles, etc.), à des éléments caractérisant le contexte de conduite (événements exté-rieurs, nature de l'infrastructure, etc.), ainsi qu'à des informations relatives à la dynamique du véhicule (vitesse, accélération latérale, etc.). Ces données constituent une  trace brute , un pre-mier niveau de modélisation de l'activité qui est ensuite utilisé comme support an de mettre en évidence, par abstractions successives, les schémas de conduite tactiques élaborés par le conduc-teur. Cet atelier contient des outils de traitement du signal, de modélisation des connaissances sous forme d'ontologies et de graphes, et des méthodes d'élaboration de règles d'inférence symbo-liques. Mais c'est aussi un outil de visualisation permettant d'acher une séquence de conduite sous la forme de représentations graphiques symboliques construites de manière automatique à partir de règles dénies manuellement par l'analyste. Elle prend notamment la forme d'un graphe dont les n÷uds sont des concepts et les arcs des relations, chacun étant déni parallèlement dans une ontologie. La principale relation utilisée est la relation de séquentialité, qui dénit la chro-nologie de l'activité, mais d'autres relations sont également dénies, telles que celles d'inférence permettant de dériver des descriptions plus abstraites à partir d'observables de plus bas niveau, selon des règles que cet outil permet de modéliser.

La thèse de [Mathern, 2012], pour sa part, a permis de prolonger cette démarche d'analyse et de modélisation ascendante de l'activité de conduite, fondée sur l'ingénierie des connaissances. Cette thèse propose une méthode de découverte interactive et progressive de connaissances à partir de traces d'activité : AUTOMATA. Synthétiquement, les données de conduite sont tout d'abord considérées comme des M-Traces, associant une sémantique explicite aux informations collectées sur véhicule, puis elles sont exploitées en tant que connaissances dans un Système à Base de Traces (SBT). Ce SBT permet alors de ltrer, transformer, reformuler et abstraire les séquences qui alimentent la synthèse de modèles automates de l'activité de conduite. A ce niveau, AUTOMATA utilise des techniques de fouille de workow permettant de construire des réseaux

de Petri à partir de logs. Ces techniques nécessitent des données complètes ou statistiquement représentatives. Or les données collectées à bord d'un véhicule en situation de conduite sont par nature des cas uniques, puisqu'aucune situation ne sera jamais reproductible à l'identique. La gageure de cette thèse a donc été de procéder à une forme de généralisation sous la forme de modèles, à partir d'un nombre de cas limités, mais jugés pertinents, représentatifs, ou particu-lièrement révélateurs par des experts en analyse de l'activité de conduite. Pour permettre cette démarche de modélisation, les algorithmes de synthèse de réseaux de Petri à partir de traces utilisés par AUTOMATA ont été rendus interactifs, an de permettre à des experts-analystes de l'activité de conduite de guider le processus de découverte de connaissances.

Figure 6  Représentation synthétique des méthodes d'analyse ascendante de l'activité de conduite pour la modélisation cognitive du conducteur développée auLESCOT (extrait de [ Ma-thern, 2012])

La gure6présente cette chaîne d'analyse de l'activité de conduite à des ns de modélisation cognitive du conducteur automobile. L'ensemble de ce cycle a été développé, évalué puis validé durant la thèse de Mathern, à partir de données réelles de conduite.

Dans la continuité de cette chaîne d'analyse et de modélisation sur laquelle s'appuie la dé-marche  ascendante  de modélisation cognitive du projet COSMODRIVE, cette thèse vise désormais à bâtir la démarche  descendante  du cycle de modélisation cognitive, an de per-mettre d'évaluer ce modèleCOSMODRIVEau moyen de la simulation numérique.

1.4.2 La démarche  descendante  : de la modélisation cognitive du