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CHAPITRE 6 : DÉMOCRATIE

6.3 La démocratie municipale

6.3.4 Les mobilisations contre les infractions municipales

Toutefois, devant d’autres situations problématiques, l’ONG a pu user de différentes stratégies de mobilisation pour faire face aux infractions de certaines municipalités. « Donc le 20 juin dernier, il y a cinq jours précisément, il y a eu dans Al Bawsala un moment de crise parce que [des villes de] deux gouvernorats, celui de Tatatouine et celui de Monastir avaient décidé de tenir leur première réunion de conseil municipal close, à huis-clôt. Et ça, ça constituait une entrave au CCL, donc tout le monde qui était disponible vous avez pris la journée pour écrire d’abord un communiqué général » (extrait d’entrevue avec Hajer).

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Voilà qui met la table pour bien décrire l’évènement. Le huis-clos avait été décidé par le gouverneur de ces régions, ce qui était illégal selon le nouveau code, puisque brimant tant l’autonomie des conseils municipaux que celle des citoyen.ne.s désirant assister à leur mise en place. Toute personne dans l’organisme qui ne travaillait pas sur un dossier urgent a été mandatée de se joindre à la « cellule de crise » afin d’élaborer les stratégies pour les actions à venir : il fallait savoir comment dénoncer cette situation illégale, auprès de qui, avec quels arguments législatifs (donc quels articles du CCL pouvaient être utilisés) et comment mobiliser les citoyen.ne.s à s’indigner et à agir pour réclamer leurs droits à la participation démocratique. La tension au bureau était haute puisque c'était le fondement même de la décentralisation qui était mis en péril par les décisions des gouverneurs que de tenir les réunions en huis-clos. Un premier communiqué a été rédigé et était à visée publique citoyenne, mais par les canaux de diffusions d’Al Bawsala même, soit principalement Facebook, et le suivant en était un de presse, donc adressé à un regroupement de médias, dont certains avaient été contactés individuellement pour s’assurer qu’ils relaieraient la nouvelle.

Le premier était à visée incitative d’action citoyenne afin que chaque personne puisse se tenir au courant des infractions possiblement commises dans sa municipalité, reste vigilante et revendique son droit d’accès à l’information en cas de besoin : « Alerte : Les citoyens sont empêchés d’assister aux séances d’investiture des conseils municipaux » et «Les gouverneurs empêchent aux habitants de se présenter aux assemblées municipales et les élus restent silencieux » étaient les titres de ces différents communiqués. Les observateur.trice.s loca.les.aux ont été sollicité.e.s pour transmettre à Al Bawsala toute information pertinente, à la manière d’un crowd-sourcing en ligne (au mieux traduit par « externalisation ouverte ») et dont les informations étaient vérifiées par l’organisme, par le biais des observateur.trice.s loca.les.aux. Les gens ont répondu à cet appel en nombre jugé satisfaisant. Par ce biais, Al Bawsala souhaitait faire valoir aux « citoyen[.ne.]s, [aux] habitant[.e.]s, [a] la société civile et [aux] journalistes d’être conscient[.e.]s de leur rôle de contrôle, de sensibilisation » (extrait d’entrevue avec Hajer).57

Le communiqué de presse, quant à lui, visait des médias nationaux, et ici l’équipe poursuivait l’objectif non seulement de communiquer l’information de ce cas précis, mais également de se faire de plus en plus connaitre comme organisation à toutes les échelles. Sachant que les médias sont une forme de pouvoir, on tente de les avoir comme alliés pour faire passer des messages plus globaux et de manière de plus en plus fréquente. On tente donc d’atteindre autant les médias sociaux, dont les messages sont facilement « réappropriables », que les médias classiques qui bénéficient d’une crédibilité et d’une place assurées dans la société.

57 En plus de ces mesures destinées à la population générale, le chef du gouvernement a été contacté par l’association pour user de

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Dans les moyens de mobilisation déployés par Al Bawsala devant cette situation, en plus des alertes générales à la population qui ont été émises, une plainte formelle a été adressée à l’endroit d’une des municipalités jugées fautives pour excès de pouvoir. Cette municipalité souhaitait éviter la tenue de la réunion de son conseil prévue pour le lendemain. La plainte a été portée auprès du tribunal administratif du pays par une personne spécifiquement contactée dans cette situation d’urgence, en endossant les messages d’Al Bawsala. Elle a été écrite avec l’aide et l’avis de juristes, de magistrat.e.s et d’avocat.e.s afin d’être en conformité avec les procédures légales. Ces spécialistes ont également collaboré à l’élaboration d’un modèle de plainte en vue de demandes d’accès à l’information. Ce modèle, avec pour base un argumentaire juridique, fut rendu disponible pour quiconque désirait s’en servir pour dénoncer une injustice similaire dans le pays, incluant toutes les étapes de la démarche procédurale. Pour les citoyen.ne.s des municipalités dont la première séance des conseils municipaux avait déjà été tenue, et pour les autres, il s’agissait d’un rempart pour éviter des abus similaires à l’avenir.

Ces abus étaient prévisibles selon certaines personnes. Ils seraient symptomatiques d’un manque de volonté politique devant la déconcentration des pouvoirs et la décentralisation. Les gouverneurs, dont le rôle était bien plus important dans le cadre de l’État centralisé, se doivent de déléguer certains de leurs pouvoirs en vertu du CCL. Leur habitude était de donner des consignes, mais la configuration de la décentralisation promeut le pouvoir aux gens élus et délaisse l’importance de ceux qui sont nommés, comme dans leur cas. Parallèlement à cela, c'est aussi aux conseils municipaux de revendiquer leur autonomie et d’exercer leurs prérogatives.