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Discussion et modélisation des eets de la distraction visuelle sur la repré-

5.3 Expérimentation 2 : Intégration cognitive et eets de la distraction visuelle

5.3.6 Discussion et modélisation des eets de la distraction visuelle sur la repré-

Les résultats que nous avons présentés montrent clairement une altération de la performance de conduite en cas de distraction visuelle. Cela aecte le maintien de la distance de suivi en situation de conduite normale et augmente le risque d'accident en situation critique.

Au vu des résultats obtenus, nous pouvons tout d'abord conclure que le fait de ne pas avoir son attention visuelle consacrée à la route empêche l'intégration perceptive puis cognitive de l'information situationnelle, ce qui pourra perturber tout autant des performances de conduite routinières et automatiques (comme le maintien d'une distance de suivi), que des performances plus décisionnelles (comme le fait d'engager un freinage d'urgence).

Mais ces résultats sont aussi intéressants du point de vue du  vécu  des participants, notamment concernant les situations critiques : tous les sujets ont eu une réaction de surprise au moins une fois lors de l'expérimentation, en repositionnant le regard en direction de la route, alors qu'ils étaient en train de traiter la réponse à la double tâche. Cet eet de surprise résulte de la soudaine prise de conscience d'un décalage important entre, d'un côté, la réalité objective et, de l'autre côté, la situation de conduite telle qu'ils se la représentaient mentalement tandis qu'ils consultaient l'écran embarqué. Nous pouvons en conclure que leur représentation ne contenait pas l'information du freinage du véhicule suivi et qu'ils n'avaient pas anticipé ce changement d'état avant d'avoir perçu cette information.

A - Analyse et modélisation des stratégies de gestion et d'allocation des ressources visuelles en situation de double tâche :

cette expérimentation visait aussi à collecter des données sur les stratégies visuelles déployées par les conducteurs pour réaliser la double tâche et partager leurs ressources visuelles entre la route et un écran embarqué. Comme décrit précédemment, la double tâche visuelle se décomposait en trois phases : (1) trois pictogrammes étaient présentés au sujet sur un écran externe avec un  bip  d'alerte, (2) quelques secondes plus tard une réplique de l'un des pictogrammes était ajoutée au premier ensemble, (3) le conducteur devait alors répondre dans les trois secondes en appuyant sur un boitier à trois boutons.

Les résultats obtenus ont permis d'identier deux grandes stratégies d'allocation de ressources visuelles par nos conducteurs, face à la double tâche proposée. Ces deux stratégies sont repré-sentées schématiquement dans la gure 59.

Figure 59  Stratégies d'allocation des ressources visuelles par les conducteurs

Dans le cadre de la première stratégie, représentant 58 % des cas observés, les sujets attendent entre 3 et 4 secondes lorsque le  bip  est émis, pour ensuite (i) regarder les trois pictogrammes, (ii) observer la réplique proposée et (iii) produire leur réponse. Dans ce cas, le conducteur n'a besoin de consulter l'écran externe qu'une seule fois, mais pendant un temps relativement long (durée de xation de 2 s en moyenne) (codeQR 13, droite). Par ailleurs, cette stratégie peut échouer. En eet, si le sujet observe l'écran avant que la réplique ne soit achée, il doit alors réallouer son attention visuelle à la route avant de pouvoir ensuite revenir consulter l'écran. Il est à noter que cette stratégie semble perturbée lorsque la tâche de conduite devient trop complexe (i.e. conduite en zone urbaine et en suivi contraint). Dans ce cas, la première consultation est souvent trop précoce et le nombre de consultations pour attendre la réplique augmente alors considérablement. Ce résultat pourrait s'interpréter par une stratégie qui consisterait à allouer de

l'attention cognitive à la vision périphérique durant la phase d'attente, an de détecter  du coin de l'÷il  le moment où la réplique apparaît, stratégie qui serait altérée en cas de tâche de conduite trop sollicitante cognitivement pour pouvoir consacrer des ressources à la vision périphérique. Une autre interprétation possible serait de considérer que le conducteur utilise une  horloge  interne pour gérer son temps d'attente, horloge dont le fonctionnement serait perturbé en cas de conduite très sollicitante cognitivement. De nouvelles expérimentations seraient nécessaires pour examiner ces diérentes interprétations possibles.

Pour la seconde stratégie, représentant 31 % des cas observés, les conducteurs regardent l'écran externe au moment du  bip  sonore (xation de 0,8 s en moyenne) an d'observer les trois pictogrammes  question , puis ils eectuent des aller-retours réguliers entre la route et l'écran externe, et cela jusqu'à ce que le pictogramme  réplique  soit présenté (xation de 0,5 s en moyenne). Enn, lorsque celui-ci apparaît, ils consultent l'écran plus longtemps (xation de 1,5 s en moyenne) pour prendre leur décision et produire leur  réponse  via le boitier (codeQR13, gauche). A la diérence de la stratégie précédente qui vise à réduire au maximum le nombre de consultations (au point de ne quitter la route des yeux qu'une seule fois mais au prix d'une longue xation de 2 s pour voir la  question  et produire la  réponse ), cette stratégie vise au contraire à permettre un traitement plus progressif de l'information (la  question , puis la  réponse , modulo des consultations intermédiaires pour détecter rapidement l'apparition de la réplique). Au nal, le temps cumulé des xations sur l'écran pour gérer la double tâche (regard hors-route) est plus important que dans le cadre de la première stratégie, mais la durée de la consultation  réponse  est beaucoup plus courte (1,5 s en moyenne). Ainsi, pour cette stratégie, ce n'est pas le nombre de consultations qui est optimisé, mais la durée de la consultation nale, toujours inférieure à 2 s (temps à partir duquel il devient particulièrement dangereux de conduire sans avoir regardé la route).

(1) (2)

CodeQR 13: (1) http ://www.youtube.com/watch ?v=ZP3ZDck-Tlo (2) http ://www.youtube.com/watch ?v=i1qeiADqF3c

Au vu de ces résultats, il semble bien que nous ayons à faire ici à deux patterns de gestion et d'allocation des ressources visuelles diérents, chaque stratégie ayant ses avantages et ses inconvénients, et chacune présentant des risques de distraction diérents (temps cumulé de regard  hors-route  plus élevé d'un côté, versus durée potentiellement critique de la consultation nale, de l'autre côté)

Grâce à cette analyse des stratégies visuelles déployées pour consulter un écran dans l'habi-tacle, nous avons pu concevoir et intégrer dans notre modèle de simulation cognitive une fonction d'allocation des ressources visuelles en double tâche qui permet à notre modèle d'accorder son attention visuelle à une tâche secondaire selon l'un ou l'autre des deux patterns. Grâce à cela, nous pouvons chercher à simuler les eets potentiels de la distraction visuelle au niveau des re-présentations mentales et/ou des erreurs de conduite associées à la distraction visuelle durant la conduite.

B - Exemples de simulation numérique des erreurs de conduite induites par une double tâche de distraction visuelle :

A partir des données expérimentales que nous avons collectées, nous avons simulé des situa-tions pour lesquelles le conducteur observe la route au moment où le véhicule qui le précède freine brusquement, et des situations dans le cadre desquelles cet événement se produit alors que le conducteur est visuellement distrait. Les gures suivantes illustrent ces deux congurations situationnelles, en présentant d'un côté une situation observée auprès d'un conducteur réel (vues  a ) et de l'autre côté, une simulation réalisée avec notre modèle (vues  b ).

Dans le premier exemple (gure60), le conducteur (sous-gure60(a)), comme le modèle (sous-gure 60(b)), observe la route en permanence. Lorsque le véhicule suivi freine brusquement, il détecte rapidement le changement d'état et engage immédiatement un freinage d'urgence. La collision est alors évitée.

(a) Un sujet lors de l'arrêt d'urgence, sans détourne-ment du regard

(b) Simulation de la situation, sans détournement du regard

Figure 60  Arrêt d'urgence sans détournement du regard

Dans le second exemple (gure61) la conductrice (sous-gure61(a)) , comme le modèle (sous-gure61(b)) est en train d'observer l'écran embarqué au moment où le véhicule suivi freine. Elle ne détecte par conséquent pas tout de suite ce changement d'état. Lorsqu'elle accorde de nouveau son attention à la scène routière, il est trop tard pour éviter l'accident. Elle engage un freinage d'urgence, mais cela ne lui permet pas d'arrêter son véhicule avant la collision.

Grâce à la simulation numérique de la cognition que permet notre modèle, il devient ainsi possible de reproduire les eets de la distraction au niveau de la performance de conduite, mais également de visualiser l'activité mentale d'un conducteur en cas de distraction visuelle. C'est ce qu'illustre la gure 62.

Comme nous pouvons le voir à la phase 4, la position du véhicule blanc n'est pas la même dans la réalité et dans la représentation mentale de la conductrice (cf. zoom présenté en gure63). Ce n'est qu'au moment où celle-ci porte de nouveau son regard sur la route qu'elle peut percevoir la position de ce véhicule et prendre alors conscience du décalage entre le contenu de sa représen-tation mentale interne et la réalité situationnelle externe. Après intégration cognitive, elle met alors à jour sa représentation : le véhicule blanc fait alors un  saut , de sa position estimée (i.e. extrapolée mentalement pendant la double tâche à partir des informations dont disposait la

(a) Un sujet lors de l'arrêt d'urgence, avec détourne-ment du regard

(b) Simulation de la situation, avec détournement du regard

Figure 61  Arrêt d'urgence avec détournement du regard

conductrice au moment où elle a détourné les yeux) à sa position réelle, telle qu'elle est perçue au moment où celle-ci porte de nouveau son attention sur la route.

Figure 62  Visualisation de la non-intégration cognitive d'une information visuelle grâce à la simulation numérique

5.4 Expérimentation 3 : Simulation numérique du processus de